Le troisième secret de François Mitterrand
Dans un État populaire (démocratique), écrivait Montesquieu, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU. Que les citoyens français se soient interrogés sur le grand secret de leur ancien Président, ainsi que sur le petit, est dans la logique de nos principes républicains. Conséquence du contrat moral par lequel le "prince" se lie aux citoyens, il importe, en effet, que la clarté soit faite sur tout ce qui peut paraître obscur. Mais dans la folie médiatique qui s'est emparée de la presse à la suite de la divulgation de ces deux secrets, il est étonnant qu'aucun journaliste ne se soit vraiment attaché à comprendre les véritables raisons qui ont amené François Mitterrand à ne pas se faire enterrer sur le site du mont Beuvray comme il l'avait prévu.
S'il est un lieu magique au centre de l'hexagone national français, c'est bien ce Morvan montagneux aux ténébreuses forêts de hêtres, et dominant ce Morvan, l'imposante hauteur du mont Beuvray. L'eau qui s'écoule de ses pentes transportait, jadis, jusqu'à Paris, le bois d'oeuvre et de chauffe ; et le lait de ses nourrices apportait aux enfants délicats de la capitale la vigueur d'une nature intacte.
Député de la Nièvre, François Mitterrand s'est laissé prendre au charme de cette région qui lui parlait si bien d'Histoire et de Mort, se recueillant dans cette atmosphère très particulière où le silence métaphysique pénètre tout jusqu'à l'esprit. Dans le cadre de la fenêtre de sa chambre du "Vieux Morvan", c'est le mont Beuvray qu'il voyait renaître dans la clarté du jour.
S'il est une chose qu'on ne peut pas reprocher à François Mitterrand, c'est son attachement au Morvan. Ce n'est un secret pour personne ; l'homme aimait la nature, la culture, l'histoire, et en particulier l'archéologie car c'est la science de la recherche des origines.
Il y a, dans cette affaire, un secret, un troisième et douloureux secret. Alors qu'il avait décidé de se faire inhumer sur ce site, pourquoi diable Francois Mitterrand a-t-il brusquement changé d'avis ? Pourquoi a-t-il choisi de s'exiler à Jarnac ?
Tout a commencé le 16 octobre 1979, lorsque le directeur des Antiquités historiques de Bourgogne a annoncé qu'il était question de sortir de l'oubli l'illustre site de Bibracte. Au Ier siècle avant J.C., les Eduens de Bourgogne avaient la prédominance en Gaule. Mais au fil du temps, le souvenir de Bibracte s'était perdu. Ce n'est qu'au Second Empire que la société éduenne d'Autun décida, non sans contestation, de situer Bibracte au mont Beuvray... tragique erreur ! Déchelette, un des pères de l'archéologie francaise, y avait pourtant identifié des poteries boïennes semblables à celles retrouvées sur l'oppidum boïen de Stradonice, en Bohême. En toute logique, il aurait dû faire le rapprochement avec Gorgobina, cet oppidum inconnu où César installa les Boïens après la bataille qu'il remporta sur eux et sur les Helvètes. Hélas, Déchelette ne s'est pas posé de questions tant il était persuadé de se trouver sur le site de Bibracte. S'il avait fait le rapprochement qui s'imposait, il aurait pu rectifier le tir. Après avoir placé Gorgobina au mont Beuvray, il aurait cherché Bibracte ailleurs et il l'aurait trouvée - très probablement - au centre de la Bourgogne du Sud, dans le village médiéval de Mont-Saint-Vincent, ancienne ville murée, ancienne place forte des comtes de Chalon.
Le 25/11/80, le dossier du mont Beuvray est soumis à la réflexion de François Mitterrand.
Le 18/9/85, le Président fait sa première grande visite officielle au site, entouré de nombreux ministres dont celui de la Culture, Jack Lang. M. Pierre Joxe est présent. Le mont Beuvray est déclaré "site national". Sur la plaque commémorative, on inscrit la phrase suivante : « Ici s'est faite l'union des chefs gaulois autour de Vercingétorix, »... nouvelle erreur ! A l'issue de son allocution dans laquelle il appelle les Français à la cohésion nationale, François Mitterrand se recueille face à la grande plaine de l'Histoire comme il aimait le faire depuis la roche de Solutré.
On rêve. On affirme que les fouilles laissent augurer de très importantes découvertes. On s'engage devant l'opinion à la tenir au courant avec la plus grande célérité et sans restriction aucune.
A Autun, on déclare : « Le mont Beuvray sera peut-être le plus grand site de l'Occident. »
Le 22/11/90, la presse annonce que le président de la République a décidé la construction sur l'oppidum d'un centre archéologique européen, d'un musée de la civilisation celtique et l'aménagement de ce site de 135 hectares.
Site national, chantier-école international, drainant chaque année la fine fleur de l'archéologie nationale et européenne, outil de rêve pour l'archéologue, le Beuvray reçoit chaque année un budget de 3 millions à 3, 5 millions de francs. Le chantier engloutit l'équivalent du budget annuel d'une direction archéologique telle que celle du Centre.
Mais les fouilleurs se découragent vite de ne rien trouver de concluant. A Paris, on s'impatiente. A la Cour des comptes, on ne se pose pas de questions.
Après la visite d'Emile Biasini, secrétaire d'Etat aux grands travaux, le coût total du projet est estimé à 200 millions dont 80% pris en charge par l'Etat.
Le 4 avril 1995, François Mitterrand, président de la République Française, inaugure sur la hauteur du mont Beuvray considérée comme le site de Bibracte, le dernier de ses grands travaux : le Centre Archéologique Européen avec son musée consacré aux Celtes. La construction de ce centre, dont l'ambition est de montrer aux touristes la grandeur de la civilisation protohistorique et celtique qui rayonna sur toute l'Europe avant la conquête de la Gaule par les Romains de Jules César, devait marquer le point culminant d'un projet de grande envergure au bénéfice d'une archéologie française en quête de reconnaissance nationale et internationale.
Le jour de l'inauguration, à l'étonnement des journalistes, il n'y eut aucun discours, ni du président de la République, ni du ministre de la Culture.
Le 15/5/95, le président de la République accordait au Monde une interview (édition du 29 août), dans laquelle il mettait en exergue l'importance de l'Histoire, véritable culture de l'homme politique, mais il rejettait sur l'historien la responsabilité de l'interprétation... étonnant testament.
Dans l'édition de Paris Match du 28 septembre, Madame Danielle Mitterrand expliquait pourquoi, elle et son mari, avaient décidé, un moment, de se faire enterrer sur le mont Beuvray. Elle insistait sur le fait qu'ils n'avaient pas pris cette décision par rapport à l'histoire du site mais en raison de la tranquillité du lieu, de la proximité de Château-Chinon et de l'école où son père a enseigné. Elle ne prononcera pas une seule fois le mot de Bibracte.
Le 25/10/95, le Journal de Saône-et-Loire révèlait que François Mitterrand avait confié au sénateur-maire de Château-Chinon que s'il ne pouvait pas se faire enterrer au mont Beuvray, il envisageait de porter son choix sur Latché, où de faire répandre ses cendres sur le site gaulois.
Le 18/1/96, Paris Match - qui n'avait rien compris - annonçait le décès du président de la République en présentant le mont Beuvray comme le lieu d'inhumation choisi.
Le 6 février 1996, dans sa Lettre n° 1003, le président du conseil régional de Bourgogne avait pourtant posé la seule question qui vaille et que tous les journalistes intelligents auraient dû se poser depuis déjà longtemps : « OÙ EST BIBRACTE ? »