vendredi 18 janvier 2019 - par Jacques-Robert SIMON

Qualitatif, Quantitatif : de l’amour au priapisme

 ‘’Que veux-tu que je devienne, Si je n'entends plus ton pas ?’’ L’Amour, valeur invisible et qualitative, sans repères, sans classement possible, laisse maintenant la place au quantitatif, valeur universelle : tout vaut ce qu’on veut bien l’acheter. Les conséquences concernent toutes les choses de la vie.

 

 Le qualitatif n’est intéressé que par la nature des choses, l’Amour étant la plus connue et la moins pratiquée de ces valeurs invisibles. Comment attacher un nombre, un prix à l’Amour, au bonheur ? Il est plus aisé pour faire entrer dans les normes du quantitatif de déterminer la durée moyenne d'un rapport sexuel en France (16 minutes), le nombre hebdomadaire de rapports sexuels (2,17), le pourcentage des Françaises qui simulent l'orgasme (29%)… Une comparaison encore plus précise peut départager la gent masculine : le temps d’érection ! On considère que si un homme tient plus de 3 minutes à partir du début de la pénétration, il n’est pas éjaculateur précoce. Avec les préliminaires, il faut pouvoir maintenir cet état durant 20 mn, durée moyenne d'un rapport sexuel. La durée érectile dépend largement de l’individu considéré, de moins de 1 mn jusqu’à plusieurs heures ; on parle dans ce dernier cas de priapisme. Le priapisme peut être une caractéristique naturelle mais rare ou être associée à la prise de médicaments comme le Viagra® ou d’antidépresseurs. Les médicaments de l'érection nécessitent une stimulation sexuelle et n'ont pas d'action sensible sur le désir, le mécanique (quantitatif) n’efface pas complétement l’affectif (qualitatif). L'échelle de rigidité permet aux hommes d'évaluer avec encore plus de soin la qualité de leur érection : 1 : le pénis augmente de volume mais n’est pas dur ; 2 : le pénis est dur, mais pas assez pour permettre une pénétration ; 3 : le pénis est assez dur pour la pénétration ; 4 : le pénis est complètement dur et entièrement rigide. Le Rigiscan® (voir photo.) est un appareil qui permet une mesure précise de la rigidité radiale et la tumescence en deux points de la verge mais qui n’est pas encore utilisé dans les centres de soins. 

 L’Amour peut donc être ramené à un nombre de coïts, à une fréquence hebdomadaire d’orgasmes, à une qualité d’érection mesurée par la dureté de la verge… et à quelques autres paramètres. Des traités, des lois, des règlements peuvent imposer un usage unique et circonstancié des rapports sexuels qui ne sont plus laissés aux pulsions, aux sentiments amoureux, à la morale individuelle.

 Toutefois, le bonheur non plus ne se mesure pas… Et si les géomètres, ceux qui mesurent la terre, et si ces comptables qui donnent un prix à toute chose, conduisaient à tout sauf au bonheur.

 L’art du politique consiste à transformer les émois individuels en un élan collectif en utilisant deux armes duales, l’une spirituelle, l’autre comptable : le Bien et le Mal, le Riche et le Pauvre. Sous les mots il se cache à l’évidence maints sournois intérêts, toutefois la dichotomie entre les forces de l’esprit et la volonté de puissance reste une bonne description des outils pouvant être utilisés. Les sociétés du passé se voyaient comme un rassemblement d’êtres uniques et irremplaçables. L’accession à un savoir demandait du temps, de la patience et quelque aptitude. On devenait ainsi un Maître, une référence, une espèce de père. Le plus savant et le plus sage décidaient du bien et du mal à l’intérieur de son périmètre de savoir. Des Maîtres en Sciences, en philosophie, en politique, en technologie, en histoire, en géopolitique… constituèrent de plus ou moins hautes pyramides hiérarchiques où l’on pouvait s’insérer selon son degré de proximité avec l’enseigneur. Les lois, les règlements étaient écrits et édictés par le même processus : une minorité censée posséder un haut degré de morale, de culture et d’intelligence constituait un aréopage après avoir consulté plus ou moins démocratiquement les gens du commun ; il décidait ensuite du bien et du mal. Ce bien et ce mal n’ont pas de vocation universelle car ils dépendent du hiérarque. Si la seule richesse matérielle sert de pierre de touche, le degré de fortune seul donne votre place dans la société sans autre préoccupation : il n’y a plus qu’un Dieu, le dieu-argent. 

 Jusqu’à présent le monde était pensé comme fait d’individus déterminés (théoriquement) par leur propre volonté, avec des interactions plus ou moins importantes avec leur père, leur mère, leur famille, leurs proches, leurs amis, leurs collègues, avec lesquels des liens affectifs plus ou moins forts existaient. La civilisation numérique ne fonctionne pas ainsi ! L’humanité numérisée est plus proche d’un réseau de neurones pré-embryonnaire que d’une collection d’individus. Ainsi pour déterminer le système politique pratiqué, le seul slogan employé est : ‘’Enrichissez-vous !’’, le reste viendra avec le pécule amassé, il n’est nul besoin de Maître, nul besoin de lois. Opter pour une classification hiérarchique selon le degré de richesse fut de tous temps une tentation. Elle a le mérite d’être simple à établir et apparemment méritocratique : ‘’Enrichissez-vous par le travail et l’épargne’’ ajoutait M. Guizot. Cette perspective du monde politique rend bien compte de certaines réalités déjà présentes dans l’ancien monde. Il était par exemple difficile, voire impossible, de devenir député si on n’était pas issu d’un milieu aisé : aucun membre de l’assemblée nationale n’est ouvrier, 5% sont employés, alors que ces catégories représentent la moitié de la population active.

 Dans un autre domaine, les Sciences, pourtant fortement ancrées dans le rationnel, se dirigent elles aussi vers une hiérarchisation par la valeur financière, négligeant le vrai et le faux. Ainsi, dans un livre parascientifique de grande diffusion, un universitaire pose que le projet phare de la science moderne est de vaincre la mort. Pourquoi pas ? Mais la faisabilité théorique du projet est donnée par les dires de M. Peter Thiel, philosophe de formation et cofondateur de PayPal, personne que ‘’l’on doit prendre très au sérieux car il est à la tête d’une fortune privée estimée à 2,2 milliards de dollars’’. Le politique et la science sont sur le point de quitter le monde du raisonnable mais aussi du divin pour entrer pleinement dans celui du lucre et de l’esbroufe. 

 Dans le nouveau monde, vous n’êtes plus évalué par vos pairs, par plus savant ou plus expérimenté que vous mais par vos semblables, vos voisins, vos identiques. Pour les films sortis en salle, la bouteille de champagne bu lors d’une fête, la qualité d’un service public, le livre qui vient de sortir de l’imprimeur, le degré d’imagination d’une prestation sexuelle… vous notez et vous vous faites noter par des personnes ayant toutes le même poids, les plus instruites comme les plus ignares, les plus talentueuses comme les plus balourdes. Le monde nouveau, unifié par le dieu-argent, a ainsi quantifié tout acte, toute pensée, toute création, tout talent, n’utilisant plus le savoir des Maîtres : vous valez ce que les autres veulent bien vous donner. Des décorations qui se réclament d’éternité, de bonté, de solidarité, interviennent encore mais lors de mises en scène savamment orchestrées pour émouvoir, pour accrocher des sentiments résiduellement fraternels. Le nombre d’étoiles colorées (de 1 à 5 : de mauvais à excellent) que vous avez obtenu donne votre place dans la société que vous soyez chimiste ou rappeur indépendamment de vos mérites, de vos diplômes, de vos efforts, de toute justice. L’audience nationale ou planétaire est donnée par le nombre de visions de votre page internet et votre aura dépend quasi-uniquement du nombre de likes accumulés.

 La vie de village tend à s’installer au niveau planétaire : tout le monde sait tout sur tout le monde, chacun à une idée sur tout ce qui arrive, qui est peut-être arrivé, qui arrivera, qui arrivera peut-être… Souvent les villageois devenaient citadins pour justement échapper à cette multitude de yeux scrutant jusqu’au plus infime recoin de votre moelle. Tous les systèmes fonctionnent, même les pires, s’ils sont constitués de gens parfaits sans haine, sans crainte, sans préjugés… La qualité d’une organisation tient au fait qu’elle s’accommode des imperfections de l’espèce humaine. La civilisation numérique est celle de l’émoi et du clinquant (sauf évidemment pour ceux qui l’installent) : les personnages qui réussissent sont loin d’une quelconque transcendance, l’amour numérique n’existe pas. Les héros engendrés n’ont pas peur de mourir, ils sont déjà morts.

 Le monde du passé reposait sur l’Amour, ce qui n’a pas empêché les bûchers de l’inquisition, les guerres coloniales, les camps de la mort. Le monde du futur ne fait plus cas que de l’autolâtrie, la rapacité, la rage de gagner contre les autres : fera-t-il pire que le monde ancien ?

  



23 réactions


  • Arogavox Arogavox 18 janvier 2019 10:41

    La lecture de cet article m’incite à re-développer un argument dont j’avais fini par sous-estimer l’importance pour une meilleure compréhension entre intervenants sur ce genre de forums.

     Les différences d’approche du texte, de motivation et de visées peuvent être abyssales entre ceux qui se présentent sous leur vrai nom et ceux qui, voulant éviter toute confusion, se contentent de faire parler un avatar !

     Ceux qui utilisent un pseudo pour repérer l’avatar qu’ils mettent en jeu tout autant que pour tout simplement pouvoir s’exprimer ici (en évitant toute évocation de leur propre personne) s’attachent certainement au partage d’observations, d’idées, de point de vues, de suggestions en mettant de côté leur ego : ils ne commettront pas l’erreur de se prendre eux-même pour l’avatar qu’ils présentent.
      A noter que l’unicité d’un avatar n’est souhaitable que dans le cas où ils souhaitent donner à voir une cohérence ou une continuité dans leurs diverse interventions.

     Sans quoi la multiplication d’avatars est une possibilité (idéalement : un pseudo pour chaque intervention indépendante et autonome ; quoique le style d’écriture, les fautes ou pas d’orthographe, les marottes personnelles ... constituent une ’signature’ souvent facilement repérable...)

      Cette optique, centrée sur les arguments, applique la même logique que celle qui a établi le consensus du secret du vote : un objectif de liberté.

    cf le passage qui m’a inspiré cette réflexion :

    « Le nombre d’étoiles colorées (de 1 à 5 : de mauvais à excellent) que vous avez obtenu donne votre place dans la société que vous soyez chimiste ou rappeur indépendamment de vos mérites, de vos diplômes, de vos efforts, de toute justice. L’audience nationale ou planétaire est donnée par le nombre de visions de votre page internet et votre aura dépend quasi-uniquement du nombre de likes accumulés. »


    • Arogavox Arogavox 18 janvier 2019 10:54

      à noter que, dans le passage cité ci-dessus, la seconde phrase me semble bien plus juste et plus pertinente que la première. Cette seconde phrase parle de « votre page internet » et non plus de « vous ».
       Car comment se laisser aller à l’illusion (par vous-même autant que par vos lecteurs) que votre page puisse vous représenter voire vous incarner ?
        D’autant plus lorsque vous êtes bien conscient(e) que tout être humain est d’abord fait de chair et de sang et que même l’amour courtois ou l’amour platonique ne sauraient se passer de tout rapprochement physique !


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 10:56

      @Arogavox
      C’est vrai que des sites comme Agoravox permettent une liberté inconnue auparavant.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 13:15

      @Arogavox
      L’Amour avec une majuscule est bien plus que l’amour même sincère et durable entre un homme et une femme. Il s’agit d’un choix de vie : lorsque vous lisez un texte, par exemple, vous pouvez retenir ce qui vous apporte un élément positif (indépendamment du reste) ou LA faute d’orthographe qui ruine tout.


    • Arogavox Arogavox 18 janvier 2019 18:50

      @Jacques-Robert SIMON
      en tous cas, les techniques du numérique, dont bien sûr celles de l’Internet, techniques sur lesquelles s’appuie Agoravox, ont introduit cette liberté inconnue auparavant de permettre à un maximum de citoyens de concurrencer les monopoles d’audience réservés aux journalistes et politiciens par les techniques de communication à sens unique du passé.
         
       Si La Démocratie c’est « cause toujours », rien n’empêche maintenant les vrais démocrates d’être tout de même à l’écoute de leurs concitoyens


    • Arogavox Arogavox 18 janvier 2019 19:06

      @Jacques-Robert SIMON
      " retenir ce qui vous apporte un élément positif (indépendamment du reste) ou LA faute d’orthographe qui ruine tout

      "
         
       Cette approche en tout ou rien n’est certes pas la mienne.
      Examiner un point de détail n’implique pas nécessairement qu’on veuille réduire le texte à ce seul point. Cela peut au contraire susciter un approfondissement ou un élargissement constructif de ce débat.
       ... et puis la faute d’orthographe (qu’elle soit intentionnelle ou pas) fait partie du charme d’échanges humains, avant d’être confrontés au trollage d’intelligences artificielles car, oui, l’amour numérique n’existe pas (et ne saurait conduire de l’amour au priapisme)
        
      .


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 19:52

      @Arogavox
      Je ne sais pas (du tout) si je suis un vrai démocrate mais je suis certain d’écrire ce que je pense sans aucune restriction.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 19:55

      @Arogavox
      L’amour numérique existera peut-être lorsque l’intelligence artificielle augmentera et l’intelligence naturelle diminuera.


    • Arogavox Arogavox 18 janvier 2019 22:51

      @Jacques-Robert SIMON
       
       Pour ma part mes capacités d’entendement ne me permettent pas de savoir si une intelligence peut augmenter ou diminuer, ce me rendra difficile l’éventuelle naissance de cet amour numérique.


    • Arogavox Arogavox 18 janvier 2019 22:52

      correctif : ... difficile de détecter ...


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 19 janvier 2019 14:49

      @Arogavox
      Je ne saurais pas définir l’intelligence, mais une faculté de raisonnement peut s’amoindrir.


  • sylvain sylvain 18 janvier 2019 10:43

    les civilisations et les tribus ont eu des modes de vie très différents au cours du temps . Patriarcat, matriarcat, des sociétés avec quasi aucune organisation, d’autres très organisées, des basées sur la guerre, sur l’entraide, sur l’esclavage...

    Il est sur que la civilisation actuelle est un peu à part, mais toutes les grosses civilisations ont pour le moment eu tendance à privilégier l’égocentrisme et l’individualisme, à ma connaissance en tout cas


  • Étirév 18 janvier 2019 10:54

    « Le monde du passé reposait sur l’Amour… »

    L’Amour, c’est ce que l’humanité a toujours cherché, il est le but de l’homme et le rêve idéal de la Femme, il est la grande force qui régit l’univers, il peut tout, le bien comme le mal, il domine les temps et les âges, il se trouve à la source de toutes les religions, il est la religion même dans son principe ; toutes les philosophies l’ont discuté, il règne dans l’histoire des rois et dans les légendes populaires, il a été, tour à tour, béni et maudit, permis jusqu’à la licence et défendu comme le plus grand des crimes. Il est la source de mille préjugés religieux ou sociaux qui, presque toujours, résultent du malentendu qui règne sur cette question entre les hommes et les femmes, acteurs indispensables de cette idylle, mais qui ne la comprennent pas de la même manière.

    L’homme, malgré l’expérience de l’histoire, n’a pas encore compris que l’amour de la femme est un phénomène qui a une réaction spirituelle : c’est ce qui le sanctifie.

    La femme, malgré les désillusions de ses aïeules, ne veut pas encore savoir que l’amour masculin est un phénomène qui a une réaction brutale : c’est ce qui le condamne.

    Pendant que chez la femme le fluide d’amour aspire à monter, chez l’homme il aspire à descendre. C’est sur cette différence que fut basée la grande lutte de sexes dans l’antiquité ; elle dure encore.

    Faire luire sur cette question la lumière définitive de la science, c’est donner à l’humanité le moyen de sortir de l’état de malaise général que le malentendu sexuel a causé dans le monde. Il faut, une bonne fois, que chaque sexe sache comment l’autre aime et pense, afin d’éviter les heurts qui blessent l’amour-propre et finissent toujours par faire de deux amoureux deux ennemis irréconciliables.

    L’Amour ? Version résumée et version longue.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 12:10

      @Étirév
      L’amour pris comme attirance physique réciproque est en effet très dissymétrique entre homme et femme. Comme sentiment, comme idéal, la différence n’est pas flagrante même si être mère prédispose bien mieux qu’être père pour accéder au pur amour.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 18:21

      @Julien S
      Le problème c’est que le négatif (haine, jalousie, domination...) est plus facile à engendrer que le positif (amour, amitié, solidarité, honnêteté...). Le négatif n’a pas de limites, le positif si.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 18 janvier 2019 12:24

    Vivre d’amour et d’eau fraîche. Toujours mieux que de Roundup. L’amour est polymorphe. C’est une attitude face à la vie et les liens créés. Ceci qui suppose la rareté. Simple opération chimique. Plus une pierre précieuse a une qualité élevée plus grande sera leur association et vibration. Le nombre fait masse, mais ne tient que par un ciment de piètre qualité finissant, toujours par s’écrouler.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 13:19

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      Les morts n’ont pas besoin de ressusciter. Dans un système complexe, toujours dans le sens physique, toute empreinte est ineffaçable.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 18:23

      @Julien S
      Tout ce que quiconque fait est immédiatement impérissable : la découverte n’est pas nécessaire et n’a d’ailleurs pas de sens.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 18 janvier 2019 19:51

      @Julien S
      En fait j’ai travaillé sur les systèmes complexes pendant longtemps et j’ai peut-être tendance à ne pas être clair autant qu’il le faudrait. Mon prochain texte traitera de ce sujet.


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