vendredi 5 juillet 2013 - par Fergus

Les gaietés de la Territoriale

Régulièrement, la gestion des collectivités locales est pointée du doigt. Pas toujours à tort. Ici l’on dénonce des effectifs pléthoriques, là des redondances de postes, ailleurs des abus relevant du népotisme. Des constats trop souvent vrais, hélas !

L’humoriste Georges Courteline, dans « Les gaietés de l’escadron », et l’excellent auteur germanique Hans Helmut Kirst, dans plusieurs de ses livres, ont naguère pointé du doigt, l’un dans le registre de la farce, l’autre sous un habillage d’humour décapant, les travers de l’armée française pour le premier, de l’armée allemande pour le second. Une armée engoncée jusqu’à la caricature dans la lourdeur de ses procédures, voire leur stupidité. Et quiconque a porté l’uniforme peut témoigner de la justesse d’observation de leurs écrits.

Or, voilà que dans notre pays, par le biais des dérives d’une décentralisation administrative en partie détournée de ses objectifs initiaux, nos collectivités territoriales ont pris le relais d’une « Grande muette » contrainte par les crises économiques et la diminution corrélative de ses moyens humains et financiers à rationaliser ses procédures. Il faut bien, dans la Territoriale, utiliser ici et là les effectifs obèses engendrés par une politique locale clientéliste parfois enveloppée de relents népotiques. Rien de tel, pour cela, que de mettre sur pied des missions et des comités chargés de réfléchir à la modernisation des procédures et, après moult réflexions consignées comme il se doit dans des rapports d’étape, de proposer des axes d’action en vue de professionnaliser les effectifs. 

C’est ainsi que le Conseil Général du Finistère – mais il n’est évidemment pas le seul, à gauche comme à droite – multiplie depuis des années les initiatives destinées à doter ses collaborateurs, qu’ils soient fonctionnaires ou pas, des compétences les plus pointues. Avec pour objectifs : d’une part, de rendre les meilleurs services possibles aux administrés des services départementaux ; d’autre part, d’améliorer la gestion de ses ressources humaines et l’entretien quotidien des nombreux locaux gérés par le Conseil Général.

Louable volonté ! Mais alors, pourquoi sommes-nous pris d’un inextinguible fou-rire en prenant connaissance des documents qui, régulièrement et largement distrtibués, décrivent les processus envisagés ? Les sujets traités sont pourtant des plus sérieux. Certes ! Mais la puissance comique des Chargés de mission ayant rédigé ces documents est telle – sans doute à leur insu – qu’il en devient inutile, pour se distraire un moment, d’écouter sur les ondes les pitreries des Nicolas Canteloup, Florence Foresti et autre Anne Roumanoff : il suffit pour cela de lire une plaquette signée Cg29. 

Celle-ci par exemple : « Professionnalisation des agents d’entretien des locaux ». D’emblée, le document nous indique que l’objectif poursuivi est double : d’une part, « la valorisation d’un métier », d’autre part, « la réhabilitation d’une fonction ». Pas de quoi rire jusque-là. Bien au contraire, on apprend avec consternation en lisant ce texte que le personnel d’entretien du Conseil Général n’était pas valorisé jusque-là ; quant à la fonction d’entretien des locaux, le niveau de rejet, voire d’opprobre qu’elle suscitait devait être bien grand pour qu’elle ait besoin d’être réhabilitée !

On taquine, évidemment. Et les respectables objectifs détaillés dans « ce projet complexe initié par la collectivité et confié à l’Unité hygiène et propreté des locaux, Service gestion des bâtiments, Direction des bâtiments et services généraux » (ouf !) n’amènent pas le moindre sourire sur les lèvres du lecteur. On en serait presque déçu, eu égard aux précédentes prestations des humoristes du Cg29. Qu’à cela ne tienne : avec un sens très aigu du processus comique, les rédacteurs ont su garder pour la fin les aspects désopilants de leur plaquette. C’est en effet dans le calendrier opérationnel que se nichent les gags. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre quelques exemples d’actions :

« Définir le niveau de service par bâtiment. Durée prévisible de juin 2012 à juin 2014. » Mazette ! Deux ans ! Sans doute ce délai s’explique-t-il par le nombre pléthorique des bâtiments.

« Organiser le nettoyage. Durée prévisible de janvier 2013 à décembre 2014. » Deux ans, là encore. Impressionnant !

« Construire une fiche d’identité par bâtiment. Durée prévisible de mars 2013 à fin 2014. » Sept trimestres seulement pour une telle charge de travail, est-ce bien raisonnable ?

Ce que ne dit pas le document, c’est combien de temps a dû être consacré aux réunions antérieures à sa rédaction : six mois ? un an ? plus encore ?

Aurais-je trop chargé la barque ? J’entends déjà les protestations des administrés du Conseil Général du Finistère. Et de fait, il faut reconnaître que cette collectivité locale est plutôt efficace dans ses domaines de compétences. C’est notamment vrai pour tout ce qui touche à l’Action sociale, au point que le département de la pointe Bretagne est considéré comme l’un des meilleurs sur le plan national en matière d’aide à l’enfance et aux personnes âgées.

Peut-être gagnerait-il tout simplement à revoir sa communication...



16 réactions


  • gruni gruni 5 juillet 2013 11:05

    Bonjour Fergus


    « la valorisation d’un métier » il serait temps d’y penser en effet et pas seulement dans le Finistère. Pour les agents d’entretien et plus généralement pour les travailleurs manuels. En commençant par revoir les salaires et les horaires de travail.
    Je viens justement de recevoir le magazine du Conseil Général sur lequel figure un article d’Aurélie Filippetti qui est Conseillère Générale d’un canton. Elle y parle de giratoire et de trafic routier mais pas du cumul de mandats. Le changement ce n’est pas pour tout de suite !

    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 11:27

      Bonjour, Gruni.

      Entièrement d’accord avec ces constats. Il reste manifestement beaucoup à faire, d’une part en termes de reconnaissance du travail - et cela passe en effet notamment par le salaire des employés -, d’autre part en termes de priorités liées aux attentes de la population.

      Le changement n’est effectivement pas pour maintenant, à commencer par le sommet de l’Etat, déprimant de frilosité.


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 5 juillet 2013 11:07

    Bonjour Fergus,

    aucun doute, plus on approche de la préfecture et plus on s’éloigne de la masse des crédules ignorants. Il devient donc tentant de leur rédiger des notes de service novlanguesques plus faciles ainsi à interpréter et donc sujettes à réprimer l’obéissant en cas de maldonne...C’est d’ailleurs en confiant un titre à rallonge à un simple exécutant qu’on va lui faire croire qu’il acquiert de l’importance. Le but d’un tel manège qui bien sur coûte plus cher est de détourner encore plus y compris de l’attention des scrutateurs de votre genre...

    Mais en haut lieu, le but est surtout de multiplier le nombre d’inconscients du travail de fourmi qu’ils effectuent quotidiennement pour faire couler le navire national en agrandissant scrupuleusement chaque fuite dans la coque. Cela augmente encore plus le travail de ceux qui souquent ferme et l’incompréhension générale de tous devant le navrant résultat de tant d’effort. Tout ça alors qu’il y a une solution si simple : balancer le capitaine et son premier assistant sur une chaloupe direction le grand marché transalambique...


    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 11:36

      Bonjour, Lisa Sion.

      Le fait est que, derrière toute cette communication, se cachent bien souvent, des arrière-pensées visant à enfumer ici les employés, là le public.

      L’illustration la plus flagrante en est donnée par toutes ces « chartes de qualité » qui se sont multipliées depuis des années dans les entreprises et dont l’objectif réel est le plus souvent de masquer les carences existantes derrière l’affichage d’un volontarisme.

      Et ce qui vaut dans les entreprises a évidemment cours au sommet de l’Etat et dans les collectivités.


  • jack mandon jack mandon 5 juillet 2013 13:00

    Bonjour Fergus,

    Un principe basique, lorsque l’on est impliqué, parce que propriétaire
    de son entreprise, on fait une gestion consciencieuse et responsable.
    Les gestions d’état, le collectivisme quel qu’il soit ne feront jamais aussi bien.
    Vous avez l’esprit d’équipe et le coeur à gauche...moi pas vraiment.
    J’ai toujours apprécié votre courtoisie, même si nous avons des divergences.
    Nous sommes enclins à débattre et c’est bien ainsi.
    Je voulais vous dire aussi, je n’arrive pas à suivre l’actualité comme vous.
    Dans ce journal et dans la réalité journalistique, c’est vertigineux pour moi.
    J’ai tendance à me focaliser sur un thème et à ruminer.
    J’aurais fait un mauvais gardien de but en me trompant de match. une passoire.

    Bonne journée Fergus.
    .


    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 14:14

      Bonjour, Jack.

      Si votre esprit est moins dispersé que le mien, cela vous donne l’occasion de traiter du sujet de votre préoccupation du moment avec profondeur et pertinence.

      Il est vrai que, depuis tout jeune, je suis éclectique dans mes pôles d’intérêt et sujet à des acrobaties. Cela peut être une qualité comme cela peut être un défaut. 

      Je ne partage pas tout à fait votre point de vue sur la gestion publique. Ce qui la rend parfois peu efficace, c’est son rapport au budget. Mais les temps changent, et la plupart des secteurs de la fonction publique ou des services publics ont entrepris une rationalisation de leur gestion. Il reste des progrès à faire, mais cela vaut également pour certaines grandes entreprises privées, elles aussi encore sujettes à des lourdeurs de gestion.

      Pour ce qui est de mon passé de gardien de but, j’ai eu moi aussi des hauts et des bas. Mais sans jamais perdre le goût pour le jeu et pour lui seul, indépendamment de tout résultat.

      Excellent après-midi.


  • bernard29 bernard29 5 juillet 2013 14:39

    Fergus ,

    le Conseil Général du Finistère est très heureux d’apprendre qu’il y a au moins un bon lecteur de son magazine (mensuel je crois ou à parution variable, je ne sais plus).

    a) il y a ceux qui le jettent à la poubelle dès son arrivée,

    b) d’autres qui le feuillettent à toute vitesse avant de faire comme les premiers

    c) d’autres qui lisent un article rapidement , essayent les mots croisés débiles, et font comme les premiers ..

    d) d’autres qui le gardent sur la table pendant quelques jours parce que quand même on est citoyen un peu ... mais qui se demandent 2 ou 3 matins quand leur attitude civique va prendre fin, et qui se résolvent à faire comme les premiers.

    e) et il y a le lecteur critique FERGUS, et c’est bien.

    Pour ma part, je pense aussi comme vous, qu’il y a un gros ménage à faire dans les communications institutionnelles qui enfument les citoyens avec leur autosatisfaction déconnectée des besoins et attentes de la population.. 

    Mais c’est vrai que c’est aux citoyens de se prendre par la main pour intervenir auprès de leur collectivité locale et votre article le rappelle à bon escient.

     


    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 16:12

      Bonjour, Bernard.

      Je faisais allusion non pas à un article paru dans « Penn ar Bed », mais bien à l’une de ces plaquettes d’information largement distribuées ou disponibles dans les locaux du Cg29.

      Cela dit, j’ai reçu le journal du Conseil Général durant mes années morlaisiennes, et le fait est qu’il est de la même veine. Un bon point cependant pour lui, et pour celui des Côtes d’Armor que je reçois désormais, on ne voit pas la tête du président sur toutes les pages comme cela se produit trop souvent. Merci donc à Pierre Maille et Claudy Lebreton de ne pas nous imposer leur bobine plus que nécessaire.

      Pour en revenir au fond, le fait est qu’il y aurait un gros ménage à faire en termes de communication institutionnelle.


    • bernard29 bernard29 5 juillet 2013 18:58

      oui sur les bobines , c’est vrai.

      je viens de remarquer que j’avais même oublié le nom du magazine ; « Penn ar bed ». Je crois que tu as raison, mais tu es sûr qu’il y a deux n à Penn, parce dans le temps j’habitais un quartier qui s’appelait « Pen ar pont ». On l’écrivait toujours avec un n. mais peut être que c’était à moitié francisé, ou qu’il y a tellement de diversité dans le breton  !!!!


    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 19:11

      @ Bernard.

      Comme toi, j’écris « pen » avec un seul « n ». Mais les deux orthographes sont courantes. Et le Cg29, en en écrivant « penn » pour son journal est en conformité avec l’orthographe qui figure sur ses bannières et blasons.

      Un mot pour les non-familiers de la langue bretonne : « pen » signifie « tête » et par extension « cap », « bout », « extrémité ». On peut donc traduire « Penn ar bed » par « Bout du monde », et non « Bout de la terre » qui correspondrait plutôt à « Penn an douar ».

      Bonne soirée.


  • Michel DROUET Michel DROUET 5 juillet 2013 18:50

    Bonjour Fergus

    Plus les finances sont contraintes, plus les collectivités territoriales, et en particulier les Départements dont l’utilité n’est plus avérée, ont besoin de se faire valoir, que ce soit avec de la com ou avec des projets fumeux dont vous parlez.

    Le Conseil Général d’ille et Vilaine, dans sa volonté de dire « j’existe » n’a rien trouvé mieux que de chercher un nom pour les habitants de ce Département qui en étaient jusqu’alors dépourvu sans que cela les fâche particulièrement. Nous sommes désormais des « Brétilliens »...Dont acte !

    Pour finir, un bel exemple de langue de bois, cette fois dans le plan local d’urbanisme d’une commune de la périphérie rennaise. Dans la thématique « déplacements » on a l’objectif suivant : « Agir sur le stationnement pour accompagner le report modal ».

    C’est à ce genre de propos que l’on voit que nous sommes gouvernés et que les élus locaux sont proches des citoyens. 


    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 19:21

      Bonjour, Michel.

      « Brétilliens », vraiment pas terrible comme nom. Et l’étymologie ne saute pas aux oreilles.

      « Agir sur le stationnement pour accompagner le report modal », je suppose que cela fait allusion à une restructuration de desserte, mais le fait est que cela risque fort d’être incompréhensible à nombre de personnes.

      Entièrement d’accord avec la conclusion.


    • Michel DROUET Michel DROUET 5 juillet 2013 21:04

      Bonsoir Fergus

      En fait « Agir sur le stationnement... » veut tout simplement dire que l’on va supprimer des places de stationnement pour contraindre les automobilistes (qui ne pourront plus se garer), à utiliser d’autres moyens de transport.

      Subtil, non ? 


    • Fergus Fergus 5 juillet 2013 22:41

      Bonsoir, Michel.

      Très subtil, en effet, dans le genre « comprenne qui pourra ! »


  • alinea Alinea 7 juillet 2013 22:15

    On m’a toujours dit : qui va piano va sano
    Alors, se plaint-on, du burn out des travailleurs pressurés qui finissent par se pendre, ou se plaint-on de ce temps raisonnable pour faire ce travail qui, sinon, serait écrasant ?
    Les bretons seraient-il cousins des corses ?


    • Fergus Fergus 8 juillet 2013 19:26

      Bonjour, Alinea.

      Désolé de répondre avec près de 24 heures de retard pour cause de « tour du Cap d’Erquy ». Je crois qu’en la matière les Corses ont des cousins dans toute la France.

      A propos de Corses, il existe un film en noir et blanc des années 60 dont j’ai malheureusement oublié le nom qui s’ouvre sur une carte géographique : on voit le sud de la France et la Corse, puis la caméra zoome sur l’Ile de Beauté tandis qu’un commentaire off décline la carte d’identité de la Corse : « ... la principale économie de l’île est l’import-export : la Corse exporte des fonctionnaires et importe des retraités... » Amusant, non ?


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