jeudi 13 février - par Patrice Bravo

L’extraterritorialité du droit américain : Une menace persistante pour les entreprises européennes

Le second mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche s’annonce comme un tournant dans les relations transatlantiques. 

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L’arrivée d’une nouvelle administration nourrit souvent l’espoir d’un apaisement, notamment dans l’application extraterritoriale du droit américain. Pourtant, la réalité est plus contrastée. Derrière le discours diplomatique, les États-Unis poursuivent leur politique juridique agressive, imposant leur vision du droit au-delà de leurs frontières et mettant sous pression les entreprises européennes. Cette situation pose une question fondamentale : l’Europe est-elle capable de riposter et de protéger efficacement ses intérêts économiques ? 

Un cadre législatif toujours aussi contraignant. « L’époque des affaires BNP Paribas ou Alstom semble s’effacer », observe Olivier de Maison Rouge, avocat d’affaires spécialisé en intelligence économique et directeur du MBA Exécutive Management Stratégique et Intelligence Juridique (MSIJ) à l’École de guerre économique (EGE). Pourtant, cette impression est trompeuse. L’extraterritorialité du droit américain demeure un levier puissant de pression économique sur les entreprises européennes, avec des conséquences stratégiques lourdes. 

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) : un outil de domination économique. Adopté en 1977, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) visait initialement à lutter contre la corruption des entreprises opérant à l’international. Mais au fil des décennies, son application s’est élargie de manière exponentielle, permettant aux autorités américaines d’intervenir dans des affaires qui n’auraient, en apparence, qu’un lien ténu avec les États-Unis. 

Ce lien peut être aussi mineur qu’une transaction en dollars ou l’utilisation d’un serveur basé aux États-Unis. Comme le souligne Olivier de Maison Rouge : « Les États-Unis se sont dotés d’un arsenal juridique leur permettant de sanctionner des entreprises étrangères dès lors qu’il existe un point de contact, aussi infime soit-il, avec leur marché ou leur système financier ». 

D’autres outils au service de l’influence américaine. Outre le FCPA, d’autres dispositifs législatifs et réglementaires permettent aux États-Unis d’exercer une pression considérable sur les entreprises étrangères : 

L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) : cette agence du Trésor américain gère les sanctions économiques et peut interdire toute transaction avec des pays sous embargo, affectant directement les entreprises européennes.

Le Cloud Act : voté en 2018, il oblige les entreprises américaines à fournir aux autorités des données stockées à l’étranger, posant un problème majeur de souveraineté numérique pour les acteurs européens.

Les sanctions économiques et commerciales : de plus en plus utilisées, elles visent aussi bien des États (comme l’Iran ou la Russie) que des entreprises jugées en infraction avec la politique étrangère américaine. 

Ces mécanismes montrent à quel point les États-Unis ont su transformer leur droit en outil stratégique de domination économique. 

Une Europe encore trop vulnérable. Face à cette offensive juridique, l’Europe a cherché à réagir. Cependant, ses réponses restent timides et souvent inefficaces. 

Le Règlement de blocage : une protection insuffisante. En 2018, l’Union européenne a mis à jour son Règlement de blocage, un instrument visant à protéger les entreprises européennes des sanctions extraterritoriales américaines. Ce règlement interdit aux entreprises de l’UE de se conformer aux lois étrangères non reconnues par l’Union. 

Cependant, dans la pratique, il s’avère largement inefficace. Comme le souligne Olivier de Maison Rouge : « Les entreprises préfèrent se plier aux exigences de Washington plutôt que de risquer une exclusion du marché américain ». 

Les grandes entreprises européennes, en particulier celles ayant des intérêts financiers aux États-Unis, préfèrent éviter tout conflit et se conforment aux exigences américaines, faute d’un réel soutien européen. 

La loi Sapin II : un début d’émancipation, mais des limites. En France, la loi Sapin II, adoptée en 2016, visait à renforcer le cadre anticorruption national et à limiter l’intervention des autorités américaines. Elle a notamment introduit la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), permettant aux entreprises françaises de négocier directement avec la justice nationale en cas de soupçons de corruption. Toutefois, ce dispositif reste limité dans ses effets. Comme l’explique Olivier de Maison Rouge : « C’est une avancée, mais cela ne suffit pas encore à endiguer la pression juridique exercée par les États-Unis ». 

En effet, tant que les entreprises françaises et européennes dépendront du marché américain, elles resteront vulnérables. 

Vers une autonomie stratégique européenne ? L’extraterritorialité du droit américain met en lumière une faille majeure dans l’indépendance économique de l’Europe. Pour y remédier, plusieurs pistes sont envisagées. 

Développer une infrastructure financière indépendante du dollar. L’une des principales faiblesses de l’Europe est sa dépendance au dollar dans les transactions internationales. Pour y remédier, il est crucial de promouvoir : l’usage de l’euro dans les échanges internationaux, notamment via des accords bilatéraux avec des partenaires stratégiques, la mise en place d’un système de paiement alternatif à SWIFT, moins vulnérable aux pressions américaines, une régulation numérique souveraine. 

L’Europe doit également se doter d’une stratégie numérique robuste, notamment pour contrer les effets du Cloud Act. Cela passe par : 

La création de services cloud européens sécurisés, indépendants des acteurs américains.

Un renforcement des lois de protection des données, comme le RGPD, pour limiter l’accès des autorités américaines aux informations sensibles des entreprises européennes. 

Un cadre réglementaire unifié et offensif. Enfin, il est nécessaire que l’Europe parle d’une seule voix face aux pressions américaines. Cela implique : 

Une coordination accrue entre les États membres sur les réglementations anticorruption et les sanctions économiques.

Une capacité de rétorsion face aux pratiques extraterritoriales abusives des États-Unis. 

Une bataille encore longue. Pour conclure, l’extraterritorialité du droit américain reste un outil de puissance redoutable, permettant aux États-Unis d’imposer leurs intérêts bien au-delà de leurs frontières. Si l’Europe a pris conscience de cette menace, les réponses apportées restent largement insuffisantes pour protéger pleinement ses entreprises. 

Comme le conclut Olivier de Maison Rouge : « Tant que les entreprises européennes dépendront du marché américain, elles resteront vulnérables. La bataille pour une souveraineté économique et juridique ne fait que commencer ». 

L’avenir de l’Europe passe donc par une véritable autonomie stratégique, économique et juridique, seule capable de lui permettre de peser face aux grandes puissances mondiales. 

 Le Diplomate Média 

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17 réactions


  • JPCiron JPCiron 13 février 11:22

    L’avenir de l’Europe passe donc par une véritable autonomie stratégique, économique et juridique >

    La porte d’entrée dans cet avenir-là passe par des Leaders Politiques qui ne sont pas psychologiquement & idéologiquement soumis aux uns et aux autres.

    Il faut donc virer ceux qui ont ’’laissé faire’’ et identifier des profils nouveaux.



  • Durand Durand 13 février 12:23

    « L’avenir de l’Europe passe donc par une véritable autonomie stratégique, économique et juridique, seule capable de lui permettre de peser face aux grandes puissances mondiales. »

    De la CEE du Traité de Rome, à l’Union Européenne de Maastricht, cette “Europe“ ne doit sont existence qu’à la volonté d’un fédérateur extérieur. Sans ce fédérateur, une telle union « toujours plus étroite » (traité de Rome) n’aurait jamais vu le jour.

    https://www.youtube.com/watch?v=lZlOK6TOlHo

    PS : Si en 1962, les Communistes français avait soutenu de Gaulle contre l’Europe du Traité de Rome, ils existeraient encore et nous n’en serions probablement pas là…

    Outre le fait que les effectifs du PCF et des gaullistes, en 1962, auraient été suffisants pour que de Gaulle puisse envisager sereinement un referendum contre notre participation à la CEE (un frexit), Maurice Thorez, qui dirigeait le Parti Communiste, à manqué une occasion de remercier de Gaulle pour la grâce qu’il lui avait accordé pour sa désertion en URSS au début de la guerre…

    ..


    • La Bête du Gévaudan 13 février 23:02

      @Durand

      le but des communistes n’a jamais été de sauver la France mais de la détruire et d’y imposer leur dictature... N’oublions pas, d’ailleurs, que l’URSS a armé l’Allemagne Nazie pour attaquer et asservir la France (pacte Germano-Soviétique qui comprenait de nombreux aspects).

      Ca continue aujourd’hui... le but de Mélenchon et ses amis n’est ni de sauver les immigrés ni de sauver la France, mais de se servir des pauvres immigrés pour détruire la France qu’ils honnissent... (c’est vous dire le peu de cas qu’il font, au fond, aussi bien des immigrés que des Français).

      A un moment donné, il faudra ouvrir les yeux sur le socialo-communisme...

      On raconte cette historie farfelue de « gaullo-communisme » qui est une distorsion de la réalité. S’il y a eu quelques alliances circonstancielles, les communistes étaient des adversaires résolus de la politique gaullienne. Et réciproquement.

      Les communistes ne sont pas entrés dans la résistance pour sauver la France, mais afin de profiter des circonstances de désastre national pour établir leur dictature ! Ca vous situe un peu la perversité de ces gens là.


  • Seth 13 février 15:11

    Deux choses ne sont pas mentionnées dans cet article :

    1/ le rôle exacte des « institutions internationales » et qui les détient. S’imaginer qu’il puisse exister des structures neutres relève de la vue de l’esprit de l’aveuglement pur et simple.

    2/ L’europe est une création étazunienne quoi qu’en pensent certains et n’a aucun pouvoir réel hors de la main de son maître.


  • titi titi 13 février 22:11

    @L’auteur

    Si les lois américaines ont un impact, c’est d’une part par ce que les USA ont inventé tout ce qui fait notre monde actuel, et d’autre part parce que le marché US est le plus attractif et que toutes les entreprises veulent y être présentes.

    Pour faire simple : ils ont la meilleure R&D et la meilleure économie.

    Et comme l’Europe est nulle dans les deux domaines, ce n’est pas près de changer.


    • La Bête du Gévaudan 13 février 23:21

      @titi

      je suis d’accord que les gauchistes se font des illusions sur les capacités de « souveraineté » de l’Europe...

      Ils en seraient réduits à un condominium bruxello-islamiste à la place de l’impérium américain... avec de la bureaucratie socialo-bruxelloise et des pétrodollars islamistes...

      La solution me semble plutôt dans une révolution libérale... militer pour le droit de propriété... car, bon nombre de ces empiètements de l’état américain ne visent pas notre « souveraineté » mais notre « propriété »...

      Mais qui défend aujourd’hui le droit de propriété ?

      Depuis les capitalistes de connivence et monopolistes jusqu’aux militants marxistes, en passant par les despotes tiers-mondistes ou islamistes, tous ces gens honnissent la propriété privée.

      Les marxistes proposent simplement de mettre Mélenchon à la tête de Blackrock avec le Soviet Suprême de LFI à la place du Conseil d’Administration... (z’appellent ça la « collectivisation de la propriété productive »)... veulent juste être Khalifes à la place des Khalifes.

      C’est donc dans les peuples travailleurs que se trouve les militants de la propriété privée. Car la propriété privée est la seule arme contre les puissants qui ne se transforme par en dictature.


    • babelouest babelouest 14 février 01:12

      @titi
      le truc immonde qui se nomme USA, formé de toutes les personnes dont l’Europe ne voulait plus, en particulier les fanatiques religieux, n’est certainement le plus « attractif », sauf pour des adeptes de « L’Argent à tout prix ».
      La meilleure R&D c’est en Chine.
      « La meilleure économie » en fait uniquement basée sur le commerce des armes, je ne vois pas en quoi c’est meilleur. Rappelez-moi : quel est le déficit US ?


    • GoldoBlack 14 février 07:30

      @babelouest
      Résumer l’économie au déficit en dit long sur ta compréhension de ce qu’elle est.


    • babelouest babelouest 14 février 08:01

      @titi pour moi cela ne devrait pas exister, de même que la monnaie et que la propriété privée. Cela explique ma position.


    • titi titi 16 février 19:17

      @babelouest

      "La meilleure R&D c’est en Chine.

      "

      Citez moi une technologie de rupture qui vient de Chine.

      Merci.


  • La Bête du Gévaudan 13 février 23:10

    je pense qu’un aspect trop peu étudié dans cette lutte contre les empiètements est le droit de propriété... 

    En effet, au lieu de nous enflammer dans une rhétorique de guerre et de « blocs », ne devrions-nous pas commencer par exiger le respect du droit de propriété ? 

    Quand on possède des dollars, on les possède de plein droit. Ce n’est pas une propriété même indirecte de l’état américain mais bien au contraire une pleine propriété du détenteur. Et ainsi de suite... Quand on vend des choses, l’acheteur en devient le propriétaire. 

    On commence par des « bonnes intentions » (lutter contre la corruption ou la prolifération des armes) et on finit par abolir le droit de propriété. 

    On n’a pas vu que les armes cessent de proliférer ni que la corruption soit éteinte. Par contre, on voit les abus de pouvoir des états et organismes supra-nationaux se multiplier.

    Commençons donc par rétablir le droit de propriété. 

    Le but n’est pas d’établir « notre propre abus impérial souverain » (à Bruxelles ?!) mais au contraire d’abolir tout abus impérial. C’est cela le véritable universalisme.


  • GoldoBlack 14 février 07:29

    Le vrai titre est le suivant en fait :

    « L’extraterritorialité du droit américain : Une menace persistante pour les entreprises ruSSes »


  • tonimarus45 14 février 12:02

    bonjour-

    «  »L’extraterritorialité du droit américain : Une menace persistante pour les entreprises européennes«  »

    Bien sur quand il s’appliquait a ceux que l’on avait dans le collimateur cela etait parfait ,maintenant qu’on risque d’y gouter c’est pas pareil ?Ben voyons


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