L’Oracle a parlé. E.Macron entre le « je-ne-sais-quoi » et « le-presque-rien » d’un message ravageur
"Bavard, ainsi que tous les révolutionnaires, battant l'air de phrases vides, il débitait un ramas de lieux communs farcis de destin , de nécessité , de droit des choses , mêlant à ce non-sens philosophique des non-sens sur le progrès et la marche de la société, d'impudentes maximes au profit du fort contre le faible ; ne se faisant faute d'aveux effrontés sur la justice des succès, le peu de valeur d'une tête qui tombe, l'équité de ce qui prospère, l'iniquité de ce qui souffre, affectant de parler des plus affreux désastres avec légèreté et indifférence, comme un génie au-dessus de ces niaiseries. Il ne lui échappa, à propos de quoi que ce soit, une idée choisie, un aperçu remarquable. Je sortis en haussant les épaules au crime. "
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe
Certes, les propos précités ne sont que la relation que fait Chateaubriand de sa rencontre avec Fouché à l'occasion d'un dîner prié chez Madame de Custine après les Cent-Jours. Point de crime, donc. Il ne s'agit en revanche ici, dans ce billet, que de la perception continue d'un mépris et d'une vacuité. Le discours présidentiel devant le Congrès réuni à Versailles était celui d'un lettré, bien rédigé, prononcé dans une langue d'autant plus remarquable qu'elle faisait une large part au respect rigoureux de la syntaxe comme de la grammaire avec les coquetteries d'une concordance des temps impeccablement maîtrisée, nous changeant des allocutions laborieuses et incertaines de ses prédécesseurs. Mais au fond qu'est-il resté de cette péroraison sinon l'impression curieuse d'un orateur qui s'écoutait parler, de paroles et de monitions qui résonnaient devant une assemblée de fidèles venus écouter une sorte de prédicateur dans une étrange conférence de Carême politique un peu hors-sol ?
Il est un autre petit discours, celui du 29 juin 2017 prononcé par M. Emmanuel Macron devant les start-uppers dans leur nouvel incubateur parisien de la Halle Freyssinet-Station F, qui, en revanche, pourrait très probablement bénéficier à très court terme d'une très vaste audience auprès de la majorité de la population.
C'est ici : http://www.huffingtonpost.fr/2017/07/06/je-fais-partie-de-ces-personnes-qui-ne-sont-rien-voila-ce-qu_a_23018909/
En effet, malgré le bruissement politique dont on l'assomme, la France écoute. Rien ne lui échappe lorsqu'on lui parle, plus particulièrement lorsqu'on lui parle mal et encore plus lorsqu'elle se sent méprisée. La réaction aux propos présidentiels n'a donc pas tardé avec cette vidéo très simple, très profonde, empreinte d'une réelle humanité comme d'une réelle pudeur en parlant de la vie qui est la sienne, réalisée par une personne déjà souffrante qui, comme très probablement d'autres centaines de milliers de personnes - j'en dénombre pour ma part six millions au bas mot -, a pu se sentir blessée sinon méprisée par ce qualificatif de "rien" dont l'a affublée le Chef de l’État dans sa récente déclaration effectuée à la Halle Freyssinet :
https://youtu.be/mlxXW95qeK4?t=6
Bien sûr, dira-t-on, les propos du président auront pu être mal compris, mais quoi qu'il en soit on peut être certain qu'ils auront été perçus comme un message ravageur dans lequel beaucoup de gens se sont reconnus et qui va au-delà de la simple maladresse. "Vous n'avez rien, ne possédez rien, alors ne cherchez pas plus loin : vous n'êtes rien". L'inconscient a parlé, signant bien là l'accès au pouvoir avec son champion de toute une population d'insiders qui n'a pas compris que le modèle économique, politique et social dont elle se prévaut et qu'elle considère comme l'avenir avec les « valeurs » qui lui servent de ligne directrice est en réalité obsolète et arrivé en butée.
"Nous connaissons à présent l'enthousiasme des commencements, mais la gravité des circonstances nous empêche d'en ressentir aucune ivresse, a déclaré M. Macron. Le terrorisme n'a pas désarmé."(On a vu ce qu'il en était avec la "découverte" ahurissante de ces individus fichés "S" détenteurs d'une autorisation de port d'arme, un événement qui partout ailleurs aurait signifié la démission immédiate du ministre de l'intérieur ou des fonctionnaires (ir)responsables).
"La construction européenne est en crise" (Commission européenne non élue qui s'arroge tous les pouvoirs, Grèce anéantie et pillée, BCE, Union bancaire, zone Euro sinistrée, naufrage du système bancaire italien, intransigeance et toute puissance de l'Allemagne).
"Nos équilibres financiers sont dégradés, notre dette considérable (et l'on fait mine de découvrir ce que la Cour des Comptes a déjà amplement inventorié). L'investissement productif est faible. Le chômage atteint des niveaux insupportables. La pauvreté s'étend, et aussi la dureté de la vie". Mais par-delà cette compassion de circonstance que savez vous réellement de la pauvreté et de la dureté de la vie, M. le Président ?
Qui pensez-vous convaincre, M. le Président, avec de telles constatations qui ne sont que des évidences chaque jour toujours plus présentes malgré les promesses fallacieuses et les mesures inopérantes des gouvernants précédents dont vous avez été partie, rappelez-vous, et vos propres promesses déjà renvoyées à plus tard à peine élu ?
"Le peuple français nous a fait connaître ses volontés, et nous en serons les serviteurs (…), a ajouté le chef de l'Etat. Nous devons être à la hauteur de cet espoir français. Ce que nous avons à accomplir, c'est une véritable révolution. Les forces adverses continuent d'être puissantes, dans les têtes. En chacun de nous, il y a un cynique qui sommeille". Le "peuple français", dites-vous, vous a fait connaître ses volontés ? Non, M. le Président : une partie du peuple français. Une toute petite partie en réalité car la majeure partie ne s'est pas reconnue en vous et encore moins dans votre programme. Quant au cynisme que vous évoquez, parlons-en.
Et de conclure : "Nous resterons fidèles à cette promesse de nos commencements, cette promesse que nous tiendrons parce qu'elle est la plus grande, la plus belle qui soit : faire à l'homme, enfin, un pays digne de lui".
Encore un effort, M. le Président ! Car voici ce que beaucoup de vos concitoyens pourraient bien désormais être tentés de vous dire, par-delà vos envolées rimbaldiennes, en reformulant vos propos malheureux tout en vous rappelant ce cynisme que vous évoquez :
« Ne pensez pas une seule seconde, M. le Président, que si vous avez réussi à être élu la chose est faite. Non ! Ce n'est pas parce que vous et ceux qui vous soutiennent vous serez réunis dans un congrès où vous croirez avoir appris que tout ira bien. Rien n'est pour autant acquis, car un congrès peut aussi être un lieu où l'on croise des gens qui croient réussir et d'autres qui ne sont réellement pas grand chose et vous lâcheront à la première occasion de la même manière qu'ils se sont ralliés à vous beaucoup par traîtrise sinon par opportunisme ».
Rappelez-vous la fin de Cicéron : si le Sénat peut faire de vous un Consul il peut aussi vous clouer les mains sur ses portes. Intéressez-vous aussi au destin de Marc-Antoine et voyez comment la Réalité peut se rappeler à votre bon souvenir. Pour le moment seul un Robespierre un peu exalté rôde dans les couloirs. Les événements sont toujours trop prévisibles pour qui se donne la peine d'en analyser les signaux faibles qu'ils émettent en permanence. L'Histoire est bonne fille et fourmille d'exemples à méditer.
Alors ouvrons les yeux. Le "macronisme", à peine né, a vécu. Il est intrinsèquement condamné dans son essence et la suite qu'il réserve au pays tout entier dans sa mise en oeuvre à marche forcée risque fort d'être difficile sinon complexe dans la mesure où la majeure partie de la population, les "riens" qu'il a définitivement méprisés et décidé d'ignorer - nous, vous, moi (qui fréquentons modestement et discrètement les gares comme les lignes de métro et d'autobus) - sauront se rappeler à son bon souvenir lorsqu'ils seront consultés pour un prochain vote.