mercredi 24 novembre 2010 - par Raphael JORNET

La rupture conventionnelle deux années plus tard

Le Centre d’analyse stratégique (institution d’expertise et d’aide à la décision placée auprès du Premier ministre) vient de rédiger une note d’analyse Travail-Emploi – octobre 2010, n°198 – sur " La rupture conventionnelle du contrat de travail ".

Qui ne connait pas quelqu’un qui a signé une rupture conventionnelle ?

Il n’est pas sûr que les signataires du texte issu de l’accord conclu le 11 janvier 2008 entre le patronat (MEDEF, CGPME et UPA) et 4 syndicats de salariés représentatifs sur 5 (CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC), la CGT ayant refusé de signer ) devenu partie de la Loi du 25 juin 2008 portant sur la modernisation du marché du travail et création de la rupture conventionnelle du contrat de travail soient très heureux de leur bébé, sauf les syndicats patronaux, bien entendu.

Parce que deux ans plus tard et 400 000 homologations, c’est devenu une évidence, la rupture conventionnelle s’est installée dans le paysage social comme une nouvelle façon de licencier injuste et hypocrite, gonflant les chiffres du chômage. Avec, suprême astuce, sans possibilité d’analyse sérieuse sur l’utilité du dispositif, les outils nécessaires n’étant pas intégrés à la procédure. Il ne fallait pas que le citoyen salarié en sache trop sur cette nouveauté qui entame sa deuxième année de mise en oeuvre.

C’est en réalité une facilité qui a été mise à disposition du seul employeur, pour son usage presque exclusif, puisque on peut considérer que 75% des propositions des ruptures conventionnelles viennent à son initiative. Pour faire passer ce dispositif, il fallait donner l’illusion d’un parallélisme d’intérêts. On donna la carotte de la perception des indemnités de chômage au salarié. Mais le masque est vite tombé : les demandes des salariés sont très majoritairement refusées.

C’est un système de pression nouveau qui a été mis en place, pour une commodité de gestion du personnel. A ce titre, il est d’une redoutable efficacité. Mais cessons l’hypocrisie : il n’y a pas d’accord mutuel de deux parties pour la mise en œuvre. Le dispositif est inégalitaire et ravageur : rares sont les salariés qui refusent la proposition patronale, tant le rapport de force est prégnant. Les conseillers du salarié ont cette vison directe de la réalité du terrain, ils voient que systématiquement après le refus du salarié "d’accorder" une rupture conventionnelle à son employeur, arrive la convocation à un entretien préalable au licenciement, avec son flot de fautes fabriquées pour la circonstance. Et du stress supplémentaire qui mènera aux désordres personnels.

« A mon sens dans 70 % des cas, ce départ « à l’amiable » cache un licenciement déguisé. On convoque une personne, on lui annonce qu’elle va être licenciée, on le laisse mariner et on lui propose, finalement, une rupture conventionnelle. » dit cet avocat.

En définitive, l’employeur s’est vu octroyer un temps de préparation psychologique pour qu’entre son "invitation" à accepter la rupture conventionnelle et le moment de la signature des documents de rupture, le salarié ait eu le temps de faire le deuil de son contrat de travail.

Très tranquillement, donc, à l’aide d’une loi concoctée par et pour le Medef, le salarié est mis en position d’avoir à choisir « amiablement », « sans contrainte » le type de mort qui lui sera appliquée.

Sauf que, par exemple, s’il s’agit de maquiller un licenciement économique, les enjeux ne sont pas les mêmes pour les deux parties. Sur les 400000 ruptures conventionnelles homologuées depuis deux ans, combien de licenciements économiques « cachés » ? Les statistiques de la réalité du non-emploi ont du souci à nous donner.

Ce n’est pas l’avis du Centre d’analyse stratégique.

Après avoir malicieusement indiqué que la rupture conventionnelle « apparaît comme la solution, avancée par les partenaires sociaux signataires de l’accord », il rassure son commanditaire de Matignon.

Interrogé, Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique assure que maintenant la rupture permet de rompre plus facilement (on le croit !), mais ajoute "Le tout sans nuire à la sécurité professionnelle des salariés" ce qui en dit long sur son inexpérience de la chose.

Et de rajouter : "La rupture conventionnelle permettra à terme de réduire le recours à l’intérim et aux CDD". Cette dernière phrase n’est pas à prendre à la légère : il nous dit clairement que la précarisation de l’emploi devient la règle et que les contrats de travail formels, courts dans le temps, n’ont plus lieu d’être, dès lors que la rupture conventionnelle fait office de régulateur et remplit la charrette des petits boulots, dont la durée dans le temps ne dépend que du bon vouloir de l’employeur, sans contraintes législatives et sociales protectrices vis à vis du salarié !

A la question « Comment s’assurer que ce dispositif ne sert pas à camoufler un licenciement économique ? » Vincent Chriqui répond « D’après notre étude, aucun indice ne montre une utilisation frauduleuse.  ». Mais comment verrait -il un « indice », puisque les renseignements nécessaires figurant dans la procédure n’ont pas été prévus ni voulus, notamment qui a été le demandeur de la rupture ! On comprend pourquoi.

Tout va si bien que pourtant le rapport invite à être vigilant sur les signaux qui indiqueraient l’apparition de certaines dérives, notamment en améliorant le suivi statistique du dispositif . » « ... L’une des dérives pourrait être l’utilisation de la procédure par l’entreprise pour alléger son effectif senior. Selon une étude du régime d’assurance chômage (Unedic), l’inscription au chômage après une rupture conventionnelle touche plus fréquemment des salariés âgés, surtout les plus de 55 ans ... / ...

Tiens ? Et les autres "dérives", quelles pourraient-elles être ?

Étonnez -vous qu’un avocat dise que la rupture conventionnelle « dispositif juridique instable » est une « une véritable aberration » et qu’il faut la «  supprimer d’urgence  ».

La rupture conventionnelle est une arme nouvelle, efficace, contre le salariat, qui facilite sa « docilité » à accepter la stagnation (la baisse) de son salaire, précarise l’emploi et vise à supprimer toute velléité de revendication. Elle accroit les chiffres du chômage. Elle maquille des vérités sociales dans l’entreprise. Ce dispositif doit est supprimé.

Nous vivons une époque de ruptures, plus conventionnelles les unes que les autres...

note_danalyse_rupture_conventionnelle.pdf 1.32 Mo



3 réactions


  • kiouty 24 novembre 2010 11:04

    Voila, et après, il y a toujours les soi-disant « experts » sur BFM business ou du figaro.fr pour nous seriner a quel point la France est un pays rigide, sans flexibilité salariale, ce qui explique sa faible croissance, « à cause des 35h ».

    Bon, ben on y est : elle est ou la croissance eclatante promise ? (pour tout le monde, hein, pas pour que pour le CA de quelques entreprises du CAC40).


  • titi titi 24 novembre 2010 21:20

    « salarié »d’accorder« une rupture conventionnelle à son employeur, arrive la convocation à un entretien préalable au licenciement, avec son flot de fautes fabriquées pour la circonstance. »

    Euh... bah alors expliquez moi...
    Pourquoi se casser le patron perd il son temps à proposer une rupture conventionnelle alors qu’il est si simple de fabriquer un flot de fautes permettant le licenciement ?

    Tout simplement parce que si vous êtes bien ce que vous prétendez être, c’est à dire « conseiller du salarié », vous savez pertinament qu’aucune faute ne tient devant un prud’homme si il n’y a pas eu atteinte ni aux biens ni aux personnes.

    Alors pourquoi nous racontez vous une telle énormité ?


  • titi titi 24 novembre 2010 21:23

    « puisque on peut considérer que 75% des propositions des ruptures conventionnelles viennent à son initiative »

    Ca aussi ce me fait bien rigoler. Je pense que vous n’avez pas du mettre les pieds depuis longtemps dans une entreprise. Tout se négocie. Il y a même des licenciements de personnes démissionnaires. Pourquoi n’abordez vous pas ce point également ?


Réagir