La Grèce verse 10 millions d’€ pour la destruction du cimetière juif de Thessalonique
Personne ne conteste la vérité historique en Grèce : Le 6 décembre 1942, le plus vaste et plus ancien cimetière juif d'Europe a été détruit pendant l'occupation Nazi.
Pourtant, en dépit de la proportion dantesque de ce drame, il me semble que le choix du gouvernement grec de procéder à un telle indemnisation est doublement inopportun.
D'abord pour d' évidentes raisons de circonstances économiques.
Comment peut on expliquer à l'ensemble de la population qu'elle doit se serrer la ceinture chaque mois d'un cran de plus, rogner les salaires, minimiser les retraites, vendre les biens de la nation et privatiser les services publics et se permettre des gestes de largesses envers une seule communauté afin de compresser des spoliations vielles de 65 ans ?
Cette inopportunité n'est elle pas elle même contre-productive ? Ne présente-elle pas, au contraire de ses objectifs de lutte contre l'antisémitisme, un risque réel fissurer le ciment national qui a historiquement uni de façon remarquable les juifs grecs au reste des hellènes ?
Et ce risque est d'autant plus absurde que justement le comportement envers les juifs en Grèce a été notablement protecteur y compris pendant l'occupation.
D'où aussi l'autre inopportunité qu'il faut soulever : celle de faire porter injustement la responsabilité politique de la destruction du cimetière de Thessalonique aux hellènes.
Car enfin, qu'ont à voir les contribuables grecs contemporains avec la destruction de ce cimetière juif en 1945 ?
A ce point il est utile de rappeler quelques faits historiques :
La Grèce a été attaqué par l'Italie le 28 Octobre 1940.
Mussolini avait posé un ultimatum à Metaxa, le premier ministre grec qui régnait en dictateur sur la Grèce depuis le 4 août 1936, date à laquelle il avait instauré l'état d'urgence à l'occasion de troubles sociaux. Bien qu'autoritaire et conservateur, Metaxa menait une politique phylosémite qui avait beaucoup favorisé l'intégration des juifs grecs dans la nation.
Avec la guerre, il avait déclaré la neutralité de la Grèce et s'était même rapproché des britanniques.
L'invasion Italienne fut un fiasco. Très rapidement, les grecs repoussent les italiens et s'emparent même du sud de l'Albanie qui servait de base arrière à Mussolini.
Ce fait d'armes tirera cette réflexion à Winston Churchill :
"Nous ne dirons plus que les Grecs combattent tels des héros, mais que les héros combattent tels des Grecs !"
("Hence we will not say that Greeks fight like heroes, but that heroes fight like Greeks".)
A Menton, les habitants érigent une pancarte à la frontière Italienne sur laquelle on peut lire « Grecs, arrêtez votre avance, ici territoire français » !
Ce revers de Mussolini fut la première défaite subie par l'Axe pendant la 2eme guerre mondiale. Elle aura des conséquences dramatiques pour l'Allemagne, obligée de retarder le plan Barbarossa d'invasion de l'URSS afin de venir régler son compte à la petite Grèce qui malmenait son encombrant allié italien.
Cette seconde bataille de Grèce (en allemand Unternehmen Marita) est lancée depuis la Bulgarie le 6 avril 1941 et aboutit à la défaite de la Grèce.
Alexandre Korisis, qui a remplacé Metaxa au poste de premier ministre refuse la reddition et se suicide le 18 avril quand la Werhmart arrive aux portes d'Athènes.
Le roi Georges II et le nouveau premier ministre Emmanuel Tsouderos se réfugient en Crète, puis, la Crète envahie, en exil à Londres où le gouvernement grec se maintiendra jusqu'à la libération.
Le pays est divisé en 3 zones d'occupation militaire, Allemande, Italienne et Bulgare. Il n'y a pas de zone libre.
Les affaires civiles sont gérées par Gunther Altenburg qu'Hitler nomme plénipotentiaire du Reich pour la Grèce.
Il n'y a donc pas de collaboration spontanée en Grèce.
Le pays paye durement sa droiture. Les ressources économiques et agricoles de la Grèce sont ponctionnées par le Reich. La famine s'installe. On ramasse les cadavres dans les rues d'Athènes où la faim fait plus de 50 000 morts au cours de l'hiver 1941-1942.
Les bulgares annexent la Thrace et y interdisent de parler grec en public. Noms de villages, patronymes, pierres tombales, liturgie doivent être en langue bulgare. La minorité musulmane Pomaque doit se faire baptiser. Grecs et musulmans fuient la région. Les musulmans passent en Turquie. 200 000 réfugiés Grecs affluent à Thessalonique.
La ville se retrouve dans une zone de commandement sud-est allemande (Wehrmachtbefehlshaber Süd-Ost), laquelle englobe aussi la Serbie, placée sous les ordres de Walter Kunze.
C'est dans cette ville que se trouve la principale communauté juive de Grèce. Les allemands y imposent l'étoile jaune et enrôlent quatre mille hommes juifs pour des travaux forcés au bénéfice de l'entreprise allemande Müller chargée d'améliorer les routes desservant Thessalonique dont le port offre un accès stratégique à l'Egée.
Les Juifs de Thessalonique tentent de négocier la libération de ces hommes. Les Allemands y consentent en échange de 3,5 milliards de drachmes, une somme considérable à l'époque.
La communauté juive parvient à en réunir 2. Les allemands acceptent ce payement a condition que le cimetière juif de Thessalonique soit détruit.
Mais ce répit n'est que provisoire. En février 1943 le nazi Alois Brunner arrive en Grèce pour organiser la déportation des juifs en commençant par Thessalonique. A noter que le 7 octobre 1944 à Auschwitz les déporté juifs grecs participent l'insurrection des sonderkommandos et parviennent à incendier le bâtiment du four crématoire III du camp.
Avant d'être massacrés par les Allemands, ils entonnèrent un chant des partisans grecs et l'hymne national grec.
A Athènes, les choses se passent différemment : la moitié des juifs d'Athènes échapperont aux nazis. L'archevêque d'Athènes leur fournira des milliers de faux certificats de baptême et le chef de la police les pourvoira de plus de 10000 faux papiers.
La Grèce n'avait donc pas à rougir de son comportement pendant la guerre.
Du moins pas avant que le cimetière juif de Thessalonique ne fasse la une des journaux à l'occasion des récents projets d'extension de l'université Aristote de Thessalonique.
Des associations juives new-yorkaises ont alors fait pression sur les autorités Américaines en dénonçant ce qu'elles considéraient comme une atteinte à un lieu mémoriel de la communauté juive de Thessalonique.
Or, s'il est exact que l'université Aristote a été construite sur une portion de l'ancien cimetière juif de Thessalonique, son édification remonte à 1925 et fut rendue possible par la cession volontaire de ce terrain par la communauté juive de Thessalonique de l'époque, ce qui remonte bien avant la destruction du reste du cimetière par les nazis.
Embarrassé par la pression médiatique, le gouvernement grec a fini par accepter de verser un important dédommagement à la communauté juive de Thessalonique afin que les travaux puissent se poursuivre.
Si l'indemnisation d'une préemption de terrain n'est pas en soi contestable, la méthode est pour le moins maladroite.
En liant la construction de l'université Aristote à la destruction du cimetière on ne fait pas que monter un anachronisme malsain qui accuse injustement les Grecs peu suspects de proximité avec le nazisme.
On nie également la volonté manifestée en 1925 par la communauté juive de contribuer au développement universitaire de sa ville.
Le procédé est d'autant plus maladroit qu'il survient à un moment où la crise économique exacerbe les extrémismes.
La mode de la repentance elle, ne connait pas la crise !