mercredi 18 janvier 2012 - par diverna

Sur la trace des Bonaparte

L'article qui suit était en partie écrit lorsqu'est paru l'article du Figaro où une origine Caucasienne des Bonaparte est réaffirmée. Je reviendrai brièvement sur ce point.

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Tableau d’haplotypes E-M34
L’ haplotype est l’ensemble des valeurs de différents marqueurs. On peut ainsi comparer les membres d’un groupe.

Cet article rend compte des résultats d'une étude publiée en décembre sur la génétique du chromosome Y du descendant de Jérôme Bonaparte, frère de l'empereur Napoleon, ainsi que de tests réalisés sur des cheveux de l'empereur. C'est, à mon sens, un bon exemple de l'utilisation de ces nouvelles techniques de généalogie génétique. Deux types de tests sont pratiqués. Les tests SNPs établissent la position dans l'arbre Y et dans le cas présent établissent que l'haplogroupe est E , et plus précisément qu'il s'agit du groupe défini par la mutation M34. On dit que ces personnes sont M34+ et on note E-M34 ce sous groupe du grand (haplo)groupe E . Le second type de test concerne les marqueurs dits STR, acronyme pour « Short Tandem Repeat » ; ce sont les « empreintes génétiques » . On repère un nombre de répétitions (en tandem) qui, justement, varie assez fréquemment et permet un tableau de valeurs caractéristique d'un individu mais aussi d'une lignée ; et donc de faire des comparaisons et de chercher des parents proches. Pour info, c'est ce second type de test qui est particulièrement visé par la loi française actuelle.

Le tableau de valeur ci-dessus est donné pour 21 marqueurs mais la comparaison a été faite sur 37 marqueurs et davantage de tests seraient possibles. Il ne s'agit pas ici de discuter dans le détail de la variance au sein de ce groupe de M34+ . On remarquera que pour le marqueur DYS454 l'haplotype (nom donné à l'ensemble des valeurs ) du descendant des Bonapartes présente une nette différence. Ce genre de variation est assez rare et si un jour on retrouvait cette caractéristique on aurait une bonne piste sur l'origine géographique des Bonapartes. La dispersion géographique est importante . L'article a été publié avant que le marqueurs L791 soit mis en évidence. Ce marqueur SNP permet de préciser que le groupe d'origine pour les Bonapartes est sans doute le sous-groupe des L791+ qui ne concerne qu'une petite fraction des M34+. L'ADN Bonaparte n'a pas encore été testé pour L791 mais c'est une piste solide.

J'ai voulu commencer par présenter des résultats bruts. On voit que la comparaison avec les résultats « Savard » fait apparaître des correspondances. Il s'agit là d'une lignée aujourd'hui canadienne , la principale source d'information sur les origines françaises. On peut regretter le manque de données françaises, même si l'origine italienne, à Sarzane, des Bonapartes est établie.

L'haplogroupe E est un groupe dont l'origine, encore discutée, est vers le sud de l’Égypte et ceci sans référence immédiate au fameux « out of Africa ». Il y a 3 branches importantes qui partent du tronc principal :

  • la branche E-M81 est importante chez les Berbères d'Afrique du nord

  • la branche E-M78 suit les conquêtes arabes (et donc se surimpose aux E-M81)

  • la branche E-M123 que nous allons envisager ici.

Globalement, la branche E-M123 est davantage présente au proche orient, et plus au nord, dans les Balkans et au nord de la mer noire, ainsi que sur les côtes nords de la méditerranée, Espagne, France, Italie et Grèce. Il y a 3 sous groupes de E-M123 connus. E-M34 est le plus important et c'est justement celui de la lignée Bonaparte. Le marqueurs M34 a été identifié en 2004, date de la première étude. Il s'agit donc de découvertes relativement récentes ; les groupes concernés étaient insoupçonnés des archéologues. En comparant les haplotypes (les valeurs comme celles du tableau ci dessus) on peut faire une estimation de l'âge des groupes et on aboutit à un âge d'environ 7000 ans pour le groupe E-M34 (5000 av. JC). Les endroits où on a trouvé des fortes concentrations de E-M34 sont les alentours de la mer morte. C'est sans doute à partir du proche orient que des migrations ont eu lieu dans les pays du pourtour nord de la méditerranée. Toute la question est donc : depuis quand cette présence en Europe de colonies E-M34 ?

Il y a une marge de progression car on a maintenant identifié un nouveau marqueur, L792, et la lignée Savard est porteuse de ce marqueur L792. Si on détermine que la lignée Bonaparte est aussi membre de ce sous groupe de E-M34 on aura une piste bien plus précise. Il faut ici remarquer le rôle déterminant des particuliers dans cette approche, puisque ce sont des tests privés qui ont abouti à la découverte de L792 et les comparaisons ci-dessus se font avec des résultats de particuliers mis sur une banque de données publique. Un monde mal connu dans ce pays puisque régulièrement fustigé. J'ai écrit un article sur les tests génétiques qui stagne en évaluation depuis Noël sur ce forum. Je souhaite que cette étude fasse un peu bouger les choses et qu'on prenne conscience que c'est une approche qui modifie notre compréhension des mouvements de populations des derniers 10 000 ans. Plutôt que de savoir si Bonaparte est bien caucasien je préfère savoir qu'elle est la répartition des E-M34 et, plus précisément, des E-L792. L'article discuté ici est donc une porte ouverte vers l'identification d'un groupe qui n'a pas laissé de trace archéologique mais dont un représentant place sous les feux de la rampe l'un de ces petits groupes (des commerçants ?) qui ont aussi fait l'histoire de l'Europe.

Remerciements à Denis Savard pour la communication des résultats en cours et pour d'utiles discussions.



6 réactions


  • Daniel Roux Daniel Roux 18 janvier 2012 09:59

    L’étude des mouvements des populations dans le temps et l’espace par une analyse de leurs gènes a fait d’énorme progrès.

    Un site parmi d’autres :

    http://www.eupedia.com/europe/origines_haplogroupes_europe.shtml

    Ce qui est particulièrement intéressant est d’apprendre que quelque soit l’être humain présent sur terre aujourd’hui, nous avons au moins deux ancêtres communs avec lui :

    Eve mitochondrial, une femme vivant en Afrique il y a 150 000 ans
    et Adam Y-chromosomique, un homme d’Afrique aussi, de 60 000 ans.

    Les Chinois ont voulu démonter qu’ils étaient d’une souche différente de celle provenant d’Afrique. Ils ont donc réalisé des analyses d’ADN sur leur population et les ont comparés à d’autres populations. Conclusion : Ils ont dû admettre que nous sommes tous frères ! Mais au moins l’ont-ils fait.


    • Daniel Roux Daniel Roux 18 janvier 2012 19:41

      L’analyse génétique n’est pas une garantie concernant la lignée paternelle.

      Selon certains auteurs, le père de Bonaparte pourrait être le compte de Marbeuf, alors titré marquis de Cargèse, qui reçut plusieurs étés de suite Maria Letizia et le petit Napoléon. Il fut son protecteur et lui obtint l’accès au collège militaire de Brienne.

      Cela n’a de sens que pour la lignée maternelle.


  • Aldous Aldous 18 janvier 2012 14:31

    Ce qui est intéressant c’est que ça recoupe une hypothèse d’origine levantine des Bonaparte que Napoléon aurait mise en avant dans sa jeunesse pour se trouver des quartiers de noblesse.

    Une hypothèse qu’il feindra d’ignorer une fois devenu empereur, étant devenu lui même le fondateur d’une dynastie.

    Selon cette hypothèse, la famille Bonaparte serait issue d’une famille noble de Trébizonde, cité grecque sur la mer noire, qui est même devenue la capitale d’un éphémère Empire de Trébizonde à la chute de Constantinople à la tête duquel à régné celui qu’on peut considérer comme l’ultime « empereur romain » David II Comnène.

    Selon donc cette hypothèse, la partie noble de la famille aurait fui l’invasion ottomane et serait partie en exil en Italie.

    Le nom de la famille serait Kaloméridès c’est à dire en grec « bonne partie » qui aurait été ensuite italisé en « buona parte » et finalement Buonaparte, nom de naissance du petit Napoleone.

    La légende familiale avait fait lever à l’époque les moqueries car il était assez facile de se prévaloir d’une lignée noble byzantine puisque l’empire avait disparu depuis plus depuis 300 ans et avec lui toute les preuve infirmant ou confirmant cette éventuelle filiation.

    Ce qui est intéressant, c’est que la légende familiale rattachant les Buonaparte/Kaloméridès à une lointaine descendance patriarcale romaine, peut être même impériale, a manifestement entretenu en Napoléon la conviction d’un destin singulier, légitimant sa restauration de l’empire, avec lui dans le rôle de César.


    • Aldous Aldous 18 janvier 2012 14:50

      Je cite pour ceux que ça interesse ce passage de l« Encyclopédie des gens du monde » (1836) qui fait référence à cette éventuelle lignée impériale de Napoléon.

      Comnènes : (...) Deux branches de la famille se sont éteintes en Italie, l’une dans le Milanez, par défaut de postérité mâle (elle descendait de Jean 3e empereur de Trébizonde), lautre à Chambéry, dans la personne de Jean Comnene. Une troisième branche, dans le royaume de Naples, porte le nom de Sébaste. On sait que Mme la duchesse d’Abrantès, dontla mère (Mme de Permon) était soeur de Démitrius, prétend également à l’honneur d’étre issue de cette souche impériale dont on a voulu faire descendre aussi les Bonaparte en regardant ce nom italianisé comme la traduction du grec Kalomeri, qui était celui d’un Comnene réfugié de Trébizonde
      .


    • Richard Schneider Richard Schneider 18 janvier 2012 15:49

      Aldous :

      Merci pour m’avoir appris quelque chose ...
      En effet, bien que connaissant assez bien l’Histoire tumultueuse entre la Corse (et les Corses) et la France, je ne suis jamais « tombé » sur cette information (légende ?) concernant la famille Bonaparte.

  • suumcuique suumcuique 18 janvier 2012 15:48

    Ce qui est intéressant est qu’un grand nombre de Levantins depuis le Moyen Âge ont voulu à tout prix se voir comme des descendants des césars. Comme la plupart des derniers césars, de Caligula aux Sévères, étaient d’origine africaine ou syrienne, tout comme l’était dans une large mesure le « patriciat » des derniers siècles de l’empire, c’est effectivement là une éventualité.


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