Peut-on mentir sur l’origine d’une littérature ?
Peut-on mentir sur l'origine d'une littérature ?
On peut mentir sur tout, si tôt que les preuves du mensonge ne sautent pas aux yeux. On peut mentir sur l'auteur d'un livre, on peut utiliser un nègre, on peut faire un plagiat, et même concernant des phrases célèbres, on peut lontemps se tromper sur leur langue d'origine.
L'exemple le plus évident concerne les exclamations de César telles "Alea jacta est" ou "Tu quoque mi fili !". Le vulgaire pense que l'empereur les a prononcées en latin, l'instruit sait qu'il y a de bonnes chances qu'elles fussent énoncées en grec ancien, langue dans laquelle les enfants de la haute société recevaient alors leur éducation. Et l'on sait que lors des émotions les plus fortes, c'est la langue maternelle ou tout du moins celle qui était dominante entre 6 et 13 ans qui prend le dessus.
D'accord, mais peut-on se tromper sur la langue d'origine de toute une littérature ? Par exemple est-il possible que les principaux livres attribués à la littérature espagnole du XVème et XVIème siècle aient en fait été écrits à l'origine en catalan ? Pour ne citer qu'un exemple, le fameux Don Quichote de Cervantes.
Ce livre, comme tant d'autres, n'auraient pas été créés en castillan, langue de Madrid, mais en catalan, langue de Barcelone : telle est la thèse que défend Lluís Batlle i Rossell, jeune informaticien polyglotte dans son livre publié cet été à compte d'auteur. Ce livre présente le résultat de ses recherches, au début inspirées par son septicisme quant aux affirmations de certains groupes d'historiens, selon lesquels l'odieuse mystification se serait produite lors de l'occupation militaire de la Catalogne par les armée de Castille.
L'auteur voulait trouver la preuve irréfutable de l'origine castillane de ces ouvrages, au moyen des larges bibliothèques numérisées d'aujourd'hui qui permettent de travailler sur un volume de textes supérieur à ce que les philologues et traducteurs du XVIIIème pouvaient exploiter. Et surtout, l'outil informatique permet une étude systématique, la recherche exhaustive de tournures de phrases, là ou le philologue, même émient des siècles passés, travaillant à la main, ne pouvait les étudier que d'une manière parcellaire.
Ce qu'il faut voir, c'est que l'histoire officielle n'est pas très cohérente sur le sujet : comment imaginer que c'est justement lorsqu'elle était la plus étendue géographiquement, sous la couronne d'Aragon, que la Catalogne a produit le moins d'oeuvres littéraires ?
En tout cas Lluís Batlle i Rossell, en se basant sur les traductions des ouvrages de cette époque en a maintenant le cœur net : ils ont bien été écrits originalement en catalan, et certains ont même été (mal) traduits en castillan depuis leurs traductions en d'autres langues, comme le français. Un exemple parmi d'autres, des marins qui jettent de l'encre (de Chine) en arrivant au port, c'est une coutume bien connue selon certains éditeurs.
Alors évidemment le milieu universitaire, même catalan, reste prudent quant à l'interprétation des faits linguistiques présentés par le jeune auteur. On y pense par exemple que les nombreuses incohérences de la version officielle doivent avoir une autre explication que la tromperie sur la langue d'origine, et que c'est cette autre explication qu'il faut trouver.
En tout cas les faits sont sur la table, pour qui parle le catalan, et cette affaire arrive juste quelques semaines avant le énième référendum sur l'indépendance, début octobre. De l'autre côté des Pyrénées tout cela nous semble bien lointain, et cela n'arriverait bien sûr pas chez nous, tant que l'on entend pas ceux qui soutiennent mordicus, que, l'œuvre de Rabelais est d'origine occitane.