Gaston
Tu as faim, tu achètes à manger, avec ta jupe serrée, tes talons, efficace tu tends la main et prends, d'habitude, un sachet de plastique dur avec, dedans des tranches roses ; avec ton jean effrangé, désinvolte, nonchalant, tu tends la main et ne choisis pas le premier sachet de plastique dur avec, dedans des tranches roses, en sortant vous demanderez un pain long comme une baguette, beurre en sac, sandwich assuré. Ou bien chiche kebab , hamburger, caps de prendre votre pied au bar ou sur un banc.
Seulement, c'est Gaston que vous mangez, ou bien le fils de Lucette ou la mère de Raoul, car vous savez, le bœuf n'existe pas, c'est la vache, quand elle devient vieille et à qui on ne laisse pas le loisir d'une retraite.
Gaston, c'est mon préféré ; ils sont dix pourtant aux mamelles entravées de la mère ; tout a mal commencé, l'espace était étroit, la mise bas bousculée et l'amour n'a jamais existé. En enfer on est barbare, alors pour vous protéger de vous mêmes, le diable vous sectionne la queue et arrache vos dents pour que vous ne mordiez plus la queue qui pourtant est coupée ; vous hurlez, de terreur de douleur et votre cri est si proche du nôtre qu'il est insupportable.
La torture ? Pour quoi faire ? Pour manger. Pour manger ?
Le massicot s'actionne, c'est l'homme en bleu qui t'a pris dans ses bras, un peu comme une mère, et qui tend ton derrière tout près de la machine qui sectionne.
Vous le voulez tranché ? Oui, c'est bien pour les tartines de pâté.
Et toi mon poussin, on te trie comme on trie les abricots, mais trop malingre tu files dans le hachoir ; le hachoir à quoi ? Le hachoir à rien, c'est juste pour te réduire . T'es qu'une mixture mon gars, un agglomérat d'cellules, tout comme moi mais moi, on ne m'a pas mixée.
On tranche, on mixe, on sectionne, on vous déverse d'la bouf en tonnes, vous vous vautrez dedans, vous battez, c'est pour ça la queue, les dents, c'est pour vot' bien. Vous êtes des cloches, vous êtes des viandes et l'humain est un porc.
Pas un jeu pas un rire pas une découverte, pas.. non rien.
Et Gaston ou Gastonne, mon dieu quelle importance. Mais tu cries quand même, tu hurles à la vie, comme moi, t'as rien voulu rien choisi, comme moi.
Pourquoi avoir réveillé tout ça...
On te torture petit père, ta mère est entravée c'est une machine à lait nécessaire crois le bien sinon on s'en pass'rait. Avec tout ça elle donne c'qu'elle a.
L'amour pleure, l'amour se déchire, ça peut se transformer en haine ou pire. De compatir.
Je baise ton groin, je te prends dans mes bras, je te console. Je te berce doucement, là.
Quand t'es veau c'est pas pire, on t'crève les yeux c'est tout, ta chair en s'ra plus blanche de n'avoir pas vu l' jour, tendre de n'avoir pas bougé ; c'est du désespoir que vous mangez !
Pourquoi avoir réveillé tout ça !
La merde, la pisse, les lumières au néon, c'est votre paradis mes p'tits cochons. Ah mes p'tits frères, moi, mes enfants, comment...
J'ai un mental d'acier tu sais Gaston, comme je ne vous mange pas je suis absoute.
À nous on nous a dit qu'y'aurait un paradis, j't'en fiche alors à toi je n'le dis pas.
La terre entière n'est qu'un cri de souffrance, étonne-toi après ça...
Tu hurles à la vie ; l'homme non, on l'a tué à p'tit feu, à l'étouffé, il est cuit, pas à point, n' s'intéresse à plus rien et regarde ses pieds s'il le peut si son bide n'est pas un abdomen hideux.
Mon p'tit frère, mon p'tit cœur, viens grouiner dans mon cou, tu renifles de bonheur, viens et j' te donn'rai tout.
Ah la vie, que tu m'es chère, je n'ai que toi, ta chaleur, ta souplesse, ta beauté, ta robustesse... qu'est ce qu'il leur a pris ? Tous ces meurtres, ces immolations, ces sacrifices, cette dénaturation, cette dureté inconsciente, ils se gavent, ils en crèvent, aussi mais ça n't'apporte rien.
Je t'aime, je vous aime, j'enrage, j'encrève.
Ils ne savent pas ta dignité ni ta chaleur ni ton intelligence, ils sont ignorants et ne recherchent rien ; c'est un péché.
Il n'y a pas d'paradis petit frère, il n'y avait que la vie, ils l'ont provoquée, ils l'ont empêchée et puis ils t'ont soulagé ; c'est l'enfer. L'enfer dont ils se repaissent, en rotant, en riant ; les mentaux lourds s'absolvent, arguant d' nécessité, les mentaux lèges s'exonèrent, manquent de nerfs et bouffent à satiété. Leurs merdes puent, polluent ; ils t'ont traité, traité !! Mal.
Viens, ils crèveront aussi mais ça n'me console pas. Mais je n'leur souhaite aucune autre torture que celle d'avoir compris.
Un vide froid dans leur ventre, un abîme et les poings qui se serrent en déchirant les paumes. C'est trop tard, bien trop tard. Un froid dans l' dos qui s'étire, les joues se creusent et leurs yeux hagards chavirent...