Entre savoir et croyance
Le savoir n'a aucun poids face à la croyance ; aucun.
« Je crois tu sais » ; cette phrase, vous ne l'entendrez jamais. La particularité de la croyance, qui est irrationnelle, c'est qu'elle enferme son porteur dans un monde organisé qui ne tolère aucun dérangement ; elle est le moyen de se sécuriser, voire de se consoler dans certains cas. Elle est en tout cas une arme redoutable car, non seulement elle peut conduire au passage à l'acte, mais dans les relations plus ordinaires qui passent par la parole, elle interdit toute communication ; c'est en cela qu'on la reconnaît : aucun échange n'est possible. En face du croyant, le sachant est en position de faiblesse mais même en face de l'ignorant, la conviction du croyant est plus forte car cette conviction lui appartient et lui est vitale ; le savoir, lui, ne descend pas dans ces strates de la psyché, il reste, s'accroissant au fil du temps, organisé au gré de la mémoire dans le cerveau qui peut le ranger en savoir empirique, son expérience, savoir abstrait qui n'a que peu d'impact sur la vie, ou savoir scientifique qui lui est organisé en réseaux évolutifs, au fur et à mesure de sa recherche propre, ou des progrès de la science. Seul le savoir empirique est une richesse exploitable au quotidien, il contient le savoir-faire, si précieux, et puis ouvre les horizons de l'observation du monde et de ses habitants, savoir les mœurs de tel ou tel animal ou de telle ou telle plante empêche bien des erreurs ; mais ce n'est pas le savoir le mieux enseigné !
Le savoir encyclopédique de certains érudits est une charge à transmettre à la postérité, car si les érudits ne sont pas créateurs ils sont souvent pédagogues, et en tout cas si imprégnés de leur savoir qu'ils en tracent l'essentiel dans des livres abordables qui nous pré-mâchent le travail minutieux de recherches, de mises en relation, de perspectives. Fréquenter des érudits est un plaisir sans nom, autour d'une table, un verre à la main, sans préséance, d'égal à égal en conversation, soudain un pan du monde obscur s'éclaire, on fonce dans la brèche, on questionne, on veut tout savoir, un érudit lancé ne s'arrête pas en bon chemin, lui qui a tant l'habitude de parler dans le vide. Le synthétique qui gobe ces mots si clairs et passionnés, fait en un tour de main un nouveau schéma qui bouscule celui de ses connaissances, désormais désuet ; il se mettra lui aussi en quête d'approfondissement, recherches nécessaires à la mémoire qui consolide.
Mais, entre le savoir empirique, le savoir-faire, le savoir quotidien, le savoir encyclopédique, culturel ou historique, et la croyance, intervient la confiance.
Celui qui a le nez dedans, les sciences, l'Histoire, la politique,etc ; sait ; il sait et il interprète, à son corps défendant. Celui qui le lit, croit. À moitié, car il peut faire des recoupements, se faire son idée, mais il lui faut la confiance, en les uns, ou en les autres.
Sait-on que deux et deux font quatre ? Non. Le croit-on ? Non. C'est un code, on l'accepte, on le partage et tout devient plus simple. Quand on attaque l'Histoire, la politique, la philosophie, la sociologie... tout se complique. Il y a ceux qui construisent une conviction, cousine germaine de la croyance, sur un savoir, il y a ceux qui doutent de tout, s'enferme, ne savent pas grand chose et ne font pas confiance, leur reste la croyance. Puis il y a ceux qui cherchent et trouvent ce qui leur convient, doutent et cherchent encore, peuvent savoir mais doivent faire confiance.
Sans confiance on ne fait rien. Avec des convictions, pire des croyances, on fait les guerres ; et on ne peut vivre sainement dans le doute total, il nous faut un minimum de terrain ferme sur lequel marcher.
Interviennent là, la lucidité et le compromis. Les croyants ne font aucun compromis, ils sont seuls, chacun dans sa camisole, même s'ils la partagent, c'est un ensemble qui est seul s'ils ne font pas de ponts. Et ici arrive l'intuition mais l'intuition ne peut parvenir jusqu'au cœur des convaincus, ceux-ci ont fermé définitivement leurs portes à tout agent étranger à leur croyance, qu'il vienne de l'intérieur, intuition, ou de l'extérieur, savoir. Les convaincus, les croyants, ne peuvent pas rebondir, ils s'entêtent et, face à l'évidence, quand ils ne peuvent que déprimer ou mourir. Beaucoup de communistes se sont suicidés quand ils n'ont plus pu croire que l'URSS était le paradis sur terre.
Ce qui est difficile et délicat dans tout ça, c'est que rien ne peut atteindre un croyant, l'Histoire nous le prouve chaque jour. Rien ne sert de lui parler, il n'est pas sensible à la raison, il n'est pas curieux, n'a pas de doute, il croit qu'il sait. Jamais il ne sait qu'il croit. Seul un croyant peut devenir dangereux car ébranler sa croyance le déstabilise et le menace, c'est pour cette raison qu'il a opté, sans conscience, pour la croyance, cette structure cuirasse qui semble pouvoir le protéger de tout. La croyance peut prendre les formes de la soumission, de l'obéissance, elle n'est pas toujours pouvoir, loin de là.
Alors, politiquement, socialement, nous sommes vraiment mal partis, car la croyance est partout, assommante de vérités révélées et assénées sans cesse sans que rien ne puisse les moduler !
Quand on n'est pas croyant, mais pas revenu de tout non plus incapable de confiance, quand on se forge des convictions évolutives en fonction de ses savoirs et qu'on peut la confiance, le monde nous paraît fou. Parce que la croyance n'hésite pas à mentir, ou à ne pas voir, pas savoir voir, pas pouvoir voir, pas vouloir voir, je ne sais, mais ne voit pas, refuse le réel, le forge à sa volonté, n'en démord pas. Le croyant ne dit pas : cela, celui-ci ne me convient pas pour telle ou telle raison, mais : cela est nul, celui-ci est un imposteur et à coups d'approximations, d'ignorance, de mensonges ou de calomnies, le prouve ! Le croyant a besoin de sa croyance pour être, mais s'en sent fort au point d'avoir besoin d'écraser l'autre. Ce qui, pour quiconque a la moindre notion de psychologie, est un aveu de faiblesse, mais une drôle de faiblesse qu'on ne peut dissiper. Une faiblesse dangereuse. La faiblesse pour beaucoup, est une incapacité honteuse et tout est bon pour la cacher, alors qu'elle est notre lot à tous.
J'ai bien l'impression que l'ignorance, ou plus exactement des ignorances font des trous dans notre être pour la bonne raison que seuls nous ne sommes rien ou pas grand chose, et que la connaissance, la puissance ne sont totales qu'en nous tous, au cours des âges ; il s'agit d'en faire un équilibre.
Ceux qui ne croient pas, ostensiblement ou clairement, ont des illusions, des naïvetés parfois confondantes, des attentes, des espoirs hors de portée du réel, même s'ils créent une énergie qui pousse à l'action. Il nous faudrait à tous, accepter tout cela puisque nous en sommes, reconnaître en l'autre la faiblesse que l'on a, que l'on a eue, la force que l'on cultive sans y parvenir tout à fait ; connaître en l'autre ses qualités qui nous hissent sans occulter ses défauts et négliger d'en faire un modèle qui exclue tous les autres. L'idéal de soi, c'est le chemin que l'on suit, pas la vérité révélée par un autre. Ce sont là des épousailles dont le contrat est illusoire.
Qui échappe aux illusions, qui ne cherche pas ou ne croit pas avoir trouvé la bite d'amarrage qui le tient fermement arrimé ? Qui n'a pas besoin de ces chaînes, de ces racines, qui l'ancrent et le posent comme ayant droit ? Qui n'a pas besoin de voir en un autre plus grand que soi ?
Est-il utile de dire ou de développer, que la confiance tellement nécessaire à la vie ensemble, n'est pas à l'abri d'être donnée, à la légère, sur instigations douteuses ou bien tellement nécessaire à l'être perdu qu'il la brade au premier venu ? Celui-ci du reste peut en être innocent, ne demande rien mais se trouve juste pas à la hauteur de la demande. Mais en approfondissant un tout petit peu, la confiance ne devrait pas être une demande car elle se construit et doit être réciproque, aussi, quand elle se défait, si elle se défait, c'est un binôme qui se démantèle sans dégât, juste la vie qui passe. La déception n'est qu'un sentiment qui nous renvoie à nous-mêmes. On ne se remet pas dans les mains, les bras de qui que ce soit, seulement, on a besoin des autres pour construire, agir, lutter. On fait confiance, quand on grimpe, à celui qui nous assure, mais la vigilance est partagée ; quand la vigilance flanche, on n'assure plus ou on n'est plus assuré.
Donc, à tous ces mots égrenés, s'ajoutent la vigilance, et l'attention. Ce sont nos seules armes de survie. Quant à la vie, les autres mots peuvent rentrer en jeu.
Je suppose que vous savez, ou que vous vous souvenez, que l'on peut savoir que le Père Noël n'existe pas, et y croire encore. Je me souviens très bien de mes interrogations alors, qui peut-être m'avaient donné l'idée d'aller fouiner dans l'armoire des parents pendant qu'ils n'étaient pas là et et m'avoir fait voir les paquets. Mais je me souviens aussi qu'en voyant les cadeaux déballés, j'ai pensé : ils n'ont pas les moyens de faire de tels cadeaux. Je n'avais, avant ce Noël là, souvenir que de paquets à peine déballés quand j'allais me plaindre auprès de mes parents encore au lit : le Père Noël, il m'a encore apporté un pyjama ! Alors cette année là, en voyant un vélo pour une de mes sœurs, un bureau pour une autre, j'avais douté. Je savais, puisque j'avais vu, et je doutais en même temps.
Le doute est donc cette inadéquation entre le cerveau de la croyance, et celui du savoir, ou de la déduction, ces deux cerveaux pas toujours d'accord au point que certains en développent l'un au dépends de l'autre, à l'extrême. Si bien que l'on peut avoir des raisonnements rigoureusement rationnels pour rendre sérieuses les élucubrations de l'autre qui ne l'est point. Le doute, à ce stade, est conscience et honnêteté.
Tout cela est un filtre pour examiner les discours des uns et des autres, en sachant que l'on ne pourra jamais tirer les vers du nez du dupé de lui-même ! Nous jonglons entre le savoir et la croyance, entre l'illusion et le désir, entre la raison et la justification, entre la confiance et le doute mais si on ne jongle pas c'est qu'alors, nous sommes très abîmés. Et c'est, souvent, cette détérioration qui donne la confiance en soi qui convainc, non pas dans l'action que l'on mène, mais dans le regard que l'on porte sur l'autre qui la mène, car l'on part dans une action avec le doute, toujours, le doute obligé face à l'avenir, sauf l'intuition qui nous pousse mais qui n'est pas une garantie ; c'est ici que se situe le risque, mais sans prendre de risques, la vie est bien fade. Ainsi quiconque est sûr de l'avenir au point de n'emprunter qu'une voie fermée au reste, se trompe. À moins d'avoir le pouvoir.
En ce qui concerne notre pauvre situation, force est de constater que le peuple aurait dû avoir la vigilance et l'énergie des ambitieux qui briguaient le pouvoir pour ne pas se laisser ainsi faire faire des petits dans le dos ; mais les petits sont là, nombreux, une foule, la détermination pour s'en débarrasser doit être prodigieuse, et on ne la voit guère poindre ; on sait qu'un seul pays ne peut changer le monde, au mieux, peut-il s'en protéger ; on peut croire que cela suffise, à condition de rester dans l'ultra libéralisme ! Sinon, on connaît le sort qui est fait à ceux qui veulent s'en sortir, pourtant plus grands, plus puissants que la France ! La France est diminuée, presque exsangue ; on a laissé faire le mal, l'union pour un mieux est urgente et nécessaire. Pourtant elle est une illusion.