Taïwan : un ancien général en prison pour corruption
La presse taïwanaise a pour le moment été très discrète et prudente sur la mise en détention immédiate du lieutenant-général Cheng Shih-Yu, ancien chef de la sixième armée taïwanaise, pour corruption dans l’exercice de ses fonctions. Et pourtant...
L’annonce a été faite par une simple dépêche de l’agence de presse taïwanaise CNA parue hier, 22 juillet 2007, et que j’ai mise en copie en langue anglaise sous cet article pour la vérification de la source par tous les lecteurs intéressés.
Plusieurs éléments sont en effet très instructifs dans cette dépêche qu’il faut, comme on dit généralement, lire avec minutie afin d’en tirer les profonds enseignements pour le futur.
Historique des faits et analyse du contexte
Tout d’abord, suivons l’historique relaté par la dépêche de CNA car sa rédaction même apporte des éléments très instructifs sur ce qui est en cours au sein des forces armées taïwanaises.
Le lieutenant-général Cheng Shih-Yu a été placé en état d’arrestation vendredi officiellement alors qu’il a été présenté au juge d’instruction jeudi, donc le jour précédent.
L’information n’a été rendue publique, fort discrètement, que dimanche. Le délai entre l’événement survenu et la publication de l’information est à souligner car il témoigne d’un hiatus de 72 heures.
On apprend ainsi, au passage, qu’une équipe d’enquêteurs est au travail depuis plus d’un mois - officiellement - afin de vérifier les comptes financiers de la sixième armée. Pourquoi et comment cet audit est né ? Pour l’heure, rien n’est dit.
Chose aussi étonnante et rarissime qui honore cependant la jeune démocratie taïwanaise : c’est le bureau du procureur du haut tribunal militaire (BPHTM) lui-même qui a annoncé qu’il avait fait interrogé l’accusé sur des faits de corruption impliquant des fonds publics militaires que le mis en examen est soupçonné d’avoir détourné à son profit personnel.
Autre fait important : c’est encore le BPHTM qui a indiqué que, afin de permettre la manifestation des faits dans ce dossier, et notamment l’identification d’autres personnes impliquées, l’officier de très haut rang avait été immédiatement placé au secret - sur décision motivée du haut tribunal militaire - HTM -, afin de ne pouvoir communiquer avec ses éventuels complices et détruire des preuves existantes sur les faits dont il est accusé.
A l’évidence, que des miliatires de haut rang "accablent" de cette manière, sous forme judiciaire, un de leurs collègues, n’est pas habituel.
Pour que les autorités du BPHTM et la HTM aient pris ces décisions si brutales et promptes, c’est que les raisons en sont, au moins pour les observateurs, profondes, nécessaires et d’une importance collective essentielle pour l’armée.
Après les frégates, réglements de comptes dans l’armée ?
Si on remet les faits en perspective, afin d’en appréhendre clairement les processus, nous avons le tableau suivant :
- depuis 2006, Taïwan et la Suisse négocient, via la justice fédérale helvétique, la restitution de 524 millions de dollars à Taïwan, dont 34 sont déjà revenus ;
- des contacts discrets, mais permanents sont en cours pour activer la restitution des 490 millions de dollars. Et toutes les sources officieuses annoncent que l’on se rapproche de la date du rapatriement des fonds ;
- des enquêtes ont été lancées depuis quelques jours sur l’ancien président Lee Teng Hui et aussi sur le candidat du parti au pouvoir, Frank Hsieh, visiblement "documentées" par des sources proches du KMT ;
- on apprend donc, dans ce contexte assez agité et toujours pré-électoral, qu’une longue enquête d’audit -au moins un mois - vient d’aboutir à la mise en détention préventive et à l’islolement carcéral d’un ancien lieutenant-général ayant dirigé une armée alors que la justice militaire laisse clairement entendre, via CNA, que l’officier arrêté ne serait pas le seul présumé coupable, mais qu’il pourrait y avoir un vrai et vaste réseau de corruption derrière lui ;
- de même, pour qu’un audit ait eu lieu durant tout ce temps reconnu par les autorités, et que l’on évoque des complicités, c’est que, probablement, les sommes détournées et les ramifications du réseau de corruption sont assez importantes.
Un jeu de dénonciations croisées
Jusqu’ici, les dénonciations ayant amené à des enquêtes ont visé plutôt des personnalités proches du pouvoir actuel, membres des partis DPP et TSU.
Il est donc utile de savoir ici que la majorité de la hiérarchie militaire est, comme une fraction significative de la haute administration d’Etat, plus proche du parti d’opposition KMT.
C’est la raison pour laquelle des observateurs estiment que ce scandale qui prend son essor pourrait être une réponse, dans ce jeu de dénonciations croisées, des autorités, donc du gouvernement à ce parti.
Ceci étant, et quoi qu’il en soit, la machine judiciaire est lancée et la lumière des projecteurs est placée sur les hauts responsables militaires.
Tant de coïncidences ne peuvent qu’émouvoir et intriguer le public.
Après les frégates, la corruption dans l’armée dans le collimateur de la justice
Après les célèbres frégates qui n’ont pas fini de faire parler d’elle, cette surprenante affaire, dans sa forme comme dans son fond à venir, peut sembler intéressante à faire connaître au public français, partant du principe que les médias du pays risquent de ne pas avoir "lu" cette dépêche ou ne pas y avoir "vu" un "intérêt" médiatique suffisant.
Les lecteurs ayant une bonne mémoire se rappelleront que, dans l’affaire des frégates, et c’est d’ailleurs par ce maillon faible que les enquêteurs taïwanais ont démarré leur travail d’enquête, c’est un officier taïwanais de marine qui a été retrouvé mort, officier en charge des achats de matériel militaire et du contrôle des fonds affectés à ces acquisitions.
Ce sont des citoyens taïwanais qui, en juin 2007, ont aussi accepté, après négociations avec leurs autorités, de reverser 34 millions de dollars à leur pays, avec l’accord de la justice suisse. Ces deux citoyens sont à ce jour en prison à Taïwan.
Certaines sources taïwanaises tendent à accréditer l’idée que ces deux personnes auraient échangé argent rendu et informations en leur possession contre une indulgence bienveillante de la justice de leur pays et une situation "favorable" au sein du système carcéral surpeuplé de Taïwan.
C’est donc, ces rappels factuels en tête, que les lecteurs apprécieront que, soudain, un scandale de corruption concernant les fonds publics militaires explose à Taipei et annonce une nouvelle saga sur ce sujet délicat à Taïwan.
Les fruits qui tombent de l’arbre du hasard sont vraiment surprenants !
---------------------------------------------------------------------------- Military official detained on charges of corruption
STAFF WRITER, WITH CNA Sunday, Jul 22, 2007, Page 4
Lieutenant General Cheng Shih-yu (程士瑜), a former head of the Sixth Army, was taken into custody on Friday on charges of corruption, the Prosecutors Office of the Military High Court (POMHC) said in a press release late that day. Cheng is the highest-ranking military officer to be detained in recent years, Ministry of National Defense (MND) sources said.
According to the POMHC statement, Cheng was subpoenaed the previous day. During the interrogation, Cheng was accused of having abused his position to secure illegal financial gains. As military prosecutors asked that Cheng be detained as they were afraid he might destroy evidence with the help of other suspects involved in the case.
The Military High Court approved the request to hold Cheng incommunicado pending further investigations. An MND audit team began last month to look into the Sixth Army’s annual budget appropriations over the past few years and discovered serious irregularities, including administrative fee misappropriation and accounting fraud.
Note : le MND est l’abréviation pour ministère de la Défense