Hubert Reeves, judaïsme, christianisme, islam : l’Univers a-t-il un sens ?
En 1991, le monde sort d'une guerre froide où la menace nucléaire aurait pu mettre fin à l'humanité. Pulsion de mort, s'interroge Hubert Reeves : avec l'invention de la "bombe", la conscience n'émergerait-elle - en quinze milliards d'années - que pour s'éliminer en quelques minutes ? (Hubert Reeves, L'univers a-t-il un sens ? pages de couverture, octobre 1992).
Il faut se rendre à l'évidence scientifique : Un avant de l'Univers, avec un Dieu explicatif et sécuritaire - dans le ciel ou au-delà - n'existe pas ; il n'y a, pour satisfaire notre envie de savoir, qu'un passé depuis le Big bang des origines et un présent. Mais alors, comment expliquer, voire justifier, la pensée des religions antiques, judaïque, chrétienne, musulmane, qui se sont persuadées de l'existence d'une conscience divine existant de tout temps ou hors du temps, créatrice du monde, de notre univers, d'univers multiples peut-être... bref...des dieux, d'un Dieu, ou d'un Allah ?
La prophétie de Daniel.
Qui est Daniel ? Soyons réalistes ! Ce ne peut être qu'un pseudonyme que s'est donné le mouvement d'insurrection des juifs déportés à Babylone ; des Juifs que le pouvoir babylonien a bien imprudemment placés à la deuxième place auprès de Nabuchodonosor. Que prophétise Daniel ? La chute du roi ! Prophétie facile à faire dans une fin de règne, et d'autant plus prévisible si les juifs insurgés se sont ralliés à Cyrus sous promesse de revenir en terre sainte. Historiquement et prosaïquement parlant, c'est un appel au soulèvement sous forme d'une prophétie que Daniel demande aux déportés d'accomplir.
Plus de 300 ans après leur retour, les descendants des exilés réenclanchent la prophétie que Daniel avait proclamé contre le roi de Babylone, mais cette fois contre le roi grec Antiochus. Persuadés qu'ils étaient que c'est Dieu qui continuait à tracer leur histoire, temps par temps, le rôle des prophètes était de la deviner à l'avance pour mieux l'accomplir, le septième temps devant se terminer par la victoire finale contre les Kittim (Romains et Grecs). Ce sera une grande bataille qui se déroulera en présence du Dieu d'Israël. Les Juifs seront vainqueurs et le temps de la rédemption succèdera aux temps de détresse (Règlement essénien de la guerre, II, 9 à 14 et suivants).
Hélas ! malgré les plus savants calculs à partir du chiffre 7, le dernier temps tardait à venir. Il vint enfin en l'an 70 - 7x10 - mais ce fut une grande défaite juive où sombra Jérusalem... premier grave échec dans la croyance en un Dieu préexistant dont un bon prophète pouvait deviner les décisions et les annoncer à l'avance ; grosse déception pour le peuple élu qui avait cru lire dans son passé les signes arronciateurs de la venue d'un messie sauveur envoyé par Yahvé qui est dans le ciel. Au regard d'un échec aussi flagrant qu'imprévu, le judaïsme messianique a-t-il disparu ? Non, il survit dans deux principaux courants. Le premier courant est un judaïsme qui espère toujours en la venue du messie. Le deuxième courant croit que le messie est venu dans les évangiles, en esprit et même en corps, c'est le christianisme. L'islam viendra ensuite.
Quatre évangiles, quatre tentatives.
L'évangile de Jean, c'est l'histoire d'une communauté essénienne très sainte des bords de la mer Morte qui, face à l'occupant païen romain, proclame ses valeurs jusqu'à monter sur la croix. Je corrige : c'est l'histoire d'un esprit de Jésus descendu du ciel qui inspire la communauté sainte et que Dieu fera ressusciter sur la croix, s'il le veut. Marc fait l'éloge post mortem de Jean :... parce que hôrôdôs [lui] il craignait iôhanan et il savait que [c'était] un homme juste et saint et alors il le protégeait et il l'écoutait et il faisait souvent [ce qu'il disait] et il aimait à l'entendre (Mc 6, 20, traduction Tresmontant). Ce que Flavius Josèphe confirme... celui-ci était, en effet, un homme de bien qu’Hérode avait fait mettre à mort. Il exhortait les Juifs à pratiquer la vertu, à agir avec justice les uns envers les autres et avec piété envers Dieu (Antiquités juives 18.116-119)... Problème ! Jean (Baptiste) a été décapité et sa communauté, décimée par le glaive, n'est pas montée sur la croix comme il l'avait annoncé dans son évangile ; premier évangile, premier échec.
L'évangile de Marc est l'histoire d'une autre communauté essénienne ou des survivants de la communauté précitée qui, elle, va monter sur la croix, accomplissant, en quelque sorte, un évangile de Jean lu comme une prophétie à accomplir jusqu'à la résurrection en gloire sur la croix du Jésus qui inspire la communauté ; une résurrection en gloire sur la croix qui ne s'est pas produite, d'où le cri de Marc : mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? (Mc 14, 34). Deuxième évangile, deuxième échec.
L'évangile de Luc est une réécriture de Marc par le pro-romain Paul, une main tendue, en quelque sorte, à l'occupant. Troisième évangile.
L'évangile de Mathieu est-il une ultime tentative ? Oui, sans aucun doute... mais il ne s'agit plus d'une communauté que décime une répression romaine aveugle par l'épée ou par la croix. Il s'agit du conseil essénien lui-même qui s'offre "volontairement" au sacrifice. Les textes esséniens ne le qualifient-il pas, en effet, de "conseil de Dieu"... Fils de Dieu ? (Rouleau de la Règle, III, 24-25, renvoi 1). Après avoir chanté l'hymne, Simon-Pierre, entouré des douze apôtres de son conseil essénien - l'esprit de Jésus qui vit en eux - se rend sur le mont des Oliviers. Il cite les Ecritures suivant la procédure rituelle prophétisée : Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées (Zacharie 13, 7). Vers le moulin à olives de l'évangile de Marc, trois fois il prie. N'a-t-il pas dans l'évangile précédent renié le Maître trois fois en tant que Pierre ? Lorsque les gens de la maison de Juda (Judas) viennent pour l'arrêter, un petit groupe de fidèles essaie de prendre sa défense tandis que les autres s'enfuient. Il aperçoit les membres de sa communauté (Pierre bis) qui l'ont suivi de loin jusqu'aux abords de l'oppidum dans l'intention bien compréhensible de se tenir au courant du déroulement du procès ; et il les entend le renier, eux aussi, trois fois, lorsque la police du Sanhédrin les interroge : Ecritures obligent !
Répétant celui de Marc, Simon-Pierre préside le dernier repas, la main sur le pain consacré, les apôtres à sa droite et à sa gauche. Il brise le pain en prononçant les paroles rituelles "Ceci est mon corps livré pour vous"... Dès lors, il n'est plus Pierre mais vrai Jésus incarné qui va monter sur la croix. C'est le mystère de la transsubstanciation que l'Eglise catholique commémore dans le symbole de l'hostie, l'hostie étant le pain, le pain étant le Christ venu sur terre, en esprit et en corps, en esprit ou en corps, question de nuances, de choix ou de croyance.
En 48, le gouverneur a pour nom Tibère Alexandre ; c'est un nouveau Pilate. Et de nouveau, les Juifs préfèrent la libération d'un ou de plusieurs Zélotes fils d'Abba, plutôt que celle d'un Galiléen nazôréen. Alors, les soldats de la cohorte de Jérusalem se moquent de lui — c'est devenu une habitude. Ils l'emmènent sur la hauteur où les Cananéens pratiquaient jadis leurs sacrifices (en hébreu : Golgotha, lieu du crâne). On lui prend ses vêtements et la foule l'insulte... c'est la tradition. Juste avant de mourir, quels mots Simon-Pierre pouvait-il prononcer sinon ceux que Jésus de Nazareth avait criés sur la croix dans l'évangile de Marc : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Jésus, simple concept ou fiction ? Certainement pas ! Cette crucifixion est attestée par Flavius Josèphe dans ses Antiquités judaïques, livre XX, chapitre III : Tibère Alexandre fit crucifier Jacques et Simon, fils de Juda de Galilée, qui du temps que Cyrénius faisait le dénombrement des Juifs, avait sollicité le peuple à se révolter contre les Romains... ce qui authentifie toute l'affaire, l'avant et l'après. (Extraits de mon article du 7 décembre 2019). https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pourquoi-l-image-de-l-hostie-que-219582
Réponse de l'évangéliste Jean à Hubert Reeves : (Bible d'Osty, Jn 1, 9-15, je cite)
La lumière, la véritable, qui illumine tout homme, venait dans le monde. Il était dans le monde, et par lui le monde a paru, et le monde ne l'a pas connu. Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli. Qui sont "les siens" ? ce ne peut être que les juifs de Jérusalem. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son Nom, qui ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. Qui sont "ceux qui l'ont reçu" ? Ce sont les convertis à la nouvelle parole. Et le Verbe est devenu chair, et il a séjourné parmi nous... Quel est ce "il" qui a séjourné parmi nous ? Réponse : le Jésus qui est descendu, en esprit, dans les communautés esséniennes dont je viens de résumer l'histoire ; tentative réussie ? l'Univers aurait-il trouvé un sens ?
Question subsidiaire : Jésus est-il descendu en corps ? Dans son évangile, Mathieu affirme que Jésus est descendu dans le corps et dans l'esprit de la communauté essénienne, mais il laisse au lecteur la possibilité de croire, soit que le mystère a pu s'accomplir jusque dans un membre de la communauté, soit qu'il va s'accomplir par l'apparition apocalyptique d'un Jésus glorieux à forme humaine. N'oublions pas que cet évangile est le fruit d'un concile, donc le résultat d'un compromis. Et l'épître aux Hébreux semble aller dans ce sens. Hélas, l'évangéliste s'est trompé dans son estimation du temps. Cet événement extraordinaire qui devait se produire avant que sa génération ne meure s'est trouvé en effet précédé par tous les signes auxquels on pouvait s'attendre - les premiers troubles, puis la guerre de Jérusalem de 70 - mais il ne s'est pas produit. Jésus n'est pas venu ou revenu “en gloire”. Mais attention ! Tant que le monde est monde, qui peut dire aujourd'hui qu'il ne viendra pas. (extrait de mon Histoire du Christ, tome 2, chapitre 15, publié en 1996 sous le pseudonyme de Jean, page 196, évangile de Mathieu).
Renvoi 1. Dans la Règle, le conseil restreint de la communauté essénienne comprend douze hommes et trois prêtres. La grande assemblée est la communauté de Dieu ou conseil de Dieu. Elle rassemble tous ceux qui, à l'issue de leur noviciat, ont été considérés comme aptes à devenir des parfaits. Ils ont été initiés à certains secrets merveilleux. Ils savent "lire" dans les livres sacrés. Cette communauté de Dieu est appelée à recevoir le maximum de fils d'Israël lorsqu'ils auront été "visités". Il importe en effet de mobiliser le plus possible de combattants lorsque viendra le grand jour de l'affrontement avec l'empire de Bélial (les pays de religion païenne). Dans son effectif réduit et probablement permanent, le conseil de Dieu est représenté par quinze hommes (douze laïcs représentant les douze tribus et trois prêtres représentant les lévites). Ils se donnent le nom de membres du conseil de Dieu. Ce conseil est assisté d'un inspecteur dont la mission principale semble être de filtrer les candidats et d'un questeur/intendant chargé de recueillir les biens de ceux qui ont été admis au sein de la communauté.
Dans l'organigramme de mobilisation de l'armée essénienne qui est prévue pour reconquérir tout le Croissant fertile , il n'y a pas de commandant en chef, car le seul chef, c'est Dieu lui-même.
En revanche, il apparaît clairement que même avec une direction collégiale, l'esprit du grand prêtre Simon d'Israël, fondateur de la nouvelle alliance, mort en -195, est resté bien vivant au sein de la communauté et que s'il devait réapparaître, c'est sous ce nom. ... Ce sera Simon Pierre.
Autres citations concernant les esséniens au gré de mes lectures.
[C’est l’as]semblée des hommes de renom [convoqués] à une réunion du
conseil de la communauté, quand [Dieu] engendrera, 12 le messie parmi
eux. Il entrera [en] tête de toute la congrégation d’Israël et de tous [ses] frères
[les fils] d’Aaron, les prêtres. [...] 14 [...] Ensuite le [Mes]sie d’Israël
s’as[soira]. Puis [ils] s’assoiront devant lui, 15 les chefs des milliers d’Israël,
chacun selon sa dignité (1QSa II 11-15 ; voir II 20-21).(Trois approches du messianisme de Qumrân
Une revue sélective de la recherche récente
Jean Duhaime)
etc... etc...
Emile Mourey le 25 juin 2020. Après avoir écrit cet article, c'était midi. Je me suis fait cuire une pomme de terre et deux carottes dans une casserole d'eau et je leur ai trouvé une saveur que j'avais oubliée en consommant des plats cuisinés. Le temps était magnifique. J'étais sur ma chaise longue, au soleil d'été, prenant un peu de repos avant de reprendre mes travaux d'élagage ; et je m'étonnais en regardant le ciel... un véritable tableau d'art. Comment, par quel mystérieux processus, l'univers que je voyais en était-il arrivé à une telle harmonie... à ce mariage parfaitement réussi de couleurs : bleu du ciel, blanc des nuages, verts multiples de la végétation...et, dans cet écrin de verdure, le merveilleux château versaillais que j'avais acheté en ruines, oeuvre des hommes, "pour le sauver de l'obscurantisme de mon époque". C'était le moment de la journée qui était venu pour moi de m'enivrer (De la jubilation, Hubert Reeves, l'heure de s'enivrer, page 230).
Références : mes deux "Histoire du Christ, tome I et II", envoyées au Vatican en 1987, publiées en auto-édition en 1996. Sur le plan commercial, un échec complet.