mardi 1er juillet 2014 - par Gabriel

Le cimetière de Hightgate

Le cimetière de Hightgate

 Il est neuf heures ce matin d’avril lorsque que je franchis le seuil d’un portail de fer repeint par la rouille des années. Gisant, depuis l’époque Victorienne sur quelques hectares à flan de colline au nord de la capitale anglaise, sommeille dans la plus grande sérénité l’imposant et troublant cimetière de Hightgate.

 Ici, comme un colibri aux ailes figées, le temps a suspendu son vol, l’ultime et dernier grain de sable a bloqué le sablier de Saturne. Le végétal s’y exprime dans la liberté la plus totale et une opulente et prégnante anarchie de feuilles et de branches alimentent la touche poétique de l’endroit. Les pierres tombales et autres monuments funéraires défient les lois de l’équilibre et de la géométrie. Des stèles brisées servent de refuge aux lézards et d’abris à quelques nichées d’oiseaux. Des racines envahissent les carrés et enlacent de leurs tentacules amoureux les caveaux qui partagent leur territoire.

 Dans cette célèbre nécropole de plus de 52 500 sépultures où reposent dans leurs tombeaux baroques et gothiques des personnages célèbres tel que Charles Dickens, Michael Faraday, Karl Marx, Les écrivains George Eliot et Douglas Adams, le portraitiste Copley ou le philosophe Herbert Spencer, de rares lèves tôt printaniers viennent flâner sur l’avenue égyptienne du lieu.

 Au dessus, un soleil persistant joue avec les trous volages du grand manteau de chlorophylle, ses raies de lumières viennent frapper de magie les noms et les dates dont les gravures prisonnières du granit s’émoussent aux fils des ans. Un ange de pierre, à demi enveloppé dans ses ailes, est couché en pleure sur une tombe alors qu’un autre, ses pieds dans la mousse et une vasque entre ses mains, recueille les larmes que lui ont délégué les êtres chers aux défunts. A quelques pas des séraphins, le piano de Thornton a remplacé ses classiques joués pour les troupes de la Première Guerre mondiale par un silencieux et éternel requiem à l’intention de ses voisins de paliers.

 Je tourne sur ma droite par deux fois et je me retrouve sur le lieu le plus oppressant et le plus sombre de cette cité des trépassés, l'avenue réservée aux excommuniés, parricides et assassins en tout genre. Car ici, dans la mort comme dans la vie, bien et mal se côtoient cherchant toujours à figer l’inaccessible et fluctuante frontière qui les sépare. La clarté chasse l’ombre qui à son tour, aidée d’improbables alizées, reprend le terrain momentanément conquit. Futile et éternel combat en ces lieux, carrefour des au-delàs.

 Il est dit qu’en cette place, la légende admet les vampires, les fantômes et autres farfadets qui donnent à l’endroit sa part de frayeur et de mysticisme. L’atmosphère étrange qui y règne est caution à de nombreuses interprétations qui alimentent un folklore de sorcellerie et de magie noire. Il fut une époque pas si lointaine ou quelques paumés déjantés y accomplissaient les rituels de leurs scabreuses et déconcertantes croyances. C’est bien connu, les hommes préfèrent les mythes plutôt que la raison et les légendes qui rassurent plutôt que les vérités qui inquiètent.

 Devant la tombe d’un enfant qui n’a vécu qu’une poignée de printemps, je m’interroge sur la finalité de la vie et de son éphémère durée par rapport à l’infini qui nous entoure et, se décalage me donne le vertige. Nous ne sommes que des incidents biologiques, une petite cuillère de soupe cosmique, de la poussière d’étoile et, que l’on finisse sous la terre ou en cendre l’important reste ce que notre passage ici bas laissera de positif aux générations à venir. La tache est immense et nos fautes innombrables mais qu’importe, il est primordial de vivre pleinement et intensément car quoi qu’il en soit, la fin de notre vie terrestre est programmée dés la naissance et, avant de rejoindre les âmes de Hightgate, il serait dommage de cumuler trop de regrets.

 Ici s’achève cette ballade au pays des esprits. En passant le portail en sens inverse, j’ai laissé un peu de rêverie fleureter entre les demeures des disparus. Un soudain courant d’air balaie les feuilles mortes du trottoir d’en face, une brise aigue vient me gifler au visage pour me ramener sur terre. Je relève le col de ma veste, fais volte face une dernière fois vers la terre des défunts et retourne, pour le temps qu’il me reste, me noyer dans le monde des vivants.

Merci de cette visite en votre compagnie.



25 réactions


  • Neymare Neymare 1er juillet 2014 10:34

    Très belles photos et commentaires
    « Nous ne sommes que des incidents biologiques »
    « Ici s’achève cette ballade au pays des esprits »

    Alors esprits ou incidents biologiques ?


    • Gabriel Gabriel 1er juillet 2014 10:43

      Bonjour Neymare,

      Voyons voir, est ce que l’incident biologique qui compose notre corps n’est point le réceptacle d’un esprit errant en quête de savoir, de progression ? Qui mourra saura.


    • Neymare Neymare 1er juillet 2014 10:51

      Salut Gabriel
      A mon sens, point de hasard ni d’incident biologique dans tout ça,
      est ce que ça ne serait pas plutot l’Esprit qui aurait créé lui meme son réceptacle ?

      Ce qui est contre intuitif car l’Esprit, par définition immatériel, ne peut créer quelque chose de matériel, mais peut etre peut il créer l’illusion de la matière, l’illusion du temps, l’illusion de l’espace ?


    • Gabriel Gabriel 1er juillet 2014 11:07

      @Neymare,

      Si nous nous basons sur le principe bouddhiste que tout n’est qu’illusion, je suis d’accord avec le no matière. Rien ne se créer, rien ne se perd, tous se transforme d’où, ma petite cuillère de soupe cosmique. Le seul moyen d’analyser cela plus ou moins correctement serait de se situer en dehors de l’espace et du temps du concept que l’on veut décortiquer afin de ne pas subir l’influence de son environnement propre. Mais là encore, ce n’est que subjectivité...


    • Neymare Neymare 1er juillet 2014 11:23

      "Le seul moyen d’analyser cela plus ou moins correctement serait de se situer en dehors de l’espace et du temps du concept que l’on veut décortiquer afin de ne pas subir l’influence de son environnement propre« 

      Tout à fait : immergé dans l’illusion de la matière, nous n’avons pas d’autre cadre de référence et il est donc impossible de dire : ceci est réel ou celà est illusion
      Et meme si ce monde est illusion (et il l’est), on peut le considérer comme réel puisqu’on est forcément impacté par lui psychiquement. Ce qui est le cas aussi des reves : si les reves nous font peur ou plaisir c’est qu’on y croit quand on est dedans, et quand on en sort on se dit »ouf c’était un reve« .
      Quand on sort de ce monde, on a exactement la meme sensation que quand on sort d’un reve : ce monde ne nous apparait plus comme une réalité fixe et intangible mais bien comme un reve, une projection de notre esprit.
      Ce qui permet d’obtenir un point de référence externe (notez que lorsqu’on sort de cette projection de l’esprit qu’est le monde matériel, on se retrouve également dans une autre projection de l’esprit, mais d’un niveau de réalité qui semble plus élevé (comme ce monde par rapport a nos reves nocturnes, car il n’existe rien en »dur" puisque tout est esprit)


    • Ouallonsnous ? 2 juillet 2014 14:38

      L’esprit procédant de la matière, c’est à dire qu’il est la forme la plus évoluée de l’organisation de la matière il nous faut revoir toute la doxa des religions qui partent de l’incréé comme origine de notre univers !


    • Ouallonsnous ? 2 juillet 2014 14:51

      L’esprit procédant de la matière, c’est à dire qu’il est la forme la plus évoluée de l’organisation de la matière il nous faut revoir toute la doxa des religions qui partent de l’incréé comme origine de notre univers !


  • Fergus Fergus 1er juillet 2014 10:35

    Bonjour, Gabriel.

    Merci pour cette balade dans un lieu aussi étrange que le cimetière de Highgate, à la fois si romantique dans son désordre et si propice à l’élaboration de fantasmes et d’histoires effrayantes telle la légende du vampire de Highgate.

    Une légende dont s’est inspiré avec beaucoup de talent Fred Vargas dans son étonnant polar « Un lieu incertain ». Un des meilleurs opus du genre dont l’intrigue débute précisément au cimetière sous la forme de... pieds tranchés !


    • Gabriel Gabriel 1er juillet 2014 10:44

      Bonjour Fergus,

      Je n’ai pas lu ce roman de Vargas mais, grâce à vous, je vais y remédier. Merci de votre passage.


    • Fergus Fergus 1er juillet 2014 11:45

      Autre lieu étonnant, le cimetière juif de Prague. Malheureusement, les conditions de visite ont changé. Naguère on pouvait se contenter d’entrer dans ce cimetière et de le visiter à sa guise. Aujourd’hui, l’entrée est liée à un billet combiné avec la visite de plusieurs synagogues. De plus, on doit suivre un cheminement imposé. J’ai renoncé à y retourner la dernière fois que je suis allé à Prague.


  • claude-michel claude-michel 1er juillet 2014 10:45

    Les cimetières ne sont que la démonstration de la connerie humaine envers la mort...Zont une trouille bleue d’elle...alors ils lui dressent des offrandes en formes de caveaux décoratifs...

    Personnellement pour voir de belle chose..je préfère aller aux musées.. !

    Rien ne vaut un « four-crématoire » pour faire disparaitre la pourriture..et oui un corps en décomposition c’est de la pourriture.. !


    • Gabriel Gabriel 1er juillet 2014 11:14

      Bonjour claude-michel,

      C’est une optique défendable, je trouve juste que vous l’assénez un peu sévèrement. Certaines personnes ont besoin d’un repère pour se recueillir et faire leur deuil. Claude, il y a autant de monde que de façon de le voir. Merci de votre commentaire


    • Fergus Fergus 1er juillet 2014 11:49

      Bonjour, Claude-Michel.

      Je partage totalement votre choix pour la crémation des morts.

      Mais il faut reconnaître que les cimetières anciens possèdent un charme particulier. Et ne pas jeter à la pierre à ceux qui ont construits des monuments funéraires, les mœurs et le regard sur la mort ayant beaucoup évolué durant les dernières décennies.

      Encore plus spectaculaires, les ossuaires du Moyen Âge ou de la Renaissance dont certains sont de véritables œuvres d’art.


    • claude-michel claude-michel 1er juillet 2014 12:30

      Par Gabriel...Vous êtes un des rares sur Agora que je lis avec plaisir (vous avez du talent)...Excusez donc ma façon très directe de présenter les choses sans tourner autour du pot (de fleurs ?..)..Etudiant ( il y a fort longtemps) à Paris j’ai eu le plaisir de visiter le cimetière de Montmartre (moins romantique que celui proposé dans votre article...De grand sculpteurs sont exposés dans les cimetières rivalisant de talent pour sculpter des chefs d’œuvres... !


  • ZEN ZEN 1er juillet 2014 11:10

    Merci pour la méditation et les photos
    Je me suis toujours interrogé sur la gestion anglaise des cimetières
    Même dans un petit village du Kent, c’est à peine si on identifie les tombes en désordre dans le fouillis végétal
    Par contre, les cimetières anglais de l’Artois et de la Somme sont entretenus avec un soin méticuleux.


    • Gabriel Gabriel 1er juillet 2014 11:32

      @Zen, la gestion des cimetières est assez anarchique dans de très nombreux pays. Je me souviens m’être désaltéré dans un petit troquet à Istanbul situé dans le cimetière, les tables à côté des tombes. Au Mexique, la famille vient se restaurer sur les caveaux et le cimetière juif de Prague à la même typologie en terme d’entretien des stèles que celui de Hightgate. Cordialement


  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 1er juillet 2014 11:29

    Merci pour la balade et la restitution très réussie de l’atmosphère.
    Cela m’a fait penser à cette vidéo magnifique sur les anges des cimetières :
    ▶ Ennio Morricone- Chi Mai - YouTube


  • juluch juluch 1er juillet 2014 12:33

    Un jolie texte sur un endroit que je ne connaissais pas du tout....


    merci pour ce partage.

  • Vipère Vipère 1er juillet 2014 19:15

    Bonjour Gabriel

    Superbes photos sublimées par la nature qui a repris ses droits, rappelant que c’est la vie qui gagne sur l’inerte. Une vie végétale envahissante qui s’associe intimement à la pierre formant un endroit qui n’a plus rien de triste, mais plutôt une invite à se promener entre les pierres tombales anciennes et patinées par le temps.

    On n’aime peu les cimetières, une évocation de notre finitude. Et je dois reconnaître que je n’ai jamais vu personne y pique-niquer et ou y faire la sieste par une belle journée d’été, c’est dire si l’endroit, la dernière demeure, on n’y va que contraint et forcé, les jambes devant ! smiley


    • Gabriel Gabriel 2 juillet 2014 07:55

      Bonjour Vipère, il est vrai que les cimetière ne sont pas des lieux de visites très prisé et on peut le comprendre. Notre éducation à fait de la mort un tabou et la méconnaissance génère la peur. Il y a des nécropoles magnifiques à visiter, prenons simplement le Père Lachaise pour l’histoire, la culture. Bon, cela dit, face à la mort il faut une bonne dose d’humour et un zeste d’ironie. Voyez vous, lorsque j’étais à Hightgate et que je photographiais les tombes j’avais un peu l’impression de visiter un appartement témoin… Merci pour le lien. Cordialement


  • Vipère Vipère 1er juillet 2014 19:17

    les pieds devant, correctif

    On aime...


  • Vipère Vipère 1er juillet 2014 19:27


    http://www.youtube.com/watch?v=_itBzXV__LM&list=PL72F6C9E49F9DB406&index=2

    Il travaille au cimetière.... et raconte ses journées smiley


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