Ah là c’est trop beau : vous êtes au courant, je ne vous apprends rien, l’info vient de faire le tour de la planète. La CIA, en 1951, aurait testé ses disséminations de LSD au dessus du village français de Pont-Saint-Esprit. Incroyable histoire, mais qui ne nous étonne qu’au quart : ici, trois épisodes de notre saga sur la CIA ont évoqué le système mis en place et surtout isolé le nom du responsable. Frank Olson, qui a fini « suicidé », une thèse que sa descendance a prouvé comme étant fausse. On a « suicidé » Olson. On l’a assassiné. L’histoire est sidérante, il faut bien l’avouer, mais pas davantage que les expériences à la Mengele (ou plutôt de son assistant Kurt Blome) menées au milieu de l’Utah, décrites dans ma saga. La CIA est allée loin, trop loin et on commence à s’en apercevoir davantage chaque jour un peu plus. Mais il n’ a pas que cela. Il y a aussi des gens pour dissimuler, sciemment ou non, ses agissements. Et, au fil de nos recherches sur cet incroyable événement, nous en avons trouvé un. Quelqu’un qui a réussi une prouesse incroyable : avoir écrit un pavé de 1000 pages sur l’affaire, présentée selon ses dires comme une « enquête policière » sans évoquer une seule seconde la thèse de la CIA (à peine un « regret » évoqué sur la piste des laboratoires Hoffman) (*) . Son livre, sorti le paru le 7 mai 2008 chez Fayard, c’est le « Pain maudit », écrit par Steven Kaplan, le pape de la baguette, l’empereur des miches, l’américain bon teint devenu dingue de pain français. L’homme qui avait tout simplement oublié la CIA. A sa décharge, à vrai dire, il n’était pas le seul. Personne à ce jour n’avait évoqué le sujet sous cet angle. Pas un américain non plus n’était au courant de ce qu’on a pu faire en Utah ou au Nevada pendant des années.
Un sujet pourtant historiquement passionnant : pensez donc, au milieu du XXème siècle, le retour du fameux
mal des Ardents (ou
feu de saint-Antoine), une maladie qui a duré jusqu’au XVII e siècle (avec des résurgences au
XIXème) et qui se présentait sous forme d’hallucinations, justement. Sujet en or qui fait la une des journaux de l’époque bien entendu. Or ces comportements bizarroïdes, qui ont marqué la littérature historique, avaient, on le découvrira plus tard, comme origine l’ergot du seigle, qui contenait de la
diéthylamide... un puissant hallucinogène, connu depuis sous le nom de LSD, depuis qu’un scientifique suisse, Albert Hofmann a réussi à la synthétiser en 1938 au nom des laboratoires pharmaceutiques
Sandoz. C’est cela qui est fondamental dans l’histoire : le LSD que teste la CIA dès son apparition sous forme synthétique, comme le testeront les nazis, est issue de l’ergot de seigle : d’où l’erreur de diagnostic sur le sujet . On accusera alors le Haddock local : Roch Briand, le boulanger du village, puis ses fournisseurs. Un procès aura bien lieu, d’où il ressortira libre. L’histoire de Pont-Saint-esprit n’a jamais eu de conclusion judiciaire.
Or, à
Pont Saint Esprit, justement, on fera bien venir Albert Hofmann... mais on fera tout pour que la piste LSD soit minimisée. La part de "cover-up" est déjà en place. Car lors du procés, la piste avait bel et bien été évoquée : se sont les Dr Gabbaï et le Pr Giraud de la faculté de médecine de Montpellier, qui avaient fait assez vite le lien avec les labos Sandoz... une hypothèse qui fait long feu avec un Hoffman venu expliquer que ça n’était pas possible, et que les symptômes décrits n’étaient pas les mêmes que ceux qu’il a pu observer dans son laboratoire. Or, à y regarder de plus près, les délires enregistrés sont bien les mêmes que les trips de hippies des années 60 aux USA ! On sait que le LSD a été répandu dans la jeunesse américaine par une CIA devenue hors-contrôle, on n’y revient pas. Lennon et McCartney chanteront Lucy In The Sky With Diamonds sans jamais s’apercevoir qu’ils faisaient partie d’une expérience de la CIA et des militaires qui y étaient associés. Pont Saint-Esprit était devenu Woodstock avant l’heure, la guitare électrique en moins. Dans le Gard, toute une population avait fait un gigantesque
trip sous acide, 15 ans avant tout le monde !
Le "professeur d’histoire européenne," Steven Kaplan, unanimement respecté et salué, tout amouraché du bon pain français, a donc failli : dans son livre, il précise bien qu’au procès, la thèse de l’ergot de seigle n’a pas été retenue, alors que selon lui c’était la bonne. Pourquoi donc est-il passé à côté de la thèse du LSD, qu’il a failli suivre, pourtant, c’est cela qui est intéressant aujourd’hui à étudier. Car celle de la CIA, il faut bien le dire, fiche aujourd’hui son lourd pavé par terre : sa longue analyse historique du marché de l’époque, des rivalités de minoteries et des difficultés d’approvisionnement d’après guerre s’effondre avec cette révélation. Il a beau être le " le premier avoir fait du pain un objet d’histoire totale", les dernières avancées sur l’évènement ruinent totalement la savante démonstration de l’amoureux de la France et de son pain.
Exit l’analyse sophistiquée formulée :
"Les différentes explications possibles de l’empoisonnement sont tour à tour examinées avec minutie, et l’auteur ne se prive pas, armé d’une telle connaissance des pièces du dossier, de souligner l’importance de la question du blanchiment du pain, dont les effets sur la santé publique ne sont guère évoqués durant l’enquête, la « raison d’État » (p. 1062) ayant étouffé l’affaire par crainte d’une « psychose du pain » attentatoire à la figure rémanente du pouvoir nourricier". Le village a été passé sous acide, c’est nettement plus trivial. Et la raison d’état, c’est celle d’avoir découvert les coups tordus de la CIA, dans un pays qui craint toujours l’invasion soviétique et qui n’a pas d’armée assez forte pour y résister. Quant à savoir comment, l’auteur du nouvel ouvrage "
A terrible mistake" évoque la possiblité d’un épandage, comme l’ont fait à la même époque les anglais, en pleine mer et à l’intérieur des terres, ou comme l’ont fait les militaires sur leurs mormons (**) ! A l’époque, ce ne sont pas les bases américaines
qui manquent en France ; mais aucune n’est dans le sud à vrai dire ! Ce qui implique venant de Bordeaux ou Chateauroux un plus gros porteur genre DC-3. Ou un bimoteur plus petit :
extérieurement, les rampes de diffusion ne se v
oient pas beaucoup.
Un film a été
tourné par Bertrand Arthuys
pour FR3 en septembre 2009, qui n’évoque pas la thèse bien entendu. Un extrait est
visible ici. Il a été diffusé le 2 février dernier dans une relative indifférence. La sortie du bouquin de fiche aussi en l’air ses conclusions., qui repose sur l’ergot du seigle uniquement. Or dans la réalisation, on retombe sur le même :
"Ce fait divers exhumé par l’historien Steven Kaplan de l’Université de New York voit ainsi son adaptation dans une fiction TV diffusée ce soir par France 3 à 20h35, Le Pain du Diable." Une
" fiction tirée d’un fait bien réel, et à ce jour non élucidé entièrement" nous apprend le communiqué de presse. Tiens donc.
Maintenant, réfléchissons un peu : l’auteur du nouvel ouvrage sur la question a avoué récemment à la télévision avoir travaillé plus de cinq ans sur la question. La découverte d’une note de la CIA, trouvée dans le stock des fameux "Family Jewels" révélé le
25 juin 2007 a mis la puce à l’oreille à notre chère institution, qui a dû se creuser les méninges pour contrecarrer la nouvelle imminente de la sortie d’un ouvrage confirmant l’action incroyable entreprise à Pont Saint-Esprit. Comment faire ? Devancer la sortie, en en faisant un autre, écrit par un bonhomme passe-partout, unanimement admiré en France, qui nous ressortirait quelques doutes histoire de faire passer le gluten, mais qui pencherait nettement pour la thèse que l’on a fait avaler depuis plus de 50 ans maintenant. Il faut éviter que le mauvais pain d’ Albarelli ne sorte du fournil pour se retrouver dans toutes les bonnes boulangeries-librairies. A la place, on va y mettre un bon pain de 700, un pavé de mille pages, pour bien caler l’histoire façon explication officielle. Et faire venir Kaplan sur
tous les plateaux de télé pour bien dire que tout s’est passé comme on l’a dit. Ce qu’il va faire avec une aisance et un charme certain, notre diplômé de
l’Institut Cornell. Spécialisé dans
les plantes et la nourriture, et les OGM qui vont avec. Cornell, dont la CIA vante encore aujourd’hui la qualité des agents thaïlandais qu’elle a pu y
recruter en 1944.
Pour cela, Kaplan est donc l’homme idéal, salué par le gouvernement français lui-même. Il faut lire son panégyrique dans le
site officiel gouvernemental pour le croire :
Vouant un véritable culte aux baguettes cuites selon les méthodes traditionnelles, il a écrit également deux livres destinés au grand public pour encourager les Français à en consommer plus : ce sont Le Retour du bon pain et Cherchez le pain, un guide des meilleures boulangeries de Paris. Pour réaliser celui-ci, Kaplan a testé environ 700 boulangeries sur les 1 260 que compte la capitale, achetant 60 baguettes par jour. " J’ai appris à beaucoup cracher ! ", dit-il en riant. Il rêve de s’établir définitivement dans notre pays un jour. " Ce qui m’attire en France, c’est ce sens du plaisir qui s’exprime aussi bien dans le débat des idées que dans l’art de vivre. "
L’affaire exhumée par les Inrocks est donc double : avant que le livre d’Albarelli ne sorte, on s’est bien arrangé pour "bétonner" le dossier dans le sens de la non-implication de la CIA. Le film de FR3 passe juste avant que le bouquin ne sorte : très fort, et bien joué. On savait à l’avance qu’Albarelli lui aussi irait
sur les plateaux télé ! Interviewé par une chaîne russe, ne rêvons pas quand même ! Il peut bien nous refaire son sous-titre, notre amoureux américain de la baguette française et l’intituler aujourd’hui "R
etour sur la CIA des années oubliées 1945-1958 !
(*) "Steven Kaplan regrette qu’à l’époque la presse n’ait pas creusé davantage la piste "crépusculaire, voire obscure, du laboratoire américain" !"
(**) voici les cinq épisodes de ma saga dédiés au problème des expérimentations douteuses de la CIA. Tout y est, et surtout la personnalité au centre du problème du jour : Frank Olson.