L’impossible réconciliation entre France et Algérie ?
Une question est souvent posée : comment se fait-il que ce qui a été possible entre la France et l'Allemagne, la réconciliation quelques années après la fin de la guerre, ne soit pas possible entre la France et l'Algérie, 50 ans après son indépendance. Des différences, substantielles peuvent expliquer cette difficulté à réaliser un souhait, pourtant partagé par de nombreuses personnes de part et d'autre de la Méditerranée.
Il a fallu 80 ans et trois guerre entre la France et l'Allemagne pour en arriver là ! La première, en 1870, a servi à construire l'unité de la Prusse et des États allemands et s'est terminée par la chute de l'Empire, la défaite de la France, l'amputation de son territoire. Et la volonté de revanche et de restauration de son intégrité territoriale. Ce qui fut obtenu par la guerre de 14-18, Première guerre mondiale. Dont les conséquences seront utilisées par Hitler pour reconstituer la puissance de l'Allemagne et laver l'humiliation. Avec une Seconde guerre mondiale.
En 1945, la France, sûre d'elle-même, bénéficiant de l'habileté gaullienne qui l'avait maintenue, malgré sa défaite, dans le camp des démocraties victorieuses, se croyait encore une grande puissance, apparemment forte des son empire colonial dont l'Algérie.
Sortie du conflit écrasée, déplacée et divisée, l'Allemagne risquait de disparaître en tant qu’État. Difficile de rêver de grandeur, de puissance au décours de l'aventure nazie avec ses millions de morts et sa barbarie. Rares étaient en Allemagne ceux qui pouvaient se dire indemnes de toute responsabilité.
Mais la sagesse a prévalu. L'idée d'une unité européenne, déjà caressée dans l'entre deux guerres, a pu à nouveau être envisagée. Sous la pression directe des États-Unis et indirecte de l'Union soviétique. Sans mettre en question l'identité de l'Allemagne et de la France, sans réanimer les nationalismes concurrents et éventuellement conflictuels.
Cette réconciliation s'est déroulée presque à chaud et, au minimum, en dehors des peuples. Il reste à savoir si, les forces reconstituées, cette unité, cet équilibre perdurera devant les nouvelles difficultés, en dehors d'une véritable menace extérieure. Alors que s'éloigne, pour les peuples, le souvenir des atrocités et, pour les politiques, celui des responsabilités.
Pour les Français, l'Algérie est une vieille histoire dont ils ne savent rien, hors la présentation officielle qui en a toujours masqué le « système profondément injuste et brutal : la colonisation. Et... les souffrances que la France a infligé au peuple algérien » dont a parlé François Hollande lors de son voyage en Algérie.
Pour ceux qui ont participé au « maintien de l'ordre », c'est un mauvais souvenir enfoui, dont il ne faut pas parler. Une contrainte, une mauvaise parenthèse dans la vie.
Quant aux « rapatriés » et aux « harkis », ils se sont sentis trahis par le pouvoir politique et n'ont pas été accueillis comme ils auraient dû l'être. Pour nombre d'entre eux et leurs descendants, le passé demeure entre nostalgie et douleur.
Un gros travail de dénazification a été entrepris en Allemagne. En France, il n'y a pas eu de travail de « décolonialisation », ni de « Commission de la vérité et de la réconciliation » comme en Afrique du sud après l'apartheid. Une fois de plus, l'Etat, par l'amnistie, a caché l'inacceptable sous le tapis tandis que ce passé devenait fonds de commerce politique et l'instrument de sabotage face à toute tentative de réconciliation par l'extrême droite, encouragée par des hommages rendus plus ou moins officiellement à des « héros » au passé discutable.
Le 17 octobre, François Hollande a fait un premier pas dans la reconnaissance des violences infligées au peuple algérien. Il a continué lors de son voyage en Algérie. Certains pensent que c'est insuffisant. Qu'il est bien tard. Il a fallu cinquante ans pour reconnaître le rôle de la France dans les rafles contre les juifs durant la seconde guerre mondiale. Cinquante ans pour la que la France reconnaisse l’injustice et les massacres de la colonisation.
Si comme le dit un politique algérien, « les équilibres internes dans l'Etat français » ont limité sa liberté de parole, François Hollande, avant d'être président de la République, a été secrétaire national du PS pendant 11 ans (1997-2008)... A quel moment, a-t-il officiellement désavoué le rôle de la SFIO et de certains de ses membres en Algérie comme Robert Lacoste (1) par exemple ?
L'occupation française a duré 132 ans et l'Algérie, comme État moderne, est née d'une guerre meurtrière de 7 ans contre la France. Guerre qui légitime, encore 50 ans après, le pouvoir en place.
Ces 132 années et la guerre ont profondément traumatisé la société algérienne dans tous les domaines et à tous les niveaux économique, social, culturel... L’Algérie de 1962 n'est pas l’Algérie de 1830 retrouvée, elle est une Algérie nouvelle bouleversée par une présence étrangère imposée et de longue durée, par une histoire volens, nolens partagée... notamment par la partie de ses ressortissants qui ont combattu avec la France, ont travaillé ou travaillent en France ou qui en rêvent même si la vie de ceux qui y sont n'est pas ce qu'elle devrait être.
Si l'indépendance a fait naître l’enthousiasme, 50 années plus tard elle laisse encore beaucoup d'insatisfaction. Il suffit de lire la presse algérienne dont la liberté d'expression est remarquable !
François Hollande venait de naître (1954) quand Abdelaziz Bouteflika rejoignait le FLN (1957). Il avait 14 ans quand, Bouteflika signait les accords franco-algériens de 1968 ! Quand le premier adhère au PS, le second est ministre d'Etat. Président de la République algérienne depuis 1999, Bouteflika se prépare pour un nouveau mandat ; Hollande a été élu récemment, 3ème président de la République française reçu par le président Bouteflika.
Les deux hommes sont bien différents, et leur histoire, leur rapport à l'Histoire. L'un, nouveau président pressé par le temps, affiche sa volonté d'engager un redressement économique et social difficile au sein de l'Union européenne tout en développant de profitables relations économiques et politiques. L'autre après 14 ans de présidence, dernier héritier de la légitimité révolutionnaire, affaibli par la maladie, ne semble plus avoir de projet que son maintien au pouvoir et la distribution de la rente pétrolière.
Pour qu'il y ait réconciliation, il faut une volonté politique affirmé clairement de part et d'autre. Si on a entendu les propos de Fançois Hollande, salués ou critiqués, d'un coté ou de l'autre, tout les observateurs ont été frappés par le silence du président Bouteflika. Au point que, à plusieurs reprises, c'est François Hollande qui semble avoir parlé à sa place !
"Je ne viens pas ici, puisque ça n'est ni ce qui m'est demandé, ni ce que je veux faire, pour faire repentance ou excuse", a-t-il dit lors d'une conférence de presse. Mais le président Bouteflika qui disait le 18 mai 2006, qu’ « il est aujourd'hui de notre devoir envers le peuple algérien et les chouhada (martyrs), de réclamer des excuses officielles de la part d'une nation dont la devise révolutionnaire a de tout temps été liberté, égalité, fraternité » n'a rien dit. A-t-il renoncé ? L'Algérie a-t-elle renoncé ?
Toujours le président Hollande, à propos des moines de Tibhirine : « J'en ai parlé avec le président Bouteflika, ce sujet fait partie de la sensibilité qui est forte compte tenu de la tragédie, il m'a dit qu'il avait donné toutes les instructions autant qu'il est possible, à la justice d'aller au bout de l'enquête. »
Et encore, « J'ai invité le président Bouteflika à venir en France au moment où il sera possible pour lui de le faire, il pourra s'adresser aussi à la France. Moi, je m'adresse aujourd'hui aux deux, pour dire que je suis lucide sur le passé, mais pour dire surtout que je suis désireux de faire avancer les deux pays, donner un nouvel élan. »
"Ce que je veux définir avec l'Algérie, c'est un partenariat stratégique d'égal à égal et qui permette d'entrer dans un nouvel âge", après un entretien avec son homologue Abdelaziz Bouteflika. Les deux hommes ont signé une déclaration commune "un partenariat exemplaire et ambitieux"
Mais pour qu'il y ait un nouvel élan, un partenariat stratégique d'égal à égal, exemplaire et ambitieux, il y faut un engagement des deux cotés. Il faut un projet politique commun. Bouteflika est-il décidé à partager un projet politique avec la France ? Est-il prêt à le porter ?
Pour expliquer son silence, il a dit attendre que son « peuple s'exprime sur le sujet ! » Mais, coincé entre les affairistes et son passé, le président a-t-il encore un projet politique pour son pays ?
Faute de quoi, une fois de plus, ces grandes déclarations, ces bonnes intentions n'iront pas plus loin que, comme les fois précédentes, un communiqué commun, quelques affaires propres à satisfaire les amis des uns ou des autres. Le tout sombrant dans la routine des affaires.
En attendant la prochaine élection présidentielle ? Ici ou là-bas ?
(1) : Robert Lacoste fut un des principaux acteurs de la répression du peuple algérien durant la guerre d'Algérie. Pour cela, il n'hésita pas à défendre l'usage de la torture par l'armée française et la police, en déclarant par exemple le 7 juillet 1957 à Alger devant des anciens combattants : « sont responsables de la résurgence du terrorisme, qui a fait à Alger, ces jours derniers, vingt morts et cinquante blessés, les exhibitionnistes du cœur et de l'intelligence qui montèrent la campagne contre les tortures. Je les voue à votre mépris. ». Il n'a jamais été exclu de la SFIO ou du PS. Wikipedia
Commentaire d'un ami, reproduit avec son autorisation
L'article analyse et pose clairement le problème des deux réconciliations : l'une en marche et l'autre en panne.
J'ajoute simplement les éléments de réflexion suivants :
- la réconciliation franco-allemande est désormais insérée dans la coopération et l'intégration européennes ; elle est devenue un processus multilatéral dont elle est le moteur, mais en tenant compte des autres partenaires. Cela est important par comparaison au projet franco-algérien qui est enfermé dans le bilatéral avec toutes les passions et contradictions que cela comporte. Certes, il y des projets multilatéraux comme l' Euro-Méditerranée ou les "5 +5" (Méditerranée occidentale) ; mais, outre qu'ils sont embryonnaires, ils ne peuvent pas jouer le même rôle que le projet européen ;
- il y a aussi le problème de savoir sur quel type de projet global pourrait s'articuler une réconciliation entre la France et l'Algérie. J'avoue ne pas en voir. Il y a en revanche des projets sectoriels intéressants, mais qui ne sont pas porteurs de la même espérance, comme tu le signales au demeurant ;
- je me demande aussi dans quelle mesure les valeurs socio-culturelles, très largement partagées entre la France et l'Allemagne, ne sont pas devenues des obstacles pour tout projet global entre l'Algérie d'aujourd'hui (de plus en plus arabisée et islamisée) et la France (laïque et démocratique).
En somme en parlant de réconciliation franco-algérienne, le problème est à la fois de savoir dans quel contexte et comment y parvenir – ce que l’article montre fort bien - et ce que l’on peut mettre intellectuellement et concrètement dedans pour l'avenir, ce qui est à peine esquissé. (A.M.)