vendredi 9 mai - par C BARRATIER

Les Ecoles Normales d’Instituteurs et d’Institutrices

En 2025, c'est la crise de recrutement d'enseignants, des métiers devenus difficiles.

Souvenons nous des temps où les familles pauvres envoyaient leurs enfants passer un concours d'entrée très difficile dans l'école normale de leur département. Après la classe de troisième. Reçus ils recevaient une formation solide, passaient leurs deux bachots, puis une année de formation professionelle, sur le terrain.

Les EN étaient un ascenseur social, et le point d'appui d'une société qui avait besoin de gens instruits.

Les Ecoles Normales
PETIT HISTORIQUE DES ECOLES NORMALES EN GENERAL
ET DE CELLES DE L'ARDECHE EN PARTICULIER




En 1833 la loi GUIZOT crée les Ecoles normales de garçons

Après quelques tentatives en l’an III et sous le premier Empire c’est sous le règne de LOUIS-PHILIPPE que le ministre de l’Instruction Publique, François GUIZOT, fait voter le 28 juin 1833, une loi qui stipule : « Tout département sera tenu d’entretenir une Ecole normale primaire soit par lui-même soit en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins. »
Avant cette directive 47 départements étaient déjà pourvus d’un tel établissement : la doyenne des E.N., celle de Strasbourg, datant de 1810.
La loi Guizot prévoit 2 années d’études et il faut être âgé d’au moins 16 ans pour se présenter au concours d’entrée. Les élèves-maîtres seront internes ou externes, boursiers ou élèves libres mais les boursiers signeront un contrat d’engagement de 10 ans.

En Ardèche, l’Ecole normale d’Instituteurs a été ouverte, le 4 novembre 1831, avec 11 élèves-maîtres, dans un local situé à l’emplacement de l’actuelle école du Sacré-Cœur.


« Dès sa naissance l’Ecole normale s’adjoint une école primaire destinée à exercer les élèves-maîtres… à la pratique des bonnes méthodes et des meilleurs résultats.

« Mais ce local apparaît tout à fait insuffisant dès qu’une 2e année est créée, en octobre 1833… il y a 22 élèves et le dortoir ne contient que 18 lits. »

Elie REYNIER « Les Ecoles normales primaires de l’Ardèche »

Dans cet ouvrage, Elie REYNIER nous donne l’horaire quotidien du normalien à l’E.N. de Privas au cours de l’année scolaire 1840-1841.


« Lever à 4 heures en été, à 5 heures en hiver et prière publique pour chaque culte ; chacun fait son lit et se lave. Etude de 6 h à 7 h ½, pendant laquelle une escouade de 3 élèves, renouvelée tous les 3 jours, assure le service de propreté des classes et du dortoir (1), ainsi que le sonner des lever, exercices, repas et coucher. Déjeuner à 7 h ½. Cours de 8 h à midi. Dîner à midi : chaque élève, par tour, fait la lecture, ainsi qu’au souper ; 2 élèves font le service de la table. Récréation jusqu’à 1 h ½. Cours de 1 h ½ à 6 heures. De 6 h à 7 h : pendant l’hiver, étude ou dictée ; en été, conférence pour chaque division. A 7 h souper et récréation. A 8 h ½, lecture de piété et prière publique. A 9 h, coucher. »


Elie REYNIER ajoutera plus loin :
« L’horloge, la cloche et le tambour figurent parmi les objets symbolisant l’Ecole normale d’alors. »




Au printemps 1844, commenceront les travaux de construction, rue de la Recluse, d’une nouvelle Ecole normale où les normaliens feront leur entrée en octobre 1846.

L’E.N. sera, par la suite, agrandie à plusieurs reprises et les élèves de la promotion1956-60 seront les témoins de la dernière extension avec la construction, dans les années 1956-58 d’un bâtiment abritant des chambres, une salle de classe réservées aux élèves-maîtres de 4e année et un gymnase.

A leur sortie de l’Ecole normale les maîtres sont recrutés par les communes qui, toujours d’après la loi GUIZOT de 1833, si elles ont plus de 500 habitants, sont dans l’obligation d’ouvrir une école de garçons, dont la fréquentation est facultative, d’entretenir les locaux et de rémunérer les maîtres.
L’obligation d’ouvrir une école de filles ne s’impose qu’aux communes de plus de 800 habitants.

En 1851, l’âge minimum des recrues est relevé à 18 ans, au lieu de 16, et la scolarité est portée à 3 ans mais le concours d’entrée est supprimé au profit d’une enquête de moralité qui doit permettre de déceler la vocation du candidat.
Le 31/10/1854 une instruction ministérielle précise que, dorénavant, les candidats devront satisfaire, en plus de l’enquête de moralité, à un examen individuel qui évaluera leur niveau en lecture, orthographe, sur les 4 règles (arithmétique) et l’histoire sainte.
En 1866 Victor DURUY, ministre de l’Instruction Publique, rétablit le concours et la circulaire du 19 mars 1868 ramène à 16 ans l’âge d’admission.

En 1880 ouverture de l’ Ecole normale d’institutrices de Privas



Le 9 août 1879, Jules FERRY, ministre de l’Instruction Publique et Paul BERT font voter une loi qui impose à chaque département d’avoir une Ecole normale de filles et une Ecole normale de garçons.
Suite à cette loi la ville de Privas acquiert au quartier de Bésignole une maison et un terrain de 5300 m2 pour l’établissement d’une Ecole normale d’Institutrices. La première promotion de normaliennes y est installée en décembre 1880. Des travaux d’agrandissement sont immédiatement entrepris et, en 1882, les trois promotions peuvent être accueillis à Bésignole. Le 1er décembre 1883 l’école annexe de filles est également installée.
A cette date seuls sept départements ne possèdent pas encore d’E.N.G. mais les E.N. de filles ne dépassent pas la vingtaine. Grâce à la loi de Jules FERRY, 10 ans plus tard, presque tous les départements seront pourvus d’une E.N.F.



Ferdinand BUISSON : une personnalité exceptionnelle qui fut, pendant 17 ans le Directeur de l’enseignement primaire. Nommé en 1879, il souhaite substituer à l’histoire sainte dans l’enseignement primaire, une instruction morale indépendante de la tradition judaïque et de tout dogme théologique.
Il disait de l’école laïque qu’elle devait « prendre l’être humain pour lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même ; qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite, d’un maître, d’un chef, quel qu’il soit, temporel ou spirituel. »
Député radical-socialiste, il est l’un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme et sera prix Nobel de la Paix en 1927

L'Ecole Normale de filles, (aujourd'hui IUFM) de Privas

« Après que furent construites et aménagées les E.N. d’Institutrices dans l’Ardèche et la Drôme, l’idée vint à quelques-uns… de réaliser une simplification et des économies en réunissant [à Valence] les deux E.N. de garçons et à Privas les deux autres (ou inversement). »

Elie REYNIER « Les Ecoles normales primaires de l’Ardèche »

Ce projet n’aboutira pas mais la fusion sera effective pour d’autres départements : pour le Vaucluse et les Basses-Alpes, par exemple, les filles seront accueillies à Digne et les garçons à Avignon.


Le vote des lois scolaires et les nouvelles conditions d’accès à l’E.N.

En 1881 et 1882 Jules FERRY fait voter 2 lois importantes pour l’enseignement primaire : la loi du 16 juin 1881 proclame la gratuité de l’école publique et, avec la loi du 28 mars 1882, l’école devient obligatoire (de 6 à 13 ans) et laïque .
L’entrée à l’Ecole normale est alors soumise à un concours préparé dans les Ecoles Primaires Supérieures et ouvert aux candidats, et candidates, âgés de 15 à 18 ans et détenteurs du certificat d’études. Les normaliens passent le Brevet Elémentaire (B.E.) à la fin de la 1ère année et le Brevet Supérieur (B.S.) à la fin des 3 années de scolarité. A partir de 1888 il faudra être titulaire du B. E. pour pouvoir passer le concours d’entrée et, en 1905, les 2 premières années seulement seront consacrées à la préparation du Brevet supérieur, la 3e année, réservée à l’approfondissement de la culture générale et à l’éducation professionnelle, conduira au Certificat de Fin d’Etudes Normales (CFEN). Ce système de recrutement permettra à de nombreux élèves des milieux populaires d’accéder, grâce à la gratuité des études à l’E.N., au métier d’enseignant.

« Les promotions sont composées d’élèves provenant d’Ecoles Primaires Supérieures. Dans les milieux ouvriers et paysans, le concours d’entrée à l’Ecole normale jouit d’un prestige considérable. Quel bonheur et quelle fierté pour des pères et mères de voir l’un de leurs enfants accéder à la fonction noble et respectée de maître d’école ! » nous dit Alain VINCENT dans son ouvrage : « L’Ecole Normale »

La formation à l’E.N. à la fin du XIXe siècle

La fonction fixée aux futurs maîtres est d’importance : il s’agit de former des citoyens respectueux du régime républicain, défenseurs fidèles de la Patrie. L’école doit concourir efficacement à l’unité de la Nation. Les « hussards noirs de la République » s’acquitteront avec zèle de leur mission. A l’Ecole normale le travail est intense, essentiellement livresque : la journée commence très tôt le matin et se termine fort tard le soir : l’Ecole normale est un véritable monastère laïc.


« L’administration, toujours présente, imprègne les élèves de ses préceptes officiels, de son catéchisme, développe les habitudes de soins, d’hygiène, de bonne tenue vestimentaire, de respect de soi, des autres, des biens privés et du bien public. Elle impose les qualités morales d’ordre, de labeur, de civilité dans l’existence quotidienne. Elle évoque la prudence, la bienséance, la politesse, l’obéissance, le ténacité, la dignité. Un véritable cheminement intérieur, réfléchi, accepté, intériorisé, se met en place. Les jeunes normaliens… appartiennent à un monde à part. Disons-le simplement : la République comme tout régime est créatrice d’élites. Les hussards noirs en sont une et non des moindres. »


(La grande aventure des Ecoles normales d’instituteurs Christian BOUYER Le Cherche Midi 2003)

« La République a fait l’école, l’école fera la République. »
(La Revue Pédagogique d’octobre 1883)

Belle conclusion, que je souhaite compléter par quelques observations. C'est parce que ces Enseignants de l'Ecole publique étaient des militants que l'Ecole publique s'est imposée. Car en face, d'autres militants, ceux de l'école catholique qui régnait en maîtresse. Ceux là ont tout fait pour empêcher les instituteurs d'obtenir des crédits de fonctionnement, les accusant de ne pas enseigner la morale alors que la morale laïque respectueuse de toutes les philosophies soutient aussi bien la liberté de conscience pour les croyants et pour les non croyants. Les protestants, nombreux dans des départements comme l'Ardèche, ont soutenu l'école publique. Par leurs résultats scolaires et moraux, les écoles publiques ont concurrencé les écoles privées, les parents d'élèves ayant le souci des résultats scolaires : Le certificat d'études était obtenu à presque 100 % à l'école publique, à moins de 50 % à l'école privée.
Au delà du certificat, l'industrie pour se développer avait de plus en plus besoin de gens instruits.

Claude Barratier
 



12 réactions


  • Seth 9 mai 16:28

    Sujet réservé à Rosemar.  smiley


    • Octave Lebel Octave Lebel 9 mai 18:10

      @Seth

      Toujours l’ironie facile. Ce rappel est intéressant parce qu’il y avait là, bon an mal an une dynamique d’élévation des connaissances et de formation d’un citoyen, une volonté politique et une république à consolider et pérenniser. Il y eut aussi une réaction à la défaite contre l’Allemagne de Bismarck qui avait fait l’unité de l’Allemagne sous la forme d’un Empire (au passage, document signé dans la Salle des Glaces à Versailles en 1871.Humour impérial allemand ) dont je ne sais plus quel responsable politique avait dit à cette époque qu’en fait nos devions notre défaite non pas aux soldats mais aux instituteurs de Bismark. Pour mémoire, rappelons aussi que durant la guerre 14/18, un instituteur mobilisé sur deux a été tué en France. De par leur formation, ils se sont retrouvés lieutenant ou sous-lieutenant, non pas à l’arrière mais dans les tranchées, à la tête desquelles ils chargeaient en tête le plus souvent quand on leur demandait...
      Nous avons un système éducatif qui soit un service public à remettre sur pied de fond en comble. Sarkozy en a été le fossoyeur content de lui (le numéro deux du MEN fut alors Blanquer, futur ministre d’un Macron). Et les autres ont suivi. Hollande, fidèle à ses valeurs et convictions, a mis des pansements. Il était au maximum de sa réflexion et volonté.Macron a fait mieux que Sarkozy.Il a eu plus de temps.
      A tout hasard, depuis le début de ce siècle, combien avons-nous eu de ministre de L’EN issu de l’enseignement public et ayant confié pour l’essentiel ses enfants au service public qui représente 75 % de la scolarisation ?

      Nous avons tort en tant que citoyen quand nous désertons la politique.


  • Krokodilo Krokodilo 9 mai 17:37

    Bel hommage historique. Mes parents en étaient issus. C’était un autre monde, celui du dévoué Topaze, qui n’entendait aucun smartphone pendant sa dictéeeu ! Il me semble également que les boursiers pouvaient changer d’avis au bac à condition de rembourser les deux ou trois ans de bourse. Vive la laïque !


    • chantecler chantecler 10 mai 08:52

      @Krokodilo
      Vous insinuez que Topaze est le modèle de l’enseignant républicain ?

      Non , c’est une farce écrite par Marcel Pagnol dont le père était un instituteur respecté et dont il était fier .

      Cela dit on peut utiliser la dérision à tous les niveaux des débats .

      Ca contribue à l’absurde généralisé, à l’anomie , à un monde où personne ne croit plus en rien , par manque de sens et de repères .
      Qui est facile alors de gouverner .

      Les pubards , industriels et autres propagandistes l’ont bien compris .

      Voyez ce qu’est devenu la télévision , autrefois dite « fenêtre sur le monde » .

      Aujourd’hui machine à promouvoir n’importe quelle marchandise, quel tyran , à décérébrer .

      Qui a envahi également le net .


    • Krokodilo Krokodilo 10 mai 14:20

      @chantecler Je dirais plutôt une comédie, avec sa morale sous-jacente. Topaze, instituteur dévoué mais un peu naïf, envie un manteau hors de prix dans une vitrine, et rêve de palmes académiques, qu’il n’obtiendra qu’après avoir intégré le monde de la bourgeoisie et de l’argent, nous dirions aujourd’hui de la finance, de la spéculation.


  • JulietFox 11 mai 10:13

    J’aime bien l’appellation Instruction Publique, car ce sont les enseignants qui instruisent.

    Les parents doivent Eduquer.

    Ma mère et une de ses soeurs, files de domestique agricole, furent institutrices. La laïcité chevillée au corps.

    Je suis allé à l’école en 1950. Le fameux Certificat d ’Etudes Primaires, passé en 1958.

    Nous pouvions dessiner la carte de France, savions où les fleuves prenaient leur sources, leurs principaux affluents. Avions appris la Marseillaise. Comment fonctionnait la République. Savions conjuguer le français sous toutes ses formes, et bien sur les dates d’Histoire. Marignan 1515, n’est il pas ?

    Il y avait les devoirs à la maison ( je n’étais pas favorisé, au contraire) les calottes (gifles)

    De nos jours c’est la catastrophe. On met devant des enfants des gens avec un Master 2, qui ne savent même pas diriger une classe. Bien sur, il y a le CPE qui vient de temps à autre.

    De toutes façons, un peuple instruit est difficile a diriger. Et puis il y a Google.

    Pauvre France !


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 11 mai 10:49

      @JulietFox
       
       ’’ J’aime bien l’appellation Instruction Publique, car ce sont les enseignants qui instruisent. ’’
      >
      Bien d’accord avec vous. Mais qui éduque, qui a éduqué les parents ?


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 11 mai 10:21

    Autrefois, on formait des instituteurs. Aujourd’hui, on veut mettre devant les jeunes enfants des professeurs à la tête farcie de savoirs disciplinaires mais auxquels on n’a pas appris à tenir une classe ou à seulement bien écrire au tableau ! Les Topazes d’autrefois étaient peut-être un peu ridicules, mais la plupart de leurs élèves le respectaient, respectait l’école et en sortait avec un savoir leur permettant de se débrouiller dans la vie. Ce n’est plus tout à fait le cas et, d’ailleurs, il faut reconnaître que les enfants ont bien changé et leurs parents également !


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 11 mai 10:23

    « respectaient l’école et en sortaient »

    En vieillissant, on oublie l’orthographe !!!


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 11 mai 11:57

    « Le certificat d’études était obtenu à presque 100 % à l’école publique »

    Ce n’était vrai que lorsque les instits ne présentaient au certif que ceux qu’ils jugeaient aptes. Un pourcentage non négligeable sortait de l’école sans le certif. mais peut-être plus savants que certains bacheliers d’aujourd’hui !


  • Eric F Eric F 11 mai 19:15

    Article tout à fait instructif ...sur l’instruction publique.
    Je regrette juste que la conclusion se focalise autant sur la concurrence avec l’enseignement privé, l’essentiel est qu’un enseignement de qualité a été apporté par les instits, dont le système de formation était tout à fait efficace et approprié. L’escalade diplômatique qui a remplacé les écoles normales a été contre-productive, le surcroit de savoir se fait au détriment de la communication du savoir -bon, il est vrai que les élèves sont devenus plus réfractaire-.


Réagir