jeudi 3 février 2011 - par Gabriel

Les portes de l’oubli

Il est assis sous le tilleul, tassé dans son fauteuil, le regard humide et clair une couverture sur les genoux. Sa mémoire peuplée de reflets furtifs consommés dans l’instant, erre dans l’éther. La lumière c’est éteinte, la flamme étouffée, de la mèche encore tiède il ne reste que le suif .Ses pensées sont versatiles, indisciplinées, et faute de support fiable s’égarent instantanément dans le tonneau des Danaïdes. N’a-t-il plus que l’âme pour se repérer ? Est-ce là son dernier ancrage avec notre monde physique ?

  Je le sens déstabilisé, apeuré tel un enfant en milieu hostile. Ses lèvres tremblent, il aimerait me dire quelque chose mais il a déjà tout oublié. Chronos a déserté sa mémoire. Qui êtes vous ? Finit-il par articuler. Ton fils, dis je la gorge serrée … 

 Le brouillard qui peu à peu c’est épaissi a envahi son esprit, amenant avec lui la perte des formes, l’abandon des perspectives et la mort du relief. Ses souvenirs, pareils aux feuilles d’automne, ont quitté l’arbre, le corps pour vaquer aux quatre vents, dispersés, perdus pour flétrirent et pourrirent dans les méandres de l’oubli. Territoire inconnu des hommes malgré leurs technologies guerrières et les masses de moyens financiers engloutis à mauvais escient.

Le plan Alzheimer s’ajoute à la liste des fausses promesses et va rejoindre le grenelle de l’environnement dans la poubelle du mensonge. Quelle efficacité et quel résultat peuvent correctement s’exprimer lorsque l’on vide la recherche et les hôpitaux de leurs principaux acteurs ? Lorsque la qualité des soins est bradée aux bénéfices des actionnaires du CAC40 ?

 Je l’embrasse avant de partir. Comme d’habitude, depuis maintenant six mois, il ne me reconnaît plus. Comment peut-on oublier sa création ? Le fils est devenu un inconnu aux yeux du père …

Je remonte dans ma voiture et enquille le ruban d’autoroute. Le sourire de Dieu, à travers la grisaille nuageuse, vient frapper par des rais de lumière la campagne Corrézienne et atterrir sur les mottes de terres craquelées et fumantes des derniers labours. A l’horizon, chutant de la toile céleste, des couleurs de plomb fondu plongent vers la terre ou quelques pales d’éolienne s’agitent. L’anarchique enchevêtrement cotonneux des nuages précède la révolte printanière. Une centaine de corbeaux faméliques et croassant jubilent au milieu de ce paysage de désolation qui leurs convient tant. Kilomètre 160, tandis que les vibrations angéliques de la guitare de Mark Knopfler me collent au siège, je me demande sur quoi le destin s’appuie pour décider du vol de nos souvenirs.

Nous sommes la somme totale de nos actions effectuées et présentes. Comment un être peut-il vivre sans histoire ou se construire sans passé ? Mystère ... Au crépuscule de l’existence, peut on se présenter devant le tribunal de la vie sans son avocat, faire un bilan avec un dossier vide ? 

En France on estime à 860 000 le nombre de personnes qui souffrent de la maladie d'Alzheimer. Pour information, aux Etats-Unis 4.5 millions de personnes souffrent de cette maladie.



17 réactions


  • Nestor 3 février 2011 11:48

    Salut Gabriel !

    Ça doit être dur d’avoir un de ses proches atteint par cette maladie, surtout quand il s’agit de son propre père. Ça doit faire mal, pas facile à vivre et à accepter.

     il y a peu de temps tu me disais qu’un vieillard qui partait c’’était comme une bibliothèque qui brulait, là il s’agit de personnes qui sont encore vivantes et n’ont plus la possibilité de se servir de leurs souvenirs, c’est malheureux de le dire, mais c’est un peu comme une mort avant l’heure.

    Puis, "Le plan Alzheimer s’ajoute à la liste des fausses promesses et va rejoindre le grenelle de l’environnement dans la poubelle du mensonge." Je trouve ça dégueulasse de redonner de l’espoir et ne rien faire par la suite. Comme quoi il faut se méfier des annonces de ceux qui sans scrupules sont capables de ramener l’espoir juste pour leur propres intérêts. Des annonceurs qui avant les élections serraient prés à les écouter à soigner la terre de tout ses maux. Mais la vérité c’est qu’ils cherchent des voix par n’importe quels moyens, mêmes les plus abjects. Ils se moquent dans les deux sens du terme de ceux qui souffrent, les intérêts auxquels ils aspirent les poussent au mensonge et les rendent inhumain.

    En espérant qu’un jour l’un d’entre eux fasse passer la souffrance des français avant ses propres intérêts, une personnes qui ne bernera pas les gens qui leur dira, je suis désolé nous n’avons pour l’instant aucuns moyens économique et scientifique de remédier à cette dramatique maladie qui touche nos concitoyens. Et si il dit qu’il mettra des moyens en œuvre il aura l’honnêteté de si tenir. Espérons que la lucidité et l’honnêteté l’emporteront un jour.

    Peut-être qu’à force d’articles choques des représentants seront touchés et décideront de ne plus se moquer de leur concitoyens, et diront franchement s’ils agiront ou pas dans tel ou tel domaine, à force de prendre des claques espérons que leur conscience s’éveillera.

     


    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 13:37

      Bonjour Nestor,

      Dans prise de conscience, il y a conscience et je doute que ce qui nous dirigent actuellement en soit pourvu. Après ce qui arrive, c’est le destin et personne n’est responsable, du moins directement. Ce qui me révolte, c’est les sommes dépensées aux privilèges et non aux biens communautaires. Merci de ton commentaire.


  • le-Joker le-Joker 3 février 2011 12:23

    Salut Gabriel,

    Terrible texte pour une terrible maladie.

    Dur de voir un proche disparaitre dans les méandres de sa mémoire défaillante.

    Sans parler de remède miracle il existe cependant un produit naturel qui semble pouvoir freiner les effets désastreux d’Alzheimer la Phosphatidylsérine

    D’autre part il semble aussi que l’aluminium est une part de responsabilité non négligeable dans cette pathologie, des tests sur des chimpanzés à qui on injecte de l’aluminium dans le cerveau reproduisent les mêmes liaisons neuro-fibrillaires que les personnes atteintes.

    Comme le dit la chanson, le temps est assassin......


    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 13:43

      Salut joker,

      Ainsi va la vie et sa fin est pour tous. C’est le cycle naturel et il faut profiter des instants présents car rien n’est plus sur que la mort et rien n’est moins sur que son heure. Merci pour ton lien, intéressant.


  • Iren-Nao 3 février 2011 13:11

    Beau texte Gabriel

    Iren-Nao


  • Clojea Clojea 3 février 2011 13:52

    Bonjour Gabriel. La mère de mon épouse à terminé sa vie Alzheimer. Le calvaire a duré 4 ans. Il y a quelque chose qui me semble bizarre dans cette maladie. Le rapport entre des gens qui prennent beaucoup de médicaments et notamment des anti-dépresseurs, somnifères, et neuroleptiques divers et des gens qui deviennent malades. Il y a, je pense un rapport. Ces « pillules » déconnectent les neurones du cerveau. Ce sont des drogues légales. Mais au fur et à mesure de la déconnection des neurones, il y a perte de mémoire. Donc Alzheimer. Je ne suis pas en train de soutenir que c’est la cause unique, mais il est interessant de rapprocher les faits, et il y a suffisamment de choses troublantes pour s’interroger. A fouiller. Bien à toi.


    • Annie 3 février 2011 14:44

      Bonjour Clojea,
      Il y a actuellement des études en cours pour étudier le lien entre dépression et alzheimer, notamment concernant les marqueurs neurobiologiques et les neutrophines. Quelle que soit l’influence des antidépressants, ils n’entrent absolument pas en ligne de compte dans les études qui ont déjà été faites et dans l’établissement d’un lien éventuel entre ces deux pathologies. Il est notoire que la dépression a un taux élevé de comobordité.

      @Gabriel,

      Ce ne peut être qu’un déchirement que d’assister à la mort à petit feu d’un être cher, surtout ces pertes de mémoire qui sont aussi les vôtres.
      Au sujet de la recherche, c’est un centre mondial qu’il faudrait, réunissant tous les chercheurs et tous les travaux qui ont été déjà faits. Hormis les centres de recherche nationaux, la majorité des autres centres travaillent dans leur coin, et dépendent de fonds privés. 




    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 15:03

      Salut Clojea,

      Je pense qu’il y a certainement un lien avec les neuroleptiques mais aussi avec notre mode de vie de plus en plus par le stressant sans parler des aliments (OGM…) qui pourrait être mis en cause. A voir dans l’avenir. Merci de tes remarques.

      Cordialement


    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 15:08

      Bonjour Annie,

      La mémoire est le socle de notre équilibre d’être pensant, je ne peux imaginer comment tenir droit sur le chemin sans celle-ci. Concernant la recherche, elle fait ce qu’elle peut avec des moyens de plus en plus chiches, il faut bien rembourser les dettes des banquiers ! Merci de votre avis. 


    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 15:11

      Perséus, le verbe est toujours présent et réconfortant quoi que dans le cas présent très volatile. Quelque soit la maladie rien ne peut remplacer amour, tendresse et écoute. Merci pour ta lecture.


  • Pierre de Vienne Pierre de Vienne 3 février 2011 15:44

    Merci pour cette belle contribution, oui le verbe reste, mon beau père, un mois avant sa disparition lisait avec une joie infantile les panneaux lors de nos promenades en voiture, la lecture (opération si complexe) était intacte. Une sorte de poésie situationniste dans un désert. 

     

    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 15:59

      Bonjour Pierre,

      Une sorte de poésie situationniste dans un désert, belle définition. On pourrait aussi assimiler cela à la musique. Elle nous transporte, nous traverse mais jamais ne ce fixe. Un peu comme si l’on voulait capter une rivière dans un seau ou le vent dans les feuillages pour que chantent les arbres…


  • Sandro Ferretti SANDRO 3 février 2011 16:20

    @ Gabriel
    Je ne lis ni n’interviens plus ici depuis assez longtemps.
    Je fais une exception pour vous.
    Je vous ai lu. Je vous ai compris, je n’ai pas à dire pourquoi.

    PS:Nous en parlions la semaine dernière, vers les 2 heures du mat ; avec un ami un peu connu, dont la mère connait également cette « aliénation », cette nuit intérieure. Et tous les deux, en méme temps, nous est venu une référence musicale, une vieille rengaine un peu banale de Berger sur les étrangers (au sens géographique et de la nationalité), mais qui dans ce cas prend son vrai sens (étre étranger aux autres et à soi-même) :

    « Je veux chanter pour ceux
    Qui sont loin de chez eux
    Et qui ont dans leurs yeux
    Quelque chose qui fait mal
    Qui fait mal ».


    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 16:34

      Merci Sandros de votre visite. Intervenir sur ce site ou un autre peu importe nous le faisons chacun pour différentes raisons. Un besoin d’écrire, de communiquer et un peu aussi comme disait le poète : « Pour porter la plume dans la plaie ». 


  • Fergus Fergus 3 février 2011 17:24

    Bonjour, Gabriel.

    Très beau et très poignant texte. Je n’ai rien à ajouter aux précédents commentaires, si ce n’est qu’ayant eu naguère une grand-mère probablement atteinte de cette maladie que l’on nommait peu alors, j’ai pu en mesurer les ravages, et notamment le plus effrayant aspect : l’agnosie, cette incapacité à reconnaître les visages familiers. Terrible ! Et sans doute plus encore lorsque la personne atteinte est son propre père.

    Comme vous, je crains que les nouvelles annonces gouvernementales sur la dépendance ne soient vouées à subir le même triste sort que les annonces précédentes, pourtant claironnées à grand renfort de com’ volontariste. Affligeant !

    Cordiales salutations.


    • Gabriel Gabriel 3 février 2011 17:32

      Merci Fergus, peut-être qu’avec le clonage des cellules souches la science arrivera à stopper la dégénérescence mémorielle. Je me demande quand même, en regardant ou va le monde, si l’oubli ne deviendra pas un refuge …Keith Chesterton disait : « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison. ... » Cordialement


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