Dialogue entre deux poubelles, en attendant Godot
Jusqu'à où ira le tri sélectif ? Un sujet grave et récurrent, depuis que Monsieur Poubelle s'est penché sur le problème ! Les odeurs hier nous montaient à la tête, et on avait la tête dans le sac, alors qu'on balançait sans vergogne le contenu des pots de chambre par la fenêtre !. Triste époque où les déchets étaient nettement descriminés, et victimes de violences inadmissibles, niés jusque dans leur singularité.. Aujourd'hui, ils revendiquent leur dignité, aspirent à la reconversion, voire à l'immortalité du recyclage !.. Le papier gras et les couches usagées seraient-ils entrés enfin dans l'ère du verseau ?
Que de chemin parcouru depuis les décharges en plein air, avant que celles-ci ne deviennent d'honorables déchétteries. Toutes ces révolutions en marche, comme le parti politique du même nom, génèrent bien sûr des controverses, parfois vives, mais révélatrices de la vigueur de la démocratie, et de l'importance du problème. Et ceci même au sein des couples, où selon une étude, près d'un sur trois s'écharpe sur le recyclage des déchets. https://bit.ly/2O2LvLz . Le sac poubelle sera-t-il encore plus rédhibitoire que l'urne à sens unique de la mairie, au moment des élections ?
En tout cas, la poubelle, élément essentiel et incontournable du contexte socio-politique, a pris conscience de son importance, à travers l'expertise de son contenu, de son signifiant et de son signifié.. Elle a rejeté la honte, les siècles d'oppropre et de mise à l'index, et maintenant fière de sa culture, s'impose fièrement sur ses deux roues en affirmant son identité plurielle ! Elle revendique autant une reconnaissance sociale et professionelle à l'échelle de ses mérites, sanctionnés par une diplôme de troisième cycle. Désormais les étudiants, au seuil du parcours sup, ont à faire le choix entre les trois pastilles couleurs d'homologation, noire, jaune, et verte, pour se déterminer entièrement, face à leur avenir, et à celui de la planète.
Mais ce clivage ne risque-t-il pas demain de faire entrer la pomme pourrie dans le mauvais sac, à travers l'éclatement des solidarités prolétariennes du tout venant ? ... Il y a grand intéret à garder cette mythologie, cet esprit qui hier créait dans la culture du déchet, un esprit populaire et collectif, où la gouaille se mélait à l'entraide ! Les enjeux sont ainsi pluriels, et le législateur aurait tort de se pincer le nez, mais au contraire nous lui recommanderons d'aller au fond des choses, et de peser de tout son poids sur le couvercle des réformes, mais de garder en tête l'aspect antropologique du problème !
A travers ce dialogue entre deux poubelles, pris sur le vif dans la rue, en "radio-trottoir, j'ai voulu amener ma pierre recyclabe au débat, à travers un sympathique échange de vues, entre deux protagonistes, ayant fait validé leurs acquis. A charge à chacun ensuite, de faire remonter ses propres odeurs pour entrer en sainteté !
Poubelle jaune : "Tu serais sympa de pas rester près de moi, de t’écarter un peu. On n’a pas gardé les ordures ensemble quand on était gosse ! J’ai pas envie qu’on nous confonde ou que les passants pensent qu’on fait le trottoir ensemble !"
Poubelle noire : Quoi, qu’est-ce que j’entends ?. Mais j’hallucine ! Pour qui tu te prends ? C’est l’histoire des gilets jaunes qui te monte à la tête ? Je suis certaine que tu picoles le fond des bouteilles en plastique de pinard qui traînent au fond de tes sacs !
Poubelle jaune : "J’ai des principes. Tri sélectif strict ! J’accepte que les bouteilles de lait avec une étiquette, et les boites de conserves vides. C’est comme ça qu’on sauvera le monde ! Pas avec des vieux sacs en plastique noir, qu’ont l’air de se rendre à l’enterrement d’un gigot faisandé. T’as pas une digestion super ! Tu devrais prendre quelque chose, aller voir le toubib. On t’as pas dit qu’à un certain moment faut fermer ta boutique, refuser les sacs déchirés, prendre un Alka-seltzer !"
Poubelle noire : " Ouais, j’ai une gueule d’atmosphère. Et alors ? J’en suis fière ! Tu te crois "poubelle que moi en ce miroir"….J’accepte le tout venant, moi, pas seulement les flacons vides de Chanel numéro 5. Je fais le job, pas la difficile ! Mon couvercle est ouvert à tout le monde. Je me la joue pas au « club privé », en prenant des grands airs supérieurs. ! "
Poubelle jaune : " Arrêtes donc de t’agiter. Tu vas nous faire remarquer ! T'es pas la vénus de Milo ! Si t’avais des bras tu ressemblerais à un moulin à vent ! Dommage d’ailleurs qu’il n’y ait pas un peur d’air frais pour nous rafraîchir ! . Ca chasserait les miasmes…. Si tu vois ce que je veux dire.... On t’as jamais dit que t’avais mauvaise haleine ?...Ferme ton couvercle au moins quand tu parles. Si on n’attendait pas Godot, je traverserais le passage clouté, tailler une bavette avec la jolie petite corbeille à papier, accrochée à l’arrêt de bus !"

Poubelle noire : "Et pourquoi pas te tirer à la plage, pendant que tu y es, me laissant tout le boulot sur les bras ! Si j’avais des mains, je t’en retournerais une ! T’as oublié tes origines, ma fille ! Ta mère n’était qu’un petite poubelle de salle de bain qu’a fréquenté pendant longtemps une ventouse de wc ! Un vrai scandale ! On peut dire qu’elle a eu de la chance de trouver ton père, un container en ferraille, qui faisait un bruit d’enfer quand on le refermait. Emmené plusieurs fois au poste pour vacarme nocturne….Et ton oncle, débraillé, avec toujours une arête de maquereau pendant sur le couvercle, des préservatifs accrochés au poignets ! Quant il était plein à ras bord, et rond comme une queue de pelle, même les éboueurs le soulevaient avec des pincettes…. Quelle généalogie ! Vraiment, il n’y a pas de quoi se prendre pour la duchesse de Buckingham !"’
Poubelle jaune : "Je ne renie personne. Mes parents, ils seraient fiers de moi. Ils m’ont payé des études en récupération de déchets, à Oxford. Mais j’ai bossé pour obtenir mon master, et m’arracher au caniveau. Je suis pas resté à attendre du ciel que les emballages recyclés me tombent tout crus dans le bec en montrant mes jambes aux passants comme j’en connais une !
Maintenant, voilà, le temps a passé. On n’est plus de la même couleur, et on n’a pas les mêmes valeurs !."
Poubelle noire : ( ne se contient plus) " Raciste en plus ! Je pourrais porter plainte contre toi ! T’es qu’une traînée, une pouffiasse ! Je t’ai bien vu faire de l’œil au container à verres, pour te mettre sous sa protection. Hypocrite en plus ! Je suis sûre que sous tes airs de mijaurée, t’as dans ton sac des choses pas claires qui devaient pas y être. Carrément toxiques. Genre piles au mercure et téléphone pourri, avec vidéos de harcèlement offerts en bonus. Sans compter des seringues usagées, et les barrettes de médocs périmées ! Mais je ne mettrais pas la main dedans pour pas me salir ! J’ai mon honneur moi ! Même si j’ai pas de diplôme bidon, imprimé sur un papier qu’a servi à emballer des patates germées !"
Poubelle jaune : " La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ! » Tu me fais pitié... T’es qu’une pauvre « has been » pleine de rancœur. Entre nous, tu devrais mettre des protections. On te suit à la trace sur le trottoir. Quel spectacle pour les gosses. Ils n’osent plus approcher pour jeter leur chewing-gum ! Mais tu devras répondre un jour de tes insultes, devant la grand dieu des déchets qu’est au ciel. « Tu seras jugé au poids des déchets que tu recycles ! Comme dit l’ecclésiaste".
Poubelle noire : "L’écclésiaste...Voyez vous ça ! Madame a ses lettres, des références, nous parle en anglais, nous fait le coup du Brexit. Ton jaune, je vais te dire, c’est la couleur des traîtres, des briseurs de grève ! Y a pas plus faux qu’un jaune ! C’est encore pire qu’un marron ! Mais on peut dire que ça te va bien au teint ! ... Qui peut être attiré par une nana pareille ? Je veux bien être pour la modernité, le mariage pour tous et la procréation médicalement assistée, mais y a des limites à tout !
Ta connerie, impossible de la recycler ! J’en veux même pas dans mon tout venant !"
Arrive le camion poubelle, et Godot, qui s’arrête, descend, avec sa clope au bec, et fait tomber avec un bras mécanique le contenu des deux poubelles dans la même benne, avant de les redisposer au pied de l’immeuble, dos à dos.
Elles s’ignorent, ne se regardent plus !.....Puis arrive un chien, qui les arrose toute deux en relevant la patte, après les avoir flairé...