mardi 11 août 2020 - par jjwaDal

Les Shadoks et la complexité

Les allégories sont des outils souvent efficaces pour mettre en lumière des choses que nous avons au quotidien sous les yeux au point de ne plus les percevoir dans leur épaisseur.

Les Shadoks en ont représenté une, vision intemporelle d'un monde absurde pas si éloigné que ça du monde contemporain qui les a vu naître et encore moins de celui de 2020.

« Planète Interdite » en illustre une autre, vision d'un monde où la technique la plus avancée se met au service des pulsions les plus archaïques pour aboutir à la création d'un monstre qui balaiera d'un revers de main ses créateurs impuissants à le contenir, peut-être même à le comprendre.

« Le jour où la Terre s'arrêta » en est une troisième qui illustre l'irruption d'un facteur externe au monde humain qui va (peut-être) résoudre le problème posé à toutes les formes de vie sur Terre, par une seule espèce, acharnée à tout détruire, y compris ses propres chances de survie, ici, un extra-terrestre incarnée par Keanu Reeves.

Il est patent que ces trois allégories ont beaucoup de choses à nous apprendre, nous qui nous sommes empêtrés dans des problèmes que nous avons crées de toutes pièces et que nous semblons incapables de gérer, sinon de comprendre.

L'histoire et la chronologie d'évolution de notre système nerveux central excluent totalement que nous soyons simples à appréhender dans notre fonctionnement. Nos cerveaux sont des parlements où des factions combattent farouchement pour la défense de leurs intérêts, sans forcément se préoccuper du long terme et du commun. Toute personne qui a essayé d'arrêter le tabac en a eu l'illustration avec le combat exposé d'intérêts divergents, mutuellement exclusifs et parlant des langues différentes. Le principe de plaisir (à tout prix et peu importe comment) est si profondément ancré en nous, que s'y opposer avec la pensée conceptuelle est une épreuve complexe dans son déroulement et son issue.

Si les individus sont déchirés entre des forces qui peuvent être fortement contradictoires, faut-il s'étonner que nos sociétés humaines le soient ? Bien sûr que non.

L'important, c'est la dose, chose bien connue en psychiatrie, qui voit ses plus forts effectifs de clients concentrés chez ceux qui sont malgré eux, hors équilibre. Ceux que leurs pulsions baladent ne sont pas moins en danger que ceux dont la pensée conceptuelle à des objectifs dictatoriaux mais bien plus que ceux qui ont trouvé un équilibre entre les demandes des deux.

On voit bien, « ce qui marche » en observant à travers la multitude des individus, les parcours et les résultats, du moins visibles.

C'est bien plus difficile d'observer différentes façons de fonctionner sur des sociétés humaines qui se fondent de plus en plus dans un moule unique, qui rejette toute velléité d'expérimentation alternative. Or l'absence d'échantillon témoin, de base de comparaison, d'alternatives à observer et comparer, est un scénario catastrophe, qui est pourtant ouvertement recherché à travers la réglementation et l'économie. La perte de points de comparaison est un handicap majeur de l'analyse de nos problèmes.

L'augmentation de la complexité ne rend nullement les choses plus faciles à démêler. Comme aux échecs, le seul mouvement d'une pièce impacte de nombreuses autres et le résultat est d'autant plus imprévisibles que le nombre d'interactions possibles et leurs conséquences augmentent.

Et pour clore un début inventaire très loin d'être exhaustif il y a un facteur identifié dans le déclin de nombreuses civilisations passées qui est la contradiction entre les intérêts à court terme des élites dirigeantes et l'intérêt à long terme des peuples.

On comprend bien que la gestion de plusieurs problèmes qui pourraient nous amener à la prise de conscience dans un bain de sang (au minimal sociétal), sinon à une boucherie militaire, n'est pas simple. Est-elle sans espoir ?

Ne peut-on revoir par ex. la délégation au secteur privé (une privatisation) de la création monétaire avec usure, sachant que dès le départ, on savait conceptuellement que le système ne pouvait tenir sans diverger vers des endettements irrattrapables qu'à l'unique condition que la croissance économique soit perpétuelle et donc que le produit consommation per capita, énergie et ressources, multiplié par nos effectifs de population soit continuellement en augmentation et de façon d'autant plus soutenue que les taux d'intérêts sont élevés (intérêt bien compris des prêteurs) ? Non ? Il le faudra pourtant, car le roi est nu et tout le monde peut voir que les banques centrales de la planète n'ont aucune solution autre que la fuite en avant.

Ne peut-on revoir le principe de la course imbécile à l'échalote, je veux dire à la productivité ? Elle peut se comprendre quand il s'agit de faire mieux avec autant, ou mieux, de faire autant avec moins de ressources et d'énergie. Mais on l'utilise bien au delà de ce cadre, en évacuant massivement le travail humain (estimé être un coût handicapant) dans l'espoir irréaliste de s'arroger une plus grosse part du gâteau de la demande. Irréaliste, car tout le monde fait de même pour ne pas se faire clochardiser par le voisin et tout le monde se retrouve avec un besoin de main-d'oeuvre minimal et les problèmes en cascade que cela engendre sur les finances publiques et la consommation, in fine la sainte croissance pourtant si activement recherchée...

La course actuelle à l'intelligence artificielle n'est que la poursuite de ce suicide social collectif, visant à rendre inutile une bonne portion de l'humanité, sans conséquence bien sûr dont les coûts viendraient fortement diminuer les bénéfices de l'opération pour les promoteurs de cette dérive, nullement débattue de façon démocratique.

Qu'est-ce qui l'est d'ailleurs ?...

Le principe du salariat a-t'il fait l'objet de débats ? Il crève pourtant les yeux que nos entreprises fonctionnent sur un modèle dictatorial où la majorité des créateurs de richesse sont en situation d'esclaves modernes, avec bien sûr dans un contexte de chômage massif provoqué, la possibilité de s'affranchir de leurs chaînes en oubliant qu'ils ont des factures à payer. S'il existe des alternatives pour un individu elles sont irréalistes pour des centaines de milliers, a fortiori des millions.

On se complaît dans une idéologie disant que la somme des intérêts privés est le bien public, mais c'est totalement démenti par la réalité la plus basique. Que tout le monde demain décide que les enfants sont un coût insupportable et des empêcheurs de profiter de la vie et nous verrons le bien commun qui en résultera pour la société...

Nous sommes depuis 40 ans au moins sur une trajectoire idéologique et économique particulièrement rétive au changement. Des clowns locaux peuvent prétendre que les citoyens sont rebelles aux changements, mais ils oublient malicieusement que « plus, de la même chose » n'est nullement du changement. Le vrai changement, les sociétés en crèvent de ne pas le voir venir. Le pas de côté ne serait pourtant pas si compliqué à faire. Encore faut-il y penser déjà, le vouloir ensuite.

Pas pour sa carrière, pour le bien commun.

Et là, on comprend où est un verrou majeur ou plutôt un maillon crucial d'une chaîne patiemment forgée par des apprentis-sorciers qui ne seront jamais comptables des conséquences de leurs brillantes idées. Car un élu soucieux du bien collectif devrait se plier au cadre qui en fait juste un exécutant, voire une marionnette. Celui de l'Europe adémocratique, celui de la réglementation mondiale de l'OMC, délibérée dans le dos des peuples comme des parlements nullement représentatifs au demeurant.

Les conditions de possibilité pour que nous puissions résoudre nos problèmes majeurs collectifs sont à peu près connus : des élus soucieux du bien commun et non doctrinaires (un personnage relevant de la mythologie par les temps qui courent), un cadre leur laissant les coudées franches pour expérimenter autre chose (ce qui disqualifie le projet dystopique de l'Union européenne, qui équivaut à un établissement pénitentiaire), le retour au droit des peuples à disposer d'eux mêmes, ce qui exclu une réglementation mondiale intrusive ( qui ne se limite nullement à harmoniser des choix techniques, mais fait de la politique dans le dos de tout le monde) prévalant sur la législation nationale, le retour de la création monétaire comme un bien public à mettre sous haute surveillance, la consultation après la formation populaire (demander à des gens n'ayant qu'une notion vague des problèmes ce qu'ils en pensent ne peut donner que des résultats mitigés en étant gentil...), le courage de reprendre en main notre destin, d'examiner des choses banales dans nos fonctionnements collectifs qui ne sont nullement anodines à l'examen sur le visage que peut prendre notre futur, le retour de la réflexion primant sur la réaction, du temps long sur le court-termisme.

On a tellement de pistes à explorer pour nous sortir de l'ornière où une infime minorité de l'espèce humaine nous a conduit. Imaginer que ceux qui nous ont mis dans cette ornière (les Bill Gates de la planète) ont les solutions pour nous en sortir relève de la croyance dans les fées et les lutins ou pire du renoncement à être des adultes.

Sauf quand on est fabricant de rustines (ce qu'ils sont aussi), il y a un moment où on manque clairement de place pour les poser et où il faut envisager de passer à autre chose.

Que voulons-nous ? Nous goberger au maximum de nos « moyens financiers » et peu importe l'avenir ? Ou nous comporter en adultes et regarder ce qu'on peut s'autoriser à faire, sachant ce que nous sommes et ce que sont les limites que nous devons nous fixer avant qu'elles ne nous imposées dans la violence ?

On peut soumettre la thèse que le premier pas pour sortir de ce monde « formidable » est d'abord d'avoir le courage de regarder en face ce que nous sommes devenus, ce que nous sommes, sans a priori, sans complaisance, sans comptes à régler, sans recherche de boucs émissaires. Accepter de regarder la réalité en face, ce qui est d'autant plus dur que nous sombrons plus profondément dans nos névroses collectives.

Ce n'est pas gagné. Mais avons-nous d'autres choix si nous voulons reprendre notre destinée en mains ?



10 réactions


  • amiaplacidus amiaplacidus 11 août 2020 10:41

    Depuis 2017, les shadok, alias LREM, sont au pouvoir en France (sous d’autres dénominations ailleurs), avec toutes les conséquences que l’ont peut constater journellement.


  • Étirév 11 août 2020 10:43

    La Vérité est simple. C’est l’erreur qui est compliquée.


    • binary 11 août 2020 12:13

      @Étirév
      L’ histoire de la pensée montre le contraire : La vérité est particulièrement complexe à découvrir, alors que l’erreur est partout.


    • alinea alinea 11 août 2020 13:23

      @binary
      La vérité est simple dans la mesure où elle est épurée, évidente à l’Homme sain en adéquation au monde, tandis que l’erreur, l’artifice, l’hypocrisie, les « manières », les faux-besoins sont un labyrinthe ; Chomsky a raison quand il dit que les affaires du monde sont compréhensibles à un enfant de quatre ans : à quatre ans, on n’a pas les yeux ni la tête encombrés de mensonges, d’illusions, de manipulations, ... or c’est cela qui rend le monde complexe et qui rend le chemin difficile jusqu’à la vérité..


  • jjwaDal jjwaDal 11 août 2020 19:55

    Je n’ai pas voulu faire un article sur la quête de la réalité mais plutôt sur notre incapacité à regarder le monde en face, avec un regard neuf, le plus neutre possible. J’appelle ça souvent , le « regard de l’extra-terrestre ».
    Par ex si demain on perdait durablement 50% de la récolte mondiale de céréales (ce qui nourrit les gens à 90% y compris indirectement via la production de viandes), cela serait universellement vu comme un épouvantable désastre et l’industrie se précipiterait sur les OGMs pour augmenter les rendements sur terres disponibles restantes, on ferait de la nourriture en usines à partir de cellules souches, etc... Il faudrait des années pour y parvenir...
    Sauf qu’en devenant tous végétariens, les terres qui resteraient seraient amplement suffisantes pour nous nourrir, sur un claquement de doigt.... Cette incapacité collective apprise à être incapable de penser « autrement » que dans les schémas véhiculés dans notre culture est ce qui pourrait occasionner sinon notre perte, du moins énormément de souffrances humaines, à terme pas si lointain.
    C’est navrant pour ne pas dire plus...

    Et ce genre de schéma se voit dans tous les domaines. Pour ça que j’ai parlé du monde des Shadoks.


    • Xenozoid Xenozoid 11 août 2020 19:59

      @jjwaDal

      Et ce genre de schéma se voit dans tous les domaines 

      oui, et tellement évident,qu’on ne le voit plus


    • alinea alinea 12 août 2020 12:45

      @jjwaDal
      C’est surtout un égoïsme incroyable ! ce qui aggrave encore, c’est la classe moyenne chinoise qui enfle, qui enfle, et qui dit classe moyenne, dit anciens pauvres qui commencent par avoir envie de se payer ... de la viande à chaque repas ! les Chinois achètent toutes les terres du monde qui sont à vendre ! rien à foutre du reste !
      Pouvoir regarder le monde en face nécessite une bonne santé mentale ; aujourd’hui la majorité des humains dits « civilisés » sont en très mauvaise santé mentale, et physique aussi.
      Il nous faut juste être acteurs et non pas victimes de l’avenir.


  • jjwaDal jjwaDal 12 août 2020 17:34

    Je suis assez en accord avec Lordon qui dit que les individus sont façonnés par les structures économiques et sociales dans lesquelles ils sont plongés bien plus qu’ils n’ont d’influences sur ces dernières. Beaucoup de choses ne se font pas, non parce que les individus s’interdisent de les faire, mais parce qu’elles sont interdites. Des leaders d’opinion, tous sortis des mêmes moules idéologiques ne peuvent aboutir qu’à des réponses à tout problème relevant de la rustine sur la rustine, à savoir un peu plus de complexité pour répondre aux dommages collatéraux d’une autre complexité, crée de toutes pièces et non remise en question. Toute option low tech aux effets bien plus prévisibles est rejetée, en particulier si elle ne crée aucun profit particulier (le profit collectif pouvant être immense). On le voit aussi dans la réponse récente à l’introduction d’un nouveau coronavirus dans nos vie. Il est totalement exclu, dans aucun projet collectif, qu’on interdise physiquement aux futurs virus de se propager d’un foyer d’infection local en Chine ou ailleurs au reste de la planète en quelques jours. Aucune action en amont, on épongera les dégâts au coup par coup et peu importe le coût social et financier consistant à perpétuer un modèle intenable, mais que la psychorigidité des leaders et l’inertie des structures, rend quasi immuable. Ce ne sont pas les gens qui sont hostiles au changement. C’est le système lui même bien sûr, incapable de se réformer, parce qu’il s’est donné tous les moyens de forger des leaders qui ne peuvent pas avoir l’intention de le réformer. La boucle est bouclée ainsi. Ne jamais oublier aussi que notre cerveau primitif ne connaît ni l’effet de seuil, ni l’exponentielle, ni la dynamique des systèmes complexes, etc... Si on a pas les outils conceptuels pour lui tenir tête, on est facilement balayé comme un fétu de paille...


    • alinea alinea 12 août 2020 21:10

      @jjwaDal
      C’est assez parlant, les réponses à ce virus, dans la société. je suppose qu’il n’y en aura jamais d’études, puisque tout se paye et que personne ne voudra ou pourra payer cela ; mais j’en ai une vision asse nette : il y a ceux qui sont dedans, nombreux, peu ou prou à leur aise, sinon sans idée d’autre chose, et puis une petite minorité, éclairée, qui brave ses peurs, qui porte le désir de vérité plus haut que le désir de sécurité.. . écoute Cousin ( qui relaye Debord et un Marx peu connu)

      , cela nous conduit sur le seul chemin que nous puissions prendre : se préparer, et aider les autres à le faire ! économiser notre énergie à ne pas se répandre en des considérations inutiles,etc.


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