Russie : un coup d’État qui nous a fait tourner en bourrique
Depuis samedi, trop de versions tentant d'expliquer les événements survenus en Russie se télescopent et n'apportent aucune information pertinente.
Certaines de ces versions sont plus ou moins crédibles et d'autres ne le sont pas du tout au regard des d'informations qui nous sont parvenues. Quelles sont les versions en concurrence.
Il y a celle qui a été immédiatement reprise par tous ceux dont le travail est de discréditer la Russie, ils soutenaient l'idée que Prigojine se serait fait retourner par les services secrets occidentaux. Mais si cela avait été le cas, Prigojine aurait été purement et simplement liquidé et cette trahison aurait été annoncée publiquement or Prigojine n'a pas été liquidé, ce qui indique qu'il ne semble pas y avoir eu de collusion entre Prigojine et l'OTAN.
La deuxième version qui va de pair avec la première citée, celle du coup d'État, du putsch pour prendre le pouvoir, cette version est totalement irréaliste, Prigojine n'aurait pas pu se fourvoyer à ce point, imaginer prendre le pouvoir en Russie pour le compte de l'OTAN ou pour son propre compte avec les 2000 hommes au maximum qui l'ont suivi dans sa petite aventure. Prigojine n'a pas été mis en état d'arrestation, ses convois se dirigeant vers Moscou n'ont pas été détruits par l'armée russe, bien que cette dernière ait été prête à passer à l'action en cas d’échec des négociations avec Prigojine. Cette version trouve elle aussi son origine chez les experts et stratèges des capitales occidentales, elle entend démontrer que la Russie est en définitive une nation soumise aux clans et cliques qui se combattent pour le magot.
La troisième version, celle qui m'avait semblé la plus censée au tout début, à savoir utiliser Prigojine comme appât d'une maskirovka, semble elle aussi devoir être écartée.
En effet toutes les actions politiques de V. Poutine montrent que sa ligne de conduite est guidée par la sauvegarde et les intérêts de la Russie, il n'aurait pas sciemment laissé organiser une maskirovka risquant d’entraîner des troubles majeurs en Russie, de désorganiser temporairement les lignes de front, et risquer des vies inutilement, d'autant plus qu'un plan, aussi élaboré soit-il, ne se déroule jamais comme prévu.
La quatrième version quant à elle explique que Prigojine a tenté d'imposer ses conditions à la table des négociations avec le gouvernement russe au sujet de l'avenir du groupement Wagner.
Les partisans de cette version s'appuient sur le fait que la Constitution russe n'autorise pas l'existence sur le sol russe de groupements armés privés et Wagner, comme une quinzaine d'autres groupements du même genre, devait être intégré à l'armée régulière russe, privant ainsi Prigojine d'une part assez substantielle de ses revenus financiers. Prigojine voulait donc négocier directement avec Poutine le maintien de ses prérogatives de patron (oligarque en Russie), en mettant un gros flingue sur la table des négociations. Les patrons, cela ose tout, toujours en train de critiquer les méthodes des syndicats de salariés mais se permettant le chantage à la guerre civile pour obtenir la satisfaction de leurs propres revendications.
À ce jour, force est de constater que nous ne savons rien et que tout ce que l'on entend n'est que propagande destinée à nuire à la Russie et à Poutine, ou spéculations de journalistes ou de pseudos analystes en mal de papier à publier (je me compte dans le tas) qui se basent sur ce qu’ils voient ou pensent voir ou ce que l'on leur laisse voir. On peut donc spéculer jusqu'à plus soif, on ne sera pas plus avancé pour autant. Coup d'État pour son compte ou pour le compte de l'OTAN, maskirovka ou négociation salariale, ou un petit peu de chaque ingrédient, pour le moment il est illusoire de penser pouvoir débrouiller cet écheveau de faux semblants.
Cette affaire rocambolesque amène néanmoins quelques observations : on peut constater qu'à cette occasion il y a eu une fois de plus la capitulation complète en rase campagne de l'intelligence collective occidentale avec les déclarations jubilatoires et éjaculatoires des experts de plateaux télévisés, des faiseurs d'opinion et des journalistes qui voyaient déjà la tête de Poutine au bout d'une pique, accrochée à la plus haute tour du Kremlin !
Quel enthousiasme de l'ensemble de la presse occidentale et des « stratèges » de plateaux télévisés annonçant la chute inéluctable de Poutine pour le lendemain, terrassé par ce nouveau héros quasiment mythologique en lequel s'est transformé celui qui était la veille encore décrié comme un criminel de guerre à connotation nazie.
Il convient par ailleurs de noter que la nature de « criminel de guerre nazi » de Prigojine ne gênait en aucune façon les pompoms girls de l'OTAN dès lors que ce « criminel » passait au service de l'OTAN. La décrépitude morale et intellectuelle des dirigeants occidentaux est proprement affligeante.
Nos « z'experts » de tous poils n'ont eu de cesse de nous démontrer que la Russie n'était pas en mesure de résister à quelques seigneurs de guerres, que la société russe était aux mains d'un régime corrompu, et que le putsch de Prigojine allait terminer ce qui avait été commencé en 1991, le morcellement de la Russie en États croupions à la botte des puissances occidentales, bien sûr ce n'est pas en ces termes que les choses ont été dites, mais c'en était bien l'esprit.
Une semaine après les événements, nos experts semblent ne pas avoir encore compris que l'aventure Prigojine n'a pas déstabilisé ni les Russes, ni son gouvernement ni ses institutions. Poutine quant à lui s'offre le luxe de bains de foules enthousiastes tandis que notre « el présidente » défile devant des avenues vidées de tout badaud par crainte du concert de casseroles et de nom d'oiseau.
Ceux-là même qui ne cessent de traiter avec mépris et condescendance la Russie en tant qu'État en ruine morale, qui nous décrivaient avec délectation les scènes d'émeutes et d'insurrections inévitables dans les rues de Moscou feraient mieux de regarder ce qui se passe en ce moment même dans les rues des villes de France avec beaucoup d'humilité.
Ceux-là même qui nous ont expliqué que ce qui vient de se passer en Russie est la preuve même que la Russie n'est pas un état de droit, que ces événements ne pourraient pas se produire dans une « démocratie » ont déjà oublié l'épisode du Capitole.
À ceux qui n'ont que mépris et condescendance pour la Russie et sa façon de gérer la crise mortelle que lui a fait courir Prigojine, il convient de faire des parallèles avec par exemple la manière dont le gouvernement Macron gère la situation à la suite du coup de feu d'un policier sur un conducteur en fuite. La Russie n'a pas coupé Internet, ni le téléphone, elle n'a pas pris le contrôle militaire des télévisions et radios dans le cadre d'un putsch, La France quant à elle est sur le point d'instituer l'état d'urgence. En Russie, le gouvernement avait demandé aux Russes de ne pas manifester leur soutien à Poutine, de continuer à vivre normalement, et c'est exactement ce que les Russes ont fait, ils ont passé un samedi à faire les courses, au cinéma, au restaurant, tandis qu'en France nous avons déjà 3 jours d'émeutes, de pillages avec des incendies et des voies de fait sur les particuliers.
Entre la Russie et la France, quel est des deux l'État en déliquescence ?
En France nous allons de nouveau être placés sous l'état d'urgence tandis que, malgré une sorte de coup d'État, les Russes n'ont été confrontés à aucune restriction des libertés civiles, ni de déplacement. Comparaison n'est pas raison, mais quand même un peu ! Et à ce titre les USA non rien à envier à la France, les émeutes et les pillages y sont une seconde nature, à croire que les émeutes et les pillages sont l'apanage des démocraties donneuses de leçons.
« La rébellion armée a exposé de profondes faiblesses au sein du Kremlin et ébranlé le règne de Vladimir Poutine comme jamais auparavant » résument les « analyses » des « médias » occidentaux, pendant ce temps Poutine s'offre des bains de foule, et ceux qui jubilaient de voir la tête de Poutine brandie au bout d'une pique sur les murs du Kremlin en sont Gros-Jean comme devant comme notre Macron, qui pérorait à ceux qui voulaient l'entendre : « La rébellion de Wagner montre les divisions qui existent au sein du camp russe, la fragilité à la fois de ses Armées et de ses forces auxiliaires comme le groupe Wagner ». On s'abstiendra de tourner le couteau dans la plaie de Macron au sujet des fragilités et des divisions de la société française ?
Pour terminer, j'adresse un petit conseil à tous ceux qui appellent de leurs vœux à l’effondrement et au démembrement de la Russie, imaginez un instant une multitude d'États croupions dirigés par des seigneurs de guerre se partageant 6000 ogives nucléaires ! Alors faite attention à ce que votre vœu ne se réalise pas car il risquerait bien d’être le dernier.
P.S.
Ci-dessous mes propres élucubrations tentant de donner un sens a ce putsch.
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-putsch-de-prigojine-enfumage-249007
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-operation-speciale-enfumage-est-249016