mardi 18 mars - par Lombre Von Trek

Purifier la religion : démoturges, humachines et ziggourats

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La religion est mal-aimée dans nos sociétés modernes – blâmée, rejetée, incomprise. Le nœud du problème ? Une confusion lexicale.
 
Quand on dit « prêtre », on pense souvent « démoturge », du grec demos (peuple) et ergon (travail) : celui qui « travaille le peuple », manipule les foules, par des moyens plus étendus que l’arsenal "pathos" du démagogue (un démagogue est un démoturge spécialisé).
 
Mais un démoturge n’est pas un prêtre. Le prêtre sincère – ou le religieux authentique – cherche la transcendance et veut la partager sans arrière-pensée d’organisation. Ici, c’est dans ce sens étroit que nous parlerons de « prêtre » et de « religieux » : une quête pure, pas un rôle social. Ces âmes-là sont rares, au mieux 5-10 % des croyants, éclipsées par les démoturges et leurs fidèles (je compte revenir sur ces chiffres dans un prochain article).
 
La Religion, avec sa majuscule, explore la métaphysique (avec des dieux ou des transcendances). Quand elle est universelle, elle dépasse certains biais humains et devient un outil de progrès, individuel et collectif (n’allons pas plus loin, pour le moment, c’est un sujet vaste, très vaste).
 
Mais dans sa version pervertie par la démoturgie, c’est un support pour la « mégamachine » de Lewis Mumford : une humachine – une machine où les engrenages sont des humains liés par une « cybernétique sociale » – apparue dans les premières civilisations avec l’armée, l’agriculture, la cité.
 
La Genèse (censée se dérouler, d’après de savants calculs, il y a environ 5 000 ans, donc à cette époque approximative) ne dit-elle pas que l’homme fut condamné au labeur par un dieu ? Selon James C. Scott dans Homo Domesticus, l’agriculture fut imposée par une caste dirigeante. Ce dieu, par évhémérisme, ne serait-il pas l’ombre du premier « roi-prêtre », en réalité le premier démoturge ?
 
En effet, c’est au Néolithique, en Mésopotamie, que le chef chasseur et le prêtre fusionnent en roi-démoturge. La ziggourat, bâtiment typique de cet âge (cf. la tour de Babel), porte ce témoignage : ce temple à étages, avec un sommet étroit dominant une base soumise, incarne, avec un symbolisme évident, la démoturgie.
 
Au passage, ce n’est pas le cas de la pyramide, qui est un tombeau, que l’on a pris comme référence, sans doute par facilité graphique, alors que c’est la ziggourat qui symbolise un pouvoir démoturgique sur les hommes.
 
Ceux qui ne différencient pas pyramide et ziggourat, notamment sur les billets de banque ou dans les « fraternités discrètes », trompent, sont trompés ou n’ont pas assez travaillé le sujet.
 
Oublier « démoturge » et « humachine » embrouille tout.
 
Jésus et Bouddha, religieux authentiques, sont détournés par des démoturges – Saint Paul pour le christianisme, de manière plus complexe pour le bouddhisme avec, très grossièrement, le passage du petit au grand véhicule. D’après les textes nous les présentant, Moïse et Mahomet furent, eux, à la fois religieux et démoturges.
 
Sans cette distinction, le dialogue est impossible entre religieux et athées ou entre religions différentes.
 
Notons toutefois qu’une humachine (même la « mégamachine » de Mumford) n’est pas intrinsèquement mauvaise, mais ne pas prendre conscience des liens de « cybernétique sociale » (« religion », « idéologie », rétribution, etc.) qui lient ses « rouages humains » permet de nombreuses dérives, la prise de contrôle par un ou plusieurs démoturges et empêche de comprendre rationnellement le positionnement des uns et des autres.
 
Notons un autre point important d’application plus pratique : nous vivons maintenant presque tous dans des humachines – ville, nation, mégamachine globale.
 
Être réellement religieux (comme Jésus) ou réellement athée (comme Diogène de Sinope) permet de voir plus facilement ces rouages.
 
Mais cela peut déraper si la prise de conscience se fait mal. Ainsi, prenons deux exemples :
 
  • Les fanatiques religieux, souvent rejetés et/ou rejetant les humachines classiques (nations, entreprises, cités, etc.), peuvent alors s’accrocher à une foi intégriste, parfois de manière violente comme seule manière de trouver un sens et/ou une libération (le Moyen-Orient les collectionne en ce moment et veut nous en faire profiter, voire les instrumentalise).
  • Les fanatiques athées, sentant les « filets » des humachines sans trouver non plus d’échappatoire, versent assez naturellement dans le nihilisme ou l’hédonisme (voir le transhumanisme actuellement) et ciblent éventuellement la Religion (sans faire de distinction entre le « religieux » et le « démoturge ») dans un mécanisme classique de recherche du bouc émissaire. Comment expliquer autrement l’hystérie de certains luttant encore contre le moindre symbole religieux en France (les crèches en mairie !!! cf. article correspondant) alors que l’Église n’a plus que l’ombre d’un pouvoir et que cette célébration est avant tout culturelle au vu de la sécularisation triomphante ? Mais cette recherche du bouc émissaire dans une religion du passé, toute satisfaisante qu’elle soit dans le domaine émotionnel, rend plus vulnérable à d’autres démoturges moins ancrés dans l’histoire.
En effet, aujourd’hui, ces derniers se masquent. « Le diable nous fait croire qu’il n’existe pas », dit-on. Leur visage ? Le « milieu scientifique officiel », prétendant parler au nom du réel – un leurre démoturgique classique (ex. : le « TINA » de Thatcher...). Le profane le sent et parle de « clergé scientifique », encore cette confusion prêtre/démoturge ! Mais il n’y a même pas l’excuse classique d’une quête métaphysique là-dedans, juste un « contrôle cybernétique » dopé à l’informatique. La « religion de la science » sert de bouc émissaire pour ignorer ces modernes ziggourats numériques où le peuple doit obéir sans comprendre, comme avant, mais sans dieu cette fois, et c’est censé tout changer ?
 
Dans les sociétés équilibrées nous ayant précédé, humachines politique et religieuse se contrebalançaient – druide et roi chez les Celtes, pape et monarque chez les chrétiens. Imparfait, mais fonctionnel, comme un moteur qui dissipe beaucoup d’énergie sous forme de chaleur mais permet toutefois de faire avancer un véhicule (et, dans le cas des humachines « politiques » et « religieuses », la liberté individuelle prenait naissance dans cette chaleur dissipée entre les deux "structures"). Aujourd’hui, la fusion entre ces deux pôles rend impossible toute critique et toute prise de distance, comme pour la Rome antique avec ses Césars idolâtrés puis son Sol Invictus. La ziggourat politique (les « chefs ») et la spirituelle (la « science » qui est une mystique chrétienne sécularisée sous cet aspect) se confondent.
La preuve a pu être faite pendant la crise du Covid : ceux qui critiquaient la politique gouvernementale étaient traités comme des... hérétiques.
 
Les technocrates matérialistes dominent donc depuis des décennies sans avoir eu de réelle opposition et les libertés individuelles sont de plus en plus réduites – mais leur déclin, visible depuis 2022, était néanmoins prévisible par l’histoire comparée. Ce ne sera toutefois pas une libération : les démoturges religieux « classiques » guettent maintenant le moment de prendre leur place (article agoravox ici). Ils prendront le pouvoir, c’est inscrit dans les forces en jeu. Notre seul levier ? Choisir la religion qu’ils prétendront servir : une foi non violente, tolérante, protectrice des faibles, peut brider un roi-prêtre conquérant.
 
Purifier la religion, ce n’est pas la brûler, mais la clarifier. La religion a toujours accompagné l’humanité. Il est impossible de la supprimer ou de l’ignorer. Toutes les tentatives de cet ordre (confucianisme « réaliste », communisme, etc.) se sont avérées non fonctionnelles. Mais en acceptant la place de la religion, il faut aussi impérativement savoir identifier ses détournements et/ou son utilisation comme bouc émissaire, sinon on reste désarmés face aux marionnettistes.
 
Par Lombre Von Trek et Dathynne Hiero


22 réactions


  • xana 18 mars 13:10

    « La religion est mal-aimée dans nos sociétés modernes »

    Oui. la religion est mal aimée.

    Comme le mensonge.

    .

    Car à quoi sert la religion en fin de compte ?

    Pas à assurer la paix, ca fait des milliers d’années que nous le savons. La religion donne des prétextes pour aller piller d’autres nations parce que ces nations ont d’autres divinités, ce que « nos » dieux ne supportent pas. Ni d’ailleurs nos élites, comme par hasard.

    La religion sert à assurer un revenu à des escrocs, sous prétexte d’intercéder entre des humains crédules et un « dieu » inexistant. Effectivement peu de nations échappent aux « dîmes » et autres impôts destinés à faire vivre confortablement un clergé parasite.

    C’est pratiquement le seul progrès véritable de notre société : La religion y est de plus en plus mal supportée. Comme la corruption...


  • xana 18 mars 13:17

    A mon humble avis, il n’existe qu’une religion acceptable dans ce monde : C’est celle qui reconnaît une sorte de divinité dans la nature. Cette religion n’a aucun besoin de prêtres ni de clergé, elle n’a pas besoin de furieux appels à la croisade ni d’insistants appels à l’obole, car il s’agit d’une religion personnelle.

    Evidemment elle ne peut pas convenir aux rapaces ni aux escrocs, donc ne vous étonnez-pas si mon avis est largement contredit ! ...


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 18 mars 13:27

      @xana
       
       ’’A mon humble avis, il n’existe qu’une religion acceptable dans ce monde : C’est celle qui reconnaît une sorte de divinité dans la nature. ’’
        >
      Oui. Et la pire c’est la religion du vaccin en ce qu’elle lui est opposée.
       
      J’en veux pour preuve que les adorateurs du vaccin s’obstinent malgré les échecs répétés, à vacciner contre les maladies respiratoires.


  • xana 18 mars 14:05

    La science est théoriquement une bonne chose, du moins tant qu’elle ne devient pas une religion.

    Les adorateurs de vaccin prétendent être des scientifiques, mais ils ne sont que des adorateurs d’une secte pourrie.

    J’en sais quelque chose. J’ai été un scientifique, mais j’ai passé ma vie à combattre les sectes. Si je ne suis pas vacciné, ce n’est pas que je me méfie du vaccin mais parce que je n’ai aucune confiance dans les grands prêtres de big Pharma ou dans ceux de nos gouvernements.

    Quand on est vraiment un scientifique, on apprend à vérifier les informations au lieu de les répéter bêtement !


  • jocelyne 18 mars 16:59

    personne n’a remarqué ?


  • Lombre Von Trek Lombre Von Trek 18 mars 19:56

    Merci à la modération et aux modérateurs qui m’ont permis de remettre mon texte.


  • Lombre Von Trek Lombre Von Trek 18 mars 19:58

    @Xana

    Vous êtes exactement dans le cas que je décris dans le texte. Vous faites la confusion entre un « religieux » et un « démoturge ».

    Partant de là, je suis en partie d’accord avec vous et en partie en désaccord. smiley


  • Goldo Du 19 mars 08:50

    La religion a toujours été, est toujours et sera toujours un outil d’oppression des peuples en s’appuyant sur ls peurs nées de l’ignorance et de la paresse intellectuelle.


    • Lombre Von Trek Lombre Von Trek 19 mars 12:05

      @Goldo Du
      Quelques contre-exemples :
      Le christianisme a fini par sortir l’esclavage de l’Europe alors que la civilisation Gréco-romaine était fondé dessus.
      Gandhi a sorti l’Inde de l’empire britannique, sans trop de violence, en utilisant très clairement des ressorts religieux.
      La religion orthodoxe a été un moteur dans la lutte contre le communisme en URSS.
      Paresseux intellectuellement les jésuites ?


    • Goldo Du 19 mars 20:12

      @Lombre Von Trek
      Tu sais pas lire.
      Et tu racontes n’importe quoi pourvu que ça mousse.


  • xana 19 mars 09:37

    Quel bla-bla-bla !

    Tout ca pour quoi ?

    Pour venir au secours de la « religion » parce que le public s’en détourne (avec raison), à grand renfort de notions inventées pour l’occasion, affublées de noms d’allure savante pour avoir l’air intelligent ?
    Mon pauvre ami vous reprenez les recettes éculées des charlatans... Mais sans doute est-ce là votre métier ? Je comprends que c’est moins fatigant que de travailler...
    En fait de « religion », la seule qui soit socialement acceptable est la religion purement personnelle. Celle qui ne rapporte strictement rien à personne, celle que personne ne peut imposer aux autres (pour en tirer profit, évidemment).
    A part cette idée vaguement religieuse mais spontanée, toutes les religions sont condamnables par principe. Toutes procèdent de l’escroquerie collective, au minimum, et des manipulations de foule en général.


    • Lombre Von Trek Lombre Von Trek 19 mars 12:08

      @xana
      Pourquoi ? La réponse est dans le texte.

      « En fait de « religion », la seule qui soit socialement acceptable est la religion purement personnelle. »

      Justement c’est le but du texte, trouver des mots pour faire la distinction entre les deux approches. Vous utilisez le même mot « religion » alors que vous parlez de deux choses différentes.


    • Seth 19 mars 13:57

      @Lombre Von Trek

      Il suffirait de distinguer « foi » et « religion ». Je suis proche d’une religion qui a le mérite de ne pas avoir de prêtres et de ne pas pratiquer la retape (publicité, missionnaires, prêches et tout le saint frusquin).

      Dans nos religions occidentales, les prêtres (ceux qui pratiquent le sacrifice, c’est le sens du mot), le temporel, sa structure et ses banques sont de la pure démoturgie hérétique.


  • Jean Keim Jean Keim 19 mars 11:42

    << La religion a toujours accompagné l’humanité. Il est impossible de la supprimer ou de l’ignorer. Toutes les tentatives de cet ordre (confucianisme « réaliste », communisme, etc.) se sont avérées non fonctionnelles. >>

    Ont également toujours accompagné l’humanité : la guerre, la prostitution, le pouvoir de l’argent-fric, l’exploitation de l’homme par l’homme, la sujétion de la femme, etc., mais par-dessus tout la malédiction du prêtre qui vient s’intercaler entre la vérité et celui qui la cherche, la religion est un arrangement entre le pouvoir politique et les prêtres qui touchent une prébende, afin que chacun justifie la place occupée par l’autre.

    Si les choses sont ainsi qu’elles sont, ce serait donc la volonté de dieu(x) ; dans les esprits bien formatés tout est dit, mais promis juré, dans l’au-delà de notre vie actuelle, nous toucherons une juste rétribution.


  • Lombre Von Trek Lombre Von Trek 19 mars 13:07

    La religion est d’abord une recherche ou une étude de transcendance.

    Mais comme explicité dans votre commentaire qui en devient révélateur :

    « par-dessus tout la malédiction du prêtre qui vient s’intercaler entre la vérité et celui qui la cherche, » Vous mettez la religion au dessus de tout les maux qui accablent l’humanité comme un bouc émissaire. J’ai hésité à mettre ce passage dans mon texte car il pouvait être trop polémique. Mais manifestement c’est bien là un point important qui empêche une discussion rationnelle (oui, il existe des pratiques religieuses qui valorisent la rationalité et le doute).

    L’histoire de l’humachine de Mumford m’apparait, avec d’autres thèses, (ex Laborit), à mon sens de meilleures explications sur la CAUSE et non sur les SYMPTOMES des maux accompagnant l’humanité depuis 5 000 ans (comme la démoturgie dans la religion par exemple). Et oui, je condamme la démoturgie pervertie qui instrumentalise la religion et aliène les humains mais je veux faire la distinction entre les deux car "Vous ne pouvez pas correctement traiter un problème tant que vous n’etes pas correctement capable de le décrire. D’ailleurs tant que vous ne saurez pas complètement décrire un problème, la solution sera tirée au hasard. Quand vous tirez au hasard, la probabilité que vous atteignez votre cible est extrêmement faible.".

    Et les problèmes notamment d’organisation et de communautarisme notamment religieux sont devant nous en France.... Le temps de la réflexion, prélude à l’action, est donc venu.


    • Jean Keim Jean Keim 21 mars 07:30

      @Lombre Von Trek

      Chaque être humain vit dans ce qu’il pense être la ‘’réalité’’, mais la ‘’Vérité’’ est de ce fait inaccessible à la pensée ; nous pouvons fermer les yeux et visualiser par exemple la couleur rouge, mais visualiser une couleur inconnue nous est impossible, et cela pour une raison très simple, la pensée exprime uniquement – et c’est observable en nous – des choses connues, les religions (et la philosophie) en particulier et les idéologies en général ne font que ressasser du ‘’réchauffé’’.

      La pensée est un processus, rien qu’un processus, une sécrétion du cerveau en qq. sorte ; plus la pensée est accro à des savoirs, plus elle est dense, et plus l’Intelligence se retire.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 mars 09:04

      @Jean Keim
       
       ’’ la ‘’Vérité’’ est de ce fait inaccessible à la pensée’’
      >
       Vous confondez le réel et la vérité, même avec un grand v.
      Le réel est inaccessible à l’esprit, ou la conscience si on veut, puisqu’il dépasse ses capacités de compréhension, et d’ailleurs, puisqu’il (elle) en fait partie.


    • Jean Keim Jean Keim 22 mars 08:12

      @Francis, agnotologue

      On ne va pas se chamailler sur une question de vocabulaire.

      Cependant comme tout un chacun ‘’votre’’ commentaire trouve sa source dans ‘’votre’’ réalité, celle que vous entretenez au fil du temps qui passe ; quand à la Vérité elle échappera toujours à la pensée qui tentera néanmoins irrévocablement de s’en faire une représentation, ainsi naissent notamment les religions et autres idéologies.


  • Eric F Eric F 19 mars 14:26

    ’’ La religion a toujours accompagné l’humanité. Il est impossible de la supprimer ou de l’ignorer’’

    Les idéologies sont des religions de substitution dans une époque rationaliste ou matrérialiste. Mais dans notre civilisation d’Europe occidentale où la religion historique -qui avait tenté pourtant de se mettre à jour- ne cesse de reculer, de nouveaux arrivants viennent avec leur propre religion, plus prescriptive et obscurantiste.
    C’est donc mal barré pour une religion purifiée de l’appareil religieux. On constate du reste que la communauté de fidèles peut constituer une démoturgie(*) collective. 

    (*) au sens donné dans l’article, je n’ai pas trouvé ce terme ailleurs.


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