mercredi 23 mai 2012 - par Gabriel

Les perversions de Saturne

Les perversions de Saturne.

      Février 2012

        - Le temps quel emmerdeur, à part de coller des rides et de l’arthrose à quoi qui sert celui là ?  

Ainsi bougonnait papy Raymond le cul poser sur un voltaire défraîchi entre les piles des programmes télé à deux balles et ses respectables revus de jardinage.

        - Il avait pas le droit l’autre là haut de me le laisser seul après soixante année de connivence, d’amour, d’amitié et d’engueulade avec la Gilberte.

       Depuis que sa moitié, l’année précédente, avait prit la poudre d’escampette vers les cieux du créateur, il l’avait mauvaise. Un peu perdu et coléreux de ne pouvoir exprimer son chagrin, il ruminait après le ciel de l’avoir laissé sur le quai sans connaître l’horaire du prochain départ.

      Tic tac, tic tac, une hanche, un col du fémur qui fout le camp et merde ! C’est quoi ce bordel on ne peut pas partir comme un flash, sur ses deux jambes ? Il faut vraiment en passer par la déchéance physique, psychique et morale ? La vie a-t-elle jugée que l’outrage à l’intégrité était nécessaire pour rappeler l’homme à un peu plus d’humilité ?

            On a beau poétiser, dire que les rides aux coins de nos yeux sont les fleuves des larmes des veufs ou des veuves ou qu’elles sont apparues parce que l’on a trop ri, taratata, elles sont bien là et rien ne peut gommer cette signature du temps dont on se passerait bien.    

 Cataracte et prostate sont en un bateau, putain ! Si les deux pouvaient se noyer !

Bon bref, le mica continu de s’écouler et pas un grain pour bloquer cet enfoiré de sablier, c’est comme ça !

       Quelque soit la position sociale de l’individu dans la société, seigneurs ou esclaves, tous flâneront un jour ou l’autre au rayon couche pour adulte et tous auront perdu un peu de leur superbe assurance devant l’inévitable échéance.

       Devant sa télé, papy suit la campagne électorale, Il est subjugué par les aboiements pré orgasmiques de Nadine la folle lorsqu’elle prend fait et cause pour le napoléon d’opérette. Ca côtoie le summum du ridicule, attitude dans laquelle cette dinde idiote prouve toute son inutilité et sa complaisance en se vautrant dans une vacuité intellectuelle abyssale. Tout comme le frénétique déhanchement de sa croupe charentaise lors de ses apparitions télévisuelles, qui chaloupant et tanguant comme un bateau ivre donne la gerbe. Une fois à droite pour les mauvaises pensées, une fois à gauche pour les chasser, tout cela sous une apparente bonne conscience putassière. La décence voudrait que lorsque l’on est intellectuellement déficient on s’efforce à une pratique d’abstinence verbale. Mais bon, ce n’est qu’un être primitif qui ignore ou s’arrête la sincérité et ou commence la correction car, n’ayant aucune notion de savoir vivre, son environnement éducatif se limite à la longueur de la laisse qu’a bien voulu lui octroyer son maître…

       Voilà, depuis quelques temps, comme disait le grand Jacques, rythmé par la pendule qui nous attend, du lit au fauteuil devant la télé et du fauteuil devant la télé au lit… Et pour voir quoi ? Des conneries qui alimentent son Alzheimer, triste final sans tambour ni cymbale.

        - Salut Raymond, pas dans le jardin ?

- Tu veux ma canne dans la gueule, Gabriel ?

 

 Si le physique ne suit plus, sa verve n’a rien perdu de sa spontanéité et de sa franchise. Un vrai régal… 

        - Tu as regardé une émission ou lus un article qui t’a énervé ?

- Tu le sais bien, ce monde par en couille, comme moi, tout comme moi…

- T’inquiète pas Raymond, tout ce passera bien.

- Arrête ce sourire, ça m’agace.  

 

      Mars 2012

       La vieille girouette rouillée, au dessus de l‘abri de jardin en tôles ondulées, a cessé son couinement agaçant. En ce jour de mars le papy jardinier s’en est allé tailler les rosiers sous d’autres cieux et le vent, par respect ou flemmardise, est resté couché. De soixante à quatre vingt cinq printemps il l’a retourné sa terre sans relâche, par passion, dévotion, discrétion. Il fallait bien s’occuper, ne pas penser aux aiguilles qui s’emballent. Ce salaud de Saturne passait son temps à faner les salades et rouiller le banc, peint et maintes fois repeint, du jardin.

       Un dernier hommage sera rendu en l’église saint Sernin bla bla bla…

      N’oubliez pas mon ami le passeur, mettez les gages pour la traversée de l’Achéron sous la langue des morts, obole à Charon. Partir sur la pointe de pieds sans un bruit face aux cris des martyrs, préférer par défaut le monde de l’oubli à l’actuel des folies.

       Merci à toi lecteur pour le temps que tu as consacré à cet article.



12 réactions


  • LeGluonDuPoste LeGluonDuPoste 23 mai 2012 11:45

    Saturne dévore ses enfants et la « rouille ne dort jamais » ...

    Merci pour ce texte émouvant et très juste ...


    • Gabriel Gabriel 23 mai 2012 11:48

      La vie est une planche savonnée ou l’on danse sur un équilibre précaire et clownesque pour finir par chuter. Merci à vous.


  • PLOT29 23 mai 2012 11:45

    La vie passe pour tous ! Il y a un début et une fin et c’est la seule justice dans ce monde !


    • Gabriel Gabriel 23 mai 2012 11:52

      Pour certain la nature est cruelle car elle nous condamne à mort dés la naissance, pour d’autre, cette même nature nous donne la possibilité d’expérimenter une aventure extraordinaire : la vie…


  • orion orion 23 mai 2012 11:56

    Salut Gabriel,

    Bel hommage !

    Le temps se charge de nos illusions, de nos certitudes, de nos croyances, de nos égos... on finit tous par redevenir ce que l’on était en venant au monde, le temps nous offre là une jolie leçon, nous conviant par ce clin d’oeil à relativiser nos existences .... l’éphémère incite à l’intensité ....  smiley


    • Gabriel Gabriel 23 mai 2012 12:00

      Bonjour orion, l’éphémère incite à l’intensité ce quoi j’ajouterai :« Jouissez de la vie car il est bien plus tard que vous ne le pensez ». Cordialement


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 23 mai 2012 22:46

    Le temps n’a pas le temps et nous n’offre qu’une seule pose,l’instant de notre mort .


    • Gabriel Gabriel 24 mai 2012 08:07

      Parce que l’homme court après l’éphémère, il consume le temps comme une marchandise inépuisable avant de s’apercevoir que les années écoulées sont plus nombreuses que celles à venir et soudain, il prend conscience de la vacuité des choses et se met à douter de l’utilité de son passage ici bas.


  • Lorelei Lorelei 24 mai 2012 01:19

    Le temps est une imposture....pour l’âme immortelle


    • Gabriel Gabriel 24 mai 2012 08:09

      Bonjour Lorelei, comme l’avait écrit Spinoza « Nous savons et nous sentons par expérience que nous sommes éternels... » Cordialement


  • Ariane Walter Ariane Walter 24 mai 2012 08:14

    Merci Gabriel, pour ce joli texte, plein de sensibilité. Un plaisir de le lire.
    je suis moins sévère que toi quant au constat final.

    je suis de l’avis de Montaigne qui a écrit sur la vieillesse de merveilleuses pages. C’est un moment très heureux de la vie. Celui des plus grands pouvoirs et de la plus grande liberté.
    Oui, le corps est plus fragile donc il faut être encore plus rigoureux et ne pas l’abîmer.
    Mais la pensée, elle, a sa pleine agilité.
    Et la sensibilité est plus grande.


    • Gabriel Gabriel 24 mai 2012 08:28

      Bonjour Ariane, c’est avec plaisir que je lis ton commentaire. Certes l’expérience du temps et les souvenir sont sensés embellir les regrets comme un couché du soleil embelli l’horizon, mais il annonce l’arrivée inéluctable de la nuit et si la personne est seul à l’attendre on peut comprendre ses réticences face au passeur. Sans parler de la mousse qui recouvre la pierre et l’empêche de profiter des derniers instants de soleil. Merci de ton passage.


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