La France Eternelle
Dans ce qui va suivre il ne s’agira nullement de la France qu’on m’a appris à connaître (ou si peu), les fesses posées sur des bancs à pupitres noirs, sculptés de graffitis les plus farfelus et ornés d’encriers en porcelaine. Ou bien encore celle qu’on étudie – du moins je le pense – à Sciences Po où dans une Grande Université, locaux que de ma vie je n’ai jamais fréquenté. Et pour cause. Nul en maths et en…histoire, j’ai lamentablement échoué, à l’époque, à la Première partie d’un Baccalauréat qui ne m’a plus jamais revu.
Il ne s’agira pas non plus de celle des Lumières, d’après et d’avant, traversées pourtant par nombre de guerriers, et qui de François Villon et Joachim Du Bellay, jusqu’à Molière, Corneille, Sartre et Camus, Rabelais, Montaigne et Rimbaud et une flopée d’autres penseurs, philosophes ou poètes et troubadours de talent (et oui les Brassens, Ferré, Trenet, Perret et Brel) dont la liste pourtant longue, est soudainement devenue vierge. Mais où sont-ils donc, dans notre France, les frères, les fils et petits fils de tous ceux là ?
Il ne s’agira pas non plus de Versailles, Vercingétorix, des Cathares, Poitiers et de Durandal et la « Chanson de Roland », du roi Dagobert ou de Louis XIV, Pasteur, Delacroix, Curie, De Gaulle, Picasso, 1789 et encore moins de 1914 à 1918 ou bien de l’Autre, 1940 à 1945. Et ni d’évoquer Napoléon et ses glorieux grognards.
Que nenni, il s’agira de cette France d'aujourd'hui. Décrépie, mollassonne, froussarde et qui année après année, manquant de souffle, d’imagination et d’ambition s’est emprisonnée volontairement dans l’enfer le plus terrible qui soit : le Conservatisme. Un repli sur elle même en croyant, la pauvre être toujours en tête des nations qu’on envie . Conservateur exacerbé tel est devenu le français en plusieurs décennies. Et snob de surcroît. La Défense, le Centre Pompidou, le bateau France et l’ailé Concorde, tout comme la Grande Bibliothèque n’y ont rien changé. Le français est conservateur indéracinable. Et snobinard.
Un peu par bêtise comme l’a si bien décrit sur ce site Bernard Dugué, mais du moins je le pense, par peur. La frousse de perdre son petit job (ou son gros surtout), sa voiture, ses vacances (ah ses vacances, les skis sur les épaules, ou son sombrero sur la tête), ses allocations, son frigo et sa télé, son métro ou son bus de matins blafards. En troupeaux d’automates pressés, et stressés la plupart du temps. En somme parce qu’il croit être dans le confort. Celui d’un petit bourgeois, à la tête vide. Qui jalouse le gros bourgeois, tout en repoussant du pied, quelquefois en montrant les dents ou le bâton, au dessous de lui, et d’où qu’il vienne, le pauvre (qui n’a rien à voir avec la misère) et qui risque de lui prendre sa place. Et qui la veut d’ailleurs.
Ne nous trompons plus. La France entière - ou presque - refuse de changer. Obstinément. En tapant du pied. Et pourtant elle a bien vieilli cette ancienne Gaule dont elle se gargarise encore. Comme le ferait par exemple une vielle femme acariâtre qui chaque matin se peinturlure les lèvres de larges et grossiers sillons rouges pondus par un bâton d’un quelconque Oréal de la Bête en Cours. Pour aller faire ses courses, fanfaronnant, minaudant et ronchonnant à la fois. Toujours, et cela va de soi, en tortillant de l‘arrière main (mot qu’on emploie pour désigner la croupe bien ronde d’un cheval). Mais elle ne sait pas, la pauvre, que se croyant encore une jeunette, elle n’est qu’une ombre défraîchie que nul ne remarque.
Cette France qui dégringole jour après jour, s’attarde et s’essouffle m’avait offert le début de son déclin proche vers un profond conservatisme. Il y a près d’un demi-siècle. Et oui cinquante ans, au printemps 1968, à Paris où je n’étais qu’un témoin professionnel journaliste à l’Agence France Presse. Depuis la mi-mai avec les milliers de jeunes défilant Boulevard Saint Michel dans un silence assourdissant devant la Sorbonne occupée par la police, puis, après plusieurs cortèges hétéroclites, jusqu’à fin juin, avec la multitude de drapeaux tricolores agités par une foule en liesse sur les Champs Elysées. A l’issue d’un scénario bien huilé. Une visite à Massu, l’armée, « en secret », disaient les gazettes, et un discours du Grand Charles en tout début d’après midi après qu’une cohorte ininterrompue de bus venus des quatre coins de France ait déversé place de la Concorde de futurs manifestants, prêts à « sauver » le pays de la chienlit.
En somme les gauchistes et les gaullistes. Les premiers m’avaient mis la puce à l’oreille avec par exemple leurs discours incompréhensibles sur les planches de l‘Odéon. Les seconds par leur joie indescriptible de quadragénaires soulagés, auxquels je m’étais mêlé sur le toit de Publicis afin d’évaluer l’ampleur de la manif. Près de moi, là haut, Michèle Morgan rayonnante de joie et de beauté, larmes aux yeux et couvertes de bijoux. C’est à ce moment que j’ai découvert que les uns et les autres étaient somme tout de la même caste. Des bourgeois jeunes qui avaient manifesté rive gauche contre le refus du confort des bourgeois plus âgés (leurs pères et leurs mères peut-être) qui, rive droite, avaient retrouvé le moral après avoir eu peur. J’ai compris que les uns allaient dans quelques années rejoindre le groupe des autres. Conservateurs. Et je ne m’étais pas trompé.
Mais pourquoi cette évocation dans un tel sujet ? Parce qu'en ce 1er Janvier 2014, Michèle Morgan, madame « …tas de beaux yeux tu sais », dixit Jean Gabin dans le mythique film « Quai des brumes » de 1939 (la belle n’avait pas 20 ans) me l’a rappelée, en recevant à 93 ans la grand Croix de La légion d’Honneur au sein d’une flopée de gros bourgeois, d'une petite poignée d’écrivains et savants ainsi que d’un couple, très connu, lancés depuis des années dans la chasse aux nazis. Ils sont au total plus de 600 à être ainsi épinglés cette année. Cette plus haute distinction honorifique française date de… 1802. Plus de deux siècles ! Instaurée par un Empereur ( !), Napoléon Bonaparte. Destinée à récompenser « les mérites éminents militaires ou civils rendus à la Nation. »
Ils seraient en ce début 2014, 93.000 portant rosette qui coûteraient près de 1.500.000 euros l’année à l’Etat car elle fait de ses « honorés » des « pensionnés ». Les hommes ou femmes, elles ne sont pas foule, ne sont pas les seuls à bénéficier d’un tel honneur national. On y trouve l’armée à travers une cinquantaine de régiments. Au total la douce France bien conservatrice ne possède pas loin de 200 distinctions honorifiques. Heureusement que le général De Gaulle avait, en son temps, réduit de 325.000 à 125.000 le nombre légal des « légionnaires ».
Sincèrement la Nation n’aurait-elle pas besoin de dépoussiérer ce symbole ? Pour cela il lui faudrait trouver la perle rare qui, d’une poigne de fer, puisse enfin lézarder puis démolir ce conservatisme synonyme de paralysie. En balayant dans les communes, les départements, les régions, les conseillers, les cumulards, les députés, les niches fiscales qui pullulent, les régimes spéciaux de retraite qui sont une honte d’iniquité, les grosses entreprises et leur dirigeants millionaires qui ne connaisent pas le fard de la honte, les télés nationales et privées qui barbotent dans la médiocrité, les médias et même, avec notre aide, ce site où ne fleurissent bien trop souvent que polémiques sur des sujets de rez de chaussée, pour ne pas dire de bas étage.
Rendre les Palais du Sénat et Lassay à d’autres fonctions que celles d’honorer des vieillards inutiles qui dorment sur un énorme et véritable trésor de guerre, pour le premier, et à rien pour le second. Ou les vendre, pourquoi pas, au point où le pays est vis-à-vis d’eux, à un prince ou émir du désert. Ou bien un capitaliste chinois qui, dans la discrétion qui est sa seconde nature, fait sien châteaux et vins bordelais. Tout comme l’avaient fait les conservateurs d’hier avec des Rois du pétrole texan. Il lui faudrait à cette perle bon nombre de balais mais aussi des pioches tant il y a en terre de France d’autres et multiples racines nocives à détruire pour qu’elle redevienne Eternelle.
Vous la connaissez, vous, cette perle là ? Moi pas.