La FNER (fédération des écoles rurales) : entre démagogie et irresponsabilité
C'était il y a dix ans. Professeur des écoles remplaçant dans le département de l'Aisne, très rural, l'inspection de circonscription m'appelait un matin (presque au secours !) pour reprendre une classe multi-niveaux située dans une école d'un patelin pommé en rase campagne. La collègue titulaire avait abandonné le poste (dépression nerveuse), une remplaçante s'était aussi cassée les dents. C'est que les vingt-trois élèves de ce CE2-CM1-CM2 étaient difficiles à gérer. Beaucoup de cas sociaux, des problèmes de quelques parents alcooliques et violents, des mômes non suivis hors de l'école, sans orthophoniste par exemple. Aux problèmes de comportements s'ajoutait le faible niveau scolaire. Pas de vie culturelle dans le secteur, beaucoup de parents qui "squattaient" la maison des grand-parents etc.
Au bout de deux semaines, usé par la discipline quotidienne et l'absence de sommeil, je jetai l'éponge. Par la suite, je pris un poste dans la ZEP de la grande ville du coin, où il y avait au moins une équipe pédagogique, des règles de vie, et un cadre propice aux apprentissages. La violence, c'était en dehors, mais pas au milieu de la classe comme à Trifouillis-les-deux-chapelles (nom inventé).
Nous sommes au XXIème siècle et qu'on le veuille ou non, il faut tenir compte des réalités du présent, et des enjeux du futur. Nos voisins allemands, par exemple, ont regroupé leurs écoles dans les villes depuis longtemps. L'école de Marcel Pagnol a vécu, et on ne reviendra pas en arrière. Fini le bon vieux temps de l'enseignant villageois respecté, secrétaire de mairie, autoritaire et inséré dans la vie locale. Face à des élèves de plus en plus difficiles en milieu populaire - et la grande ruralité entre dans cette catégorie - la remise en cause de l'autorité scolaire, la violence de certains parents immatures et les nouveaux impératifs pédagogiques (l'éducation à l'EMI), il est indispensable de regrouper, pour mieux encadrer, nos progénitures.
Hélas, la France n'est pas que le pays des nostalgiques à deux centimes. Il est aussi celui des militants de causes perdues. La FNER, fédération des écoles rurales, semble justement regrouper des adhérents en total décalage avec les réalités des écoles qu'elle prétend défendre. Dans un manifeste, elle réclame rien de moins que le retour un siècle en arrière, à l'école avec classe unique. Elle considère que les enfants n'apprennent pas plus mal dans ces structures, qu'il est inhumain d'obliger un enfant à prendre le car scolaire pour se rendre à l'école, que l'école rurale c'est convivial (!) etc. Pas un mot sur la vétusté des structures, l'absence de sécurité dans les écoles isolées et les difficultés à nommer des enseignants sur ces postes peu demandés (car, justement, isolés).
Rappelons donc à nos militants de la ruralité quelques réalités mises de côté :
- Oui, un enfant en difficulté le sera encore plus dans une école isolée en campagne, car il ne sera pas pris en charge par les RASED (réseaux d'aide aux élèves en difficulté) comme il peut l'être en ville. Le tutorat entre les "grands" et les "petits", l'entraide, cela ne suffit pas. Il ne faut pas confondre assistanat de potaches et soutien pédagogique.
- Il est difficile d'exercer en campagne pour un(e) professeur des écoles. Tout d'abord, ce sont des "fainéants" de fonctionnaires, donc peu considérés par une France profonde archaïque qui a encore les repères du siècle dernier. Ce monde "Fillonnien" n'aime pas dépenser ses sous, pour une école ou autre chose. Dans ces écoles, on va et on vient, souvent sans règle, car il n'y a pas de véritable directeur. Il faut souvent rappeler aux parents qu'on ne vient pas à l'école avec sa gameboy et son ballon de foot, car c'est un espace d'étude et non de jeu. Les échanges sont souvent vifs, car les gens ne se gênent pas pour venir rouspéter sans risque comme dans un groupe scolaire : est-ce cela que la FNER appelle la convivialité ?
- Les classes multi-niveaux sont désormais ingérables. Absence d'autonomie des élèves les moins matures, problèmes de comportements, difficulté pour un enseignant de gérer ensemble tous les niveaux sur le plan pédagogique, cela fait beaucoup. Ajoutons que les écoles privées rurales font concurrence en proposant des classes à niveaux (système classique), bonjour la fuite des classes moyennes vers le privé (citons l'exemple de la Bretagne). En 1950, cela se faisait, mais l'objectif de l'époque n'était pas d'amener tout le monde au bac, il s'agissait simplement de donner quelques bases en lecture et en calcul pour des enfants de paysans destinés à entrer tôt dans la vie active.
- Isolées, sans transports en commun, ces écoles sont inaccessibles pour les enseignants non motorisés, ou les jeunes sans permis. Impossible d'échanger avec des collègues si on est seul. Surtout, on se retrouve seul face à l'agressivité et le harcèlement de certains adultes. Détails ? A voir. Dans l'Aisne, j'ai constaté plus de tentatives de suicide de collègues qu'en banlieue parisienne, où j'exerçais auparavant.
- D'ailleurs, voilà un point sensible. La FNER oublie que de nombreuses familles gagnent les campagnes pour échapper à la réalité des villes. On ne veut pas envoyer ses enfants à l'école de la ZEP, donc on émigre un peu plus loin dans les terres. Alors, il faut en accepter les aléas (transports scolaires, absence d'études surveillées), on ne peut avoir le beurre et l'argent qui va avec, comme on dit.
- Plus embêtant, il y a la question des assurances. Un enseignant n'a pas le droit de rester seul dans une école, pour des raisons de bon sens. En cas d'accident, il se retrouve seul, s'il a un malaise, ses élèves aussi. Les gens portent plainte pour tout et n'importe quoi. Si un môme se blesse pendant la récréation pendant que l'instit' est aux toilettes (défaut de surveillance), il se retrouve en faute professionnelle. Une situation impensable en ville, où les service de cour sont organisés.
- Il y a également la question de la réforme des rythmes scolaires, inadaptée à la campagne où les activités culturelles proposées, et encadrées par qui le veut bien, sont loin d'égaler celles de la ville de Paris. Fabrication de cocottes en papier d'un côté, danse et informatique de l'autre.
Enfin, la fédération des écoles rurales n'inclut aucune association professionnelle d'enseignants, ni de fédération de parents dans ses rangs. Elle tient un discours qui ne sert pas l'avenir des enfants ruraux de la république et qui ne fait qu'inciter à la ghéttoisation des campagnes au nom du "restons entre nous", pour payer moins d'impôts et éviter le contact avec la "diversité". Il n'y a rien de courageux ni de novateur à fuire les réalités et à prôner le retour en arrière, autant par passéisme (quel est l'âge moyen des militants de la FNER ?) que par refus d'entrer dans les débats du XXIème siècle. Il ne faut pas confondre défense du rural et nostalgie du communautarisme dépassé...