jeudi 13 novembre 2014 - par ZEN

Roi, le consommateur ?

 Client : roi ou sujet ?
 « La croyance en une économie de marché ou le client est roi
est l’un de nos mensonges les plus envahissants”
(Jk Galbraith)_______
                               Le consommateur est roi, nous serine-t-on, à longueur d'ondes et de slogans alléchants.
Voire...
 Il existe des rois sans pouvoirs, des rois déchus ou des rois dominés.
Un slogan illusoire.
 Dans Au bonheur des dames déjà, Zola montrait la stratégie des marchands en quête de clientèle parisienne aisée. Ils savaient déjà habilement faire jouer les passions, l'envie et la distinction, dans des grands magasins où il fallait les étonner par des produits aussi divers que nouveaux.
 Le consommateur, même si son pouvoir de choix n'est pas nul, dans le cadre d'un état de production donné, ne serait-il pas plutôt le pigeon d'un système, sans qu'il en ait conscience ?
 La demande existe bien, stimulant l'offre, mais c'est aussi et en premier lieu l'offre qui crée et conditionne structurellement la demande, comme le reconnaissait déjà J.Say.
 Problème de l'oeuf et de la poule ?
 Les besoins humains sont premiers, bien sûr, et l'offre marchande, pour les satisfaire de manière de moins en moins élémentaire, fut là pour y répondre dès qu'il y eut division du travail. Mais en produisant des marchandises de plus en plus diverses et sophistiquées, jusqu'à sortir du strict domaine utilitaire, l'offre créa réellement la demande. Des biens, des services auxquels personne n'avait pensé s'offrent au désir du consommateur, qui pense avoir l'initiative, même pour le "choix" du dernier I-pad ou celui du voyage aux iles Marquise.
 Les premières automobiles déjà ne vinrent pas d'une demande mais furent la conséquence d'une offre (Ford sut la rendre désirable pour tous), qui finit par s'imposer comme une "nécessité", comme les téléphones portables, etc... biens auxquels personne ne pensait avant leur apparition et qui débouchèrent sur une demande sans fin et de plus en plus élaborée, en rapport avec le développement des forces productives, des relations, marchandes et autres, le développement des loisirs, etc...

 Le débat sur l'antériorité de l'offre sur la demande ou vice-versa est en partie un faux problème.
       Le débat insoluble en cours sur la priorité de l'offre sur la demande ou vice-versa est source de confusion, quant à la véritable nature des échanges humains, des marchés.
 Il est surtout purement circonstanciel, objet d'âpres débats entre décideurs politiques et théoriciens économiques, (notamment dans la formation des prix), et nous éloigne, dans le contexte de crise que nous vivons, de la nature des choses.
 Il y a une interdépendance systémique entre les deux aspects, comme l'avait bien vu Marx :
 "Chacune apparaît comme le moyen de l'autre ; elle est médiée par l'autre ; ce qui s'expri­me par leur interdépendance, mouvement qui les rapporte l'une à l'autre et les fait apparaître comme indispensables réciproquement, bien qu'elles restent cependant extérieures l'une à l'autre. La production crée la matière de la consommation en tant qu'objet extérieur ; la consommation crée pour la production le besoin en tant qu'objet interne, en tant que but. Sans production, pas de consommation ; sans consommation, pas de production. Ceci figure dans l'économie politique sous de nombreuses formes."
      A partir des année 50 surtout, la consommation de masse, "l’équipement en appareils ménagers et audiovisuels des ménages ainsi que l’étendue de la grande distribution industrialisée ont permis une pénétration de la consommation marchande industrialisée dans les modes de vie. Ensuite, progressivement et avec l’industrialisation des services, certaines activités jusque-là non marchandes le sont devenues. L’interpénétration entreprise/marché ou l’intégration du client dans le processus production/consommation ont permis le contrôle du marché par les entreprises jusque dans la sphère personnelle et familiale. L’intégration du client dans l’entreprise ne résulte pas, comme on pourrait le penser a priori, d’une meilleure prise en compte des besoins du client, mais fait plutôt, et surtout, suite à un discours marketing et managérial de légitimation, permettant l’investissement de l’espace domestique et son contrôle par l’entreprise.

  Il importe de voir que ces processus d’investissement et de contrôle de l’espace domestique s’appuient sur la diffusion, dans les sociétés, et avec l’aide du marketing et des techniques de communication, d’une pensée dominante prescrivant un bonheur dépendant de la consommation de marchandises censées répondre à tous les aspects de la vie et à tous les besoins des individus. Ainsi, le marché s’est étendu à toutes les sphères de la vie privée : « Le marché débarrassé de toute entrave et étendu graduellement à toutes les sphères de la vie sociale » (Castoriadis)
   ...On parle alors de « pouvoir du client », de « client roi », de « client unique ». Dans le discours des dirigeants d’entreprises, ce client devient le patron, et sert de justification à la flexibilisation et la précarisation consécutives du travail : l’entreprise doit s’adapter aux exigences changeantes des clients et aux fluctuations du marché. Le management de la qualité a ainsi été le précurseur de l’introduction, il y a une dizaine d’années, de la relation client–fournisseur dans le processus de production. On voit d’ailleurs progressivement apparaître de nouvelles terminologies, dans les discours, autour de cette notion d’intégration du client : on parle de « consommateur actif », de « client informé », « consom’acteur », de « pouvoir du consommateur–client », de « client roi », et même d’« entrepreneur ». Dans ce mode de communication, le client se reconnaît en tant qu’individu unique et non plus en tant que consommateur destinataire d’un message commercial uniforme.
 Le marketing a été la fonction principale qui a formulé ce changement en prétendant passer d’un « marketing–produit » à un « marketing–client » ou bien d’un marketing transactionnel à un marketing relationnel one to one. Le Customer Relationship Management (CRM) en est la plus célèbre expression. Cette stratégie vise à utiliser, à l’aide d’outils technologiques, les bases de données clients, pour personnaliser les offres. Les techniques de la relation client participent à ces stratégies très en vogue de personnalisation de l’offre, voire de co-construction de l’offre. Même si ce concept a « ouvert la possibilité d’un partenariat entretenu entre l’entreprise et le client personnalisé (en oubliant jamais que ce qui est perçu comme personnalisation par le client n’est toujours que la modularisation de segments standardisés du coté de l’entreprise) » (Floris, 2001 : 11). Il s’agit à la fois « d’aiguiller » mais aussi de « construire implicitement le portrait de celui que l’on cherche à orienter » (Mallard, 2000 : 397).

  Mais le mythe du client roi a la vie dure... 
     "...Le consommateur d’aujourd’hui, qui est individualiste, vindicatif, volage, avide de nouveautés et d’immatériel, n’est pas assez éduqué pour faire des choix vraiment éclairés. La question sous-jacente est celle de savoir si l’on peut ou si l’on doit résoudre les problèmes de la société par le marché. En abordant les pistes et leurs limites, l’auteur souligne les logiques perverses du marché, lorsqu’elles sont transposées au niveau des citoyens. Etre citoyen ne se réduira jamais à bien consommer. En effet, le consommateur comme un enfant gâté, lui, veut tout, tout de suite. Alors qu’être un vrai citoyen devrait consister à faire des choix et se donner des échéances. Or, le marketing politique contribue à promouvoir un citoyen dénaturé qui consomme du politique comme des 4x4.
Nous vivons donc tous dans une double schizophrénie. Celle du consommateur travailleur, par exemple contester les délocalisations et acheter à bas prix, et celle du consommateur citoyen, par exemple, vouloir aider les pays pauvres et en même temps s’en méfier.... Plus fondamentalement, l’auteur dit que c’est à une crise de la transmission en des valeurs humanistes et républicaines que nous avons à faire. Il appelle cela « la disparition de l’exemplarité ».
    Le consommateur moyen d'aujourd'hui finit par être la victime d'un tel narcissime exigeant et finit par reproduire sa demande marchande à toutes les institutions (santé, école...) et la notion de client finit par remplacer celui d'usager dans les services publics. 
 L'horizon du bien commun finit par perdre son sens, l'égocentrisme, le narcissisme fonctionnant à fond comme moteurs principaux, comme C. Lasch l'a bien montré. L'infantilisme et ses exigences impérieuses finissent par devenir un des aspects de consommateurs captifs. La schizophrénie s'installe (entre l'acheteur en quête de "bonnes affaires"et le producteur qui risque son emploi par délocalisation expliquant ces dites bonnes affaires) et le marketing de l'ego devient la stratégie dominante.
 La société de consommation est donc bien loin de représenter une libération, surtout quand le consommateur devient esclave du crédit, un homo debitor.
 Et le consommateur s'efface devant le citoyen...
 Roi le consommateur ? Un petit dictateur aveugle plutôt. Une avidité de jouissance, sans cesse inassouvie, sans perspective ni souci de l'intérêt général et du long terme.


13 réactions


  • Spartacus Lequidam Spartacus 13 novembre 2014 11:44

    Éduquer au consumérisme est une nécessité. Un grand raté de l’éducation nationale..


    La France se caractérise par un peuple mimétisme et inerte dans l’économie de marché.

    Une éducation qui a forme à une inadaptation de l’économie de marché, à faire jouer la concurrence.

    La banque :
    Une majorité se fait ponctionner des frais et autres conneries, pourtant les banques en ligne Low Cost existent mais ils n’y vont pratiquement pas.

    L’Energie :
    Le gaz coûte 15% moins cher http://www.huffingtonpost.fr/2013/11/26/prix-du-gaz-que-choisir-gdf-ufc-lampiris_n_4342111.html  et pourtant Que choisir n’a réunit que 100 000 personnes.

    La consommation :
    Chacun devrait regarder avant chaque achat et comparer. Mais beaucoup vont au même supermarché le samedi et ne changent jamais d’enseigne.

    On est toujours surpris entre un Anglais et un Français. L’un compare tout, l’autre prend des habitudes...Une question d’éducation.


    • ZEN ZEN 13 novembre 2014 12:03

      Eduquer à la consommation, oui
      Pas au consumérisme, qui est une pulsion mimétique


    • Spartacus Lequidam Spartacus 13 novembre 2014 12:44
      Comme quoi cela nécessite un apprentissage, et c’est méconnu....
      Le consumérisme a plusieurs sens...

      La consommation n’est pas forcément associé au consumérisme. 
      Le consumérisme n’est pas la consommation car il associe toujours la concurrence à l’acte d’achat.

      En économie, le consumérisme qualifie l’usage de la consommation des biens.

      Éduquer au consumérisme, c’est par exemple, former aux achat groupés, aux méthodes de mise en concurrence et à la pratique de la concurrence, à la compréhension et l’usage de la dynamique du prix de vente 

    • ZEN ZEN 13 novembre 2014 13:12

      Priorité à l’éducation citoyenne d’abord !


  • Robert GIL ROBERT GIL 13 novembre 2014 11:57

    Michael Dawson, dans son ouvrage The Consumer Trap [Le piège du consommateur], affirme que la publicité doit être comprise comme le fragment d’un ensemble plus large du processus de marketing destiné à changer les habitudes consuméristes du commun des mortels  : « Les grandes entreprises des Etats-Unis consacrent actuellement bien plus d’un billion de dollars par année pour le marketing. Cela représente le double des dépenses totales consacrées aux Etats-Unis à l’éducation – privée et publique – des jardins d’enfants aux universités. Cela revient à environ quatre mille dollars par année pour chaque homme, femme et enfant de ce pays. »

    voir : CONSOMMATION : Le marché manipulé


  • Fergus Fergus 13 novembre 2014 12:03

    Bonjour, Zen.

    Les « client-roi » n’est en fait trop souvent qu’un « cochon de payant », celui à qui l’on va soutirer du fric en essayant de lui vendre des produits dont il n’a pas besoin.

    Certes, il faut des commerçants, et nombre d’entre eux font honnêtement leur travail pour répondre aux attentes des consommateurs, notamment dans le domaine des produits de nécessité. Mais ils sont minoritaires, la majeure partie de la distribution étant conditionnée par les professionnels du marketing et par conséquent par la mise en œuvre de leurres psychologiques.


  • ZEN ZEN 13 novembre 2014 12:13

    Bonjour Fergus
    Tout à fait.
    La notion de besoin est tout à fait relative, culturelle et historique.
    De plus, les grandes surfaces, s’alimentant à des groupements d’achats de plus en plus réduits, font subir des pressions terribles sur les producteurs, qui dépérissent ou font pression sur les salaires pour survivre.


    • Fergus Fergus 13 novembre 2014 14:11

      @ Zen.

      A propos de centrales d’achat, la guerre avec les producteurs et les fournisseurs est tellement rude qu’il se produit un phénomène inédit, notamment chez Leclerc, mais également à un degré moindre chez Carrefour : des produits sont momentanément absents des rayons (d’où d’étonnants vides) jusqu’à ce que la grande distribution fasse plier ses fournisseurs afin de garder, voire d’accroître ses marges. Même les employés en sont écoeurés !


  • Ruut Ruut 13 novembre 2014 13:12

    Il y as aussi des besoins inutiles obligatoires imposés par les politiques.
    Les transports en communs presque obligatoire en ville faute de place de parking ou de routes praticables.
    Un abonnement internet et un équipement informatique, pour pouvoir acheter des billets TGV (fini la vente au guichet).
    Etc...
    Dans certaines grandes villes sans smartphone + abonnement data, impossible de payer le parkmètre et donc de se garer.
    ETC...


  • alberto alberto 13 novembre 2014 17:24

    Salut ZEN ;

    Ce que je constate, c’est que le prix et de plus en plus décorrélé de la véritable valeur du produit.

    Effet de la mondialisation ?

    Ceci dit, on n’est pas obligé d’acheté n’importe quoi, n’importe quand... 


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