Dans l’engrenage de l’UGIF : collaboration et résistance face à la Shoah
En novembre 1941, le régime collaborationniste de Vichy, sous l'impulsion de l’occupant nazi, crée l'Union générale des israélites de France (UGIF). Cette organisation, regroupant l'ensemble des institutions juives, se voit confier des missions contradictoires : assister la population juive, faciliter l'émigration, mais aussi appliquer les mesures discriminatoires et participer à la déportation.
La naissance d'une organisation sous contrainte
L'UGIF ne naît pas d'une volonté propre à la communauté juive. C'est une création imposée, fruit de la convergence des intérêts nazis et vichystes. Les premiers, incarnés par le SS-hauptsturmführer (capitaine) Theodor Dannecker, chef du service des affaires juives de la Gestapo en France et représentant d'Adolf Eichmann à Paris, voient dans cette structure un moyen de contrôler et de regrouper l'ensemble des Juifs de France, facilitant ainsi leur identification et leur future déportation. Vichy, de son côté, trouve dans l'UGIF un instrument bien utile pour appliquer sa politique antisémite et se décharger de la "question juive" sur des "responsables" désignés.
La loi du 29 novembre 1941, publiée au Journal officiel du 2 décembre, officialise la création de l'UGIF. Elle stipule que tous les Juifs de France doivent obligatoirement y adhérer et que toutes les organisations juives préexistantes, à l'exception du Consistoire central et des associations cultuelles locales, seront dissoutes et leurs biens confisqués.
L'UGIF, placée sous la tutelle du Commissariat général aux questions juives, est dirigée par un conseil d'administration composé de personnalités juives, choisies pour leur docilité et leur "honorabilité".
Deux sections distinctes sont mises en place : l'UGIF-Nord pour la zone occupée, dirigée par André Baur, et l'UGIF-Sud pour la zone libre, initialement présidée par Raymond-Raoul Lambert. Les bureaux de l'UGIF-Nord s'installent à Paris, tandis que ceux de l'UGIF-Sud se trouvent à Chambéry puis à Lyon.
Assistance sociale : un devoir face à la détresse
L'UGIF se voit confier la lourde tâche de gérer l'assistance sociale à une population juive de plus en plus persécutée et démunie. Les mesures discriminatoires prises par Vichy, l'exclusion progressive des Juifs de la vie économique et sociale, la spoliation de leurs biens, conduisent à une paupérisation massive. L'UGIF, grâce aux fonds provenant en partie de la confiscation des biens juifs, met en place un réseau d'aide sociale conséquent.
Des cantines sont ouvertes pour fournir des repas aux plus démunis, des centres de soins sont créés pour soigner les malades, des orphelinats accueillent les enfants abandonnés ou dont les parents ont été arrêtés. Des services d'aide juridique et administrative sont également mis en place pour aider les Juifs à naviguer dans le dédale des lois et des réglementations discriminatoires. L'UGIF s'efforce également de maintenir un semblant de vie culturelle et religieuse, organisant des cours, des conférences et des spectacles.
Cette action sociale, menée dans des conditions extrêmement difficiles, permet de soulager un peu la détresse d'une partie de la population juive et de maintenir un lien de solidarité au sein de la communauté. Elle témoigne de l'engagement humanitaire de nombreux membres de l'UGIF, soucieux de venir en aide à leurs coreligionnaires.
L'émigration : une porte de sortie qui se referme
Au début de son existence, l'UGIF se voit confier la mission de faciliter l'émigration des Juifs souhaitant quitter la France. Cette tâche, déjà complexe avant la guerre, devient quasiment impossible avec la fermeture des frontières et le durcissement des politiques migratoires des pays d'accueil.
L'UGIF tente néanmoins d'organiser des départs, notamment vers les États-Unis, la Palestine ou l'Amérique latine. Elle négocie avec les consulats étrangers, réunit les documents nécessaires, et finance les voyages. Mais les obstacles sont nombreux : quotas d'immigration restrictifs, obtention de visas difficile, coût élevé des transports...
L'émigration, perçue au départ comme une solution possible pour échapper aux persécutions, devient progressivement une voie sans issue. La majorité des Juifs de France se retrouvent piégés, condamnés à subir les mesures discriminatoires et la menace grandissante de la déportation.
L'engrenage de la Solution finale
L'année 1942 marque un tournant tragique avec la mise en œuvre de la "Solution finale", le plan d'extermination systématique des Juifs d'Europe. L'UGIF, malgré elle, se retrouve impliquée dans la machine de mort nazie.
Sous la pression des autorités allemandes, l'UGIF est contrainte de participer à l'organisation des rafles. Elle doit fournir des listes de Juifs, recenser les familles, et gérer les centres de transit où sont regroupés les Juifs avant leur déportation vers les camps d'extermination.
Cette collaboration forcée, vécue comme une trahison par certains membres de l'UGIF, est source de dilemmes moraux déchirants. Faut-il obéir aux ordres des nazis dans l'espoir de sauver quelques vies, ou refuser de coopérer au risque de représailles qui auraient des conséquences bien plus graves ?
Certains dirigeants de l'UGIF, comme André Baur à Paris, choisissent la voie de la collaboration passive, estimant que c'est le seul moyen de limiter les dégâts et de protéger une partie de la population juive. D'autres, comme Raymond-Raoul Lambert à Lyon, s'engagent dans la résistance et tentent de sauver des vies en fournissant de faux papiers, en organisant des filières d'évasion et en cachant des enfants juifs.
L'UGIF se retrouve ainsi prise dans un engrenage infernal, tiraillée entre la volonté de protéger la communauté juive et la contrainte de collaborer avec l'occupant. Ses actions, souvent dictées par la nécessité et l'urgence, seront jugées avec sévérité après la guerre, alimentant la controverse sur son rôle dans la Shoah.
L'UGIF et les enfants juifs
L'un des aspects les plus marquants de l'action de l'UGIF est son engagement dans le sauvetage des enfants juifs. Face à la menace de la déportation, l'UGIF met en place un réseau clandestin de protection de l'enfance, en collaboration avec des organisations catholiques et protestantes.
Des milliers d'enfants juifs sont cachés dans des familles d'accueil, des couvents, des orphelinats ou des maisons d'enfants gérés par l'UGIF elle-même. De faux papiers sont fabriqués, des identités sont changées, des filières d'évasion sont organisées vers la Suisse ou l'Espagne.
Ce sauvetage des enfants, mené au péril de la vie de ceux qui y participent, est l'une des pages les plus héroïques de l'histoire de l'UGIF. Il témoigne du courage et de la solidarité dont ont fait preuve de nombreux membres de l'UGIF, ainsi que de l'aide apportée par des Justes parmi les Nations.
Un héritage controversé à nuancer
L'UGIF disparaît avec la Libération de la France en 1944. Son héritage reste complexe et controversé.
Accusée de collaboration par certains, louée pour son action humanitaire par d'autres, l'UGIF incarne le dilemme tragique des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, Serge Klarsfeld considère que "l'UGIF a plus été un instrument de survie qu'un instrument de perdition. Il y a eu moins de 80 000 disparus en France, ce qui est le moins mauvais bilan en Europe".
L'étude de l'histoire tourmentée et tragique de l'UGIF permet de comprendre les mécanismes de la persécution et de la destruction, mais aussi les formes de résistance et de solidarité qui se sont manifestées au sein de la communauté juive. Elle nous rappelle la complexité des situations vécues par les individus et les organisations face à la barbarie nazie, et l'importance de ne jamais oublier les leçons du passé.