mercredi 14 janvier 2009 - par TSAKADI Komi

Faut-il reconnaître un statut pour l’opposition en France ?

Le débat sur la réforme de la procédure parlementaire, et notamment sur l’exercice du droit d’amendement, qui a commencé ce mardi à l’Assemblée Nationale avec en off, la guerre des clips sur internet, ne devrait-il pas déboucher sur l’institutionnalisation d’un statut juridique pour l’opposition avec la reconnaissance des droits et des devoirs pour cette dernière ?

 

Cette institutionnalisation du statut de l’opposition revient, selon un éminent professeur d’université sénégalais El Hadj Mbodj, « à consigner dans un document unique, les droits et sujétions, les moyens et responsabilités devant permettre à l’opposition d’assumer sa fonction d’alerte, de critique et d’alternance à la majorité qui exerce le pouvoir d’Etat »[1].

La France est l’une des démocraties occidentales à refuser de reconnaître un tel statut pour son opposition au motif que « la notion d’opposition n’existe pas dans le droit positif ». En effet, la Constitution de 1958 se contente d’admettre dans son article 4 que « les partis et regroupements politiques concourent à l’expression du suffrage ».

On se rappelle qu’en juin 2006, Jean-Louis Debré, l’ancien président de l’Assemblée nationale avait tenté en vain, d’introduire dans le règlement de cette institution une telle réforme. Il a été confronté à des hostilités de la majorité UMP et du Conseil Constitutionnel qui avait censuré l’une des dispositions envisagées.

On se rappelle aussi que le président Sarkozy avait dit dans son discours d’Epinay le 12 juillet 2007 : « [il faut] ensuite et surtout doter l’opposition d’un statut qui lui garantisse les moyens politiques, juridiques et financiers de pouvoir se conduire comme un contrepouvoir réel face à la majorité. Ce statut devra comprendre notamment des droits d’information, des droits protocolaires, le droit de créer une commission d’enquête. De même, ce que nous avons fait librement, laisser la présidence de la commission des finances à l’opposition, devra être prévu dans le statut de l’opposition, car c’est une garantie d’une démocratie irréprochable. Je suis convaincu que le statut de l’opposition sera un grand progrès pour l’exemplarité de notre République ».

La reconnaissance d’un statut de l’opposition est une préoccupation très largement partagée à travers le monde. Même en Afrique, certains pays francophones bien qu’ayant copié la Constitution française ont intégré dans leur législation, le statut de l’opposition avec un leadership de l’opposition organisé autour d’un chef de file de l’opposition. Le chef de l’opposition étant le premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus au parlement. Au Togo, l’un des mauvais élèves en matière de reformes démocratiques sur le continent, le gouvernement vient d’adopter un projet de loi instituant un statut de l’opposition, même s’il y a lieu de craindre que cette loi soit dévoyée.

Au Ghana, le pays africain qui vient de connaitre deux alternances démocratiques successives en dix ans, que le Secrétaire Général des Nations Unies a qualifié d’ « exemple admirable  », il y a au parlement un Majority Leader et un Minority Leader qui sont des personnages officiels. Le Minority Leader (le chef de l’opposition) est le chef du plus important groupe minoritaire. Ainsi lorsque plusieurs groupes forment la minorité, c’est le chef du groupe numériquement le plus important parmi la minorité, qui est le chef de l’opposition.

Ce système ghanéen s’inspire de celui de la Grande Bretagne où le leader de l’opposition parlementaire est défini par le Ministerial salaries consolidation act de 1965 comme « le député de la chambre qui est en même temps le leader du parti en opposition au gouvernement de Sa Majesté qui le plus important numériquement à la Chambre des Communes ».

En France, la reconnaissance d’un statut à l’opposition ne saurait se limiter à l’attribution de la présidence de la commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée nationale à l’opposition intervenue dernièrement alors que cette présidence échoit au principal parti de la minorité en Allemagne depuis 1949, ni à l’adoption d’une loi réformant le travail parlementaire.

La majorité UMP en voulant restreindre le temps de parole de l’opposition avec sa loi organique sur la réforme de la procédure parlementaire, doit s’inspirer de la pratique canadienne : l’opposition ayant vu son temps de parole limité afin d’éviter la prolongation des discussions et l’obstruction systématique, s’est vue reconnaître à l’un de ses représentants le droit de s’exprimer en premier, à la suite du ministre concerné. Elle s’est vu aussi réserver 20 jours chaque année pour mettre en débat une motion et formuler des critiques envers le gouvernement sur des thèmes relevant de « l’intérêt national »

En Italie, un temps de parole supérieur à celui dont disposent les parlementaires de la majorité lors de la discussion des projets de lois est attribué à l’opposition. En Finlande, elle a la possibilité d’exprimer une opinion divergente dans les rapports de commissions ou de publier un « rapport de la minorité ».

Dans une interview au journal le Figaro , le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, déclare que : « je proposerai, dans la réforme du règlement intérieur de l’Assemblée, un « statut de l’opposition » déclinant ses droits nouveaux, en particulier l’égalité du temps de parole entre la majorité et l’opposition lors des séances de questions au gouvernement - tel que cela avait existé entre 1974 et 1981 - et dans toutes les activités d’évaluation et de contrôle de l’action gouvernementale »

Il importe donc que le débat sur le droit d’amendement débouche sur la reconnaissance effective d’un statut de l’opposition quitte à modifier la Constitution de 1958 en s’inspirant des différents statuts de l’opposition existants (Allemagne, Grande Bretagne, Italie, Canada, Ghana…) pour faire de la France, une démocratie moderne permettant à l’opposition « de mieux jouer son rôle » comme l’avait admis le président Sarkozy dans son discours d’Epinay du 12 juillet 2007.

Me Komi TSAKADI

Lomé



[1] El Hadj Mbodj, Statut de l’opposition et financement des partis politiques, Rapport au Président de la République, Dakar, 1999, p. 28.



10 réactions


  • LE CHAT LE CHAT 14 janvier 2009 15:10

    la vraie opposition n’est pas représentée à l’assemblée nationale , le reste c’est du théatre , ump et PS étant les deux faces d’une même pièce .....  smiley


    • non666 non666 14 janvier 2009 21:29

      Oui le chat , en effet le singulier dans cette histoire de statut de l’opposition me deplait tout autand.

      Le bipartisme entre une UMP representant la droite liberale apatride et son idiot utile, le parti socilute ou plus prsonne ne croit au socialisme cherche a onsolider ses positions ad vitam eternam.

      admettre un statut pour l’Opposition, c’est consacrer le PS comme unique adversaire de l’ump.

      Par contre creer un statut pour LES partis d’oppositions , suprimer le premier tour des présidentielles entre elus(( les 500 signatures publiques) , ça se serait reconnaitre l’opposition


  • Senatus populusque (Courouve) Courouve 14 janvier 2009 15:14

    À ce compte-là, il faudrait aussi un statut de l’opposition dans les départements et régions dirigés par les socialistes.


    • LE CHAT LE CHAT 14 janvier 2009 15:54

      et que dire des municipalités communistes où l’opposition a même peur de se présenter .....


  • Moonz 14 janvier 2009 18:50

    > le statut de l’opposition avec un leadership de l’opposition organisé autour d’un chef de file de l’opposition.

    Suis-je seul à voir ça comme un moyen à peine masqué pour encore renforcer le bipartisme en France ?


  • Alpo47 Alpo47 14 janvier 2009 19:44

    C’est évident. D’ailleurs je regrette de dire qu’il y a bien longtemps que je n’avais pas lu sur Agoravox, une proposition aussi "légère".
    Le rève du pouvoir, c’est d’avoir en face de lui une opposition institutionnalisée...

    D’aileurs, je rappelle les propos de notre actuel ministre des armées, qui, comme chacun sait, "n’a pas inventé l’eau chaude", ce qui permet d’entendre de temps à autre des vérités qui lui échappent..
    A propos de la faiblesse et de la désunion de l’opposition actuelle, il a déclaré (à peu près) : "... bien entendu, il faut que l’opposition de ressaisisse et retrouve sa capacité à intervenir... sinon, c’est la rue qui s’exprime, l’anarchie...".
    La grande peur de nos gouvernants, et ce doit être la même chose en Afrique, c’est de voir les partis d’opposition dépassés par la contestation. C’est la même chose pour les syndicats, bien "gnan-gnan" qui s’efforcent de faire rentrer tout le monde dans le rang.

    Aucun changement profitable au peuple ne viendra jamais de ces partis ou syndicats institutionnalisés.


  • Nathan Nathan 14 janvier 2009 22:41

     Magnifique article civique ou constitutionnel. Dommage que cela vienne d’un togolais cela mettra plus de temps à se mettre en place en France ... La (meilleure / mieux) démocratie patientera.

    Bien à vous.


  • bernard29 bernard29 15 janvier 2009 11:40

    Cette question a déjà été étudiée. La dernière discussion approfondie sur cette question date du comité Baladur de 2008 , sur la réforme des institutions, et quasiment à l’unanimité des constitutionnalistes, des analystes, des élus eux mêmes, auditionnés, une telle proposition a été considérée comme totalement farfelue. ( ce serait aller vers le bipartisme organisé et la reconnaissance implicite du mandat impératif )..

    On nous disait pourtant que la tendance était plutôt actuellement de faire en sorte que toutes les opinions soient représentées à l’assemblée nationale. C’est tout le débat sur l’instillation d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives.

    Accoyer ne sait plus que faire, que dire pour faire marcher son assemblée nationale.

    La première chose à faire est plutôt la rédaction d’un statut de l’élu transparent (avec le non cumul des mandats, un régime des indemnités clair et régulier, une charte ethique des élus...)

     


  • TSAKADI Komi TSAKADI 15 janvier 2009 12:41

     

    L’argument sur le « bipartisme organisé » pour réfuter l’idée d’institutionnalisation d’un statut de l’opposition en France est courant. Même en Afrique, on argumente, je cite un leader d’un parti minoritaire de l’opposition au  Togo (pays ayant copié la constitution française)  que « le chef de file de l’opposition ne se conçoit pas dans le contexte d’un système non bipartite où chaque parti d’opposition a ses pratique et valeurs de références. »

     

    Au contraire, un tel système peut amener plus d’alternance non seulement au pouvoir mais aussi au sein de l’opposition. Car lors des législatives, le chef de fil de l’opposition peut perdre sa place si son parti obtenait moins de sièges ou même se voir remplacer par d’autres cadres de son parti.

     

    Certains pays africains semblent opter pour un statut de l’opposition mixte avec la création d’organe au sein duquel évolue le chef de file de l’opposition  pour représenter l’Institution de l’opposition. 

     

    Nous avons :

     

    -la Coordination des partis de l’opposition (CPO) (Burkina Faso), qui comprend les partis d’opposition parlementaire et extraparlementaire avec le chef de file de l’opposition qui est le représentant et porte parole attitré. Sa désignation est faite par le Président du Conseil constitutionnel.

    Il est le premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus à l’Assemblée Nationale.(l’avant projet de loi élaboré par la commission ad hoc sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales et le statut de l’opposition devant modifié la loi n° 007-2000/AN (JO N° 30 2000) portant statut de l’opposition politique au Burkina Faso).

     

    -Le  Comité de gestion de l’opposition (Mauritanie) dirigé par le leader principal de la formation politique qui a obtenu le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale, assisté des autres leaders des formations politiques ou leurs représentants, représentées au parlement.(Proposition de loi portant abrogation et remplacement de l’ordonnance 2007/024 du 09/04/2007 portant statut de l’opposition démocratique en Mauritanie).

     

    Le débat sur l’institutionnalisation des droits pour l’opposition est une préoccupation mondiale et récurrente, la France ne saurait s’en priver.

     


  • nicos 23 décembre 2009 11:45

    Et bien je crois, qu’au delà des clivages politiques on aurait tout intérêt pour notre démocratie de de donner un statut à l’opposition. Sur ce sujet j’ai trouvé il y a quelques mois un mémoire de recherche d’un juriste sur cette question :

    allez voir sur : http://www.oodoc.com/63411-statut-opposition-necessite-recherche.php


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