jeudi 3 septembre 2020 - par Emile Mourey

La bataille des champs catalauniques

... Comme nous l'avons dit, les deux armées se trouvaient alors en présence dans les champs catalauniques.

Sur le terrain incliné du champ de bataille s'élevait une éminence qui formait comme une petite montagne. Chacune des deux armées désirait s'en emparer, parce que cette position importante devait donner un grand avantage à qui s'en rendrait maître, les Huns et leurs alliés en occupèrent le côté droit, et les Romains, les Visigoths et leurs auxiliaires, le côté gauche. Le point le plus élevé de cette hauteur ne fut pas disputé, et demeura inoccupé. (Jordanès, Histoire des Goths, 551 après J.C.)

Étude du terrain d'après la carte de Cassini. Dispostif des deux adversaires.

En allant de votre droite à votre gauche, voyez la Saône bien visible. En rouge, sur sa rivre droite, la cathédrale de Chalon-sur-Saône. En surimpression, la ville fortifiée à l'intérieur de son enceinte. Puis, le carrefour des voies de l'époque. En vert, la vallée de la Thalie et la Thalie, en bleu, qui, à l'époque, était beaucoup plus large qu'aujourd'hui, véritable barrière d'eau qui protégeait la ville. Une ligne de hachures en gris sombre représente la pente pour accéder à l'éminence, plateau allongé en blanc, image de petite montagne. Les Romains, les Wisigoths et leurs auxilaires se sont installés dans la vallée de la Thalie, face à la pente est, en avant de la rivière, Aétius et les Romains au sud en protection de Chalon à l'aile gauche, les Visigoths et leurs auxiliaires, au nord, à l'aile droite. Le point le plus élevé de cette hauteur est au sud, là où se dresse l'antique château fort dont il ne reste aujourd'hui que la grande tour, sur la carte au-dessous de la fin du groupe de mots "château de Taisey".

L'armée des Huns vient d'Orléans où elle a subi un grave échec. Elle s'est établie dans la vallée de l'Orbize, face à la pente figurée en hachure, dans un dispositif semblable. Attila est au centre avec les plus braves des siens. Sur ses ailes, les nombreux peuples qu'il a soumis avec leurs rois parmi les plus braves, les Ostrogoths, à sa gauche.

Pourquoi le lieu où se dresse la forteresse antique n'est pas occupé ?

Parce que la forteresse est solidement défendue et qu'elle ne peut tomber que par un siège en règle, avec le risque pour les assiégeants d'être pris à revers en position défavorable, véritable piège. Et pourtant, Attila va en prendre le risque. Je cite : on combattit donc pour se rendre maître de la position avantageuse dont nous avons parlé. Attila fit marcher ses guerriers, pour s'emparer du haut de la colline ; mais il fut prévenu par Thorismund et Aétius, qui, ayant uni leurs efforts pour gravir à son sommet, y arrivèrent les premiers, et repoussèrent facilement les Huns, à la faveur du point élevé qu'ils occupaient... Alors Attila, s'apercevant que cette circonstance avait porté le trouble dans son armée, jugea aussitôt devoir la rassurer, et lui tint ce discours... Marchons donc vivement à l'ennemi ; ce sont toujours les plus braves qui attaquent. N'ayez que mépris pour ce ramas de nations discordantes ; c'est signe de peur, que de s'associer pour se défendre. Voyez ! même avant l'attaque, l'épouvante déjà les entraîne ; elles cherchent les hauteurs, s'emparent des collines, et, dans leurs tardifs regrets, sur le champ de bataille elles demandent avec instance des remparts....Tandis qu'ils se serrent sans ordre, et s'entrelacent pour faire la tortue, combattez, vous, avec la supériorité de courage qui vous distingue, et, dédaignant leurs légions, fondez sur les Alains, précipitez-vous sur les Visigoths...

On en vint aux mains : bataille terrible, complexe, furieuse, opiniâtre, et comme on n'en avait jamais vu de pareille nulle part. De tels exploits y furent faits, à ce qu'on rapporte, que le brave qui se trouva privé de ce merveilleux spectacle ne put rien voir de semblable durant sa vie : car, s'il faut en croire les vieillards, un petit ruisseau de cette plaine, qui coule dans un lit peu profond, s'enfla tellement, non par la pluie, comme il lui arrivait quelquefois, mais par le sang des mourants, que, grossi outre mesure par ces flots d'une nouvelle sorte, il devint un torrent impétueux qui roula du sang ; en sorte que les blessés qu'amena sur ses bords une soif ardente y puisèrent une eau mêlée de débris humains, et se virent forcés, par une déplorable nécessité, de souiller leurs lèvres du sang que venaient de répandre ceux que le fer avait frappés.

Quel est ce petit ruisseau ?

Il existait encore au siècle dernier, avant que les lotissements ne le fassent disparaître. Il descendait du milieu du plateau et alimentait un petit lac qui, ensuite, par un simple fossé, alimentait les fossés de la forteresse.

Mais quelles étaient donc les motivations d'Attila ?

Tout simplement la faim. On se rappelle qu'Attila est déjà venu une première fois à Chalon, avant d'assiéger Paris et Orléans, On se rappelle que le roi burgonde lui avait cédé les trésors de la cité entreposés dans la tour pour que cesse le "butinage" pratiqué par ses troupes. Nul doute que la cité avait dû, alors, le ravitailler pour qu'il quitte la région. Nul doute qu'Attila y revenait pour la même raison. Car Chalon était riche en blé, César l'affirme, et ce blé, où était-il mieux gardé que dans l'oppidum de la forteresse ? (1)

Fuite d'Attila ; des chefs qui se perdent dans la nuit... une grande pagaille !

...Alors les Visigoths, se séparant des Alains, fondent sur les bandes des Huns ; et peut-être Attila lui-même serait-il tombé sous leurs coups, s'il n'eût prudemment pris la fuite sans les attendre, et ne se fût tout d'abord renfermé, lui et les siens, dans son camp, qu'il avait retranché avec des chariots...

Thorismund, fils du roi Théodérie, et le même qui s'était emparé le premier de la colline avec Aétius et en avait chassé les Huns, croyant retourner au milieu des siens, vint donner à son insu, et trompé par l'obscurité de la nuit, contre les chariots des ennemis ; et, tandis qu'il combattait bravement, quelqu'un le blessa à la tête, et le jeta à bas de son cheval ; mais les siens qui veillaient sur lui le sauvèrent, et il se retira du combat. Aétius, de son côté, s'étant également égaré dans la confusion de cette nuit, errait au milieu des ennemis, tremblant qu'il ne fût arrivé malheur aux Goths. A la fin, il retrouva le camp des alliés après l'avoir longtemps cherché, et passa le reste de la nuit à faire la garde derrière un rempart de boucliers. Le lendemain, dès qu'il fut jour, voyant les champs couverts de cadavres, et les Huns qui n'osaient sortir de leur camp, convaincus d'ailleurs qu'il fallait qu'Attila eût éprouvé une grande perte, pour avoir abandonné le champ de bataille, Aétius et ses alliés ne doutèrent plus que la victoire ne fût à eux...

...Aussi les Goths et les Romains s'assemblèrent-ils pour délibérer sur ce qu'ils feraient d'Attila vaincu ; et comme on savait qu'il lui restait peu de vivres, et que d'ailleurs ses archers, postés derrière les retranchements du camp, en défendaient incessamment l'abord à coups de flèches, il fut convenu qu'on le laisserait en le tenant bloqué. On rapporte que, dans cette situation désespérée, le roi des Huns, toujours grand jusqu'à l'extrémité, fit dresser un bûcher formé de selles de chevaux, prêt à se précipiter dans les flammes si les ennemis forçaient son camp ; soit pour que nul ne pût se glorifier de l'avoir frappé, soit pour ne pas tomber lui, le maître des nations, au pouvoir d'ennemis si redoutables...

...Durant le répit que donna ce siège, les Visigoths et les fils de Théodéric s'enquirent les uns de leur roi, les autres de leur père, étonnés de son absence au milieu du bonheur qui venait de leur arriver. L'ayant cherché longtemps, seIon la coutume des braves, ils le trouvèrent enfin sous un grand monceau de cadavres, et, après après avoir chanté des chants à sa louange, l'emportèrent sous les yeux des ennemis. Vous eussiez vu des bandes de Goths aux voix rudes et discordantes s'occuper des soins pieux des funérailles, au milieu des fureurs d'une guerre qui n'était pas encore éteinte. Les larmes coulaient, mais de celles que savent répandre les braves. 

Moi dans le tonneau de Diogène en 1982 et la tour de Taisey.

Renvoi 1 : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-allemagne-doit-elle-rendre-a-la-210391

Emile Mourey, 2 septembre 2020, dans 5 jours, je me fais opérer.



22 réactions


  • Lonzine 3 septembre 2020 11:04

    Emile Mourey, 2 septembre 2020, dans 5 jours, je me fais opérer.

    de quoi ?


  • Clark Kent Séraphin Lampion 3 septembre 2020 11:25

    Certains auteurs situent cette bataille du côté de Chalons en Champagne, près du lieu-dit éponyme de Duro Catalaunum, et non pas Chalons sur Saône, mais peu importe.

    C’est cette bataille et le repli romain qui s’en est suivi qui a donné aux Francs du Mérovée, simples auxiliaires du limes rhénan batave, une entrée officielle de protecteurs auxiliaires dans les cités du Nord de la Belgique seconde. Ce n’est pas un détail : c’est le passage du relais de l’administration civile romaine à la seule structure encore en place : l’église et ses évêchés. Pour le pouvoir « séculier », c’était le début des dynasties féodales, et on sait le parti que les Francs ont su en tirer.


    • Clark Kent Séraphin Lampion 3 septembre 2020 11:30

      @Séraphin Lampion

      Les Catalaunes étaientun peuple belge de la cité des Rêmes. Leur nom celte « Catu-vellauni » signifiait « les meilleurs au combat ». Leur territoire se situait dans l’actuelle région de Châlons-en-Champagne (Marne).


    • Clark Kent Séraphin Lampion 3 septembre 2020 11:31

      @Séraphin Lampion

      je souhaite que tout se passe bien pour vous dans quatre jours.


  • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 3 septembre 2020 11:50

    Qu’allait donc faire Attila à Chalon sur Saône alors qu’il faisait retraite d’Orléans vers Metz pour aller au-delà du Rhin et sauver ainsi tout le butin amassé par sa campagne en Occident ?

    Prenez une carte de France et voyez par vous-même. Quelle mauvais général vous auriez fait en passant par Chalon sur Saône pour aller d’Orléans à Metz !


  • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 3 septembre 2020 12:25

    A propos de la bataille des champs catalauniques entre Attila et Aetius, je ne comprends pas pourquoi dans le film « Attila », l’attaque d’Attila par des cavaliers est arrêtée par des marais et ils sont obligés de continuer à pied alors que je ne trouve pas de textes précisant le passage dans des marais ?

    Si quelqu’un connaissant bien les textes pouvait m’informer là-dessus ?


    • Clark Kent Séraphin Lampion 3 septembre 2020 13:24

      @Daniel PIGNARD

      L’épisode des marais n’a rien à voir avec la bataille des champs catalauniques qui a été un échec pour Attila, mais avec l’expédition, l’année suivante, des Huns contre l’Italie, en 452, au cours de laquelle il s’est enlisé dans les marais d’Aquilée où son armée a été décimée par les fièvres. Un accord avec le pape Léon Ier lui a permis de se retirer, mais il avait soudé contre lui les deux parties de l’empire romain, et l’Orient qui refusaient toujours de payer le tribut qui était l’objet du déclenchement des raids de ce peuple parasite qui voulait passer du statut de mercenaires à celui de dominants.

      La mort subite d’Attila en 453 (dans laquelle on a voulu voir un assassinat, sans que l’on en sache davantage) lui a évité de subir un échec encore plus retentissant. L’empire hun s’est délite dès 454 avec la révolte des vassaux gépides et ostrogoths et la défaite du Nedao, année où Valentinien III a fait assassiner Aétius.


  • Emile Mourey Emile Mourey 3 septembre 2020 13:45

    Je n’ai pas voulu charger mon article mais j’aurais pu ajouter que saint Maurice est un saint chalonnais et qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que le lieu se soit également appelé champs Mauriacus. Également pour les grandes distances que Johannès donne à la plaine. Il s’agit, bien évidemment de la plaine au nord de Chalon.


  • loulou 3 septembre 2020 15:40

     Bon courage à vous pour votre opération Monsieur Mourey. J’aime bien vous lire

     je vois que vous êtes vraiment très, très attaché au terroir de Chalon sur Saône.


  • rhea 1481971 3 septembre 2020 17:09

    Connaissez vous l’oppidum de La Cheppe ? Une butte circulaire sur laquelle

    nous randonnons parfois, c’est à une quinzaine de kilomètres de Chalons en

    Champagne. 


    • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 3 septembre 2020 18:41

      @rhea 1481971

      Malheureusement, La Cheppe est à l’Est de Châlons en Champagne et donc de l’autre côté de la Marne, or Sigebert le Boiteux, roi des Francs ripuaires, avait investi Catalauni (Châlons), seul point de passage de la Marne, et renforcé ses défenses. Attila n’avait plus le choix, le combat devait s’engager avant le passage de la Marne à Châlons..


  • Antenor Antenor 3 septembre 2020 17:47

    @ Emile

    Cela me fait penser au « Baptême de Clovis » de Bruno Dumézil où on se rend compte qu’on n’a en réalité aucune certitude sur où et par qui le roi des Francs a été baptisé.

    Bon courage à vous.


  • Emile Mourey Emile Mourey 3 septembre 2020 21:50

    Question traduction, je pense qu’elle est correcte dans l’ensemble. Il faut seulement comprendre que les grandes dimensions que donne Jordanès sont celles de la plaine, au nord de Chalon, de la Saône, à l’ouest, à la ligne de hauteurs des monts d’Agneux, à l’est ; que le mot « campus » ou coule le petit ruisseau ne doit pas se traduire par le mot restrictif de « plaine » mais par « terrain plus ou moins plat et dégagé »(favorable pour la manoeuvre) ; que dans le discours d’Attila, au lieu de la traduction « elles cherchent les hauteurs, s’emparent des collines, et, dans leurs tardifs regrets, sur le champ de bataille elles demandent avec instance des remparts », je proposerais plutôt celle-ci : Elles recherchent les meilleures positions, elles s’emparent des points hauts, et quand il n’y en a pas en terrain plat et découvert, il leur faut des remparts... ce qui s’accorde avec notre site de Taisey.


  • Emile Mourey Emile Mourey 3 septembre 2020 22:37

    De même

    Concernant la phrase de Jordanès : Erat autem positio loci (73) declivi tumore, in modum collis excrescens qui est traduite ainsi : Sur le terrain incliné du champ de bataille s’élevait une éminence qui formait comme une petite montagne, je propose une traduction lourde mais plus exacte : Il y avait une position du lieu, en forme de gonflement en pente, en forme d’excroissance montagneuse. Jordanès vient du nord faisant route vers Chalon. Il a l’impression que la plaine, plate jusqu’à Chalon se termine à sa droite par une sorte de gonflement mais il ne dit pas, comme le laisse entendre la traduction que le champ de bataille est la plaine ; dans la suite du récit, il faut comprendre que Jordanès veut dire que le champ de bataille est ce gonflement.


  • eau-mission eau-pression 4 septembre 2020 08:08

    Bonjour Monsieur Mourey

    Grâce à vous, quittant Beaune pour rejoindre mon Sud, j’ai pris les petites routes qui mènent à Mont Saint Vincent. Du haut de ce village endormi, il est fort possible qu’on comprendrait mieux l’histoire en vous y écoutant.

    J’aime beaucoup vos enquêtes sur les mensonges officiels, sur les affrontements des nomades et des sédentaires.


  • Emile Mourey Emile Mourey 5 septembre 2020 12:59

    « un petit ruisseau de cette plaine, qui coule dans un lit peu profond, s’enfla tellement, non par la pluie, comme il lui arrivait quelquefois, mais par le sang des mourants, que, grossi outre mesure par ces flots d’une nouvelle sorte, il devint un torrent impétueux qui roula du sang »

    Si j’en ai le temps et la force, j’essayerai de faire un article complémentaire. Cette histoire de petit ruisseau qui coulait sur le plateau et non dans la plaine, mauvaise traduction, s’explique très bien. Il s’agit d’un lac de retenue pour alimenter les fossés du château-fort légèrement en contre-bas. il faut comprendre que dans le feu de la bataille, les belligérants ont ouvert toutes grandes les vannes de retenue.


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