La fable de l’énergie nucléaire : réparer 56 réacteurs rouillés ; construire 14 EPR !
Emmanuel Macron a décidé la construction de 14 EPR d’ici 2050. N’aurait-il pas eu les informations pourtant diffusées dans la presse libre, que voici. Ou alors, affabulerait-il ?
Après avoir dans mes dernières chroniques à lire sur Agoravox, recensé les « recasés de la macronie » (Nouvel adage : « Marcher aux côtés d’Emmanuel Macron porte bonheur » ) ; avoir essayé de vous éclairer sur les superprofits (Les superprofits ? Puisqu’on vous dit que on ne sait pas ce que c’est ! ) ; voici des informations que la plupart des média oublient de vous donner sur l’état de nos centrales nucléaires.
Leur source est principalement le Canard Enchainé qui cite d’autres média…
Ici, elles sont parfois rapportées telles quelles.
Après avoir été renationalisée, EDF qui essaie de réparer nos vieux réacteurs rouillés, sera aussi chargée de la construction des fameux EPR, après ceux de Flamanville, Chine et Finlande. Petit bémol. Aucun de ceux qui sont achevés, ne fonctionne toujours pas normalement, quand il fonctionne.
Face à l’envolée des prix de l’électricité, pour protéger les consommateurs, Emmanuel Macron a obligé EDF à vendre à ses « concurrents » 20 millions de mégawatts-heures (MWh) à 50 euros le MWh quand celui-ci en valait 100 au prix du marché : coût pour EDF 10 milliards en 2022. Emmanuel Macron a financé la solidarité nationale avec l’argent qui n’appartient pas à l’État. Comme en 2017 il avait fait financer la baisse des cotisations sociales des salariés par l’augmentation de la CGS des retraités.
Donc voilà l’entreprise la plus endettée de France, 42 milliards d’euros, armée pour mener à bien sa mission vitale pour la France. L’estimation basse du coût des six premiers EPR s’élève à 53 milliards. Sachant que le devis initial prévu en 2012 pour celui de Flamanville a été multiplié par six, de 3,1 à 19 milliards, et ce n’est pas définitif, on peut frémir.
Dernier point mais pas le moindre. EDF privatisée a vu partir à la retraite les techniciens ayant construit nos centrales nucléaires. EDF emploie désormais 20 000 intérimaires et doit gérer la pénurie de soudeurs spécialisés pour le nucléaire.
Il faut dire qu’en 2017 la volonté de fermer 17 réacteurs sur 56 d’Emmanuel Macron visionnaire annonçait l’abandon de cette filière énergétique.
Où en sommes-nous ?
Examinons d’abord la situation de nos vieilles centrales nucléaires qui fonctionnent plus ou moins mais pas toujours.
« Au 20 septembre 2022, 27 des 56 réacteurs, répartis sur 18 sites, sont à l'arrêt ». (Ouest-France, le 22/09/2022.)
Les macroniens ont été chargés de colporter les éléments de langage suivants : « à cause du covid les travaux normaux d’entretien n’ont pas pu être réalisés et on est en train de rattraper le retard mais il n’y aura pas de problème. »
Sans doute la plupart d’entre eux n’ont jamais entendu parler des réseaux de sécurité, les RIS, destinés à noyer le cœur nucléaire des centrales en cas de surchauffe. Dans ces circuits de secours ont été découverts des points de rouille, des craquelures, des phénomènes de corrosion susceptibles de conduire à leur rupture brutale à Chooz, Penly, Chinon, Civaux et dans d’autres lieux. L’une des canalisations RIS de la centrale de Civaux était fissurée sur l’ensemble de sa circonférence, à une profondeur pouvant atteindre jusqu’à 6,48 mm.
Lors d’un incident grave, si ces soudures venaient à se rompre il serait très difficile d’endiguer l’emballement de la fonte du cœur nucléaire.
Dans l’immédiat, les techniciens s’activent pour remettre en état le maximum de canalisations et de soudures défectueuses. Le travail est si complexe et la main-d’œuvre spécialisée si rare, que le 25 août, EDF a dû annoncer un nouveau retard dans la remise en service à Catenom et à Penly.
Quant aux réparations des anomalies découvertes à Chooz et à Civaux, en avril EDF ne savait toujours pas quand elles commenceraient.
Aujourd’hui même : « Quatre réacteurs concernés par les problèmes de corrosion redémarreront plus tard que prévu, a annoncé EDF dans un communiqué publié ce jeudi 3 novembre. Il s’agit des réacteurs de Cattenom 1 et 3, de Penly 2 et de Chooz 1. » France bleu – France 3
La suite semble d’autant plus sombre que la défaillance des soudures pourrait relever d’un défaut de conception et pas de l’usure.
Quand leurs tuyaux seront réparés, les centrales pourront fournir autant d’électricité que nécessaire tout au long de l’année.
C’est sans compter avec le réchauffement climatique.
Les centrales nucléaires ne peuvent pas fonctionner sans l’apport de quantité énorme d’eau pour refroidir leurs circuits. C’est pour cela qu’elles sont construites en bord de mer ou le long d’un cours d’eau.
Les sécheresses peuvent tarir provisoirement certains fleuves obligeant à réduire voire à stopper la production des centrales riveraines.
Les canicules augmentent la température de l’eau rendant le refroidissement plus difficile et provoquant des rejets à trop haute température pour la biodiversité fluviatile.
Exemple : pour la centrale du Bugey entre 2014 et 2022 l’écart autorisé entre la température des eaux puisée et rejetée est passé de 1 à 3° en moyenne ce qui signifie qu’il peut atteindre 6° en pointe désormais. Pour une eau en entrée à 26° cela fait une eau en sortie jusqu’à 32° : mortelle pour la flore et la faune fluviatiles.
Cela a été autorisé aussi pour les centrales de Golfech, Saint-Alban et Blayais.
Même avec ces nouvelles normes certaines de ces centrales ont dû quand même être arrêtées cet été.
En tout avec les centrales touchées par la corrosion ce sont 30 réacteurs qui ont dû stopper depuis le début de l’été.
« Le 26 juillet, l'Autorité de sureté nucléaire (ASN) a validé la stratégie proposée par EDF pour contrôler le phénomène de corrosion sous contrainte (CSC) découvert dans plusieurs réacteurs nucléaires. EDF prévoit de contrôler l'ensemble de ces réacteurs d'ici 2025, en priorisant le contrôle des zones les plus sensibles comme le système d'injection de sécurité (RIS). »
(Actuenvironnement.com, 28 juillet 2022.)
Le 27 octobre 2022 le directeur exécutif d’EDF a annoncé que le coût du chantier complet évalué il y a 6 mois à 18,5 milliards d’euros, va finalement s’élever à 32 milliards pour la seule année 2022.
(Les Échos, du 27 octobre, cité par le Canard enchainé le 2 novembre 2022.)
En France la sécurité des centrales nucléaires est garantie. Pourquoi alors cacher certains incidents graves.
Centrale de Tricastin dans le Vaucluse.
« Dans la nuit du 29 au 30 août 2018 une fuite d’eau finit en véritable inondation sur plusieurs niveaux du bâtiment électrique en zone nucléaire contrôlée. L’eau ruisselle du plafond et dans certains locaux il y a jusqu’à 10 cm d’eau au sol. 24 heures après sa découverte, la fuite n’est toujours pas soldée. »
« Le 15 juin 2017, on s’est retrouvé avec une surpuissance du réacteur numéro 1 pendant 45 minutes. À Tricastin, c’était la troisième fois de l’année que cette centrale vivait un évènement de surpuissance. Le précédent en avril 2017 avait duré 6 heures.
- Quels sont les risques liés à la surpuissance ?
- (…) En d’autres termes, on est un peu en aveugle. En cas d’accident, on pourrait, par exemple, augmenter la probabilité de fusion du cœur du réacteur nucléaire. »
Propos recueillis auprès d’un cadre de la centrale par le journal indépendant Reporterre.net, le 17 février 2022, en complément de l’article du Monde, « Tricastin dénonce une politique de dissimulation d’incidents de sûreté », publié le 12 novembre 2021.
« EDF avait initialement envisagé une durée de vie de 40 ans. Les centrales concernées sont les plus anciennes : Bugey (Ain), Blayais (Gironde), Chinon (Indre-et-Loire), Cruas (Ardèche), Dampierre (Loiret), Gravelines (Nord), Saint-Laurent (Loir-et-Cher) et Tricastin (Drôme). (…) les plus anciennes du parc français, mises en service pour l’essentiel dans les années 1980. »
(Le Parisien avec AFP, le 25 février 2021.)
Aussi l’obsolescence du parc est une évidence. Le réparer et l’entretenir en respectant les normes de sécurité deviendra de plus en plus coûteux voir financièrement insupportable.
Examinons maintenant la situation des EPR.
D’abord ceux qui existent ou presque, les fleurons de la technologie française : Olkiluoto en Finlande mis en service avec 12 ans de retard en décembre 2021 ; Taishan en Chine, démarrage 6 juin 2018, premier incident 14 juin 2021 ; toujours en construction Hinkley Point en Angleterre et l’interminable Flamanville.
À Taishan les problèmes suivants ont été identifiés : les gaines de zirconium censées protéger les crayons de combustible se sont fissurées laissant fuir des gaz rares et radioactifs dans le circuit de refroidissement ; rupture des dispositifs de maintien des crayons, du coup ceux-ci bourrés de pastilles d’uranium gigotent tellement qu’ils ont percé leurs gaines protectrices.
En conséquence, en juillet 2021, l'un des deux réacteurs de Taishan a été mis à l'arrêt. Il a redémarré le 16 août 2022 un an après. Et la puissance de l’autre a été réduite par précaution.
Après 6 mois, en juin 2022 à Olkiluoto l’EPR a dû être arrêté en urgence car un corps étranger a été détecté dans le circuit vapeur de la turbine de la centrale menaçant de tout casser.
Inquiétant d’autant plus qu’on a aussi trouvé des débris métalliques perturbant le fonctionnement des cuves des réacteurs chinois.
Le 21 juillet 2022 l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a rédigé un “avis 2022-00154” épinglant une anomalie de conception découverte sur la partie inférieure de la cuve des EPR français et chinois.
« Selon une information du quotidien Libération, une partie des systèmes de pilotage du réacteur nucléaire troisième génération de 1650 MW, toujours en construction sur le site manchois, connaît une “défaillance structurelle”. Le problème, connu depuis 2019, concerne deux systèmes de contrôle : le système de mesure de la puissance nucléaire (RPN) (…) et le système d’instrumentation interne du cœur (RIC). »
(L’usinenouvelle, 20 Juillet 2022.)
Jusqu’à présent il s’agissait de prototypes. Les nouveaux EPR, des modèles de « série », seront équipés différemment : la double enceinte capable de résister à la chute d’un avion redeviendra unique ; les quatre générateurs de vapeur ne seront plus que 3 ; le récupérateur de corium bouclier en fonte destiné à éviter un désastre si le cœur fond ne sera plus qu’une dalle de béton.
C’est comme ça, pour 53 milliards, faut pas rêver.
Dernière branche d’une filière d’énergie nucléaire le traitement des déchets.
L’ASN, autorité de sureté nucléaire, a publié le 1er mars 2022 une note d'information titrée « Fragilités du “cycle du combustible” nucléaire : le collège de l’ASN a auditionné EDF et Orano. »
Orano est l’entreprise publique qui retraite les détritus ionisants.
En voici l’essentiel :
« L’usine de Melox connait toujours de grandes difficultés pour produire du combustible MOX pour les réacteurs d’EDF avec la qualité et dans les quantités attendues. Ces difficultés entraînent la production d’une quantité importante de matières radioactives contenant du plutonium qualifiées comme des “rebuts MOX”, lesquelles sont ensuite entreposées dans l’usine de La Hague. (…) À la demande de l’ASN, les exploitants auditionnés ont élaboré et présenté différents scénarios prospectifs (…) les scénarios étudiés conduisent à une saturation possible des entreposages de combustibles usés avant 2030 (…) la poursuite d’un fonctionnement dégradé de l’usine de Melox ou toute autre situation affectant le bon fonctionnement des usines du “cycle du combustible” pourrait conduire à un engorgement des entreposages de matières. »
Le volume des déchets radioactifs générés par les centrales s’élève à près de deux millions de mètres cubes.
Un rapport du ministère de la transition écologique sur le sujet n’a toujours pas été publié mais le Canard enchainé a pu consulter un texte provisoire barré de la mention “version projet”. Voici des extraits de l’article publié le 16 février 2022 par le journal :
« Il (le rapport) ne livre aucun chiffrage financier et ne propose aucune orientation ferme, alors qu’il y a le feu : les “piscines” d’entreposage et de stockage des déchets du centre de retraitement de la Hague sont presque pleines. Une date est tout de même avancée : elles seront saturées en 2030. Un risque sur lequel l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avait alerté il y a plus de vingt ans !
Bah…une nouvelle piscine devrait être construite d’ici à 2034, et, comme on dit à Flamanville : “Dans le nucléaire, sur les délais, on est intraitable !” »
Le 1er juin 2022, toujours le Canard enchainé a publié un article titré : « Des poubelles nucléaires françaises aussi vérolées que les réacteurs d’EDF. »
En voici les passages les plus parlants.
« (…) l’État et EDF doivent également faire face à de méchantes attaques de rouille rongeant les installations de retraitement des déchets atomiques des usines à la Hague (Manche). (…) Les évaporateurs (de gros engins destinés à concentrer les résidus) se sont corrodés d’une façon “beaucoup plus importante que prévu et qui s’est accélérée”, comme l’a expliqué le patron de l’ASN, le 17 mai 2022 devant des parlementaires. (…) Depuis 2015 Orano n’a pas fait grand-chose pour accélérer le remplacement des pièces défectueuses, conçues pour durer 30 ans. (…) Résultat de cette lenteur : l’un des trois évaporateurs de l’une des usines de la Hague a dû être débranché – en urgence – à l’automne 2021. “Il n’y a plus de marge”, se lamente le grand chef de l’ASN. En clair ? Si la rouille continue sa progression, il faudra arrêter l’usine sur-le-champ et laisser les déchets radioactifs s’entasser à la Hague… (…) En effet, les piscines de la Hague, qui accueillent les déchets en attente de retraitement, fonctionnent en flux tendu. En cas de panne durable, EDF pourrait donc être obligé de mettre des réacteurs supplémentaires au repos. (…)
Certes EDF a programmé la construction d’une immense piscine bunkérisée et centralisée destinée à “durer cent ans”. Cependant, - c’est ballot ! -, cette merveille technologique ne sera prête qu’en 2034 alors que les vieilles piscines existantes afficheront complet en 2030. (…)
Autre bombe à retardement, le plutonium. Ce poison hyper-radioactif est extrait des déchets nucléaires à la Hague, puis envoyé à Marcoule (Gard), où une autre usine Orano le purifie et le mélange à de l’uranium pour en faire du MOX, le carburant qui alimente certaines centrales. (…) Veillot, le site de Marcoule ne tourne qu’à la moitié de sa capacité et recrache une quantité phénoménale de rebuts plutonifères qu’il faut ensuite … réexpédier à la Hague, retraiter de nouveau et refaire partir à Marcoule ! (…) En avril, la cote d’alerte des stocks à la Hague était si proche que l’ASN a dû autoriser “en urgence” Orano à augmenter la capacité de ses magasins de déchets de plutonium… »
Épilogue.
56 réacteurs, plus 6 EPR puis 14, rafistoler les anciens, construire les nouveaux, entretenir tout ça, renationaliser EDF, prévoir les infrastructures de traitement des déchets, pérenniser l’approvisionnement du minerai nécessaire dont les gisements s’épuisent et pour lequel la France dépend entièrement, selon Libération, 5 juillet 2022, « du Niger (34,7 %), du Kazakhstan (28,9 %), d'Ouzbékistan (26,4 %), d'Australie (9,9 %). »
Pire.
Une pénurie de minerai similaire à celle du gaz russe en Allemagne actuellement, par exemple à la suite de troubles ou d’un refus de vente dans l’un de ces pays, est parfaitement possible et même envisageable : il faudra plus qu’un col roulé et une polaire pour surmonter la catastrophe.
Décidemment le Guide Suprême de la Macronie a pris goût au quoi qu’il en coûte. Quoi qu’il en coûte aussi des risques de catastrophe nucléaires, de manque d’uranium et de pénurie d’électricité.
Pour finir Emmanuel Macron visionnaire n’a pas vu qu’en 2040 le kilowattheure nucléaire coûtera trois ou quatre fois plus cher que le kilowattheure photovoltaïque ou éolien.
Emmanuel Macron n’est pas le seul à croire ou à faire semblant de croire à la fable de l’énergie nucléaire, mais c’est lui qui décide. Une fois qu’il faut fermer 17 réacteurs (2017), une fois qu’il faut construire 14 EPR (2022).
Et demain quand il se rendra compte que ce n’est pas possible ?
Si vous êtes arrivé au bout de cette chronique alors vous avez constaté à quel point on est tenu dans l’ignorance si on ne fait pas l’effort de s’informer soi-même. Et donc combien on est incompétent pour valider un choix “démocratiquement”.
Pourtant, si un péquin ordinaire comme moi a su trouver toutes ces informations essentielles, c’est bien la preuve que tous ceux qui le jugent nécessaire comme citoyen, peuvent y arriver aussi.
Mais en France on est libre. Libre de voter à la tête du candidat ou en suivant le troupeau conduit par des média partisans ou de ne pas voter du tout. C’est encore le comportement le plus honnête.