La position du bien-pensant mou
La position du bien-pensant mou
En 1849, l’écrivain transcendantaliste américain Henry David Thoreau écrivait dans La Désobéissance civile : « Quand je converse avec les plus libres de mes voisins, je note que, malgré tout ce qu’ils peuvent dire de l’importance et du sérieux de la question, de leur souci de la tranquillité publique, la question se résume à ceci : ils ne peuvent se passer de la protection du gouvernement actuel et redoutent les conséquences de la désobéissance sur leurs biens et leur famille. » Autre contexte, autre époque, autre continent… certes. Mais les mots de Thoreau sont plus que jamais d’actualité. Obéir au doigt et à la baguette, à la gestuelle brouillonne d’un chef d’orchestre impossible à identifier. Ravaler le mot « rébellion ». Poser les questions essentielles est semble-t-il honni, inapproprié, à contre-courant. Poser des questions comme le fait un enfant, en toute innocence : Pourquoi ? Comment ? La réponse est dans le flou. C’est cette fable dont tout le monde se fout des origines : avaler des couleuvres. Cet acte culinaire sommaire : gober un œuf, gober le morceau. Encore un peu de purée ? Encore un peu de buée sur vos lunettes ? « Non merci, nous ne contredirons pas ». La position du bien-pensant mou est merveilleuse. Une posture docile et silencieuse. Traverser dans les lignes. Passer au vert. Ne pas contester. Le bien-pensant mou ne descend déjà pas dans la rue en temps normal pour protester, alors en période de crise réelle… Plus que d’un portrait, sa position tient d’une photo de classe, une classe qui déborde, dont certaines têtes ont été scalpées pour faire rentrer tout le monde dans le cadre. Celui qui réalise le cliché se marre, mais personne ne moufte sur la pellicule. Thoreau avait trouvé la solution : s’isoler dans une cabane au milieu des bois du Massachusetts, au bord du lac de Walden, loin de tout ça, de la grégarité, de la pensée unique. La masse contemporaine et occidentale a cette capacité inique de se coucher pour conserver ses acquis, même rabotés : son bas de laine, sa tirelire, son pèze, son flouze, son pognon. Les briques d’abord. La pseudo-sécurité matérielle l’a emporté sur la volonté de liberté. Et quand tombe la nuit, les couleuvres et les morceaux bien durs avalés, le bien-pensant mou se met en position pour quelques heures inertes supplémentaires…
Marc Meganck
Photo : Miguel Bruna – Unsplash