Hitler et le politiquement correct
Quand on se pose des questions sur la direction prise par notre société et les problèmes auxquels elle est confrontée aujourd’hui, on est parfois amené à remonter dans le temps jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale et à remettre en question nos choix politiques et nos aprioris idéologiques.
Cela amène à se poser des questions sur notre conception du bien et du mal dans histoire ou pour reprendre une notion américaine, du camp du bien et de celui du mal.
Visite d’un ami
Ainsi, il y a quelque temps, parlant des responsabilités dans le déclenchement de la deuxième guerre mondiale avec un ami, lecteur quotidien du Monde et de La Croix (après une expérience malheureuse avec le PC, il s’était rapproché de l’Eglise catholique, passant d’une église à l’autre), celui-ci déclara péremptoirement que c’était entièrement la responsabilité d’Adolf Hitler et que de toute façon, il n’y avait rien de bon dans Hitler et le nazisme (le socialisme national si l’on traduit bien l’allemand), et donc l’entière responsabilité de la deuxième guerre mondiale, de sa déclaration à sa conclusion, lui revenait, une opinion qui n’était pas surprenante venant d’un fonctionnaire de l’éducation nationale, le chancelier allemand ayant été présenté comme l’incarnation ultime du mal dans l’histoire à des générations d’élèves.
On peut se demander pourquoi Hitler seul a droit à cette image d’abominable chef du camp du mal aussi bien dans la culture populaire, les films d’Hollywood que dans les cours d’histoire. Staline et Mao ont des bilans de victimes civiles comparables ou même bien supérieurs. Ainsi le seul Holdomor (extermination par la faim) ordonné par Staline en Ukraine a fait un nombre de victimes équivalent au génocide des juifs mais on n’a jamais entendu parler de l’organisation de voyages scolaires vers l’Ukraine ou vers les cimetières de Katyn ou des anciens camps du Goulag avec le slogan « Plus jamais ça » alors que des voyages ont lieu régulièrement vers Auschwitz, ce qui peut être une bonne chose si les connaissances des élèves en matière de culture générale ou d’histoire étaient suffisantes pour leur permettre d’en tirer le meilleur parti.
En fait, il y a une raison à ce deux poids deux mesures : la domination de l’idéologie communiste après guerre sur les milieux intellectuels et universitaires français comme on peut le voir lors du procès de V. Kravtchenko en 1946, un transfuge russe révélant la réalité du Goulag (voir « L’affaire Kravtchenko » de Nina Berberova), mais continuons le récit de la visite de mon ami retraité de l’éducation nationale.
Comme mon ami possédait une Volkswagen dont il m’avait vanté les mérites, je lui fis bêtement remarquer qu’Hitler avait été à l’origine de cette entreprise, qu’il a créée avec l’ingénieur Porsche, le Führer étant supposé avoir même participé au dessin de la coccinelle, le premier modèle de la firme, avec une vision sociale claire de permettre aux ouvriers allemands de s’acheter une voiture, un peu comme Henry Ford avait fait avec la Ford T aux Etats-Unis.
J’ajoutais qu’entre autres réalisations, forcément mauvaises car venant d’une incarnation du mal sur terre, il avait redressé les finances et l’économie allemande avant la guerre, fait passer l’Allemagne d’avant guerre de 6 millions de chômeurs au plein emploi avec un développement industriel spectaculaire, développé une politique sociale généreuse pour les ouvriers qui a fait que lors du référendum de la Sarre en 1935, une région ouvrière, plus de 90% de la population avait voté pour être rattachée au Reich plutôt qu’à la France (0,40%), lancé un programme d’autoroutes et bien d’autres choses. Tout cela pour dire que l’aspect socialiste du socialisme national d’Hitler, n’était pas un vain mot.
Bien sûr, il était malséant de demander à un ancien communiste si Staline ou tout autre leader soviétique, représentant auto proclamé de la classe ouvrière par le biais de la dictature du prolétariat, aurait obtenu le même succès dans un référendum non truqué en Ukraine ou ailleurs dans l’empire soviétique, aussi je continuais avec d’autres initiatives, supposées forcément mauvaises du chancelier allemand : il était en partie à l’origine de la construction européenne avec le projet « Das neue Europa », un programme présenté à Hitler par le Dr Goebbels pour l’après guerre, prévoyant une union européenne fédérale ou une coopération entre nations avec une union douanière progressive et la réalisation d’une monnaie commune sous contrôle allemand (cela sonne de façon familière pour ceux qui ont étudié l’histoire de l’UE).
On peut dire que les grandes lignes de ce programme sans la domination allemande ont été mises en œuvre d’une certaine façon dans l’après guerre, entre autres par un « ancien » nazi, Walter Hallstein, haut diplomate qui, après avoir contribué au projet nazi de nouvelle Europe devint après-guerre, président de la première commission européenne, appelée alors Commission Hallstein et un des « pères fondateur de l’Europe » avec entre autres Monnet et Schuman.
Walter Hallstein fut nommé personnellement par Adolf Hitler comme son représentant pendant les négociations de l’Allemagne avec l’Italie fasciste entre le 21 et 25 juin 1938 afin de mettre en place un cadre juridique pour son projet de nouvelle Europe.
Philippe de Villiers nous a rappelé avec une certaine délectation europhobe dans son livre « J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu », ces origines de l’UE avec la coopération d’anciens nazis et de la CIA mais le fait que l’UE ait eu de tels parrains n’en fait pas pour autant une organisation foncièrement mauvaise.
On peut aussi attribuer sans exagération à Hitler un rôle significatif dans le lancement de la conquête de l’espace, ce qui n’en fait pas forcément une mauvaise chose pour l’humanité, avec le programme des V2, l’équipe d’ingénieurs à l’origine de ces fusées militaires, dirigée par Werner von Braun, ayant été envoyé plus ou moins de force aux Etats Unis à la fin de la guerre pour travailler au développement de fusées américaines, équipe qui a joué un rôle essentiel jusqu’à la conquête de la lune avec le programme Apollo. Même les français ont bénéficié de ce savoir faire avec des groupes d’ingénieurs allemands installés avec leurs familles autour de Vernon en Normandie après la guerre pour le développement des premières fusées. Il y a eu aussi après-guerre une coopération dans le domaine nucléaire entre des ingénieurs français et des scientifiques allemands.
Sans peur de choquer mon interlocuteur, je proposais une comparaison entre les réalisations du chancelier allemand avec celles de nos chefs d’Etat. Mais à ses yeux, on ne pouvait seulement oser, sans commettre un blasphème, comparer le bilan du Führer, ce criminel fauteur de guerre d’où venait tout le mal, à celui de nos grands démocrates présidents de la République comme N Sarkozy, l’homme qui allait nettoyer les banlieues de leur racaille au karcher, F Hollande, le grand ennemi de la finance (« Mon ennemi, c’est la finance » discours de campagne), J Chirac et F Mitterrand, ces présidents qui en quelques décennies ont fait explosé la dette de la France, l’insécurité au quotidien, présidé à la désindustrialisation de l’économie et à l’immigration de masse.
Les Français penchent vers un vote antisystème en 2022
Toutefois, le bilan de nos présidents est de moins en moins jugé satisfaisant par l’opinion publique comme le reflète l’indicateur de protestation électorale Fondapol-« Le Figaro » selon lequel en ce mois d’octobre, 79% des électeurs envisagent un vote antisystème en 2022. D’autres études indiquent qu’une majorité de français seraient prêts à voter pour un homme fort ou appellent de leurs vœux un homme providentiel de l’envergure d’un de Gaulle pour faire bouger les lignes tout en restant dans un cadre démocratique.
Bien sûr les idéologues nazis ont développé des théories raciales très discutables imprégnées d’un certain darwinisme (la survie des mieux adaptées changée en survie des races supérieures). Mais il faut replacer ces idées dans le contexte de l’époque et noter que les théories sur la suprématie de certaines races n’étaient pas rares dans les années trente, y compris du côté des alliés.
Même dans « L’histoire des peuples anglophones » (A history of the English-Speaking people) de W Churchill, le grand ennemi d’Hitler, la destinée manifeste des peuples anglo-saxons se teinte d’un certain mépris pour ne pas dire racisme vis-à-vis des autres peuples y compris des français, sans parler de divers penseurs américains à une époque où la ségrégation raciale était largement acceptée par la population blanche et était parfois teintée de religion (par exemple l’idée que Cham, le fils maudit de Noé était à l’origine de la race noire).
Il y a aussi la question du commencement et de la déclaration de la guerre qui dans les décennies d’après guerre et jusqu’à aujourd’hui a été plus ou moins attribuée unilatéralement à Hitler dans les manuels scolaires. J’ai publié récemment un article dans AV reprenant des études jetant une lumière nouvelle sur le déclenchement de l’opération Barbarossa et on trouve aujourd’hui bien d’autres études ont un jugement plus nuancé sur les origines de la guerre.
Il reste un sujet encore plus sensible, celui du massacre des juifs d’Europe centrale à partir de 1942 alors que la victoire espérée par les nazis de l’Allemagne sur l’Union soviétique semblait s’éloigner, « l’holocauste », expression au caractère religieux utilisée pendant des années et maintenant remplacée par la Shoah, avec un nombre de victimes évalué à 6 millions.
Mais ces aspects du bilan d’Hitler sont bien trop complexes pour être abordés dans un simple article, aussi je les laisse ici de côté.
En tout cas, peut-être que ces quelques réflexions peuvent aider à comprendre la déclaration en 2013 « Hitler était un génie » de Patrick Timsit, déclaration qui a quelque peu surpris le plateau de « C à vous » mais, vu que l’on était entre gens de bonne compagnie, personne n’a trop osé réagir autrement que par quelques gloussements ou rires vite étouffés.
Suite à une telle déclaration, un autre que Timsit aurait été poursuivi pour antisémitisme mais venant d’un comique juif, elle est passée comme une lettre à la poste. Personnellement, je n’aurai pas déclaré qu’Hitler était un génie, réservant ce terme à des gens comme W A Mozart, I. Newton ou autres grands créateurs.
Conclusion
Bien sûr, il ne s’agit certainement pas de ressusciter une nostalgie pour le 3ème Reich ni de faire d’Hitler un modèle, le dictateur allemand ayant commis bien des crimes et erreurs et d’ailleurs fait preuve d’une hostilité ou méfiance systématique et largement injustifiée à l’égard de la France dans ses écrits et discours.
Ne serait-ce que sur le plan militaire, par exemple lors de la bataille de Stalingrad, il poussa les troupes allemandes à se battre sur place jusqu’au bout, ce qui aboutira à leur encerclement et à 91.000 soldats allemands faits prisonniers dont la plupart sont morts dans les camps du Goulag, n’écoutant pas von Paulus et les responsables militaires sur place qui proposaient d’organiser une retraite disciplinée pour éviter l’encerclement. Plus généralement, sa conduite de la guerre a été régulièrement critiquée par des responsables de la Wehrmacht ou de la marine de guerre malgré la censure. De plus en dehors de son antisémitisme, son idéologie raciste, en particulier à l’égard des slaves, ne pouvait pas en faire un unificateur de l’Europe.
Certains diront qu’il s’agit là de vieilles histoires ajoutant qu’il n’est pas besoin de raviver ces plaies douloureuses. Le problème est que si ces plaies douloureuses avaient été bien comprises et refermées, si le passé avait été évalué de façon plus équilibrée tout irait bien, mais ce n’est pas le cas : la manipulation de la notion de camp du mal dans le passé a porté ses fruits dans une actualité beaucoup plus récentes.
En fait la diabolisation d’Hitler, de tout ce qu’il a pu faire ou ne pas faire, a créé toute une série de sujets tabous devenant ainsi une source de l’idéologie politiquement correcte.
Ainsi, il a suffit que la proposition de préférence nationale soit considérée comme apparentée au racisme et finalement aux « heures les plus sombres de l’histoire » pour qu’elle soit bannie sans plus de réflexions (« Tout chrétien doit lutter contre les idées du FN » expliquait le Cardinal Barbarin, alors « primat des Gaules » à Rue 89 avant une élection nationale). Pourtant cette idée est somme toute assez banale et plus ou moins appliquée par toutes les nations qui réservent certains avantages comme certains devoirs à leurs nationaux.
Cette formation d’un ensemble de tabous politiques associée à la peur de « faire le jeu du FN » a fait que pendant des décennies, les idées de JM Le Pen qui avait le tort de dénoncer avant tous les autres politiques, la menace que faisait peser une immigration de masse, venant en particulier de pays musulmans, ont été systématiquement soumises à une « reductio ad Hitlerum » et de ce fait discréditées.
La simple évocation d’une infiltration de terroristes dans les flux d’immigrés était considérée comme ouvertement raciste alors que l’actualité nous rappelle régulièrement que cette idée n’était pas dénuée de fondements
On peut dire la même chose de sa critique du regroupement familial, sa demande d’un meilleur contrôle des frontières ou celle d’une expulsion beaucoup plus ferme des immigrés illégaux (près de 90% des personnes dont la demande d’asile a été rejetée restent en France).
Cette diabolisation a amené à faire défiler des centaines de milliers de français, y compris les enfants des écoles, pour soi-disant sauver la République entre les deux tours de la présidentielle de 2002 quand Le Pen s’est retrouvé face à Chirac dans ce qui ne peut qu’être qualifié d’opération de manipulation de l’opinion par les grands médias, les leaders politiques et des syndicats de gauche, Le Pen n’ayant jamais eu la volonté ni les moyens d’organiser un coup d’Etat.
Aujourd’hui, une majorité de Français semble comprendre selon différents sondages que l’immigration incontrôlée vers leur pays au cours des décennies passées et le manque de contrôle de nos frontières pose de sérieux problèmes mais le temps perdu dans ce domaine sera difficilement rattrapé.
Aussi, 75 ans après la 2ème guerre mondiale, il n’est pas inutile de reconsidérer le bilan d’Hitler et les diverses responsabilités politiques durant la période de guerre de façon plus nuancée, ce que font d’ailleurs divers historiens aux Etats Unis ou ailleurs pour sortir d’une vision au manichéisme réducteur de cette période du 20ème siècle.