vendredi 21 août 2015 - par Serge ULESKI

Mort d’un journaliste d’investigation

 Emmanuel Ratier n’est plus. Il était un des derniers journalistes d'investigation avec Pierre Péan et Philippe Cohen qui nous a quittés lui aussi cette année.

 

 Qu’il soit permis ici de préciser ceci à propos du travail de ce journaliste infatigable : Emmanuel Ratier n'enfonçait pas des portes ouvertes ; il n'enquêtait pas sur ce que nous savons tous (investigation à la Médiapart : des ministres et des députés qui se servent au passage ; investigation destinée le plus souvent à faire tomber un ennemi politique, et à propos de laquelle nous ne sommes, in fine, guère plus avancés) ; Emmanuel Ratier enquêtait bien plutôt sur ce qui nous échappe, là où toutes les énergies sont occupées à nous garder dans l'ignorance, la meilleure alliée de la domination.

 

 La spécialité d’Emmanuel Ratier était le Who's Who politique, économique et médiatique. Comprenez : qui fait quoi, à qui, où, comment, pour()quoi et pour le compte de qui.

Publié sous le titre « Au cœur du pouvoir », ce Who’s Who que des médias dominants se gardaient bien de commenter à chacune de ses mises à jour et ré-éditions – la dernière chez Kontre Kulture -, permet d'expliquer le maillage labyrinthique d’un système de contrôle et de domination des uns par et pour les autres, larbins et garçons de courses compris, tous au service de ceux qui trônent au sommet de la pyramide… celle du « Pouvoir ».

Tout s’éclaire à la lecture de cet ouvrage : les nominations dans les secteurs médiatique, économique et politique ; comment les places sont attribuées, par qui et dans quel but ; la chute des uns, l’ascension des autres, le pourquoi ; l’influence que peut exercer tel ou tel lobby ; tout alors fait sens.

Cet ouvrage et ses ré-éditions successives ainsi que la publication de sa lettre confidentielle d'information "Faits et documents" - on lui doit aussi : "Le vrai visage de Manuel Valls"disponible ICI -, représentent la quintessence du travail d’investigation d’Emmanuel Ratier : qui commande, qui obéit ; qui est redevable de quoi auprès de qui. L’ouvrage permet donc, et le plus simplement du monde, de comprendre le mode de fonctionnement d’un système contre lequel tous les dissidents se sont un jour heurtés, jusqu’au constat amer de leur échec ; cette incapacité à changer la nature d’un pouvoir qui n’admet aucun partage, aucune contestation, aucune remise en cause, tellement il se régale et se repaît de tout, hilare : du prix du sang, de notre sang ! et de nos dernières indignations.

 

 Nul doute, Emmanuel Ratier aura été la mauvaise conscience du journalisme, de ces centaines de salariés payés pour ne jamais nous informer à la grande satisfaction de leurs patrons et des actionnaires. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la presse à l’annonce du décès d’Emmanuel Ratier : dites-moi comment vous rédigez vos nécrologies et je vous dirai qui vous cherchez à tuer une seconde fois.

Il aura été aussi la mauvaise conscience de tous les pistonnés du système, médiocres et sans mérite ; classes politique, médiatique et économique inextricablement enchevêtrées : pères, mères, filles et fils de..., époux, épouses, gendres………. tous au service des uns et des autres, et réciproquement.

Et puis enfin, Emmanuel Ratier était plus généralement la mauvaise conscience de tous ceux qui ne veulent pas savoir, de tous ceux qui ne veulent rien savoir de peur sans doute de défaillir, incapables de gérer une prise de conscience qui les anéantirait ; ceux pour lesquels le réel c’est déjà une réalité de trop. Sans oublier ceux qui se font grassement payer pour tout ignorer : on ferme les yeux, ou bien on regarde ailleurs.

 

***

 

 

  Emmanuel Ratier a longtemps vécu le visage masqué ; ce qui lui a permis de vivre un peu plus longtemps que la moyenne de ceux qui, tout comme lui, avaient à cœur de nous informer, c’est-à-dire : de nous alerter.

Personne ne l’a suicidé ; aucun chauffard téléguidé ne l’a renversé ; Emmanuel Ratier a expiré dans un lit à l'âge de 57 ans ; trop tôt, trop jeune, beaucoup trop jeune, n'empêche !

 

 Mais alors, qui reprendra le flambeau de l'investigation - qui fait quoi, à qui, où comment, pour()quoi et pour le compte de qui -, la plus haute mission du métier de journaliste ?

 

___________

 

Pour prolonger, cliquez : Matthieu et le journalisme d'investigation



14 réactions


  • zephyrus 21 août 2015 16:03

    Les chiens de garde s’activent...
    C’est toujours la même chose avec eux :
    Dés que quelqu’un s’exprime d’une façon qui leur déplaît,
    ils demandent aussitôt un muselage en règle,
     une mise au ban de la société.
    Et ça marche souvent.
    Il est vrai qu’il est beaucoup plus facile d’enlever toute tribune aux
    pseudos complotistes, négationnistes, antisémites (ils sont souvent les trois à la fois),
    plutôt que de se lancer dans un hypothétique et ô combien périlleux combat d’idées.
    On ne sait jamais ; certains esprits pas encore totalement formatés
    pourraient se laisser convaincre par leurs arguments...

    Morice, si tu trouves qu’Agoravox sert continuellement la soupe à
    l’extrême droite, pourquoi tu continues à venir ici ?
    Les sites où tu pourras lire ce que tu as envie ne manquent pas sur le net et ailleurs


  • Serge ULESKI Serge ULESKI 21 août 2015 16:22

    Peu importe pour qui votait Ratier.
    Peu importe ses motivations.

    Seules importent la qualité et la pertinence des infos qu’il partageait. Il était de loin le meilleur et le plus courageux.


    • Pere Plexe Pere Plexe 21 août 2015 22:40

      @Serge ULESKI
      Ses infos et son travail d’investigation son généralement reconnus.

      Les conclusions et autres exégèses qu’il en tirait sont à juste titre bien plus sujet à caution. 

  • leypanou 21 août 2015 17:50

    Merci à l’auteur d’en avoir parlé : j’en ai jamais entendu parler avant.

    Cela étant, pour oser faire de l’investigation, il faut avoir les reins solides et surtout pouvoir assurer ses arrières. Et cela n’est pas à la portée de tout le monde. Denis Robert lors de l’affaire Clearstream en sait quelque chose.

    Et ce ne sont pas les nombreux contrats de pigistes qui vont changer la donne.


  • hunter hunter 21 août 2015 19:34

    Merci M Uleski.

    La « célébrité » de M Ratier est inversement proportionnelle au travail gigantesque qu’il a produit, afin de clarifier aux yeux de ceux qui le suivaient, les attitudes comportementales des sphères de pouvoir de ce pays.

    Vous n’entendrez bien entendu aucun média dominant lui rendre hommage, ce serait trop révélateur pour ces scribouillards stipendiés : que plus de gens découvrent les travaux de M Ratier, ne ferait que révéler l’absolue nullité, la totale inconséquence de cette source putride de désinformations, que constituent ces « merdias » mainstream !

    Un homme ayant le sens du travail bien fait, très à cheval sur les sources (personne n’a pu lui intenter le moindre procès, et pourtant, il en a écrit des choses dérangeantes ...), travailleur acharné (à mon avis, ça l’a tué), c’était le dernier vrai journaliste français !

    Même s’il est de tradition de dire que personne n’est irremplaçable, je me demande qui pourrait reprendre, avec une telle précision sa lettre « faits et documents » ?

    J’espère que sa librairie parisienne sera pérenne.......

    Une perte énorme pour l’intelligence, la culture et la qualité de la langue !

    Je suis sincèrement affecté, je n’ai pas honte de le dire, suivant ses travaux remarquables depuis des années.

    Mes pensées se tournent vers ses proches, sa famille : puissent-elles, avec leur simple humilité, vous soutenir dans cette triste épreuve.

    Merci encore M Uleski, pour votre hommage !

    Adishatz

    Requiescat In Pace Emmanuel Ratier.

    H /


    • Pere Plexe Pere Plexe 21 août 2015 22:57

      @hunter
      Amusant de sortir ce type du reste des journalistes.

      Pour rappel ce type a sévit au Figaro ou à Valeurs actuelles...ce que vous appelez Médias dominants donc.

    • hunter hunter 22 août 2015 12:31

      @Pere Plexe

      Effectivement, mais il a pris le risque de quitter la gamelle assurée (au prix de reptations devant les puissances, que ne renierait pas une jolie couleuvre), et de suivre ses convictions.

      quitter la gamelle facile, pour pouvoir dire ce qu’on veut dire, c’est loin d’être évident ; c’est un risque ; ayant bossé dans la presse écrite, beaucoup de « journalistes » aimeraient bien retrouver leur liberté, mais bon, les contraintes sont là....... Emmanuel Ratier ne roulait pas sur l’or, mais il était libre !
      Je sais de quoi je parle, j’ai quitté une très bonne gamelle servie par une énorme multinationale de la finance pourrie : matériellement, j’ai du apprendre à me contenter de peu, mais j’y ai tellement gagné pour ma santé mentale et physique, que ça vaut le coup !

      Et d’autre part, pour savoir la puissance de nuisance d’un ennemi, il est fortement conseillé de le côtoyer, de l’observer, de voir comment il fonctionne !

      Votre petite ( dans le sens de mesquin) réflexion, a donc été écrite dans la ferveur irréfléchie de la contradiction à tout prix, dans l’espoir de vous valoriser ; ce que Félix Houphouët-Boigny appelait fort justement « la critique à l’occidentale », à savoir une critique non-constructive, écrite sans réflexion, juste dans le but de vouloir être « meilleur » que l’autre !

      Comme l’explique Howahkan Hotah ça et là sur ce forum, toujours cette fameuse obsession pathologique de la compétition.....
      Peut-être êtes vous vexé parce que mon précédent message est plus étoilé que le votre......si vous en êtes encore là, je pense que ce message que je vous écris sera sans doute le dernier, n’ayant pas de temps à perdre dans ces enfantillages....

      Pour ma part, j’ai passé l’âge de jouer à qui a la plus grosse.......

      Oui Emmanuel Ratier a eu bossé dans des mainstream, mais lui a changé d’avis, et parmi les « journalistes » actuels, eh bien c’est le seul à avoir fait cette démarche, et à avoir produit un travail de qualité exceptionnelle !
      C’est pourquoi le terme de journaliste appliqué à cet homme, ne nécessite pas de guillemets : il maintenait la tradition (il est vrai plus anglo-saxonne), du journaliste qui veut vraiment informer ses contemporains, partager avec eux des connaissances pertinentes, et non pas les endormir en leur parlant des bouchons sur les autoroutes, et de la neige en hiver....

      Quand vous en ferez de même, nous reparlerons de tout ça ......

      Adishatz

      H/


    • Pere Plexe Pere Plexe 23 août 2015 11:35

      @hunter
      Contrairement à ce que vous semblez imaginer je reconnais volontiers à E Ratier un certain courage.

      Ce qui me fait sourire c’est comment des milliers de types découvre ce monsieur, que souvent ils n’ont pas lu, et en font une icone au seul motif qu’il était d’extrême droite ! 
      Oui cet homme à droit au respect que l’on doit au défunt.
      Oui il à fait preuve d’un certain courage.
      Ce qui ne doit pas occulter ces défauts ses errements et ses manquements.
      C’etait la seule motivation de ma « petite » remarque.

    • Serge ULESKI Serge ULESKI 23 août 2015 12:14

      @Pere Plexe

      C’est à son travail d’information ou bien plutôt, son travail de ré-information auquel on doit le respect.

      Son travail, tout son travail, rien que son travail...

      Enfin, si l’information en général et en particulier vous intéresse.


    • hunter hunter 23 août 2015 18:45

      @Pere Plexe

      Pour ma part, j’ai lu certains de ses travaux (livres, pas tous, sa revue, certains articles ça et là...) donc je connaissais son travail !

      Le provincial que je suis, passait des heures de bonheur à fouiller dans sa librairie ( il y a essentiellement des bouquins d’occas’, de tous genres), et je « faisais le plein » pour un an, car je ne viens qu’une fois par an pour visiter un très ancien et très précieux camarade !

      Et dans ma douce et jolie campagne, malheureusement, la seule échoppe qui se baptise « librairie », est le « centre culturel » (quel grand mot), de l’autre ordure de la grande distribution, un certain Michel-Edouard L., que vous n’êtes pas sans connaître je présume !
      Et pour rallier cet « étabilssement », il me faut quand même faire 50 kilomètres aller-retour, pour ne trouver que la sous-culture ambiante, type Musso, Levy (l’auteur de bluettes, et aussi le « philosophe »), et quekques pavés aussi épais qu’inconsistants, bien qu’ils se targuent d’être des « best sellers » ! Bref, je n’ai accès qu’à la merdasse ambiante que la télé doit promouvoir......je suppose, car je ne regarde pas la télé, mais écoutant un peu la radio de propagande d’état (la seule n’ayant pas de cette immonde publicité), j’entends la promo outrageuse faite sur certains torchons, donc je pense que la « boîte à cons » (c’est ainsi que je désigne la télé), doit en faire de même !

      Et comme je refuse de commander sur internet, je fais donc mes provisions pour un an sur la capitale : je peux toucher les livres, lire les 4ème de couverture, et payer en cash pour que mon putain de banquier ne puisse nourrir ses putains de fichiers !

      J’écoutais souvent sur la bécane, ses émissions en différé de Radio Courtoisie (dans ma campagne, impossible de la capter sur la FM).

      Je l’ai écrit plus haut, je suis encore sincèrement affecté de sa disparition, car c’était pour moi (comme le dit Serge ensuite), un homme produisant un travail exceptionnel de par sa qualité !

      Vous le qualifiez d’extrême droite.......c’est à mon avis faux !
      Nationaliste certes, mais si pour vous, essayer de faire en sorte que son pays redevienne autre chose que ce qu’il est appelé à rester, à savoir une colonie israelo-américiane, c’est de l’extrême droite...alors soit !

      Je ne débattrai pas là-dessus ! Vous pensez ce que vous voulez, ça m’indiffère en fait !

      Adishatz

      H/


  • Le Corbeau Magnifique Le Corbeau Magnifique 21 août 2015 22:59

    Entre Ratier et les guignols de TF1 et France2, t’as la même différence qu’entre Albert Einstein et Loana !


  • agent ananas agent ananas 22 août 2015 13:14

    Merci Serge.
    La disparition de Emmanuel Ratier est un peu comme la perte de la bibliothèque d’Alexandrie tant ses connaissances de l’establishment français étaient immenses et ses travaux sur ses élites des plus détaillées.
    Et peu importe de quel bord il était. Respects, donc.
    A lire (ou relire) son entretien avec Thierry Meyssan, dans lequel en dépit de leurs origines idéologiques opposées acceptent de dialoguer et s’estiment.
    http://www.voltairenet.org/article170495.html


  • Christian Pradel Christian Pradel 22 août 2015 23:50

    J’ai apprécié cet article qui résonne bien dans le chaos des événements... Merci


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