mercredi 13 février 2013 - par Le Canard républicain

Liberté Unicité Subsidiarité. Par Loïck Gourdon et Christian Compain

Dans les colonnes du « Journal », édition de Chalon-sur-Saône, Anne-Marie Escoffier, Ministre de la Décentralisation, à propos de la réorganisation des collectivités locales, déclare : « Il s’agit d’organiser les compétences de l’État et celles des collectivités sans redondance ni concurrence. Nous avons l’ambition de remettre chacun à la bonne place selon trois principes : unicité de la République, diversité des territoires et subsidiarité ».

Voilà en termes non équivoques la théorisation de l’Acte III de la décentralisation. Article premier : Le concept d’unicité se substitue à celui d’indivisibilité. Qu’est-ce à dire ? Par unicité nous entendons le rassemblement d’unités distinctes ayant des caractéristiques qui s’unissent avec quelque chose ou contre quelque chose. Tout comme on parle de l’unicité de Dieu, l’esprit souffle là où il lui plaît, du centre vers la périphérie, des hautes sphères vers les mornes plaines. Mais, dans ce cas d’espèce il s’agit plutôt du souffle de l’Europe dont les institutions reposent effectivement sur le principe de subsidiarité, dogme théorisé par un certain Thomas d’Aquin, repris par Léon XIII, le père de la doctrine sociale de l’Église et remis au goût du jour par les très catholiques pères fondateurs de l’Europe. Mais qu’est donc que cette subsidiarité principe provenant de la théologie politique catholique qui considère le corps social comme un tout organique (holos) dont les membres sont inégaux. À la tête du corps trônent l’Église et le Pape, Vicaire de Dieu, puis s’ordonnent les organes en fonction de leur puissance, faculté de jugement et attribution.

Détentrice de la vérité révélée, la tête juge de tout, en définit le bien et organise l’organisation hiérarchique de ses membres. Chacun à sa place, comme le dit Madame Escoffier. En haut, les grandes choses communes, en bas, les petites affaires dans le cadre des grandes. Pas de fédération des besoins mais un morcellement des aspirations du peuple dans un cadre fixé en haut. Tel est le fonctionnement de la monarchie vaticane et celui de l’entreprise ; ceci explique cela.

L’hétéronomie politico-religieuse remplacerait donc l’autonomie du citoyen. Les experts infaillibles décidant en son lieu et place du bien commun. Nous conviendrons donc avec Philippe Forget que la subsidiarité est un principe contre révolutionnaire que « la pyramide des subsidiarités organisant le règne absolu de l’autorité, en excluant toute possibilité d’une raison partagée et délibérative. Enfermés dans le subsidiaire, les sujets perdent le droit d’examiner ensemble principes et voies de leur être collectif. Ils sont voués à ne plus lier le général et le local, le communal et le national… »

Si l’on se conforme à ce principe hautement proclamé, comment croire que la « réforme de la citoyenneté » vise « à rétablir plus de démocratie dans le fonctionnement des communes, cantons, départements de bas en haut » alors que la soit disant libre association des communes ressort le plus souvent à l’intercommunalité forcée ? Comment ne pas voir dans les délibérations des Conseils de quartier, par exemple, l’exercice de la pseudo « démocratie » dite participative, l’aval ou l’amendement à la marge de projets établis par les organes de rang supérieur ?

Dans le même ordre d’idée, l’État aux mains de l’oligarchie financière s’appuie sur les « corps intermédiaires » tant prisés par la réaction. Ne vient- on pas d’assister à la tentative de la CFDT - qui se qualifie elle-même de corps intermédiaire et s’inspire directement de la Doctrine sociale de l’Église, en collaboration avec le patronat, sous couvert de modernisation de la législation du travail, d’attenter gravement au droit du travail ?

Que dire du projet d’Euro Métropole concocté par les élus lyonnais censé moderniser c'est-à-dire abolir « une structure qui date de 1793 » et qui « ne correspond plus aux réalités ». La loi de territorialisation rendrait possible le retrait du Conseil Général sur le territoire du Grand Lyon ce qui implique que les services publics de sa compétence, protection maternelle et infantile, aide sociale à l’enfance, aide aux adultes handicapés, entretien des routes et des collèges seraient circonscrits au périmètre de la métropole lyonnaise, devenue « Métropole d’intérêt européen ». Quid de l’intérêt général ? Quid de la Nation ?

Ainsi, l’architecture sociale des subsidiarités implique la dissolution du peuple comme corps politique et historique. La messe serait donc dite. Mais… car fort heureusement il y a toujours un mais, les élus du peuple ne l’entendent pas de cette oreille. Les élus du peuple n’entendent pas se voir cantonnés à la gestion au quotidien des « petites choses », ils entendent exercer pleinement le mandat pour lequel ils ont été élus.

Ainsi s’inquiètent-ils de l’externalisation des activités péri scolaires de l’enseignement public grossièrement maquillée derrière la réforme des rythmes scolaires dont la charge éducative et financière retombera sur les collectivités locales au risque de voir une partie du service public éducatif unifié laïque et gratuit de la République tomber aux mains des officines éducatives au service des usagers ou des associations à vocation plus ou moins communautaristes. Les enfants de Neuilly seront-ils traités à égalité en matière « d’offre éducative » - comme disent les marchands d’instruction - avec ceux de Poissy ? De la même façon, pour éviter le démembrement de l’École de la République, les enseignants avec leurs organisations syndicales exigent l’abandon de la loi Peillon qui veut mettre en place les « projets éducatifs territoriaux » dans le 1er et le 2ème degré. Vu ce qui précède nous sommes donc fondés à penser l’idéologie du subsidiaire comme une stratégie du confinement politique dans le contexte de l’économie politique dominante. Ainsi, imitant les papes, l’oligarchie considère que les républiques européennes comme de simples bras séculiers de sa technologie économique. Son but : l’extinction de la raison démocratique. En quelques mots : Focalisez- vous sur votre paroisse, votre région, votre zone (et aussi sur votre couleur de peau, vos croyances, votre sexe, vos émotions) et laisser la gouvernance des « Experts » décider de votre destin commun. Contentez-vous de gérer démocratiquement vos fonctions subsidiaires, c'est-à-dire subalternes.

Il est donc clair que nous assistons à la subversion de la République indivisible laïque et sociale. Vassalité ou débat démocratique : voilà un sujet de fond qui devra retenir toute l’attention des futurs constituants.

Loïck Gourdon et Christian Compain

Article également publié par l'Association pour une Constituante : http://www.pouruneconstituante.fr/



8 réactions


  • Michel DROUET Michel DROUET 13 février 2013 11:25

    J’aime bien cette citation de Condorcet « Le suffrage universel peut conduire à la dictature des imbéciles lorsqu’il n’est pas assorti d’une instruction publique éclairant les esprits ».

    Le problème est là et votre développement sur les carences du principe de subsidiarité passe largement au dessus de la tête de beaucoup de gens.

    Ceci étant, c’est une lecture, mais je préfère celle qui consiste à mettre le doigt sur le nombre et le chevauchement des compétences (la fameuse clause générale de compétences...) des collectivités territoriales, des EPCI et autres syndicats qui rendent incompréhensible le système par les citoyens, même les plus avertis... sans parler des élus à vie et les élus cumulards.

    Je suis convaincu qu’il faut supprimer le Département qui ne sert plus à rien depuis l’émergence de l’intercommunalité et rendre celle-ci compatible avec les bassins de vie et d’emploi. A partir de là, il est possible de construire un pouvoir régional fort s’appuyant sur les Pays qui saura être autre chose que la petite main du pouvoir central.

    S’agissant enfin des activités périscolaires, il s’agit de choix possibles pour les communes ou les intercos entre l’avenir des enfants ou la poursuite d’implantations de ronds points et autres aménagements urbains dispendieux et inutiles (mais tellement à la mode !) et autres subventions au club des anciens ou aux anciens combattants qui votent bien.


  • Jason Jason 13 février 2013 14:45

    Bonjour,

    La France compte 36780 communes dont 32000 ont moins de 2000 habitants. Le hasard fait que j’habite dans une commune de 400 habitants dont le conseil municipal est une bande de Pieds-nickelés dirigé par une Bécassine, personne inepte et tyrannique. Il serait temps de supprimer les communes de moins de 1000 habitants et de retirer aux Maires leurs (in)compétences en matière d’urbanisme, et qui donne lieu à un clientélisme discret et effarant.

    Les Maires étant les électeurs des sénateurs, on voit mal comment faire cesser la collusion ambiante. Il en est de même pour ce qui ferait changer le mille-feuilles administratif. La langue de bois de Mme Escoffier n’y changera rien.


    • taktak 13 février 2013 15:34

      @ Jason

      Il faut un contrôle ET une assistance de l’état.
      Sous pretexte de décentralisation, ce contrôle du préfet fait a priori sur un certain nombre de sujet à disparu ou ce cantonne à un inefficace contrôle à posteriori.
      Et les communes se voit privé de l’assistance technique de l’état qui permettait de fournir une ingéniérie publique permettant de porter les projets des élus locaux - en particulier ceux des petites communes - et d’apporter une expertise indépendante propre à informer l’ensemble des citoyens.

      Ce n’est pas moins de communes qu’il faut pour résoudre votre problème. C’est plus d’état, et surtout plus d’état déconcentré. Tout le contraire de la décentralisation


  • taktak 13 février 2013 15:24

    "A partir de là, il est possible de construire un pouvoir régional fort s’appuyant sur les Pays qui saura être autre chose que la petite main du pouvoir central.« 

    Il pourra être »la chose" des intérêts particulier locaux, développant le pouvoir de la métropole sur son hinterland, sanctifiant les inégalités de territoire et empêchant toute péréquation.

    Il s’agit du retour le plus dramatique à des pouvoirs féodaux fait de potentat locaux, se glorifiant de projet à courte vue pourvu qu’ils célébre l’élu régional et satisfont la chambre de commerce (l’Ayrault port par exemple, la rocade nord à grenoble, le grand paris en région parisienne...).

    Ce que vous appelez de vos voeux, c’est la fin de la fraternité, de l’égalité nationale qui sont les fondements de la liberté, puisqu’ils sont la condition pour que se développe et prime un interet général qui dépasse les intérets particuliers qui ne sont que le reflet de la loi du plus fort.

    Oui la décentralisation, c’est la destruction de la société et du vivre ensemble. C’est la disparition de la France en tant qu’état structuré.

    Je termine en faisant remarquer que les lois de décentralisation successives ont permis d’apporter pléthores de pouvoir locaux supplémentaires au service des interets particuliers s’accompagnant du retrait du pouvoir central dans les capitales de régions, en lieu et place d’un pouvoir central déconcentré au niveau local au service des citoyens et en lien avec le vrai pouvoir local qui est celui de la commune.
    On est passé de la structure, commune -département-Etat avec un état assurant l’égalité et la solidarité entre commune et département, à la structure métropole - région -europe, ou tout le monde est en concurence avec tout le monde. Vive la décentralisation et la subsidiarité !


    • Michel DROUET Michel DROUET 14 février 2013 06:12

      Bonjour taktak

      Avec 36 000 communes, le pouvoir local dont vous parlez et totalement atomisé et inefficace. Je n’en veux pour preuve que les communes doivent s’organiser en intercos pour pouvoir un tant soi peu développer leurs territoires, lesquelles intercos sont soumises au bon vouloir des subventions du département. Je sais comment cela fonctionne pour avoir été acteur du système.

      Le résultat est un système de soumission des élus les uns par rapport au autres ainsi que le cumul de mandats qui permet de voter au Conseil Général la subvention pour son interco ou sa commune : où est la morale ?

      Dans ce système clientéliste, vous pensez bien que le simple citoyen n’a pas voix au chapitre et qu’il est tenu pour quantité négligeable, sauf trois mois avant les élections où on lui promet un beau rond point.

      Faites le test : demandez autour de vous la description des compétences de chaque niveau de collectivités (je l’ai fait lors d’un café citoyen). C’est à en pleurer ! C’est pourquoi je milite pour la simplification du mille feuille territorial avec des compétences bien ciblées pour chaque niveau et « une instruction publique éclairant les esprits » comme le dit Condorcet.

      S’agissant enfin d’un pouvoir d’Etat déconcentré, j’ai vu ce que cela donnait au moment de la première phase de décentralisation (à partir de 1982), c’est à dire des dossiers pas ou mal gérés (collèges et routes départementales par exemple) et des dérives financières importantes (pour les transports scolaires).

      Pour terminer, allez jeter un coup d’oeil sur le projet de loi de décentralisation : à part quelques lignes sur un mini droit de pétition, vous constaterez que le citoyen n’est pas au centre des préoccupations des élus et technocrates qui veulent absolument garder tous leurs pouvoir, qu’ils soient déconcentrés ou décentralisés.


    • taktak 14 février 2013 15:16

      Vous m’avez mal compris.

      pour être clair je suis contre la décentralisation, de l’acte 1 à l’acte 3.
      Je suis comme vous pour une simplification des collectivités territoriales : il ne doit y avoir à mon sens que commune - département et au dessus l’état.
      Et pour que les commune - niveau de pouvoir le plus proche du citoyen et du terrain - puissent agir en connaissance de cause, sans influence et soumissions aux divers potentats locaux, il faut leur donner l’appui de l’état. C’est pour cela qu’il faut une administration déconcentrée. C’est exactement le contraire de ce qu’est la décentralisation.

      Je prend un exemple, celui des services de l’équipement : transport, urbanisme, route, assainissement aménagement urbains, batiment.
      la déconcentration, c’est mettre à disposition des communes des subdivisions territoriales, des DDE et ses bureaux d’études, pour leur permettre de construire et de mettre en oeuvre leur politique. Le tout sous le contrôle du prefet qui permet de garder une cohérence et une égalité sur l’ensemble du territoire.
      La décentralisation, c’est de donner ces compétences à différents niveaux (communes, inter communalités, syndicats mixtes, département, régions....) qui se débrouillent avec les moyens qu’elles ont (ou pas). Cela empèche la mutualisation, sauf à favoriser des potentats locaux. Et le résultat est la catastrophe que vous décrivez.

      Paradoxalement, pour rapprocher le pouvoir au plus près du citoyen, avoir la démocratie la plus directe, il faut un état qui joue vraiment son rôle.
      Une très petite communes en nombre d’habitants (mais pas forcément en surface, rappelons nous que la France est un pays nettement moins densément peuplé que l’Allemagne) peut parfaitement gérer politiquement son urbanisme, ses écoles, ses routes, ses infrastructures pour peu qu’elle recoive le conseil et l’assistance de l’Etat, et que ce dernier vérifie la légalité et la cohérence de ces politiques. C’est normalement là le rôle des préfets de départements... Ce ne peut être celui de conseiller généraux ou régionaux qui ont toujours interet à favoriser telle commune ou telle étiquette contre telle autre.


    • Michel DROUET Michel DROUET 15 février 2013 12:28

      Bonjour Taktak

      J’ai bien compris que nous n’étions pas sur la même ligne : vous pour un retour à l’Etat d’avant 1982, mais sans doute en améliorant les choses compte tenu de l’état de déliquescence des services de l’Etat à cette période, et moi pour une décentralisation, mais contenue au groupe communes/intercommunalités à l’échelle des bassins de vie et d’emploi (c’est à dire beaucoup moins qu’actuellement) et aux régions).

      La tendance actuelle n’est pas à la reconcentration des pouvoirs étant entendu que l’Etat accélère les transferts aux collectivités et dans des agences (c’est ce qu’on appelle le démembrement du service public avant sa privatisation : la droite a fait le sale boulot depuis longtemps).

      Dans le schéma que vous proposez, avec un état fort (DDE, services techniques de l’Etat, bâtiments... je vous signale que le département qui a hérité d’une partie de ces compétences techniques n’aurait plus lieu d’exister sauf à redevenir une assemblée de notables qui votaient pour la forme des décisions prises par les Préfets en les faisant payer par le contribuable local.

       


  • Jason Jason 14 février 2013 10:29


    Bonjour,

    Ce qu’il y a de désolant dans tout ça, c’est le petit nombre d’intervenants en réponse à ce billet. Le citoyen lambda préfère les grands thèmes plus vagues et plus fédérateurs tels les attaques envers les personnes ou les antiennes sur l’Europe ou les grandes théories sur les religions. Bref, ce qui excite la parole et ne mène à rien.

    Le mille feuilles, lui, reste bien au chaud et continue de prospérer.


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