La fin de régime permanente
Un peu plus d'un an de macronisme, et déjà une impression de fin de régime ... Et si c'était la V° république elle-même qui était en cause ?
En Europe, la France est un des rares pays à posséder un régime présidentiel. Tous les autres ont-ils tort ? La dérive du régime présidentiel français est pourtant évidente. De réforme en réforme, les pouvoirs du président augmentent régulièrement. Peut-on en dire autant de la qualité des présidents en exercice ? Citons quelques noms : De Gaulle, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron.
Lorsque la V° république a été instituée, le président n'était pas élu au suffrage universel, mais par un collège d'élus. Cette disposition limitait sérieusement les pouvoirs réels du président. La cinquième république, à ses débuts, restait donc un régime parlementaire. Trois réformes ont fâcheusement modifié les choses.
La première a été l'élection du président au suffrage universel en 1962. Elle a donné à celui-ci une légitimité qui a augmenté considérablement son pouvoir réel.
La seconde a été la réduction de la durée du mandat présidentiel, qui a limité l'usure du pouvoir.
La troisième a été l'inversion du calendrier qui fait que les élections législatives suivent directement l'élection présidentielle.
Les deux dernières réformes ont eu des conséquences catastrophiques. En effet, lorsque le mandat présidentiel durait 7 ans, alors que l'assemblée était élue pour 5 ans, il y avait obligatoirement des législatives au cours du mandat présidentiel. En 1986, 1993 et 1997, le président a ainsi perdu sa majorité au parlement, ce qui a provoqué de fait le retour à un régime parlementaire, appelé "cohabitation". Tous ceux qui ont connu ces époques ont pu observer que le pays a été gouverné sans crise particulière. Dés lors qu'on a fait coïncider les durées des mandats du président et des députés, les cohabitations sont devenues impossibles, alors même qu'elles entravaient la dérive monarchique du pouvoir.
L'inversion du calendrier est encore pire. Rappelons de quoi il s'agit. Avant que la durée du mandat présidentiel ait été ramenée à cinq ans, le calendrier prévoyait que les législatives auraient lieu un peu avant la présidentielle. Mais celui-ci a été inversé pour que les législatives se tiennent dans la foulée de la présidentielle. Les parlements-croupions que nous connaissons actuellement sont en grande partie la conséquence de l'inversion de calendrier. En effet, nous avons tous constaté que les élections législatives sont devenues sans enjeu.
De réforme en réforme, la France se rapproche de plus en plus de certains régimes présidentiels qui ne sont pas réputés pour être des modèles de démocratie. Les États-Unis ont aussi un régime présidentiel, mais on pourra remarquer que le parlement y dispose de plus d'influence qu'en France et que les élections de mi-mandat existent toujours.
Beaucoup de citoyens rêvent aujourd'hui d'une VI° république. Je pense qu'ils peuvent encore attendre longtemps. En effet, les seules façons de changer la constitution pour sortir du présidentialisme sont de réunir le parlement en congrès ou bien d'organiser un référendum. Dans la pratique, il faut donc "prendre" la présidence pour mettre fin au présidentialisme, ce qui paraît assez contradictoire.
Pour sortir de ce présidentialisme sclérosé, la première chose à faire serait de mettre fin à l'inversion du calendrier, en replaçant les élections législatives avant la présidentielle. Sans remettre en cause fondamentalement les institutions, une telle disposition mettrait fin à leur dérive vers le pouvoir personnel.
Illustration : Ubu roi, par Alfred Jarry 1896