Remakes et refakes aux USA
« Hollywood raffole des « high concepts » qui nourrissent les succès de nos comédies françaises et s'emploie plus que jamais à en acheter les droits en vue de remakes. Mais l'humour voyage-t-il bien ? »
C'est le chapeau d'un long article du dernier supplément Ciné-télé du Nouvel observateur (11-17/02/12) , avec de nombreux témoignages de professionnels dont Francis Veber, qui vit à LA et, comme le dit l'article d'Olivier Bonnard, qui « sait de quoi il parle » question comédie et succès mondial.
Pourtant, le fil conducteur de l'article, « (…) l'humour voyage mal. » me semble totalement faux.
D'ailleurs, le journaliste laisse le scénariste Vic Levin, auteur du remake d'une comédie romantique coréenne, conclure l'article plutôt sur une contestation des remakes : « qui peut dire pourquoi quelque chose est drôle ou pas ? Essayer de refaire un joyau comme "Bienvenue chez les Ch'tis", c'est fondamentalement absurde. Non pas que les gens soient dénués de talent, ou que la barrière culturelle ne puisse être dépassée à force d'inventivité : c'est juste que, au bout du compte, l'étoffe de la comédie est ineffable. Et la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. »
Un autre chapitre accrédite l'idée que le français est un handicap, un obstacle à l'exportation des comédies. Lisa Azuelos se dit « triste que le « LOL » français n'ait pas voyagé davantage juste à cause de la langue » et Eric Toledano partage son avis : « Avec la langue française, on est limités, malgré tout. » Un peu comme ces chanteurs « francophones » qui se disent limités dans leur diffusion, voire dans leur inspiration... par la langue française.
Danse avec les loups, le film de et avec Kevin Costner, qui a, avec quelques autres, sorti le western d'une période de vaches maigres (!), est presque intégralement en lakota (sioux) sous-titré, ce qui ne l'a pas empêché de connaître un succès mondial. De même, Atanarjuat, la légende de l'homme rapide, tourné en inuit sous-titré, a obtenu à Cannes le prix du premier long métrage ainsi qu'un succès critique et public.
Le troisième aspect abordé, ce sont les différences culturelles et l'art fragile de la comédie. Un bon exemple est raconté par Veber pour le remake de son Dîner de cons. L'éditeur qui organise le dîner de cons n'est plus un "méchant" qui s'humanise au fil des péripéties, mais un cadre obligé par son supérieur d'organiser ce dîner ; on remplace le duo antagoniste victime-méchant par deux victimes, affaiblissant le ressort de la comédie et la force des situations. Ça et quelques autres modifications en font au mieux une comédie fadasse et très longue (1h 51).
En somme, hormis l'aléa des bonnes ou mauvaises adaptations, l'article laisse à l'esprit du lecteur deux points essentiels : l'humour s'exporte mal et le français est un handicap à l'export !
Avec tout le respect dû aux créateurs, cette attitude masochiste envers notre langue est contredite par des dizaines de films français qui ont eu un grand succès à l'étranger : les comédies de Veber, justement, furent des succès jusqu'en Russie du temps de l'URSS, quand les doublages étaient de bien meilleure qualité (les gens y recherchent les anciennes versions des films étrangers). Louis de Funès fut une grande vedette en France comme à l'étranger.
Inversement, s'il est vrai que des différences culturelles peuvent choquer ou affaiblir des gags et des situations, les motivations humaines de base sont les mêmes partout, et les archétypes, comme l'Avare, compris dans le monde entier.
D'innombrables comédies étrangères en provenance du monde entier ont été, chez nous, des succès : à commencer par tous les Chaplin, tous les Monty Python, les nombreux bijoux américains (exemples en vrac : La vie est belle de Capra, Certains l'aiment chaud, Quand Harry rencontre Sally, Héros malgré lui, Un jour sans fin, Rasta Rocket, The Truman show, Retour vers le futur, Annie Hall, La grande course autour du monde), et italiens (Divorce à l'italienne, Mariage à l'italienne, Nous nous sommes tant aimés, Affreux, sales et méchants), Crocodile Dundee (Australie), Les dieux sont tombés sur la tête (Botswana), récemment la BD autobiograhique Persépolis qu'on pourrait qualifier de comédie dramatique, Jambon jambon (Espagne), Caramel (Liban), Et maintenant, on va où ? (coproduction Fr-Liban-Egypte-Italie), et pourquoi pas le délicieux Rue Case-Nègres (Antilles françaises), qui est, sinon étranger, du moins exotique pour les métropolitains.
Bref, l'humour s'exporte souvent très bien, malgré les différences culturelles. Ces différences peuvent même être un piment supplémentaire pour les cinéphiles curieux et enrichir le film.
À ce sujet, dans le remake des Visiteurs, ils ont supprimé l'horrible dentition de Jacquouille, au motif que cela dégoûtait leur public, très sensible aux questions d'hygiène. À moins de croire que le vieux cliché des Français achetant une brosse à dents tous les dix ans est toujours d'actualité, l'effet recherché est le même pour nous autres ! Peut-être le dégoût aurait-il été plus marqué encore pour le public américain, mais ça n'aurait rendu le gag à répétition que plus fort, non ? Passons sur ce mystère dentaire et névrotique.
C'est au début de l'article, curieusement, que le fond du problème est évoqué, sous la plume de P. Goldstein, éditorialiste au Los Angeles Times, auquel il est demandé pourquoi les films ne sortent pas dans la version originale : l'Américain moyen ne sait pas (ou ne veut pas ?) lire les sous-titres, « La plupart des spectateurs américains y sont allergiques. Et, au-delà de la seule barrière de la langue, ils veulent un décor américain, des stars américaines... Bref, un film américain. »
Curieusement, la question du doublage n'est pas posée, ni même évoquée dans l'article ! S'il est bien compréhensible qu'ils refusent le sous-titrage, pénible, pas toujours fidèle et faisant perdre le plaisir visuel du cinéphile (le temps passé à lire), le doublage résoudrait la difficulté. Mais ils le refusent.
Les différences culturelles ne sont qu'un prétexte des producteurs pour faire tourner la machine hollywoodienne qui, comme beaucoup de dieux, a toujours besoin d'être nourrie. Le prétexte du public contre le doublage, c'est un peu l'oeuf et la poule : les producteurs ne le font pas parce que le public n'en veut pas, et le public n'en veut pas parce qu'il n'en a pas l'habitude et n'y songerait même pas.
Bravo à Dany Boon, peut-être déçu par le remake de Bienvenue chez les Ch'tis, qui a refusé plusieurs adaptations de Rien à déclarer, alors qu'il y a probablement beaucoup d'argent en jeu. Peut-être attend-il aussi une adaptation respectueuse et de qualité, avec le « final cut », souvent gardé par les producteurs américains... On espère que son attitude fera école.
Ainsi, on se rapproche d'une vérité qui semble effaroucher le journaliste, et que nos cinéastes, curieusement, refoulent eux-aussi : l'humour s'exporte bien, sauf aux USA !
Absence de curiosité envers les autres cultures, désintérêt pour les versions originales ou chauvinisme qui leur fait vouloir des films « américains » ?
Quoi qu'il en soit, cette crainte de critiquer un tant soit peu cette espèce de xénophobie culturelle est étonnante et dangereuse, lorsqu'elle aboutit à dénigrer sa propre langue et à sous-entendre qu'il faut produire en anglais pour exporter... Le respect envers la machine à rêves et les innombrables moments de bonheur qu'elle nous a offerts ne doit pas effacer en nous toute distance critique.
Laisser l'impérialisme culturel prendre trop d'ampleur stériliserait la diversité culturelle de l'inspiration – et à qui Hollywood achèterait-il alors des scénarios de comédie ?!