mardi 3 octobre 2017 - par Eric F

Réforme fiscale - objectifs, prétextes et réalités : l’ISF

L'ISF a été instauré (ou plutôt rétabli après une parenthèse de trois ans) par le gouvernement Rocard dans la loi de finance pour 1989, et présenté alors comme un financement du RMI, instauré à la même époque (Ref 1) , ce qui avait le mérite d'une grande portée symbolique, même si en fait un prélèvement fiscal donné n'est pas pas affecté à une dépense particulière. Les sommes ainsi perçues ne représentent que 1,5 à 2% des recettes fiscales, mais cette part est croissante dans la mesure où la fortune des plus riches augmente beaucoup plus vite que le PIB (Ref 1bis)

 

Jusqu'à ces dernières années, cet impôt n'était pas fondamentalement remis en cause par la droite (la suppression de la première version d'impôt sur la fortune en 1986 par le gouvernement de cohabitation avait été très mal perçue par l'électorat). Mais lors de la campagne des primaires de droite en 2016, quasiment tous les candidats avaient mis sa suppression dans leur programme, du fait de la poussée libérale désormais dans l'air du temps (la France avait longtemps été une exception sur ce point), préparant en quelque sorte à leur corps défendant le terrain pour Macron, qui n'a alors pas parlé de le supprimer mais d'en exonérer les capitaux financiers présentés comme un vertueux financement des entreprises.

Or l'ISF dans sa forme actuelle comporte déjà la possibilité d'exonération des capitaux directement investis dans les entreprises (Ref 2), il était donc possible d'étendre si besoin cette possibilité, pour le but annoncé.

 

En fait, l'actuel projet vise à n'imposer que la fortune immobilière, à l'exclusion de toutes les autres richesses, notamment les placements spéculatifs et biens mobiliers (avions, yachts, joyaux, lingots), d'où le courroux notamment de Bayrou, et de l'aile gauche (tout est relatif) de la majorité.

Bien évidemment, le prétexte de la réorientation de l'épargne vers les entreprises et non pas vers la « rente » ne devrait pas inclure les fonds spéculatifs, qui tournent en rond sur les places boursières au seul motif de plus valus sans bénéficier à l'économie vraie (seule une faible part va aux entreprises lors des rares introductions en bourses ou augmentations de capital, exemple en 2009 sur 9000 milliards injectés à la bourse de Paris, seul 58 ont été aux entreprises, soit 0,6%) Ref 3

 

Alors on nous explique en coulisse qu'en réalité le but est d'éviter l'expatriation fiscale des plus riches (Ref 4), mais cet objectif de vouloir les caresser dans le sens du poil est évidemment difficilement « vendable » à l'opinion.

 

On verra ce que va donner le débat parlementaire et politico-médiatique, mais cet impôt a une forte charge symbolique de solidarité, et alléger la fiscalité sur les plus riches des plus riches alors que les retraités moyens sont présentés par l'actuelle majorité comme des « nantis » passera sans doute au parlement, avec un ou deux aménagements cosmétiques pour donner le change (*), mais pas dans l'opinion publique.

 

(*) les yachts ou avions privés sont souvent dans un montage opaque d'entreprises bidon.

 

Ref 1 http://comptespublics.fr/article/historique-de-limpot-de-solidarite-sur-la-fortune/

Ref 1 bis http://comptespublics.fr/article/evolution-de-limpot-de-solidarite-sur-la-fortune/

 

Ref 2 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F138

 

Ref 3 http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-economie/20100929.RUE8040/si-j-achete-une-action-a-la-bourse-a-qui-va-l-argent.html

 

Ref 4 http://www.europe1.fr/politique/le-gouvernement-dans-le-piege-de-la-reforme-de-lisf-3452561



12 réactions


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 3 octobre 2017 10:43

    « ... mais pas dans l’opinion publique. »


    C’est bien cette « opinion publique » qui a élu cette assemblée, non ?

    • Eric F Eric F 3 octobre 2017 10:55

      @Jeussey de Sourcesûre
      Le président a été élu « par défaut », l’adhésion réelle à son programme était de l’ordre de son score du premier tour (24%), et on voit la forte chute de popularité suite aux premières mesures mises en oeuvre ou annoncées.


  • Eric F Eric F 3 octobre 2017 10:59

    Bonjour. Ceci est le premier article que je publie, je remercie les modérateurs qui ont accepté la publication, et je salue les lecteurs et commentateurs. Je ne fais partie d’aucun réseau de connivence ou d’influence, aussi je compte sur l’indulgence de chacun.


    • leypanou 3 octobre 2017 11:28

      @Eric F
      aussi je compte sur l’indulgence de chacun : vous auriez tout de même dû/pu préciser que l’ISF dès le départ était déjà bancal car excluant les œuvres d’art, sur proposition parait-il d’un politicien « bien placé » dont la famille avait justement des intérêts dans les œuvres d’art.

      agoravox est un journal prétendûment citoyen, la moindre des choses est d’essayer au mieux d’éclairer les citoyens, à mon avis.


    • Eric F Eric F 3 octobre 2017 11:39

      @leypanou
      Bonjour, et merci de cette précision. Mon article est intentionnellement concis, j’ai inévitablement fait des impasses, celle que vous relevez n’était pas délibéré, il y avait effectivement déjà des « niches ». Un journal avait titré à l’époque « vendez votre château et achetez des Picasso », on peut désormais dire « vendez vos appartements locatifs et achetez des fonds spéculatifs »


  • William William 3 octobre 2017 14:52

    Vous avez mentionné l’aspect symbolique de solidarité, qui est en effet le marqueur essentiel de l’ISF. Mais autant l’acceptation de l’impôt est important dans les « classes moyennes éduqués » en France, autant le rejet est fort dans la catégorie la plus fortunée, pour laquelle le recours à l’« optimisation fiscale » (= triche légale), aux paradis fiscaux, et à l’expatriation fiscale est quasi systématique. Il faut dire que les sollicitations sont grandes, de nombreuses officines les démarchent pour les y pousser.


  • Trelawney 3 octobre 2017 16:03

    Si l’ISF est à 10%, il vous faut 10 ans pour être ruiné puisque cet impôt taxe le patrimoine. Il est donc normal que l’on taxe la valeur immobilière et non ce qui touche directement l’entreprise comme le portefeuille boursier ou l’usine.

    Pour ce qui est des signes extérieurs de richesse (jet, yacht, voiture de luxe etc), ça pourra satisfaire le citoyen lambda, mais dans le recouvrement de cet impôt risque de coûter plus cher que le montant. Il y a 70 yachts à voile ou à moteur sous pavillon français et les 3/4 d’entres eux sont affectés à une société qui en gère la maintenance et accessoirement la location. Idem pour les jets. Pour ce qui est des voitures de luxe, elles sont déjà taxées pour le CO2 on peut encore augmenter la taxe.

    L’ISF est un impôt inefficace qui touche à l’irrationnel : « Il faut que les riches paient ». 

    Mais je suis personnellement d’accord pour que l’on abaisse le seuil de l’ISF immobilier à 100 000 euro et on déduit le logement principal. On appellera cela : impôt sur le patrimoine immobilier



    • Eric F Eric F 3 octobre 2017 19:24

      @Trelawney
      Vous faites un raisonnement par l’absurde, car le taux est très loin des 10% que vous indiquez (0,70% jusqu’à 2,5 millions), et il y a en plus un plafonnement en fonction des revenus (TF1 nous fait pleurer chaque années sur le cultivateur de patates de Noirmoutier dont le champ a pris une valeur pharaonique, mais c’est du pipeau car l’« outil de travail » n’est pas imposé sur le capital).
      Le « portefeuille boursier » d’un particulier est totalement inutile à l’économie (99,4% de ce qui est en bourse tourne en rond dans le circuit financier), alors qu’un parc d’appartements locatif est utile pour nous loger, et son entretien fait travailler l’artisanat local.
      Je suis d’accord que les « signes extérieurs de richesse » -c’est à dire les biens de super-luxe- sont anecdotiques et souvent abrités dans des société écran (ce qui montre au passage la mentalité des plus nantis), mais hautement symboliques dans un esprit de justice fiscale, SURTOUT lorsqu’on demande à des catégories de citoyens infiniment moins riches des « efforts », notamment les retraités (même si le seuil d’application de la hausse de la CSG est relevé pour feindre des concessions).
      Vous semblez partager la rancune anti-foncière de l’’actuelle équipe au pouvoir, et sa bienveillance pro-boursière : taxer la pierre, exonérer le fric.


    • Trelawney 4 octobre 2017 10:30

      @Eric F
      Le foncier c’est la rente et la rente c’est l’argent qui dort. L’exemple le plus frappant est le retraité vivant dans un appartement à Paris qui a vu sa valeur multiplié par 10 en 30 ans. Il ne bougera pas de son appartement et contribue à la hausse du logement et par la même à la hausse des loyers dans Paris. Si on taxe ce genre de bien ça l’obligera à vendre et ferra baisser la spéculation immobilière en zone tendue

      Mais je suis d’accord avec vous pour le portefeuille boursier que je taxerai aussi au profit du capital risque plus créateur d’entreprise que le CAC40

    • Eric F Eric F 5 octobre 2017 19:06

      elawney
      Le cas du retraité parisien qui a vu la valeur de son appartement décupler ne peut pas être généralisé à l’ensemble du foncier, et notamment du foncier locatif qui met des logements à disposition des ménages, et dont l’entretien et l’amélioration fait travailler l’artisanat local. Placer son argent dans une PME qui tourne bien et le laisser fructifier peut constituer aussi une rente.
      Ce débat est bien caractéristique du macronisme qui vise à « diviser », les actifs contre les retraités, les capitaux financiers contre le foncier, le privé contre le public, et tout le monde contre les chômeurs. On retrouve quelque part du sarkozisme mais encore plus accentué.

      A propos du taux du capital boursier qui va vraiment aux entreprises, j’avais indiqué 0,6% en 2008, or sur un autre article, un intervenant a donné un taux plus faible de 0,3% avec ce lien http://blog.mondediplo.net/2017-10-03-Le-service-de-la-classe
      soit « 3 milliards d’ISF en moins pour 9 millions d’investissement efficace »


  • William William 4 octobre 2017 09:31

    A propos des « plus riches des plus riches », la fortune cumulée des 500 plus riches représentait 6,7% du PIB il y a 20 ans, elle en représente aujourd’hui 25,7% soit près de 4 fois plus !
    cela montre la concentration des richesses tout en haut de l’échelle, plus importante qu’elle ne l’était même au 19ème siècle. Ils échappent à l’impôt par les paradis fiscaux et autres montages financiers (on se souvient que l’épouse d’un précédent ministre du budget faisait partie de l’organisme qui conseillait la plus grosse fortune du pays).
    Comment voulez-vous maintenir « l’acceptation de l’impôt » par les classes moyennes et moyennes-supérieure qui ne peuvent pas dissimuler le moindre centime de leur épargne et de leur salaire ou pension, ne reçoivent aucune allocation, et cumulent les prélèvements ?
    Comment voulez vous faire accepter la baisse de l’APL alors que l’on exonère les plus grandes fortunes boursières de contribuer à la solidarité ?


  • lecoindubonsens lecoindubonsens 19 septembre 2023 14:39

    Bonjour Eric.

    Appréciant souvent vos posts, j’ai la curiosité de reprendre tous vous articles depuis le début. Désolé d’arriver bien tard après le débat smiley

    Toutefois, pas ok du tout avec ce premier article.

    Vous justifiez l’ISF ou l’IPI par des patrimoines excessifs, voire indécents.

    OK sur l’existence de tels patrimoine, mais alors la solution n’est pas de les taxer, mais de supprimer cette indécence.

    Et j’ai imaginé une solution indolore pour le faire :

    https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/2-millions-d-euros-en-heritage-238394

    Une solution qui règle le problème sans faire de mal, pourquoi ne pas l’adopter ? smiley


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