Mickey contre Catilina ou le Pantin qui pêche
« Si j'étais Président de la République …
Je nommerais bien sûr Mickey Premier ministre
De mon gouvernement, si j'étais président
Simplet à la culture me semble une évidence
Tintin à la police et Picsou aux finances
Zorro à la justice et Minnie à la danse
Est c'que tu serais content si j'étais président ?
Tarzan serait ministre de l'écologie
Bécassine au commerce, Maya à l'industrie...
Opposition néant, si j'étais Président . »
Gérard Lenorman (1980) i, Auteurs : Pierre Delanoe. Compositeurs : Gerard Christian, Eric Lenorman
Editeurs : Warner Chappell Music France
« Le simulacre n'est jamais ce qui cache la vérité – c'est la vérité qui cache qu'il n'y en a pas. Le simulacre est vrai. » Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, Paris, Galilée (1981)ii
Chacun connaît cette pique (en réalité faussement attribuée et démentie par l'intéressé) adressée par W. Churchill à son successeur : « Un taxi vide s'arrête devant le 10 Downing Street. Clement Attlee en descend iii ».n
La nomination de M. François Bayrou en qualité de Premier ministre, longtemps demeuré en Forêt de Longue Attente, laisse sans doute avec raison une curieuse impression qui balance entre le Rien et le Déjà Vu.
Mais on peut aussi imaginer – car l'homme est malgré tout un fin lettré, à la différence de la kyrielle de charlatans qui grouillent dans le marécage politique -, que le nouveau Premier ministre, après avoir perçu la colère et le ressentiment populaire envers un président Catilina complètement démonététisé politiquement, aura peut-être avant que d'accepter sa mission, médité la célèbre expression latine tirée de la première des quatre Catilinaires de Marcus Tullius Cicéron : « Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? »
Nul doute que la suite, rarement citée, lui sera aussi revenue en mémoire (au moins peut-on le lui souhaiter) : « Quamdiu etiam furor iste tuus nos eludet ? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? » ce qui - Latine responde- signifie : « Combien de temps ta folie nous défiera-t-elle ? Jusqu'où ton audace effrontée se déchaînera-t-elle ? »
Et pourtant, voilà qu'après une fausse longue attente qui ne traduit rien d'autre que l'impossibilité pour M. Macron de trouver encore des munitions dans le chargeur sinon de vieux chevaux inaptes à la remonte, la chenille gouvernementale du Cirque est une fois encore repartie, comme si ses membres refusaient de voir l'inéluctable explosion finale ou la rupture jusqu'à en claquer de l'élastique politique étiré plus que de mesure.
A croire que cette nouvelle resucée gouvernementale de la parade de Mickey et de ses amis espère encore - mais on se demande comment - mobiliser l'assentiment et l'énergie d'une France fatiguée des palinodies présidentielles.
Or il setrouve que plus rien ne va et que le pseudo stratège qui encombre le paysage et tente de se survivre en s'appuyant sur des béquilles politiques de plus en plus fragiles et la monstration de simulacres n'a manifestement, clairement et définitivement rien compris à la chose étatique, triste pantin qui ne pêchera jamais rien.
Le fait est, comme l'explique J. Baudrillard à propos de la précession des simulacres, que feindre, ou dissimuler, laissent intact le principe de réalité : la différence est toujours claire, elle n'est que masquée, Tandis que la simulation remet en cause la différence du vrai et du faux, du réel et de l'imaginaire. »iv
Il est de plus en plus manifeste que plus ce pouvoir en perdition quitte le Réel, plus s'impose l'imposture.
Mais voilà
« La loi d’un État où règne l’ordre parfait est obéie aussi naturellement que l’on mange quand on a faim et se couvre quand on a froid : nul besoin d’ordonner »
Tao du Prince , Han-Fei (Tse ou Zi) (280 -233)
Car le fait est que quiconque travaille sur les stratagèmes se doit d’évaluer son hypothèse impériale : l’hypothèse d’un Prince dont le pouvoir repose sur une Position, position maintenue grâce à un arsenal technique secret de moyens de manipulation tout azimut dont le but ultime consiste, paradoxalement, à réussir le tour de force de faire disparaître toute intelligence rusée du corps social populaire ou élitaire (les ministres et autres seigneurs en compétition aussi avec le Prince). En somme : les stratagèmes impériaux du Prince ont pour objectif l’abolition des stratagèmes.
Mais voilà que M. E. Macron n'a rien d'un Prince. Il n'est rien. A-t-il jamais été autre chose ?Et voici qu'en un miroir de ce que sont la description et la pensée d'un véritable pouvoir, un superbe article vient éclairer un vide abyssal mais pervers dans une ultime (?) manipulation qui pourrait bien préfigurer un fiasco monumental.
Le lecteur avisé et intéressé lira avec profit ces lignes tirées d'un papier intitulé La paix impériale est une pluie de printemps. Quand l’idéologie se change en utopie
Position, Structure et Stratagèmes Tao du Prince de Han Fei-tse, de Ut talpav - paru dans lundimatin#455, le 10 décembre 2024
« Le Prince de Han Fei, celui qui occupe la Position, n’est Prince qu’à raison de son impersonnalité, de son absence de qualité, de son invisibilité, de son inactivité, il n’est Prince que dans la mesure de sa résorption dans le Tao, dans la Voie, dans le cours des choses. Ce n’est pas un Prince en un sens personnel, c’est un Principe, un pur vide, qui occupe la Position et demeure dans le non-agir. La perspective de l’Empire légiste est celle d’un État qui serait parfaitement immanent à la société civile : « La loi d’un État où règne l’ordre parfait est obéie aussi naturellement que l’on mange quand on a faim et se couvre quand on a froid : nul besoin d’ordonner », explique le légiste chinois Han-Feivi. La fonction du souverain est ici d’articuler les dispositifs qui le rendront superflu, qui permettront l’autorégulation cybernétique.
La position du Prince est métaphoriquement comme le moyeu d’une roue dont les ministres sont les rayons. Hélas ! Les rayons sont cassés et le moyeu miné par les termites.
« Un souverain éclairé choisit les hommes selon des critères objectifs ».
Abolir l’intelligence et la ruse, abolir les stratagèmes, c’est le privilège et l’exceptionnalité du Prince : pour se faire, le Prince doit être le seul à multiplier, à outrance, l’intelligence, les ruses et les stratagèmes.
« Sa vie est faite de petites feintes, d’infimes astuces, qui font tomber les masques et lui dévoilent les véritables mobiles de ses ministres et de ses courtisans , écrit le sinologue Jean Lévivii ; alors il peut coller à chacun l’étiquette qui convient et mettre l’homme qu’il faut au poste qu’il faut. »
« Par l’observation rigoureuse des comportements, par la connaissance absolue et parfaite de la sincérité des sentiments, le prince pourra procéder à la rectification des noms, et donc des conduites. Cette rectification se fait au prix d’une distorsion : l’art de la manipulation, à l’inverse de la loi, qui repose sur l’univocité des mots et des choses, se nourrit du secret et du mensonge ; il fait fi des dénominations. Mais cette perversion doit demeurer le seul apanage de l’autorité souveraine. C’est en répandant de fausses rumeurs, en distribuant des tâches inexistantes et en appelant des chats des chiens que le prince conserve sa position. Mieux, ce n’est rien d’autre que cela, être prince : user de tromperies et d’artifices tout en exigeant en retour sincérité et transparence. De même façon qu’être sujet, ce n’est rien d’autre que s’engluer dans les filets tissés par la grosse araignée du prince et offrir à ses insondables menées, son cœur mis à nu. Dès lors que cette faculté de désigner arbitrairement lui échappe, le prince n’est plus prince, mais esclave. L’esclave n’est plus esclave, mais prince. Car c’est parce que seul le maître des hommes peut mentir qu’il n’y a pas de désignation mensongère dans son empire ; que chaque être a le nom qu’il mérite et la place qu’il lui convient. C’est dire en somme que l’intelligence sophiste peut et doit être convertie en astuce policière pour contribuer à la stabilité sociale instaurée par l’adéquation des compétences et des qualifications. » (JL, p. 38)
« Mettre l’homme qu’il faut au poste qu’il faut », certes. Encore faut-il le talent pour choisir l'homme qu'il faut.
La position du Prince est métaphoriquement comme le moyeu d’une roue dont les ministres sont les rayons. Hélas ! En France, en cette fin d'année 2024, les rayons sont cassés, tout comme l'essieu, et le moyeu plus que jamais miné par les termites.
Une fausse paix a été négociée jusqu'en 2027 par un faux prince avec la complicité de toute une classe, de toute une camarilla politique en sursis qui n'a pas compris que l'on ne peut impunément tirer un trait sur un électorat de 11.000 000 de citoyens qui finiront inéluctablement par se faire entendre...en se ralliant à un candidat inattendu qui mettra un terme à tout ce cirque.
Mickey disparaîtra comme il est venu.
Quant à Catilina, il est bien possible que son avenir devienne incertain, malgré les apparences.
https://youtu.be/9uym1HSXfx4?t=41
Notes sources et références
iSi j'étais Président (1980) Auteurs : Pierre Delanoe.Compositeurs : Gerard Christian et Eric Lenorman.Editeurs : Warner Chappell Music France. http://www.pierre-delanoe.fr/si-j-etais-president.html
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ii Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, éditions Galilée, 1981, p. 9.
iii An empty taxi drew up outside 10 Downing Street and Clement Attlee got out of it. https://quoteinvestigator.com/2017/04/30/empty-taxi/
iv Op. Cit., p.12
v La paix impériale est une pluie de printemps. Quand l’idéologie se change en utopie
Position, Structure et Stratagèmes Tao du Prince de Han Fei-tse. Ut talpa - paru dans lundimatin#455, le 10 décembre 2024. https://lundi.am/La-paix-imperiale-est-une-pluie-de-printemps
Note : Ut talpa. Mot employé dans la locution exemplum ut talpa (« exemple comme la taupe »), pour signifier un exemple qu’on apporte au lieu de plusieurs autres.« Exemplum ut afferam loco plurimorum aliorum ». Le mot `talpa` y est présenté comme pouvant être à la fois masculin et féminin, ce qui était en effet le cas en latin.
viHan Fei Zi (韓非), philosophe et penseur politique chinois (mort en 233 av. J.-C.) du courant légiste, ayant vécu à la fin de la période des Royaumes combattants.Selon Han Fei Zi, l'ordre et la prospérité ne peuvent être apportés que par un État fort qui repose sur des lois très strictes et non sur la morale et la compréhension, contrairement au confucianisme. Sa pensée inspira la politique autoritaire de Qin Shi Huangdi, le "Premier Empereur de Chine".
Si une grande partie de son œuvre nous est parvenue, sous le nom éponyme de Han Fei Zi, sa vie n'est connue, comme celle de la plupart de ses contemporains, que par des annales historiques postérieures à son décès, notamment le Shiji (史記 « les Mémoires historiques ») de Sima Qian (Ier siècle av. J.-C.).
vii Jean Lévi, « Théorie de la manipulation en Chine ancienne », 1982, Seuil, « Le genre humain », mais aussi https://www.babelio.com/livres/Han-Han-Fei-tse-ou-Le-tao-du-prince/108994