La course à la Lune (7)
Le jour d’après... pouvait-il y avoir un après Apollo XI ? Pas vraiment : dans leur frénésie à foncer vers la Lune, des deux côtés, on avait oublié de penser aux lendemains. Et même si on y avait pensé, il ne restait plus assez d’argent pour le faire correctement. Les américains répondront aux russes et leurs Saliout par Skylab... lancé le 14 mai 1973, au départ nommé Apollo Application Program, mais après plus rien. Jusqu’à l’arrivée de la Navette Spatiale, le 12 avril 1981 (date anniversaire du vol de Gagarine !) avec aux commandes John W.Young, auteur du rendez-vous spatial de Gemini, censée être un objet miracle qui allait faire du domaine spatial un domaine rentable, enfin ! Trente ans après la désillusion est cruelle : il ne l’a jamais été, rentable, et pire : il a tué 14 cosmonautes en 22 ans, alors que les américains en douze années n’en n’avaient perdu que trois avec Apollo (sans décès en vol). La NASA, depuis le Shuttle, qui devait faire dans l’utiltaire, a perdu sa dimension onirique. Et ce dès la sortie du hangar de l’engin censé faire autant rêver les foules qu’une fusée Saturn, un LEM ou une capsule Apollo. Les gens s’attendaient à un appareil révolutionnaire, ils voient débarquer.. un avion de la taille d’un DC-9. Enfin, quelque chose qui lui ressemble. La navette est banale, en design, même son lancement demeure impressionnant. Très impressionnant. Vraiment. Elle n’arrivera pas à capter l’attention des foules... sauf à deux reprises, dont on aurait pu se passer. La morbidité des spectateurs est effarante. La navette est un véritable engin de mort, et ce n’est pas avec la mort qu’on fait rêver à l’avenir.
Dés l’arrivée de la Saturne, d’abord modèle "mini", la S-1 (puis la S-IV et la S-V), puis la colossale V, on songe déjà au futur, en surfant sur les crédits faramineux alloués : dès 1966, des projets d’avion spatial apparaissent. Car il faut bien se rendre à l’évidence : le programme Apollo est une gabegie sans nom : sur les 2 700 tonnes au départ, on en récupère au final que... 5,8 : pas loin du 1/500 ème ! Le poids de la cabine, même lestée de ces pierres lunaires ou du club de golf de Shepard. On n’imagine donc l’avenir, mais à l’inverse : lancer quelque chose... mais pour pouvoir tout récupérer : le lanceur, comme l’engin lancé. Chez certains, ça ne fait plus qu’un et ça devient une espèce de 747 de l’espace. Délirant et bien trop ambitieux ! Les projets ne vont donc pas cesser pendant 5 ans, de 1967 à 1972, en ne cessant non plus d’être de moins en moins ambitieux... faute de crédits. La course à la Lune a coûté trop cher, le temps est déjà aux restrictions budgétaires.
La guerre du Viet-Nam après l’offensive du Têt du 30 janvier 1968 devient un gouffre, et les présidents successifs doivent trancher entre plusieurs projets : développer les expéditions, à savoir se préparer à aller sur Mars (et oui, déjà), établir la base lunaire fixe si longtemps annoncée ou se contenter de participer à un projet de base circumterrestre internationale, en fabriquant un engin ravitailleur qui puisse être facilement et régulièrement utilisable. Dans ce choix à faire, les militaires pèsent lourd : ils souhaitent avant tout une navette, à condition qu’elle ne soit pas petite et puisse emporter en soute ce qu’ils souhaitent. Un engin de transport, en somme, le Space Transportation System (STS) comme ils le désignent. Arme (laser ?), énorme satellite espion ou cabine spatiale autonome, les militaires ont fait leur choix : c’est eux qui imposeront la dimension de la soute de l’engin, capable de lancer des Lacrosse par exemple (de récentes vues échappées de LRO donnent des dimensions sidérantes à son radar !). Ce satellite espion est tellement grand qu’il est aussi visible au télescope ! Visible parfois même par pur hasard ! Leur parole sera doublement entendue : ce sera long et lourd, et ce sera disponible tout le temps. En théorie. Ils en profiteront largement en tout cas :"military space missions also accounted for part or all of 14 out of 37Shuttle flights launched from the Cape between August 1984 and July 1992." Pas loin de 40% des missions !
L’autre choix difficile est la façon de construire l’avion spatial : sera-t-il comme le X-15 en alliage de chrome sur squelette de titane ou sera-t-il en aluminium, recouvert d’une découverte récente, ses fameuses tuiles de silice expansée qui résistent à plus de 1500 °C ? Là encore, en 1967, on n’en sait rien. Rien ne sera décidé avant 1972, qui marque la dernière année des visites lunaires. Autant le dire tout de suite, entre les ambitions démesurées des militaires et les restrictions budgétaires, l’engin finalement construit ne pourra être que bâtard, une compromission volante qui ne tiendra en fait jamais ses promesses. Avec le Shuttle, la NASA va s’enfoncer en fait pendant quarante ans dans l’erreur. Promise pour redécoller tous les 15 jours, elle ne pourra jamais tenir le rythme en raison de sa fragilité congénitale, due à son revêtement de tuiles de silice. On aurait fait comme pour le X-15, ç’eût été effectivement tous les quinze jours.
La future navette conçue aux belles heures de la conquête lunaire où les crédits pleuvaient, avait donc belle allure, avec tout cet argent qui tombe. Ou plutôt les multiples projets avaient fière allure. A un moment, lors de l’avancée des réflexions, en 1970, on en recensait sept différents, figurés ici sur notre deuxième montage. North American Rockwell avait un projet en.... deux navettes totalement récupérables toutes deux : la plus grosse emmenait la première (1). C’est sa proposition Shuttle dite R134G. Une autre version annonçait une grosse navette, aidée au décollage par pas moins de cinq boosters à poudre (2), les tous nouveaux arrivés sur le marché. Un troisième projet la jouait DynaSoar (un projet avorté) dopé : un projet signé Lockheed Martin Marietta, car c’était une fusée Titan IIIL, de 4,6 mètres de diamètre, à quatre tuyères, aidée au décollage par un pack de 6 boosters à poudre façon Proton russe (3). La quatrième proposition était plus simple : un seul corps de fusée à poudre, mais énorme : 6,90 m de diamètre ! Ce corps ne serait pas récupérable (4). A l’époque,seul Aerojet General et Thiokol avaient fait l’essai d’un tel monstre ! Le cinquième (5) reprenait la Saturn S-1 C de Boeing qui avait fait ses preuves, avec l’option de le rendre récupérable par parachutes, quelque chose qui avait été testé mais avait été abandonné pour Apollo. "L’Orbiter" sur l’image proposée n’avait pas de "réservoirs" accolés, qui étaient néanmoins aussi proposés en option. Le sixième projet, toujours de Boeing, prévoyait le même premier étage, la S-1C (6), avec cette fois la navette montée dans son alignement et munie de ses réservoirs extérieurs. Enfin le dernier projet (7) reprenait encore la fameuse S-1C, mais cette fois ailée, pour en faire une navette porteuse comme dans le premier projet. Une évaluation des coûts de ce dernier projet donnait 1200 millions de dollars, 200 de plus que budget souhaité : une S-1C ailée est le projet le plus onéreux ! A noter que toutes utilisent le crawler du VAB.... pour réintégrer le fameux VAB. Là, au moins, on pense faire des économies !
On le voit, en 1972, alors qu’on attend une réunion importante en décembre de cette année là pour tenter de figer le projet, aucun n’est d’accord, et tout le monde hésite entre étage de Saturn à réutiliser, ce qui pourrait être économique (le développement est terminé) ou les gros boosters à poudre, qui viennent d’apparaître avec la gamme Titan, et dont on ne tarit pas d’éloges : récupérables, facilement stockables, se mettant en configuration de lancement très simplement, sans attendre le heures de remplissage, etc... à ce moment en effet, deux fusées emportent la même charge : la saturne 1-B et la Titan III-C. Or la première commence à l’emporter sur la seconde, grâce à la facilité d’emploi de ces boosters à poudre tous nouveaux... constitués d’éléments empilés retenus par des joints de caoutchouc compressé.
En mai 1971, le dessin définitif va progressivement se figer grâce à Max Faget celui qui a donné naissance à la forme de la capsule Mercury, et qui s’informe aussi beaucoup des essais des fameux "fers à repasser volants" qui viennent de rendre leur conclusion : contrairement à ce qui avait été pensé au départ, la future navette devra être plate sur le dessous ! La transformation hâtive d’un X-24 en X-24B beaucoup plus performant le démontrera avec brio. Et pour le démontrer, d’autres courageux s’y sont collés, à se laisser tomber comme des briques de 30 000 mètres de haut... sacré Dana, par exemple ! Les militaires, eux, s’ils jettent un œil distrait vers la navette auraient paraît-il développé en secret leur propre navette, beaucoup plus petite et lancée d’un appareil surnommé BlackStar, SR-3, sorte de XB-70 de taille moyenne, qui semble avoir hanté les cieux de l’Utah pendant des années avant d’être retiré en 2006, selon le très sérieux Aviation Week. Pour l’instant, nous n’avons aucune confirmation de l’existence de cet appareil, qui est fortement sujet à caution.
Si l’engin défini par la NASA ne pose aucun problème de construction (en gros c’est un banal avion) la protection choisie par Faget va tout de suite se révéler problématique : les fameuses tuiles céramiques. HRSI sont en cause. Lors de l’explosion de Columbia, les débris retrouvés ici et là donneront une bonne idée de la minceur de la protection. En dessous, le squelette de la navette, en aluminium ne résiste pas longtemps lors de la terrible rentrée. Elle est en effet bâtie comme un avion ordinaire, avec longerons et raidisseurs, et avec une coque extérieure d’aluminium, sur laquelle sont collées une à une les 31 000 tuiles. A certains endroits (sur le dessus notamment et sur les portes de soute) on remplacera progressivement les tuiles par un tissu (blanket) en fibre, résistant jusque 500° environ. la encore, les débris prouveront qu’il ne pouvait résister en altitude en cas de pépin. Des déboires que ne peut lui détecter son électronique toute rudimentaire . Informatiquement, c’est de l’archéologie, vue d’ajourd’hui : venu du B-52 et du F-15, il est rudimentaire, provient du vieux mainframe IBM 360, sorti en 1966, tourne à 3 petits Mégahertz, et offre 3,8 mo de RAM seulement. La séquence de vol est enregistrée sur bande et occupe 34 mégas, le logiciel proprement dit, en FORTRAN, fait 15 mégas. Les mémoires sont de ferrite...
Faget, lui, songe d’abord à une fusée complète chevauchée par une navette, puis soudain décide d’inverser réservoirs et moteurs : sa navette garde les moteurs, qui seront donc récupérés avec elle, et chevauche un énorme réservoir largable et au départ chez lui récupérable également. Pour soulever le tout au décollage, il accole deux boosters à poudre... largables et récupérables par parachute. Son engin récupère donc tout, et décolle par ses propres moyens. Il a trouvé la bonne formule. Plus tard, il s’apercevra que le réservoir central ; largué très haut , nécessite un trop lourd appareillage pour être freiné correctement : il abandonne l’idée, la navette spatiale est née. On ne récupérera pas tout, mais presque tout. Le 5 janvier 1972, le directeur de la NASA, James C.Fletcher, propose le projet à Nixon, qui l’approuve officiellement. Le responsable du projet nommé, Robert Thompson, représente le projet tel quel au président Nixon le 20 mars 1974... qui le regarde pensivement alors... a-t-il fait le bon choix, semble-t-il se dire ? A l’époque, la navette a un nez plus pointu, le réservoir central aussi, et de petits verniers sont disposés au bout des ailes dans des protubérances. Le design est figé, la mise en chantier pourra débuter quand on connaîtra le gagnant : on s’attend à Grumman, qui a proposé le projet la configuration la plus proche de celle retenue (voir les deux derniers schémas en bas de page). Le 6 juillet 1972, James Fletcher annonce que c’est North American Rockwell qui a été retenu. Et explique pourquoi : c’est le moins cher des quatre propositions devant Grumman, Mc Donnel Douglas, Lockheed. 2,6 milliards de dollars alors que les trois autres dépassent les 3 milliards. En contrepartie, les trois perdants se voient offrir 30% de l’offre globale. La navette démarre pingre dès le début. C’est un projet à l’économie, ce qui va dire que l’on va rogner sur tout. D’aucuns s’inquiètent déjà de la sécurité... à juste raison.
Le défaut de conception de l’engin, en fait, est donc bien côté protection contre la chaleur de rentrée. Si une seule tuile s’échappe, à un endroit crucial, l’aluminium en dessous ne tient pas longtemps : c’est arrivé à plusieurs reprises et l’engin est déjà rentré avec le métal atteint, mais la NASA a toujours caché l’importance de ses dégâts. Un exemple particulier et assez alarmant sur le comportement de l’instituton où rodent constamment les militaires, le démontre. Pour mémoire, rappelons qu’en 1968, les Russes sont à Prague et que la guerre des Six jours de 1967 a montré un besoin énorme en satellites photos : lors de cette guerre, les satellites Corona n’étaient pas prêts. Pour la Tchécoslovaquie les USA avaient lancé en urgence un satellite Gambit KH-7, puis deux Corona : le second avait effectivement montré les préparatifs de l’invasion ! A l’origine de la navette, il y a bien le poids de la CIA pour obtenir des lancements espions. La capture éventuelles dans l’espace de satellites russes n’étant pas totalement exclue non plus... En fait, les militaires n’avaient pas besoin de la NASA mais l’inverse si. "These Air Force leaders knew that they held the upper hand. They were well aware that NASA needed a shuttle program and therefore needed both the Air Force’s payloads and its political support. The payloads represented a tempting prize, for that service was launching over two hundred reconnaissance missions between 1959 and 1970." Les militaires n’avaient pas réalité besoin express de la navette, mais la NASA avait en eux un allié pour convaincre les politiques : "Yet while NASA needed the Air Force, the Air Force did not need NASA. That service was quite content with existing boosters such as the Titan III. "Sure, NASA needs the shuttle for the space station," Hansen said in the spring of 1970. "But for the next 10 years, expendables can handle the Air Force job. We don’t consider the Shuttle important enough to set money aside for it." En se pliant au format de soute exigé, La NASA vendait son âme, mais c’était ça ou... rien en période de restrictions de crédits. L’US Air Force demandait de la longeur, jusque 64 pieds, pour ses nouveaux satellites Big Bird, le KH-9 Hexagon, de plus de 11 tonnes, la NASA une soute large de 15 pieds pour les modules de la station orbitale. Ce sera en fait sa taille définitive.
Ce fameux vol de référence, c’est celui du lors du vol d’Atlantis de 1988, où des photos extrêmement alarmantes avaient été prises pourtant. Lors du vol STS 27 du 2 au 6 décembre 1988 en effet, avec Gibson, Mullane, Ross, Shepherd et Gardner, on était passé tout prêt de la catastrophe, comme l’a raconté plus tard son commandant de bord Gibson : "I will never forget, we hung the (robot) arm over the right wing, we panned it to the (damage) location and took a look and I said to myself, ’we are going to die,’" recalled legendary shuttle commander Robert "Hoot" Gibson. ( (resté un grand passionné du vol, c’est lui le pilote de RIFF-RAFF à Reno !) "There was so much damage. I looked at that stuff and I said, ’oh, holy smokes, this looks horrible, this looks awful.’" Or, rien n’avait filtré des préoccupations de l’équipage. Car on avait oublié une chose : les militaires utilisaient régulièrement la navette depuis ses débuts, et leurs missions n’avaient quasiment aucun écho dans les médias... Ce n’est qu’en 1991 que l’on a eu la liste des vols militaires du Shuttle. Avant, on était dans l’inconnu. Comme avec la mission STS-27 et même encore davantage que les autres cette fois : ce jour là, les cinq membres d’équipage embarquaient discrètement un des plus lourds satellite espion jamais largué : "Gibson, a former Navy test pilot, "Top Gun" graduate, chief astronaut and veteran of five shuttle missions, was at the controls when the shuttle Atlantis blasted off Dec. 2, 1988, on the second post-Challenger mission. Carrying a top-secret spy satellite, the mission was fully classified and all communications with the astronauts were blacked out." Et c’est bien là où ça coince depuis le début : cette fameuse navette est un véhicule militaire, ce qui inclut secret , désinformation, pour ne pas réveiller l’adversaire... soviétique (du moment), etc.... Les hommes à bord s’étaient pourtant inquiétés : "So I get on the mic and I call Houston and I tell them, Houston, we are seeing a whole lot of damage on the right wing, in the chine area and back on the right wing in the tiles. ... The ground comes back and says well, you know what, we need you guys to send us secure TV." Mais on les fera taire, pour une raison simple : la mission STS 27 était... en effet entièrement et uniquement militaire. Secrète de bout en bout. Elle lançait le USA-34, en fait le tout premier Lacrosse. Un monstre de la reconnaissance militaire, un satellite à radar à ouverture synthétique, capable de percer les nuages.. et même le sol ! Un énorme engin, visible encore aujourd’hui au télescope ! Les pilotes insisteront pourtant, mais rien ne filtrera à l’extérieur : "Because the mission was classified, no pictures or television were being downlinked, even to mission control. When the decision was made to send down TV images of the tile damage, the video had to be encrypted." La réponse de la NASA sera incroyable : alors que les cosmonautes craignaient à juste titre pour leur vie, on leur répond que tout va bien, que ce n’est pas grave : "We’ve looked at the images and mechanical says it’s not a problem," the mission control CAPCOM said, according to Mullane. "The damage isn’t that severe." Les occupants sont sidérés : "We couldn’t believe what we were hearing," Mullane wrote. "MCC was blowing us off." Gibson then chimed in, saying "Houston, Mike is right. We’re seeing a lot of damage." Rien n’y fera : "vous rentrez", leur répondra-t-on. Ce en quoi ils étaient bien obligés d’obtempérer, en bons militaires ou non. Le 6 décembre 1988, la navette aurait déjà pu exploser... Le 1er févier 2003, soit 15 ans après, le scénario prévu se déroulera : la même crainte, des dommages pires encore, et un ordre de rentrée qui se terminera en feu d’artifice au dessus du Texas, tuant sept cosmonautes de plus. Depuis 1988, la NASA savait que la navette spatiale était un danger public : elle n’a strictement rien fait pour en arrêter l’exploitation. Pour ce qui est des satellites-espions, rien n’a changé (sauf le lancement)... Surtout pas leur taille. USA 202 (NROL-26) n’a pas à rougir semble-t-il de son grand frère. C’est du gros... très gros. Ressemblant comme deux gouttes d’eau à son frangin, le bougre.
Car la Navette ne sera jamais réellement performante. Un tas de problèmes handicapent son exploitation dès le départ. Ses opérations de maintenance de tuiles qui ne peuvent être faites que manuellement prennent des heures. Voire des mois. Un robot coûteux avait été conçu, mais il était passé au travers de la coque ! Le repliage des parachutes de booster, qui est une vraie corvée. Son transport à dos de 747 en cas d’erreur d’atterrissage une opération lourde. Nécessitant un sacré équipement. Même chose pour sa préparation dans le VAB pour la hisser sur son crawler. Son réservoir central qui ne cesse de poser problème avec un revêtement qui pèle à chaque envol. Ou qui ne supporte pas la grêle. Dans ce cas, on improvise.... Un réservoir orange qui attire parfois d’étranges choses...(sans danger heureusement !). Les impacts de ce revêtement mettent en danger celui de la navette, bien trop fragile. Elle ne résiste pas non plus à un orage, qui remplit les interstices entre les tuiles et les décolle... la NASA conduira tardivement (en 1988) une étude sur le vol sous la pluie : elle sera affligeante pour la navette, l’année même où une catastrophe a failli se produire. Sans la remettre en cause pourtant ! A chaque averse prise, on ressort les lampes à infra-rouge. Et on sèche. Tant qu’on peut. L’engin du siècle s’éponge au Kleenex ! Et on recolle ce qui est décollé. A certains endroits, faire des retouches devient de l’acrobatie. Tout cela sans marcher dessus : vous ne verrez jamais quelqu’un le faire : il passerait au travers des tuiles ! En vol, on en est aujourd’hui à faire des tournées d’inspection au bout du bras orientable, au cas où.... A chaque décollage, on craint que ça soit pire que la fois précédente. On vit dans l’angoisse de ce qui devait un jour où l’autre arriver avec un engin aussi dangereux. Une première fois, faute à un booster trop froid, puis une seconde, en raison d’un bloc de mousse détaché du réservoir central. En tout, 14 morts ! Et ça faisait au moins quinze ans qu’on le savait quand ça s’est produit ! Rien n’avait été fait, rien n’avait été changé : rien n’était modifiable en fait. L’appareil était vicié depuis sa première sortie du hangar et son premier voyage à dos de 747 en 1979 : ce jour-là déjà, il en avait perdu des tuiles, près de 40 % ! Image catastrophique ! Bref, la Navette ne sert à rien, comme je l’ai dit ailleurs : "un congressman républicain du Texas, Tom DeLay, a même affirmé début 2002 que la NASA "manquait de vision d’avenir". D’autres s’étaient gaussés de l’envoi de John Glenn dans la navette en affirmant "36 ans après avoir envoyé John Glenn en orbite, la NASA a finalement réussi à renvoyer John Glenn en orbite“, pour montrer l’immobilisme de l’agence spatiale US". Ce qui est montré du doigt, surtout par Sally Ride, ancienne cosmonaute, lors de l’enquête sur Columbia, c’est l’effroyable "culture du succès continu" de la NASA : "vous survivez, et tout d’un coup cela devient normal" : exactement le cas du Vol STS 27 ; ou cela a été considéré comme "normal" de pareils trous dans la coque ! Depuis le premier vol, les tuiles sont un risque majeur : qu’a fait la NASA pour l’éliminer ? Rien ! Lorsque un ingénieur verra les dégâts au décollage de la navette plombée, il demandera de la faire examiner au télescope : comme il n’avait pas spécifié sur sa demande "urgent", on n’a pas accédé à sa requête. C’était trois jours avant la catastrophe : la bureaucratie aussi, tue. On a rabioté à la création de la Navette, mais aujourd’hui la NASA a un corps d’astronautes bien trop important : 170 personnes, chacune coûtant 1 million de dollars par an. Qui ne s’entraîne qu’une fois par semaine, le reste du temps ils sont "experts techniques". La bureaucratie, je vous dis !
Sur le papier, pourtant, ces tuiles semblaient efficaces. Ces boosters sont récupérables et réutilisés, mais c’est tout : à chaque lancement, le réservoir central brûle et disparaît dans l’Atlantique : des beaux projets entièrement réutilisables de l’après Apollo et leur "espace rentable" il ne reste que cette pêche dérisoire aux boosters. Comme une pêche aux (vilains) canards. La NASA, surtout, en acceptant de maintenir en vol cet engin de mort a bel et bien perdu son homme des années 60 et 70 : au plus fort de la tension avec les soviétiques, elle n’avait pas fait atterrir Apollo X qui était en capacité de le faire, pourtant : son directeur de l’époque avait choisi d’assurer la sécurité avant tout de ses cosmonautes. Depuis la Navette, la sécurité, elle s’en fiche : c’est là aussi où le rêve a disparu. La politique tue, et les sept cosmonautes de Challenger en sont morts : Reagan tenait à son lancement, malgré le froid de canard qui sera à l’origine de la faiblesse d’un des boosters. L’auteur de l’ouvrage mémorable qui le raconte avait tout décelé la décision inopinée mais aussi les traficotages de la commission d’enquête officielle, parmi lesquels des membres corrompus de la NASA : "Tracing the history of the space shuttle’s design and development, Cook leads readers step-by-step, decision-by-decision to the tragic event. Rather than an accident, Cook concludes that the disaster was the result of Reagan’s autocratic management style and closed-door decision-making process. Further documentation shows how the Rogers Commission, charged with investigating the explosion, was conceived as part of a cover-up effort, which also included collusion by some NASA managers, White House operatives and commission head William Rogers." Selon Richard C.Cook, Morton Thiokol, Inc et la NASA, magouillaient déjà à l’époque, en 1986. Une situation qui a largement perduré depuis.
Cook avait aussi noté une chose fondamentale : dans la navette, on avait fait l’économie de... sièges éjectables. Gemini en avait, on l’a vu, et Mercury et Apollo étaient munis d’une tour de sauvetage qui avait fait ses preuves durant tous les tests de sécurité. Un seul véhicule n’en avait aucune de sécurité : la Navette Spatiale ! La NASA avait choisi de ne rien prévoir, afin de ne pas grever la charge d’emport de son engin !! Voilà où est le scandale depuis le début dans cette satanée navette : jamais un James "Jim" Webb n’aurait toléré cela ! Car fait plus étrange encore, lors des 4 premiers vols de la navette, qui ne se feront qu’à deux occupants, les photos montrent clairement la présence de sièges éjectables ! Qui a bien pu décider de s’en passer pour les autres vols ? Il fallait certes prévoir aussi des éjections vers le bas façon B-52... mais pourquoi donc avoir fait l’impasse là-dessus ? L’engin était efficace, pourtant : c’était celui du SR-71 ! Avec ça, les cosmonautes de Challenger ne seraient peut-être pas morts... (pour Columbia, il n’y avait rien à tenter d’autre que de réintégrer l’ISS et d’attendre un véhicule de secours (ou trois Soyouz ?).
En réalité, on a condamné les cosmonautes du Shuttle dès le début : "For the first time in NASA’s history, they neglected the lives of their astronauts by creating a space flight system that did not give a crew the chance to escape during the launch phase of a flight because creating a launch phase abort system was too expensive and would reduce the lift capability of the shuttle and thereby making it useless to the US military" dit intelligemment un lecteur de Cook. La NASA, avec la navette, a tout simplement vendu son âme au diable. Elle l’a vendue à des militaires, qui n’auraient pas soutenu un projet n’atteignant pas la charge nominale qu’ils souhaitaient !
En tentant de faire d’un objet mal conçu un objet rentable, alors qu’il ne l’aura jamais été, la NASA s’est elle-même condamnée à ne plus assurer sa mission exploratrice. Seules de remarquables sondes le feront dont les deux magnifiques Voyager. La NASA, depuis le choix de ce produit bâtard plombé par un manque de crédit à la naissance navigue à vue et maintient à bout de bras ce véhicule obsolète qui rouille de partout et met en danger ses occupants. Pire, elle n’a même pas su prévoir la transition ! Dès l’année prochaine, les vols vont s’arrêter... Discovery en 2010, Atlantis en 2011 et Endeavour en 2013, sur les derniers projets tirés au cordeau. La navette est à bout, et est la risée de tous les journalistes spécialisés qui moquent ses boulons de séparation perdus (ou pas récupérés) ou ceux de sa baie, de ses morceaux intermédiaires de céramique qui pendent ou encore ses pièces qui rouillent. Bonnes pour le musée, à 42 millions de dollars l’unité : cher pour un engin raté. Avant, c’était...un don... gratuit. La NASA est tombée bien bas... en effet.
En 1994, la NASA avait mis sur rail un projet de remplaçante assez formidable sur le papier : c’était le X-33 Venture Star, à décollage vertical sans booster, et atterrissage façon Navette. Avec un procédé très innovant comme tuyère, la RS-2200 : la moitié d’une tuyère normale ... appellée Areospike. L’engin délivrait 542 000 livres de poussée ! La maquette (taille 1/2) avec ses réservoirs spéciaux en fibres de carbone malheureusement explosera en 1999... Extérieurement, elle abandonnait les tuiles pour revenir à des carreaux d’Inconel, le matériau du X-15, monté sur une structure en aluminium. mais le projet sera tué par quelque chose d’autre : l’arrivée au pouvoir de G.W. Bush qui ampute tous ses budgets en 2001. Elle avait pourtant un fervent supporter avec ....Al Gore. C’eût été en fait une navette... réussie. On avait dépensé 1,2 milliard de dollars pourtant sur le projet. L’équipe de Bush a fait plus encore : elle a aussi tué le DSCOVR, dont le lancement avait été réclamé par tous les scientifiques. Cent millions de dollars de plus à la poubelle. Or c’était le satellite que choyait particulièrement aussi Al Gore ! En novembre 2008, on l’a ressorti de son placard : un lancement cette année serait un signe fort à l’encontre des 8 dernières années d’errance de la NASA. C’est toujours envisagé.
La NASA a en fait besoin d’un sérieux coup de balai : ni Griffin (nommé en 2005), ni auparavant O’Keefe (arrivé en 2001 et ancien du bureau de Cheney) n’ont été à la hauteur et on conduit l’administration spatiale US où elle est aujourd’hui, à savoir en priorité au service des militaires. Le second avait refusé d’aller réparer Hubble, le premier est au moins revenu sur sa décision : or Hubble (HST) est une des rares réussites que l’on peut attribuer à la navette. Griffin avait assuré que l’homme serait sur Mars en 2037. Ça n’a prend pas le chemin : les priorités, aujourd’hui, sont plus... terre à terre. La récente nomination d’un ancien cosmonaute à la tête de la NASA va peut-être la remettre debout. William Bolden est pourtant.... un ancien marine... qui souhaite s’engager vers Mars mais qui a très bien saisi le problème actuel : la jeune génération n’a aucune envie de devenir cosmonaute : "Years ago, when I went to speak in schools and asked, ’How many of you want to be astronauts ?’ all the hands went up," Bolden said. "Now only two or three hands go up." Le déficit affectif de la NASA est là. Personnellement, je ne pense pas que de faire miroiter vingt ans à des loupiots un atterrissage sur Mars va en faire des recrues potentielles. Faire rêver vingt ans est une tâche impossible : il avait fallu huit longues années à Kennedy, en relançant tous les deux ans avec un nouveau projet (Mercury, Gemini, Apollo) et juste après, les gens avaient relâché leur enthousiasme. La tâche de Bolden s’annonce.. titanesque. L’Amérique n’a plus les moyens de s’y rendre, financièrement et... psychologiquement.
Et quand bien même elle le ferait, ce n’est pas avec les projets Orion et Constellation (et leurs airs de déjà vus) qu’elle va faire rêver le monde. Celui qui fait rêver, depuis plusieurs années, c’est Burt Rutan, plus la NASA.