jeudi 14 janvier 2016 - par Le Canard républicain

La montagne institutionnelle et la souris primaire

Les couleurs primairesIl faut reconnaître à l’appel lancé le lundi 11 janvier dans Libération par un certain nombre de « personnalités de gauche » une certaine fraicheur. Tout en reconnaissant la sclérose des institutions, ce qui est assez récent dans le discours politique, les signataires appellent à fonder le renouveau sur l’élection présidentielle, clef de voute et donc verrou du système.

Pour cela, ils demandent que cette élection porte un candidat issu de primaires « à gauche » et insistent pour que ce candidat émerge sur la base d’un programme largement débattu « à la base ». Si cet appel, comme l’enfer, est pavé de bonnes intentions, il faut néanmoins admettre qu’à l’analyse, il se révèle moins simple qu’il n’y parait a priori.

Il procède, en effet, de deux objectifs différents et sans doute contradictoires :
Le premier est d’éviter qu’il y ait confrontation de forces dites de gauche au premier tour de la présidentielle, ce qui pourrait conduire à l’absence de candidat au deuxième tour. Il s’agit, en la matière, d’un nouvel avatar de ce que Cambadélis, premier secrétaire du PS, avait essayé d’imposer au travers d’un référendum. Le moins qu’on puisse dire est que le résultat en fut sans surprise puisqu’il concluait à la nécessité d’un candidat unique, sous-entendu celui du PS, parti hégémonique. Une telle méthode est la caricature même du système institutionnel puisqu’elle évite tout débat sur ce qu’est « la gauche », se contentant de dire qu’elle doit gagner et peu importe pourquoi.

Le deuxième est, au contraire, de donner sens à une gauche en gestation. Des propositions sont ainsi faites quant à une mobilisation « à la base » pour faire émerger un programme. Si l’objectif n’est pas nouveau, il reste certes utile. Cependant, une telle démarche n’a aucun sens si elle se borne à chercher un positionnement programmatique à la gauche pour la présidentielle, s’abstenant d’ailleurs de dire ce que la gauche ne doit pas être. Cette dernière interrogation n’est pas anecdotique dans le cadre d’une primaire qui donne un avantage a priori au candidat du PS, particulièrement s’il s’agit du sortant dont la philosophie n’est pas limpide.

En résumé, les uns veulent des primaires pour imposer le candidat du PS, les autres pour le contourner.

Le risque de voir les primaires déboucher sur un scénario déjà vécu peut-il être évité ? La démarche peut-elle empêcher la légitimation une fois de plus d’un parti et d’un candidat en contradiction avec les thèmes qu’on lui demandera de porter, puis d’un Président qui, de toute façon, est institutionnellement irresponsable. Certainement pas avec la présidentielle qui, justement, ne favorise pas la raison, mais les effets de personnalisation. Les signataires, de façon d’ailleurs allusive, en ont une conscience fugitive lorsqu’ils déclarent « Nous ne changerons pas de République d’ici 2017, et tout reste suspendu à l’élection présidentielle-reine ». Le problème est qu’ils ne cherchent pas à la changer en général. Depuis les débuts de la 5ème République et depuis le « Coup d’état permanent » de Mitterrand, tant et tant d’observateurs et de militants ont déploré cette situation pour s’accommoder ensuite de la Présidentielle en prétendant l’influencer. De ce point de vue, la démarche des signataires se révèle contradictoire puisqu’elle critique un présidentialisme auquel elle s’en remet pourtant. Les « bons candidats », de gauche comme de droite, n’ont-ils pas pourtant prouvé qu’ils pouvaient faire de mauvais Présidents ?

Pourquoi vouloir à tout prix jouer à un jeu mortifère pour la démocratie ? Ayons le courage de remettre en cause fondamentalement les institutions qui nous gouvernent aujourd’hui malgré nous ainsi que le système des partis (de l’extrême droite à l’extrême gauche) qui en découle. L’appel ne parle finalement pas au pays réel qui, au-delà des appartenances, manifeste un « état d’urgence démocratique » (abstentions, refuge dans l’extrême-droite,…). L’obsession de résumer la question démocratique à la reconstruction de la gauche et à sa victoire à la présidentielle ne peut, qu’on le veuille ou non, entrainer de dynamique nationale. Une fois de plus, va-t-on assister à une élection qui ne parlera que du Front national ?

Le changement de système ne peut être trouvé par l’utilisation de sa propre clef de voute. Lancer des débats partout est juste. Cela montre en outre que l’idée progresse suivant laquelle le mal dont souffre la France vient en grande partie de ses institutions. Mais on ne saurait dévoyer ces questionnements essentiels dans des enjeux illisibles. C’est au renouveau de la démocratie, comme règle du jeu politique pour le peuple dans son ensemble, qu’il faut travailler. Et cela passe par un effort de clarté.

André Bellon

Article également publié par l'ASSOCIATION POUR UNE CONSTITUANTE : www.pouruneconstituante.fr

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2 réactions


  • Clark Kent M de Sourcessure 14 janvier 2016 10:45
    Au pays des souris, les petites souris vivaient, s’amusaient, naissaient et mourraient, un peu comme vous et moi. Elles avaient même un président et, tous les cinq ans, elles organisaient des élections. (…) A chaque fois, le jour des élections, les petites souris se rendaient dans les bureaux de vote pour élire leur président, un gros chat noir. 

    Ils présidait aux affaires de façon tout à fait digne. Ils votait de bonnes lois, c’est-à-dire, des lois bonnes pour les chats.

    Mais ces lois, bonnes pour les chats, l’étaient beaucoup moins pour les souris.

    L’une des lois établissait que les trous des souris devaient être assez grands pour qu’un chat puisse y passer sa patte. Une autre prévoyait que les souris ne devaient se déplacer qu’en-deçà d’une certaine vitesse, de sorte que les chats puissent prendre leur petit-déjeuner sans trop d’effort. Toutes les lois étaient bonnes pour les chats mais dures pour les souris. Pour ces dernières, la vie devenait de plus en plus difficile.

    Lorsque les souris en eurent assez, elles décidèrent qu’il fallait faire quelque chose : elles se rendirent aux urnes en masse. Elles chassèrent le chat noir du pouvoir, et le remplacèrent par un chat blanc.

    Le chat blanc avait été choisi comme candidat à la suite de primaires. Il avait expliqué que le problème, c’était les trous ronds qu’utilisaient les souris. « Si vous votez pour moi, moi Président je ferai les trous carrés. » Et c’est ce qu’il fit une fois au pouvoir. Les trous carrés étaient deux fois plus larges que les anciens, ronds : les chats pouvaient dorénavant y passer les deux pattes. Et la vie des souris devint encore plus difficile.

    Lorsque les souris en eurent assez, elles votèrent contre le chats blanc, et remirent le noir au pouvoir. Puis, ce fut à nouveau le tour du chat blanc, puis à nouveau celui du noir. Elles essayèrent même un chat mi-blanc, mi-noir : elles appelèrent cela une cohabitation. (…) Il y eut même un chat qui imitait le cri des souris… mais qui mangeait comme un chat.

    Voyez-vous, mes amis. Le problème n’avait rien à voir avec la couleur des chats. Le problème venait du fait qu’il s’agissait de chats. Et en bons chats, ils s’intéressaient plus au sort des chats, qu’à celui des souris.

    Un jour, une petite souris eut une idée. Elle se planta devant les autres souris et leur dit : « Ecoutez les gars, pourquoi est-ce que nous continuons à élire des chats ? Pourquoi n’élirions-nous pas une souris ? » « Oh, répondirent les souris, mais c’est une bolchevik ! » Et elles la mirent en prison.

    Mais, chers amis, souvenez-vous qu’on peut enfermer une souris ou un homme, mais qu’on ne peut pas enfermer une idée.


    à la manière de Thomas Douglas dans un discours de 1944*
    *Dirigeant politique social-démocrate canadien. 

  • leypanou 14 janvier 2016 14:14

    qui donne un avantage a priori au candidat du PS, particulièrement s’il s’agit du sortant dont la philosophie n’est pas limpide. : si justement, sa philosophie est limpide, à droite toute. ou l’opportunisme à tous égards.

    L’élection présidentielle elle-même au suffrage universel est une aberration : comment un homme ou une femme seuls peut-il ou elle représenter un courant d’opinion ? La conséquence c’est que c’est celui ou celle qui déplait au moins de gens possibles qui gagne, un genre de concours de miss.

    Et sur ce point, Jean-Luc Mélenchon a parfaitement raison : F Hollande est disqualifié d’office, au vu de ce qui s’est passé jusqu’à maintenant. Quand on a fait perdre toutes les élections jusqu’à maintenant à son parti, il faut avoir la décence de reconnaître son échec et ne pas essayer de se re-présenter.

    La direction du PS est incapable de reconnaître l’échec de leur droitisation malgré 1983 et 2002. La course à droite risque d’être très encombrée avec Hollande, Valls, et Macron et un boulevard est en train de s’ouvrir pour A Juppé.


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