La mondialisation impose un ministère de l’Économie et de l’Identité nationale
Nicolas Sarkozy, vite imité par d’autres candidats à la présidentielle a placé l’identité françaises au coeur de la campagne électorale. Mais en liant ce thème à l’immigration, il fait mine d’ignorer la véritable force qui bouscule - et parfois menace - l’identité française.
Lors d’un récent colloque au Maroc, économistes et experts venus de tous les coins de la planète ont rivalisé en matière de définitions à propos de la mondialisation. Certains y voient d’abord un formidable essor de la financiarisation de l’économie. D’autres insistent sur la capacité des consommateurs à dicter de profondes mutations, techniques et géographiques, à l’appareil productif planétaire. Des voix ont insisté aussi sur le lien entre le développement du commerce international et la relative modicité des prix de l’énergie, sans oublier l’impact de cette innovation majeure que fut l’invention du container.
Enfin, et c’est un thème récent qui va très certainement faire couler beaucoup d’encre, quelques spécialistes ont mis en exergue le fait que les banques centrales des pays développés ont du mal à mener des politiques monétaires adaptées à la mondialisation. Pis, elles seraient, faute d’approche commune, incapables de la contrebalancer.
Dans ces discours, le plus souvent complémentaires, il n’y avait qu’un seul constat commun. Pour tous, la mondialisation « est le facteur dissolvant des identités nationales », pour reprendre les paroles de Dominique
David, directeur exécutif de l’Institut français des relations internationales (Ifri). À ce sujet, l’exemple du Maroc parle de lui-même.
Il suffit de faire quelques pas dans les rues de Rabat pour le comprendre. Déferlante de franchises occidentales, images publicitaires dont le référentiel est avant tout européen, restauration rapide qui prend l’ascendant sur l’alimentation traditionnelle, importation de modes vestimentaires du Golfe, voilà autant d’éléments qui alimentent les doutes d’une population dont la mémoire collective est irriguée par plusieurs siècles de conservatisme. Et ce désarroi est peut-être la chose la mieux partagée entre populations du Nord et du Sud.
En Europe, comme aux États-Unis, la perception globale de la mondialisation est négative. Elle est vue comme la mère de tous les dangers, étant la somme des phénomènes qui détruisent l’emploi mais qui aussi dénaturent les caractères nationaux.
« Les élites ne font pas suffisamment preuve de pédagogie pour expliquer la mondialisation et faire accepter l’idée que ses effets positifs ne se feront sentir qu’à moyen et long termes », déplore Christian de Boissieu, président du Conseil d’analyse économique. Certes.
Mais il est évident que ce qui est négligé par ces mêmes élites, c’est l’aspect corrosif de la mondialisation sur les identités nationales.
De fait, la mondialisation refaçonne les territoires et les régions. C’est elle qui commande aujourd’hui les déplacements internationaux de la main-d’œuvre, qualifiée ou non, de façon légale ou pas. C’est elle encore qui impose - et le verbe n’est pas trop fort - la langue anglaise - ou sa version pauvre, le fameux globish - au détriment des langues nationales. Qui peut nier qu’en France nombre d’entreprises imposent aujourd’hui à leur personnel l’emploi prioritaire de la langue de Shakespeare au quotidien ?
De même, au-delà de tout discours démagogue ou même xénophobe, il est évident que les opérations transfrontalières sont souvent vécues - et pas simplement en France - comme étant un vrai traumatisme par les opinions publiques qui voient dans leurs champions nationaux une part intégrale de leur identité. Les élites françaises - ?journalistes, hommes politiques, universitaires - ont-elles vraiment pris la mesure de l’impact de la prise de contrôle d’ Arcelor par Mittal ou de Pechiney par Alcan. Sait-on qu’en Allemagne la prise de contrôle de Mannesman par Vodafone fait encore couler de l’encre ?? Pas si sûr...
Par obsession du politiquement correct ou par déconnexion vis-à-vis du quotidien de leurs concitoyens, ces élites tendent à considérer comme naturel le fait qu’une entreprise passe sous contrôle étranger, et c’est là que, justement, intervient leur erreur. Il ne s’agit pas bien sûr de revenir aux protectionnismes d’antan, mais de réfléchir aux moyens de faire accepter les mutations imposées par la globalisation mais aussi d’en atténuer les effets déstructurants.
Au lieu de s’aventurer sur les chemins incertains qui font de l’immigration la première menace pour les identités nationales, il est temps de se rendre compte des dégâts infligés à ces dernières par la mondialisation. Et, finalement, à choisir, c’est plutôt un ministère de l’Économie et de l’Identité nationale que les candidats à la présidentielle devraient songer à créer s’ils sont élus...