L’ A-démocratie libérale
On est souvent trop tentés de poser en terme de compétence la plus ou moins bonne gestion des problèmes qu’ils soient de nature politique ou économique.
On se targue beaucoup de gestion en bon père de famille sans d’ailleurs que cette énormité sémantique saute aux yeux de ceux qui sont amenés à la recevoir.
En matière de gestion la prudence est trop souvent l’autre nom de l’immobilisme. On ne fait pas de vagues mais on n’alimente pas non plus le rotor, le moteur du développement.
Bref la mal-gouvernance s’érige en vertu cardinale et l’absence de projet devient une fin en soi.
Une entreprise ou un pays ne se gèrent pas comme un budget familial : ce dernier a des limites qu’il est quasi impossible de franchir, en témoignent les difficultés énormes qu’ont les jeunes gens même en contrat à durée indéterminée pour accéder à la propriété immobilière via un emprunt.
L’entreprise ( plus elle est grosse et moins on vérifie sérieusement l’état de ses comptes !) ou l’état peuvent se surendetter et c’est ce qu’ils font mais pas toujours à bon escient.
La France de Napoléon III a jeté les bases de l’industrialisation du pays dont nous sommes encore redevables aujourd’hui.
Quand François Guizot qui fut le principal ministre du prédécesseur de l‘empereur, Louis-Philippe, conseillait à la bourgeoisie la célèbre formule qui lui est pour l’éternité associée : « enrichissez-vous par le travail, l’épargne et la probité » ( les bourgeois s’appelaient eux-mêmes honnêtes gens, ce qui avait plus à voir avec le statut social qu’avec une quelconque vertu morale), il ne pensait pas à la spéculation mais à la mobilisation de l’épargne et à sa rémunération pour la construction d’une puissance industrielle et des infrastructures qui la favorisent, conception très moderne pour l’époque que le Second empire a reprise à son compte. C’est un mérite qu’il convient de lui reconnaître.
De ces temps pas si lointains datent les lignes de force qui structurent encore aujourd’hui le territoire national même si la désindustrialisation et la désertification rappellent douloureusement aux populations victimes la vanité de tout projet qui naît, s’épanouit et décline jusqu’à s’évanouir.
Pour en revenir à la situation actuelle, la faillite quand elle se réalise pousse certes à la disparition de certaines entreprises mais le plus souvent sans que ses détenteurs aient à payer de leurs biens propres le coût de leur gestion aléatoire.
L’état peut honorer ses dettes ( le coût en serait tellement astronomique que c'est impossible à envisager ) ou prolonger son endettement en cédant son patrimoine immobilier ou ses participations dans le capital d’entreprises publiques à des groupes financiers vautours.
Cette redistribution des cartes permet sinon de tout effacer du moins de tout recommencer : les dettes publiques sont en fait destinées à ne jamais être remboursées et cela fait loi depuis la fin des temps.
Aussi bien est-ce un argument effroyablement spécieux de soumettre tout projet d’investissements y compris les plus utiles et durables au carcan d’un budget contrôlé arbitrairement par l’Union Européenne mise au service des états rentiers comme principalement l’Allemagne qui tord à son unique profit les règles budgétaires contraignantes qu’elle impose aux autres états, victimes au demeurant tragiquement consentantes qui se plient à l’air du temps.
Que ce soit en politique ou en matière économique, cela revient à faire le triste constat que s’impose toujours à la fin des fins le règne du lobby financier qui veut et le plus souvent peut dicter au politique sa feuille de route.
Et ce en dépit de, on pourrait presque dire grâce à, cette « invention » tout droit issue du siècle des Lumières, la démocratie ( inventée en Angleterre ) qui devrait logiquement refléter l’intérêt général et servir de frein aux expérimentations les plus oiseuses mais est escamotée par l’oligarchie qui parvient assez aisément à amener une majorité de gens à choisir de négliger leurs intérêts propres pour privilégier ceux de la ploutocratie qui leur a lavé le cerveau avec les roulements de tambour de ses multiples moyens de communication.
S’ils ont, comme on le constate, des difficultés à faire fonctionner de manière satisfaisante un système néo-libéral à bout de souffle et que condamnent les limites matérielles mise par la nature à l’exploitation de ses richesses nécessairement finies et non indéfinies ( comme la pratique des gouvernements le laisse croire), les fumistes sont toujours suffisamment compétents pour faire prendre des vessies pour des lanternes et susciter d’habiles controverses qui divisent les classes moyennes et populaires sur des thématiques absurdes et des faits divers démesurément grossis.
Présents en tant qu’experts sur tous les plateaux, chargés de diffuser la bonne parole en faisant parfois mine de s’opposer moins sur le diagnostic que sur les recettes, ils irradient la pensée dominante qui peu ou prou imprègnent les comportements des consommateurs y compris de la soupe électorale.
Ils admettent volontiers l’opposition surtout si elle est caricaturale, mettant à profit l’adage qui veut que ce qui est excessif devient vite insignifiant.
On remarquera que l’opposition réelle qui articule son discours sur un programme structuré est trop souvent moquée mais rarement contredite sur les axes de force qui soutiennent son argumentaire : il leur suffit de décrédibiliser le porteur pour renvoyer ses thèses dans le no man's land où s'éteignent les plus belles utopies.
Et comme prix de cette grande compétence de maquignon, ces semeurs d’illusions emportent systématiquement la majorité des suffrages que ce soit sous l’une ou l’autre étiquette dont ils savent aussi susciter des avatars quand la lassitude s’empare des gens avides de repeindre le vieux des couleurs du neuf.
Macron est un de ces avatars triomphants palliant le discrédit des formations du passé.
Aveuglé par la trop bonne opinion qu'il a de lui-même, non seulement il ne prévoit pas le sens des événements mais encore il annonce le contre-sens desdits événements.
Il est trop tôt pour se réjouir de voir se lever un jour nouveau mais la crise des gilets jaunes échappant à toute norme aura sans doute un impact à long terme.
Plus rien ne sera jamais plus comme avant.
La Commune de Paris a annoncé le Front Populaire, un demi-siècle plus tard.
Gageons ou plutôt espérons que l’accélération des processus que l’on vit dans tous les domaines nous épargnera une aussi longue parenthèse.