vendredi 29 octobre 2010 - par Christian Laurut

Le monde selon Jancovici

A propos du livre : C’est maintenant ! 3 ans pour sauver le monde de JM. Jancovici et A. Grandjean - 2009

Dans un style alerte mais documenté, tonique mais décontracté, grave mais non sans humour, MM. Jancovici et Grandjean nous expliquent qu’à force de gaspiller nos ressources naturelles, nous filons tout droit vers le mur écologique et l’impasse énergétique. Notre mode de vie est donc menacé, disons même condamné, et il va falloir se retrousser les manches rapidement (sous 3 ans maximum) si nous voulons conserver l’essentiel (voire même un peu moins) de notre façon de vivre pendant les décennies qui viennent (pour les siècles suivants, on verra plus tard….).

Plus abordable que le difficile (mais remarquable) « La Décroissance » de Nicholas Georgescu-Roegen (1979), plus intelligent et mieux écrit que « Le Principe de frugalité » bâclé par Marc Halévy (2010), cette « Critique de l’Economie de Croissance pour les Nuls » a l’immense mérite de représenter ce qui s’est écrit de mieux sur le sujet depuis ces dernières années, et ce jusqu’à la page 147.

A partir de la page 148, les auteurs transforment, malheureusement, leur excellent réquisitoire du détestable présent en un aléatoire plaidoyer pour un avenir pavé de bonnes intentions. Certes, nous ne pouvons que les remercier de leurs louables leurs efforts pour proposer une feuille de route cohérente et réaliste destinée à redresser notre trajectoire, mais nous avons relevé un certain nombre d’éléments majeurs qui, de notre point de vue, sont manifestement discutables, voire contestables.

Voyons tout ceci d’un peu plus près !

Dans le chapitre « Vouloir c’est pouvoir », les auteurs partent du principe, fort juste, que leur démonstration par a+b de l’imminence de la catastrophe ne va convaincre qu’une élite minoritaire et que dans un système démocratique comme le nôtre, il faut réunir une majorité pour agir. Ce réalisme politique les honore, tout en les distinguant des sectaires bêlants. Ils cherchent alors dans l’histoire récente des exemples d’idées minoritaires mises en application sans passer par la case « majorité démocratique ». Ainsi sont décortiqués en détail : le New Deal, le plan Marshall, le plan de sauvetage des banques lors de la crise des subprimes, le projet Manhattan (la bombe A d’Oppenheimer), le redressement économique de l’Allemagne nazie puis la réussite de son réarmement, enfin la réussite de l’effort de guerre américain en vue du débarquement de juin 1944. Bien qu’il soit hors de question de douter de la bonne foi des auteurs, ces démonstrations flirtent objectivement avec la tautologie, et témoignent au minimum d’une analyse politique quelque peu défaillante. En effet, personne ne doute que « vouloir c’est pouvoir » et il est bien évident que les exemples historiques livrés mettent en lumières des prouesses (réalisées le plus souvent par un couple « forte volonté populaire+homme providentiel ») qui le prouvent encore plus.

Les 27 pages de ce chapitre sont en fait destinées à rassurer l‘infime minorité de terriens qui, ayant lu les 147 pages précédentes et donc n’ayant pas manqué d’être convaincus par la démonstration, douteraient malgré tout que l’on puisse faire quoi que ce soit. Les auteurs entreprennent alors de marteler que les possibilités d’agir existent réellement chaque fois que la cause est grande et urgente, la preuve en est que, dans un passé récent, les hommes ont fait ceci, et cela, etc…, etc……. Or, si le lecteur a bien compris le sens de la première partie (et il y a tout lieu de penser que oui), il n’y a plus aucun doute dans son esprit sur le caractère d’extrême urgence de la situation et il n’a probablement pas besoin qu’on lui re-serve la soupe réchauffée du « sursaut national » (ou international). Nous savons bien que ce livre est écrit « pour les Nuls », mais quand même !…….

Dans le chapitre « Droite et gauche, même constat ! », nous pouvons vérifier l’excellence, déjà citée plus haut, de MM.Jancovici et Grandjean dans l’art dudit constat. Lorsqu’ils déclarent que les hommes politiques de l’UMP, du PS, du Front National, du Nouveau Centre et du NPA sont « nuls en énergie », nous les approuvons complètement, bien qu’il faille, pour en arriver à cette conclusion, développer sensiblement moins d’expertise que pour décrire l’impasse énergétique elle même. Quant aux Verts, nous nous accordons sur le fait qu’ils souffrent de leur maladie infantile chronique, l’anti-nucléaire, et pour ce qui est de la mouvance alter mondialiste, leur sectarisme congénital nous saute également aux yeux. Jusque là tout va bien, mais cela se gâte lorsque les auteurs énoncent leur stratégie politique, à savoir qu’il n’y a rien à attendre des partis minoritaires (puisqu’ils ne sont pas au pouvoir et qu’ils ne sont pas prêt d’y être) et que la bonne tactique serait donc de « peser » sur les partis majoritaires qui, eux, ont le pouvoir de mobilier l’état tout entier pour nous refaire le débarquement de 1944. Les auteurs reconnaissent leur cynisme (p.201), mais quelqu’un a dit que la fin justifiait les moyens, et, dans la cas présent, la fin justifie de mettre en oeuvre « tous » les moyens.

A partir de là, les deux remarquables technocrates que sont MM. Jancovici et Grandjean, nous concoctent la plus formidable matrice économico-politique jamais élaborée, et applicable sous trois ans par le parti au pouvoir (doté si possible d’un homme providentiel de type Nicolas Hulot ou Dominique Strauss Kahn !). Cette matrice où tout, ou presque est prévu, représente sans aucun doute le travail technocratique le plus ambitieux réalisé à ce jour par nos élites issues des grandes écoles.

Elle prévoit, en premier lieu, de remplacer le personnel politique « nul en énergie », par un personnel qui pratiquera la formation permanente dans le domaine de l’entropie. Et de remplacer également les vieux de plus de 60 ans (qui sont supposés acquis à la croissance) par des jeunes de moins 40 ans (qui sont supposés acquis à la décroissance).

Ce parti pris « jeuniste » des auteurs, sur lequel nous « bloquons » d’emblée, nous paraît à la fois dangereux (pour ne pas dire raciste) et erroné. En effet, des études sociologiques récentes montrent que la grande majorité des jeunes de moins de trente ans sont totalement acquis au mythe de la croissance infinie, définitivement addicts aux nouvelles technologies boulimiques d’énergie et carrément peu désireux de retourner élever des chèvres sur le Larzac, d’abandonner leur automobile pour le vélo, et de renoncer à la construction leur futur pavillon de banlieue. Et c’est précisément dans la population des plus de soixante ans que nous trouvons les personnes les plus réalistes par rapport au problème de la pénurie des ressources naturelles. M. Jancovici qui est né en 1962, et qui a donc 48 ans, oublie sans doute que les gens qui ont 65 ans sont nés en 1945 et que leur enfance et leur adolescence (période qui imprègne à jamais le subconscient de l’individu) s’est déroulée dans un monde qui ressemble comme un frère à celui de sa matrice, avec une consommation raisonnable d’énergie, des routes peu encombrées par quelques rares 4CV, 203, ou Dyna Panhard, sans postes de télévision, sans téléphones portables, sans emballages jetables (le lait, le vin à la tirette dans des bouteilles consignées), sans publicité tapageuse, bref sans toute cette fioriture merdique de nos années actuelles. Et ces gens de plus de 60 ans, voyez vous M. Jancovici, vous qui n’avez pas connu cela et qui, à l’âge d’or de vos 20 ans, baigniez déjà dans le système du tout-technologique, ces gens là considèrent que les années cinquante étaient de belles années, en tout cas meilleures pour la santé et le devenir de l’homme que celles d’aujourd’hui. Et ils ont sur vous l’avantage de pouvoir dire : « j’y étais » ! Mais nous faisons confiance à votre intelligence pour reconnaître votre erreur et ne plus renouveler, à l’avenir, votre propos ségrégationniste.

D’autre part, les auteurs ne nous éclairent pas davantage sur la façon de s’y prendre pour ainsi « renouveler » le personnel politique… Ils manquent manifestement de culture historico-politique, sinon ils conviendraient que les conditions d’une telle mutation sont très (très) loin d’être réunies aujourd’hui. Ce genre de changement « en douceur » ne s’est jamais produit dans l’histoire des hommes. Il nécessite généralement l’utilisation de la guillotine (1789), du peloton d’exécution (octobre 1917 et plus près de nous Ceausescu), d’invasions extérieures (Burgondes, Wisigoths, Francs, Huns, Armée Rouge, etc…), ou un soulèvement (avec endoctrinement) populaire général (longue marche de Mao, Petit Livre rouge, déplacement des intellectuels à la campagne, camps de « rééducation », etc…). Et comme les auteurs n’évoquent aucune guillotine, aucune horde barbare, ni aucun petit livre doctrinaire, nous ne pouvons croire une seconde à la moindre petite possibilité de survenance de leur scénario, fut-ce sous la houlette d’hommes providentiels tels ceux précités (et même en y rajoutant Coluche et Léon Schwarzenberg !!!…). Non, ce n’est pas sérieux !

Ce qu’il y a de vrai toutefois, et que sentent confusément les auteurs, c’est que la gestion de notre société bientôt privée des ses ressources naturelles ne pourra se faire avec le même système politique. Mais l’erreur est de croire qu’il suffit de changer les politiciens (sans dire comment) agissant dans un système politique donné pour changer ce même système. Il semble que les auteurs ne puissent pas concevoir un changement radical de régime et qu’il pensent que le modèle capitaliste puisse être « adapté » pour un retour aux années cinquante, car c’est ni plus ni moins ce qu’ils nous proposent dans la dernière partie intitulée « Y’a plus qu’à ».

Mais leur capitalisme « adapté » n’est en rien comparable au New Deal de Roosevelt, dont l’inspiration « interventionniste » n’avait pour but que de soigner le capitalisme pour mieux le faire survivre. Les auteurs se rendent-ils compte que les mesures qu’ils proposent saperaient en fait durablement les fondements même du capitalisme ? Nous parions que non, car ils sont eux même des purs produits technocratiques de la pensée unique socialo-capitaliste actuelle.

Dans l’esprit des auteurs, ce socialo-capitalisme actuel pourrait être avantageusement lifté par la mise en œuvre des mesures suivantes : la limitation de la consommation d’énergie par la taxation et l’intervention d’un organisme de régulation mondial, la mise en place d’un organisme d’aménagement du territoire limitant le développement des villes, le déplacement des populations urbaines vers les campagnes, l’application de normes basses pour l’industrie automobile, la relocalisation des approvisionnements (adieu la mondialisation !), la décarbonisation des centrales thermiques du monde entier aux frais des pays riches, la baisse des rendements en agriculture, la fin de la grande distribution, la régulation du commerce mondial par une OMC relookée, le chamboulement de la comptabilité publique, et enfin l’obligation pour la plupart des individus de « changer » de métier.

Si nous sommes d’accord avec les auteurs pour considérer que la survenance de certains événements contenus dans cette liste nous pend au nez d’ici à quelques années, nous pensons qu’il est tout à fait impossible que ce soit suite à des « mesures » prises par un gouvernement gérant une économie capitaliste. Hormis le recours fréquent à la tautologie (il faudrait faire cela, ya pas de raison qu’on ne puisse pas le faire, donc ya qu’à le faire, etc…), les auteurs ne nous expliquent jamais comment ils comptent mettre en œuvre ces « mesures » dans la réalité des faits. Par exemple, ils nous disent « beaucoup de citadins devront retourner à la campagne », mais comment cela va t’il se faire ? Allons nous voter une loi ? En fait, les auteurs font un cocktail naïf de mesures autoritaires (fiscalité des carburants), d’incitations raisonnables (achetez près de chez vous !) et de pronostics évidents (quand il n’y aura plus d’essence, certains devront changer de métier).

Nous pensons par ailleurs qu’ils se méprennent complètement sur le comportement potentiel des populations vis à vis de certaines « mesures » préconisées. En bons technocrates, ils partent du principe que, le problème ayant été correctement expliqué au peuple par de jeunes politiciens « au top », celui ci va comprendre rapidement où se situe son intérêt. Or c’est méconnaître profondément l’histoire politique que de penser cela. Les auteurs sont, certes, des hommes du présent et de l’avenir, mais, pour ce coup ci, ils souffrent d’un manque évident de connaissance du passé. Eh bien, non Messieurs, dans le domaine de la gestion des masses, cela ne se passe pas comme ça !. Relisez Platon, l’Evangile selon saint Matthieu, Martin Luter, Marx, Mao Tse Toung et mettez les évènements historiques contemporains de leurs écrits en parallèle, vous comprendrez alors votre candide méprise. Lorsque Che Guevara expliqua aux paysans boliviens en 1967 qu’en liquidant la dictature de Barrientos, ils pourraient enfin manger à leur faim, se soigner convenablement et envoyer leurs enfants à l’école, ceux ci le remercièrent en le livrant à la CIA !

Prenons l’exemple le plus frappant : la taxation de l’énergie, et plus particulièrement la taxation de l’essence. Cette mesure préconisée par les auteurs semble la logique même. Il faut économiser le pétrole, donc l’état « n’a qu’à » taxer l’essence afin de faire diminuer la consommation, d’une part, et de consacrer le produit financier de la taxation au développement des énergies nouvelles, d’autre part. C’est tellement limpide que les auteurs s’imaginent que les gens vont scrupuleusement suivre les instructions du gouvernement et laisser sagement leur voiture au garage. Malheureusement les choses ne se passeront pas comme cela, pour deux raisons principales. Premièrement : « les français aiment la bagnole » (G. Pompidou 1972). Deuxièmement : « les français ne font pas confiance aux politiciens » (axiome de comptoir). La voiture, instrument « exosomatique » par excellence, comme dirait Nicholas Georgescu Roegen, est devenu le prolongement même de l’individu, sa coquille mobile et son havre d’indépendance. Elle représente un acquis social incontournable, au même titre que la retraite, la sécurité sociale et l’assurance chômage. Priver un individu de son automobile, ou lui en restreindre l’usage, équivaut à attenter à ses acquis sociaux. Et pour défendre ses acquis sociaux, l’individu descend dans la rue ! Prenons l’exemple de la réforme des retraites. Celle ci est nécessaire puisque les cotisations diminuent et que les prestations augmentent, c’est l’évidence même, et pourtant près de 3 millions de personnes ont manifesté en faveur du maintien de la situation actuelle. Dès lors, un esprit rationnel de technocrate doit s’interroger sur ce phénomène absurde et lui trouver une explication. Celle ci tient bien évidemment dans le fait que le peuple n’a aucune confiance dans ses dirigeants et qu’il n’est absolument pas disposé à écouter un quelconque discours (même assorti de formules arithmétiques imparables et de graphiques indiscutables), venant d’aucun parti quel qu’il soit, remettant en cause ses acquis sociaux. Dans la mesure où il s’agit d’argent, le peuple est persuadé que l’essentiel des richesses financières du pays est confisquée par une élite de connivence avec les politiciens, et qu’il suffit de faire payer les riches pour financer lesdits acquis sociaux. Ce raisonnement simpliste, certes, n’est toutefois pas dénué de bon sens et trouverait, sans nul doute, une déclinaison pour cette affaire de taxation de l’essence.

Mais essayons quand même d’aller un instant dans les sens des auteurs et faisons un peu de politique fiction. Supposons qu’une telle mesure soit mise en chantier. Admettons que des politiciens jeunes et « bons en énergie », étiquetés qui « ministre de l’énergie », qui« secrétaire d’état à l’épuisement des ressources fossiles », ou qui « médiateur thermique », développent une remarquable campagne publique d’explication avec moult courbes, camemberts, histogrammes, équations, etc… destinées à informer la population que le pétrole va commencer à manquer dans 5 ans. Voici quels sont nos pronostics sur l’issue politique probable d’une telle aventure :

  1. Des clameurs s’élèveront de tous les horizons civils, syndicaux, politiques et sociaux pour affirmer que cette taxe est injuste (car elle pénalise proportionnellement plus les pauvres que les riches), et qu’il n’existe aucune garantie qu’elle sera utilisé à bon escient alors qu’on apprend dans le même temps que le fisc va faire un chèque de 250 millions d’euros à Bernard Tapie.
  2. Une multitude de faux prophètes, pseudo scientifiques et simili économistes clameront sur tous les toits que les ressources pétrolières sont encore incommensurables et que les zélateurs d’un tel projet sont à la solde des pétroliers qui veulent encore augmenter leurs marges en entretenant la psychose de la pénurie.
  3. La théorie du pétrole abiotique reviendra à l’ordre du jour, décrétant ainsi cette ressource complètement renouvelable
  4. L’ultra gauche réclamera au contraire la suppression des taxes déjà existantes afin de faire fournir au peuple le pétrole à prix coutant
  5. L’ultra droite remettra en cause le droit international sur la propriété du sous sol et considérera, que dans les conditions actuelles, les états développés ont acquis un droit d’ingérence sur les puits de pétrole des pays producteurs et qu’une exploitation directe et par la force peut se justifier

Bref, ce que les auteurs n’arrivent pas à comprendre, c’est qu’il sera impossible de faire croire à la pénurie, tant que cette même pénurie ne sera pas visible. C’est seulement lorsque les robinets commenceront à couler un peu moins fort dans la majorité les champs pétrolifères du globe, que l’idée d’une diminution inexorable de la production mondiale commencera à devenir plausible pour Monsieur-tout-le-monde. Il faudra en effet pour cela qu’il soit convaincu, dans un premier temps, que les chiffres sont exacts (c’est à dire qu’ils ne sont pas falsifiés) et que ceux ci ne résultent pas d’un complot mondial des pétroliers pour faire augmenter les prix. C’est à ce moment là, et à ce moment là seulement (que nous situons à 2 ou 3 ans après le début de la diminution effective de la production mondiale), que certaines choses pourront changer. Mais entre-temps, les prix auront déjà grimpés par le fait de l’application automatique de la loi du marché. C’est alors que le peuple réclamera une diminution (!)de la taxation des carburants afin de pouvoir maintenir le plus longtemps possible son pouvoir d’achat énergétique. Et, sous la pression de la rue, les gouvernements céderont et aboliront leurs taxes fiscales sur les carburants (TIPP). Nous voyons donc que le scénario probable qui nous attend est exactement le contraire de ce que propose les auteurs.

Pour revenir à une analyse plus générale de cet ouvrage, nous pouvons regretter que les auteurs tombent dans le panneau archi-convenu du sauvetage de la planète et de la tarte à la crème écologique. Car il va bien falloir, une bonne foi pour toutes, que les écologistes actuels (qui n’ont rien inventé depuis Pierre Fournier et sa « Gueule Ouverte » de 1972/74) choisissent entre la survie de la Terre et celle de la race humaine. Il va bien falloir qu’ils comprennent que l’homme n’a pas la puissance nécessaire pour mettre sérieusement en danger la mère nourricière, que ce ne sont pas ses maigres petits pets nauséabonds et ses misérables suintements industriels depuis quelques dizaines d’années seulement qui vont affecter la santé d’un astre vieux de 4,5 milliards d’années. Cette vision relève de la suffisance insupportable des scientifiques qui s’imaginent pouvoir influer sensiblement sur le cosmos, alors qu’ils ne sont que d’infinitésimaux grains de poussière.

Pour tout dire , ce livre, dont nous ne remettons pas en cause l’utilité publique globale, manque de crédibilité quant à son double objet de manifeste politique et de programme économique.

En tant que manifeste politique, il ne propose pas de ligne claire ni de doctrine permettant de déduire des mesures cohérentes, en application de principes fondateurs ou de fondements opérationnels. Bien plus, la mise en oeuvre (ne serait ce que) d’une seule des mesures qu’il préconise mettrait en péril les bases même du capitalisme, dont il déclare par ailleurs ne pas vouloir se débarrasser. Il s’enferme par conséquent lui même dans une impasse idéologique.

En tant que programme économique, il souffre de faiblesse dans la description de la mise en application pratique des mesures proposées, et bute souvent sur la dimension mondiale du problème. Par exemple : pourquoi limiter notre consommation d’essence (nous, les français), si les chinois, les brésiliens et les indiens et les indiens s’y refusent ? Et comment les convaincre, alors que nous avons déjà connu, nous, les griseries de la vitesse et eux, pas encore ? Allons-nous leur dire : soyez raisonnables, vous ne vivrez jamais comme nous avons vécu, mais c’est pour votre bien ? Pure illusion ! Ca ne marchera jamais……

Enfin, nous relèverons une dernière lacune de taille. Les auteurs ne nous donnent aucune indication sur la durabilité de leur montage. En effet, même si nous admettons la mise en place de leur système de limitation programmée de la consommation des ressources fossiles, nous savons pertinemment que ces dernières sont finies et qu’elles tendront irrémédiablement vers zéro. Il existe donc un moment où elles seront totalement épuisées, mais les auteurs ne nous disent pas quand ! Ils ne nous disent pas non plus si les autres pays (et notamment les pays émergents) vont faire comme nous, ce qui aurait une influence non négligeable sur la date de fin de ces mêmes ressources. Et ils ne nous disent pas non plus si nous pourrons compter sur une autre énergie importante et durable. Nous savons déjà que l’eau, le vent et le soleil sont durables mais pas importants. Reste la fusion nucléaire, et l’hydrogène. Peut on compter là dessus, MM. Jancovici et Grandjean ? Circonspects, ils ne se prononcent pas !

En résumé, ce plan de transformation raisonnable et pacifique de notre société énergivore en société frugale dispute la naïveté à l’irréalisme. Plus grande est la probabilité que les choses se passent ainsi :

  1. Rien ne changera avant l’instant fatidique où la demande mondiale de pétrole deviendra supérieure à la production (pronostiquons 2015)
  2. Par force, nos sociétés subiront une régression industrielle à l’intérieur même du système capitaliste qui, lui, restera inchangé, pour aboutir, dans un premier temps à une situation économique comparable à celle des années cinquante avec des modifications du mode vie (subies, et non décrétées) assez comparables à celles décrites par les auteurs.
  3. Mais le temps passera et les ressources fossiles (malgré la baisse subie de la consommation) finiront par s’épuiser complètement. Les énergies renouvelables (vent, soleil) se révéleront peu efficaces et peu rentables et seront quasiment abandonnées. La fusion nucléaire se révélera impossible à mettre au point, de même que la pile à combustible à hydrogène. Nous reviendrons donc au stade des années 1800 avec essentiellement le bois et la tourbe comme combustibles énergétiques. Nous serons, certes, dotés d’une montagne de déchets, mais que nous ne pourront pas recycler faute d’énergie.
  4. Le capitalisme, ayant vu ses marges fondrent, réduira les coûts salariaux afin de maintenir la plus value à un niveau acceptable. Les quatre « luxueux » accessoires du salaire nés de l’époque industrielle seront donc progressivement supprimés, à savoir : l’assurance maladie, l’aide sociale, l’assurance chômage et la retraite.

A ce moment seulement, le capitalisme sera en position de faiblesse, et une nouvelle doctrine politique pourra peut être émerger et trouver un groupe social pour la porter en avant. Ce ne sera pas le marxisme retrouvé, parce que l’analyse marxiste est conditionnée par le développement industriel du capitalisme et que ce dernier sera alors dans une trajectoire inversée. Il s’agira probablement d’une doctrine nouvelle, qui aura tiré les enseignements de la parenthèse fossile et de sa croissance consubstantielle, et qui mettra enfin la microstructure au centre des préoccupations politiques au lieu de donner encore et toujours la priorité à la macrostructure, qu’elle soit étatique, financière, industrielle, commerciale, religieuse, ou de toute autre nature organisationnelle.

En d’autres termes, l’ « individu » devra enfin prendre l’ascendant sur la « société », après avoir constaté que tous les systèmes sociaux mis en place depuis la préhistoire, non seulement n’avaient pas contribué à lui assurer le bonheur, mais avait failli le conduire à sa perte.



18 réactions


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 29 octobre 2010 11:21

    "4. Le capitalisme, ayant vu ses marges fondre, réduira les coûts salariaux afin de maintenir la plus value à un niveau acceptable. Les quatre « luxueux » accessoires du salaire nés de l’époque industrielle seront donc progressivement supprimés, à savoir : l’assurance maladie, l’aide sociale, l’assurance chômage et la retraite« .

    Cela n’est absolument pas inexorable si »les prolétaires de tous les pays s’unissent" pour acquérir le pouvoir économique en devenant collectivement actionnaires des entreprises cotées en bourse !

    Par la mobilisation de leur épargne collective, ils intégreront une dimension authentiquement humaniste au sein du Capitalisme « ordinaire » afin de le faire évoluer vers un Capitalisme intrinsèquement Écologique, Anthropocentrique, Philanthropique et Équitable grâce à l’instauration d’une Allocation Universelle transitoire suivie de la génération d’un Dividende Universel permanent et évolutif, « fonds de pension national et privé », sorte de coopérative-capitaliste, solidairement et collectivement géré par une structure spécifique, indépendante de l’État et représentative des citoyens-électeurs-contribuables qui résoudra le problème du chômage et permettra l’Acquisition Citoyenne du Pouvoir Économique.
    (cf.
    Mémoires présidentiels : 2012 - 2022)
    Un nanti capitaliste (monomaniaque & sans complexe).


    • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 11:45

      « Par les masses d’épargne qu’elle concerne, la retraite capitalisée pousse l’implication financière du salariat à son comble et, par là même, lie objectivement les intérêts des salariés aux bonnes fortunes de la finance… laquelle prospère précisément de les opprimer. » (Frédéric Lordon)

      Voilà le diner de con auquel nous convie JPL sous le masque de la mort avec un nez rouge. On ne saurait être plus cynique.

      Et ce n’est pas avec son pauvre argument évoqué là qu’il s’en sortira.


    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 29 octobre 2010 11:58

      « Et ce n’est pas avec son pauvre argument (signé Frédéric Lordon ci-dessous) évoqué là qu’il s’en sortira.
       »S’ils allaient y voir de plus près, les pauvres pensionnés britanniques en auraient les yeux qui dégringolent des orbites à découvrir les proportions phénoménales dans lesquelles se sucrent les principaux gestionnaires de leurs fonds, le pompon revenant à HSBC qui pour 40 années de versements mensuels de 200£, soit un total de 120.000£ (96.000£ plus les avantages fiscaux) se sert sans mollir une commission de… 99.900£, soit un modeste 80%.) (Frédéric Lordon)"

      Il y a confusion des genres :
      Il n’y a pas lieu de comparer des fonds de pension par capitalisation gérés par des entreprises privées
      avec une épargne collective investie dans un portefeuille boursier permettant l’acquisition du pouvoir économique dans les entreprises faisant l’objet des prises de participation de cette épargne gérée par le citoyens-électeurs-contribuables(-salariés).


    • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 12:29

      Non Llabrés, je ne fais pas de confusion des genres, c’est vous qui faites des mélanges incestueux, car c’est bien de cela qu’il s’agit, la gestion de fonds spéculatifs appelés pudiquement épargne collective « investie dans un portefeuille boursier permettant l’acquisition du pouvoir économique dans les entreprises faisant l’objet des prises de participation de cette épargne gérée par le citoyens-électeurs-contribuables(-salariés) ».

      Quelle foutaise. D’un autre coité, et sous un autre pseudo, je vous vois bien tirer à boulet rouges sur tout ce qui est collectif, à commencer par la fonction publique.

      Llabrés, votre discours ne trompe personne, vous devriez arrêter vos copiés collés imbéciles qui ne démontrent qu’une chose à ceux qui en doutaient encore : « La bêtise insiste toujours ! » (merci Marcel Camus)


    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 29 octobre 2010 14:05

      L’épargne collective à laquelle je me réfère, "investie dans un portefeuille boursier permettant l’acquisition du pouvoir économique dans les entreprises faisant l’objet des prises de participation de cette épargne gérée par les citoyens-électeurs-contribuables(-salariés)", ne constitue absolument pas des fonds spéculatifs.
      En effet, que vous le compreniez ou pas, l’investissement de cette épargne collective se fera(it) dans l’économie marchande réelle, toutes entreprises confondues (banques incluses), dont la gestion sera contrôlée par une représentation démocratique des citoyens-électeurs-contribuables(-salariés).

      sous un autre pseudo, je vous vois bien tirer à boulet rouges sur tout ce qui est collectif, à commencer par la fonction publique.
      Quel(s) autre(s) pseudo(s), SVP ?
      Accusation mensongère !

      Plaider pour une épargne collective constitue-t-il, pour vous, un tir à boulet rouge sur tout ce qui est collectif ?


    • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 14:51

      « je vous vois bien tirer à boulet rouges sur tout ce qui est collectif, à commencer par la fonction publique »

      Bien entendu, c’est une manière de dire. « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ». Ce sont les mêmes, ceux qui font du lobbying pour les fonds de pension, qui sont également ceux qui en appellent au moins d’Etat, voire pas d’Etat du tout !


    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 29 octobre 2010 15:47

      « Bien entendu, c’est une manière de dire ».

      Ce n’est pas une « manière de dire » : c’est, purement et simplement, une accusation mensongère tout à fait représentative de votre mauvaise foi intellectuelle ! ! !


    • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 15:59

      La mauvaise foi, je sais ce que c’est. L’honnêteté intellectuelle, je sais ce que c’est. La mauvaise foi intellectuelle ? Connais pas !

      OK, au lieu de : « je vous vois bien », j’aurais dû écrire : « Je vous verrais bien ». Convenez que la nuance est limite visible !

      Je vous ai mis au défi de me dénoncer un mensonge. Dans l’impossibilité de le faire, la bonne foi commande que vous jetiez l’éponge.


    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 29 octobre 2010 16:27

      « Je vous ai mis au défi de me dénoncer un mensonge »."Par JL (xxx.xxx.xxx.71) 29 octobre 12:29"sous un autre pseudo, je vous vois bien tirer à boulet rouges sur tout ce qui est collectif"

      Cela est un mensonge ! ! !


    • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 16:36

      Mais quel âne ! Puisque je vous dis que j’aurais dû écrire « je vous verrais bien » et non pas « je vous vois bien ». Je ne suis pas ridicule au point de faire croire que je vous ai vu : toute ma démarche s’inspire de la transparence, et si je vous avais VU, j’aurais mis le lien vers la chose VUE !

      Arrêtez de vous obstiner Llabrés, vous en devenez ridicule.


    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 29 octobre 2010 16:41

      Vous ignorez, entre autres,la distinction entre l’indicatif et le conditionnel.


    • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 16:48

      Ouioui, c’est ç’la !

       smiley


  • Francis, agnotologue JL 29 octobre 2010 12:55

    Bon article, qui aurait mérité d’être un peu « élagué »

    Vous écrivez : « Les auteurs se rendent-ils compte que les mesures qu’ils proposent saperaient en fait durablement les fondements même du capitalisme ? »

    Croyez-vous vraiement que ces auteurs aient inventé quelque chose qui puisse saper les fondements même du capitalisme ? que l’on pourrait saper en fait durablement les fondements même du capitalisme ?


  • eresse eresse 29 octobre 2010 13:57

    bonjour,

    Il manque, a mon avis, un moment essentiel entre les points 3 et 4 de votre scénario.
    Le fin de l’énergie pétrole/gaz verra la déchéance de notre humanité, ravagée par les maladies, la famine et les guerres dues au migrations des pays « pauvres » vers les pays encore debout.
    Le point 4 ne sera jamais atteint, notre humanité ayant régressé au moyen-age.
    L’obscurantisme nous attend au tournant en guise de nouvelle doctrine.


  • joletaxi 29 octobre 2010 18:09

    J’ai eu la curiosité de lire votre article.Il y avait peu de chances que je lise le livre,mais,et je n’ai aucune raison de croire le contraire si ce que vous écrivez est vrai,cela démontre à quel point nos « intellectuels » sont tombés bas.

    Les mesures que préconisent ces auteurs sont tellement simplistes et puériles, on croirait lire une dissertation d’un gamin de 15 ans.
    Comme vous le soulignez fort justement, l’histoire nous enseigne que la planification bureaucratique d’une société conduit inéluctablement à des catastrophes.
    Par contre, la mondialisation,qui quoi qu’on en dise, a tiré de la misère des millions de gens, va permettre de multiplier les émergences de solutions nouvelles aux changements à venir.
    Un passage m’a fait rire.ils veulent mettre les citadins à la campagne, les écolos veulent mettre les ruraux dans les villes, et ce pour les mêmes raisons.
    Contrairement à vous, je ne vois pas de pénurie énergétique avant au moins 100 ans,sans d’ailleurs avoir la moindre idée de ce que sera notre monde dans 100 ans.L’énergie coûtera plus cher ? sûrement.Est-ce grave ? non, je vous rappelle que dans les années 70,le litre de fuel était facturé exactement au même prix que maintenant,et entre temps il y a eu 40 années d’inflation.Quand le baril est monté à 100 $,GM a fait faillite,et les américains ont commencé à moins rouler.Bref, de nouveaux équilibres se mettront en place.Et n’oubliez pas que le nucléaire a un beau potentiel.
    Et puis, il faut garder un peu de logique.le même Jancoviv défend des prévisions de climat qui feront des départements du Nord, une nouvelle côte d’azur,et l’actuelle côte d’azur, un équivalent du Sénégal.Et d’un autre côté, on nous enm... avec des bilans énergétiques, des normes d’isolation, alors que l’on devrait avoir des hivers doux et beaucoup plus courts,j’avoue que la logique m’échappe.

  • aberlainnard 29 octobre 2010 22:59

    Votre conclusion et le scénario que vous décrivez paraissent très plausibles.

    En effet, les informations selon lesquelles la capacité d’extraction du pétrole est aujourd’hui très proche de son maximum technique pour ensuite décliner, proviennent de sources que l’on peut considérer comme sérieuses et sûres.

    Dans la mesure où l’activité économique des pays d’Asie, d’Amérique du Sud et même d’Afrique n’a pas cessé de croître, une reprise économique, même modeste, des pays occidentaux, fera que la demande mondiale de pétrole dépassera très rapidement les possibilités de l’offre, ceci quelle que soit l’importance des réserves qui subsisteront dans le sous-sol. C’est le débit du robinet qui compte à ce stade, et non la quantité contenue dans le réservoir. Beaucoup semblent l’oublier !!!

    Dans ces conditions votre pronostique, 2015 (à +5 ou +10 ans près c’est historiquement la même chose), est tout à fait réaliste. Nous entrerons dès ce moment dans une situation de pénurie, avec les conséquences décrites au point 2 de votre scénario, d’autant que pendant ces cinq ou dix prochaines années il y a fort à parier que nous n’aurons rien entrepris de sérieux pour nous adapter en douceur à ce déficit.

    Arrivés à ce point, la poursuite de votre scénario reste suspendu à la façon dont vont réagir les principales puissances mondiales pour assurer leur approvisionnement. Nous assistons déjà aux grandes manœuvres et le risque de conflits majeurs, qui n’est pas à exclure, rendrait toute prévision irréaliste pour la suite des évènements.


  • yvesduc 19 avril 2011 20:14
    Vous êtes un peu dur avec Jancovici ! La compréhension de la problématique du Pic Pétrolier, et de son impact sur l’énergie et notre mode de vie, est une étape indispensable de la réflexion et Jancovici a fait beaucoup en ce domaine. Son site Manicore est une mine pour tous les curieux. Il serait dommage que les gens qui ont compris le Pic Pétrolier et qui sont passés à l’étape suivante de la réflexion (les solutions et les conditions de leur mise en oeuvre, sur lesquelles je suis comme vous pessimiste), se retournent contre les pédagogues de l’étape précédente. Ce serait oublier que, malheureusement, une majorité est encore à des années-lumière de tout ça et a besoin qu’on lui apporte les rudiments. Par conséquent, bien qu’en accord avec vos réserves, je préfère voir Jancovici comme un allié plutôt que comme un opposant. Les lecteurs qui voudront creuser davantage, creuseront !

    On ne peut par ailleurs exclure un choc salutaire qui ouvre les yeux et le débat.

    Il est vrai, aussi, que ce qui met tout le monde d’accord, c’est la domination de l’homme par l’homme et l’individualisme. La société scientifiquement dirigée n’est pas pour demain ; elle réserverait certainement moins de surprises, bonnes ou mauvaises.

    Très bon article en tout cas !

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