« Télé-Magazine », la haine hystérique du prof ?
En attendant de passer devant « l’assistante de caisse » - c’est le nouveau titre de la caissière de supermarché - il faut savoir, par-dessus l’épaule de son voisin, jeter un coup d’œil sur le journal illustré qui l’absorbe. Ça évite de l’acheter ! On y découvre, par exemple, que le magazine de programmes de télévision, « Télé-Magazine » du 19 janvier 2007, qui s’offre au client juste avant de quitter le magasin, recèle de trésors intellectuels insoupçonnés.

Un culte hebdomadaire rendu à la ménagerie hollywoodienne
Voué à l’adoration transie de la ménagerie hollywoodienne et de ses imitatrices qui inondent le monde de leurs séries télévisées comme de leurs films, plus ineptes les uns que les autres sauf exception, ce type de périodique assure leur promotion auxiliaire en alimentant le culte des stars et des starlettes qui va avec. Forcément admirable, le moindre de leur geste est recueilli pieusement pour plonger leurs fans en extase. Les photos sont préférées aux textes : le fan a du mal à lire au-delà de quelques lignes. Faut-il, du reste, plus des quelques mots d’une légende de photo pour célébrer la leur ?
Celle-ci ne se résume-t-elle pas à leur seule apparence ? Paris Hilton, la fille de milliardaire, par exemple, exhibe un décolleté à un perroquet qui, pudique, détourne la tête pour ne pas trop en voir. Nicolette Sheridan, de son côté, offre son arrière-train sur une plage antillaise, en soufflant pliée en deux après une course. Il paraîtrait même que Léonardo DiCaprio et sa compagne, « surpris » dans la rue, se seraient réconciliés. « Demandez l’impossible », titre une « brève allongée » - comme on le dit d’un café : avec Télé-Magazine, c’est possible ! Quelle illustration, en effet, s’impose avec plus de pertinence qu’une photo de la jeune animatrice Marie Drucker sous prétexte qu’elle est « aux commandes » pour présenter une émission sur Mai-68 ?
Pression du groupe et budget de film sanctifiés
Ce culte de la star s’accompagne d’une dévotion non moins confite pour le leurre de la pression du groupe, prescripteur indiscuté de qualité. Ce n’est pas l’œuvre qui intéresse : on n’en saura rien. C’est l’audience qu’elle a réunie lors de sa diffusion, qui signe sa qualité. Une pièce de théâtre qui a réuni « huit millions de Français » soulève l’enthousiasme du rédacteur en chef dans son « éditorial » qu’il intitule « Bravo "Les Fugueuses" ! »
Ou alors ce sont les sommes gigantesques investies et les stars à l’affiche qui font obligatoirement d’un film un futur événement avant même d’être vu : on s’extasie devant les 78 millions d’euros qu’aurait coûté un troisième film sur les aventures d’Astérix et d’Obélix. Avec Depardieu et Delon aux côtés des stars sportives Zidane, Parker et Shumaher, la qualité est garantie !
Quant à l’interview de Mme de Fontenay - encore elle - qui voue désormais aux gémonies Miss France pour ses photos lubriques, qu’on n’attende pas du journaliste qu’il lui objecte la logique sexiste, exhibitionniste et arriviste de sa propre foire de maquignons ! Surtout pas, un spectacle qui draine dix millions de voyeurs est une icône intouchable !
Une bande dessinée haineuse envers les professeurs
« Les profs », ce n’est pas la même chose ! On le voit à une page de bande dessinée extraite d’un album intitulé justement Les Profs. En sept vignettes, la profession est non pas ridiculisée, mais traînée dans la boue, outragée à plaisir. Cette incitation ouverte au mépris et à la haine d’une profession mérite qu’on lui trouve un néologisme pour la qualifier : « le professionisme ». Qu’on en juge !
Vers l’entrée d’un établissement scolaire, un personnage obèse, laid, dépenaillé, avance un cartable pendu au bras : c’est un prof. Il a l’air endormi ; il marche comme un somnambule comme le montrent les bulles qui s’échappent au-dessus de ses cheveux hirsutes. La vue soudaine d’une affiche « Bravo Serge » le réveille et l’intrigue : une flèche lui indique un chemin à suivre. Une seconde affiche lui apprend à sa grande surprise qu’ « (il) est le gagnant du grand concours Camif » ; il n’a qu’à suivre la flèche. Du coup, il grimpe les escaliers quatre à quatre. Une troisième affiche lui promet « 45 % de remise sur tout notre catalogue ». Il ne lui en faut pas plus pour prendre ses jambes à son cou et courir, hilare, comme un fou : une quatrième affiche lui promet « en cadeau deux semaines de vacances gratuites » à quoi s’ajoute « Notre guide : je suis prof et j’en fais le minimum ». Radieux, il se retrouve devant la porte indiquée : « C’est ici ! voit-il écrit. Entrez ! » Il la pousse et se retrouve nez à nez avec des élèves rigolards qui l’attendent, déjà prêts au travail à leur pupitre. Le chef d’établissement est assis à son bureau tout aussi rigolard : « Bonjour ! lui lance-t-il en guise de mot d’accueil. J’ai pensé qu’après deux mois de vacances, vous auriez du mal à retrouver le chemin de votre classe... Vos élèves vous attendent ! » Le prof est-il au moins scandalisé ? Pas du tout, il est impressionné ! Il s’incline : « Ce type est trop fort, rumine-t-il. Total respect ! »
Une envie de gerber
Mais respect de quoi ? On a envie de gerber ! On est loin de l’apologie des stars dont la plus indigne des facéties, religieusement rapportée, accroît la gloire pour attiser un réflexe infantile d’identification chez les fans. Face au prof, c’est au contraire le réflexe de répulsion qui est activé : sa laideur physique est à l’image de sa laideur morale.
- On le décrit comme un fainéant, éternel vacancier, jouissant des privilèges d’une coopérative corporatiste, la Camif, dont la publicité, pour déclencher sa pulsion d’achat, use du leurre de la flatterie. Elle encourage ses tares et sa seule raison d’existence : des vacances gratuites et un guide du paresseux !
- L’administration, elle, le méprise royalement : elle use du seul leurre encore capable, selon elle, d’éveiller le peu d’intérêt qui l’anime, son tropisme invétéré pour les vacances ; elle excite ainsi son réflexe d’attirance pour combattre son absence de ponctualité et de conscience professionnelle qui nuisent aux élèves. Témoins de la farce administrative, ceux-ci sont nourris au biberon du même mépris à son égard.
- Pis, incapable de discernement, le prof est lui-même dépeint comme un imbécile admiratif des leurres administratifs stupides employés à son encontre et justifie intérieurement l’humiliation dont il est l’objet en saluant la performance de son agresseur.
Sans nom particulier, ce personnage répugnant n’est pas un individu particulier : il est ici le symbole de toute la profession ; le titre pluriel avec article défini, Les Profs y invite par la généralisation. Or c’est précisément l’appréhension d’un groupe dans sa totalité qui caractérise l’incitation à la haine et à la discrimination envers un sexe, une ethnie, une nation, une religion, une classe ou une profession. Et si ce délit se nomme, selon le cas, sexisme ou ethnisme (mieux que racisme), Télé-Magazine peut se vanter d’avoir inventer le « professionnisme ».
Une malveillance entretenue
Qu’il existe des paresseux dans la profession enseignante, qui le niera ? Mais en trouve-t-on plus qu’ailleurs ? Les vacances dites excessives ne sont un argument que pour les ignorants malveillants. Les trois mois et demi reprochés doivent être rapprochés des vacances accordées aux autres professions. Les cinq semaines légales de congés ont été avec les RTT allongés d’une dizaine de jours, ouvrant sur 1 mois et 3 semaines environ de congés, même si l’idéologie du « travailler plus pour gagner plus » tend à revenir sur cet avantage acquis apprécié pourtant de ceux qui préféraient du temps libre à l’argent qui leur suffisait.
Mais la malhonnêteté est d’ignorer que le temps libre supplémentaire de la profession enseignante n’est autre qu’un complément de salaire versé en temps libre. Nul mois supplémentaire en fin d’année comme en ont certaines professions. En outre, à parcours universitaire comparable, qui ignore que le salaire d’un professeur est très inférieur à ce qui se gagne dans d’autres professions où l’on commence en général par où finit un professeur moyen après 40 ans d’exercice. Se retrouver à la retraite avec 2 000 euros à taux plein, c’est même ce que ce professeur moyen peut espérer de mieux !
La malhonnêteté conduit aussi à oublier que cette profession est une de celles qui ne cessent pas de s’exercer quand on rentre chez soi, samedi comme dimanche, car il existe des professeurs qui ont une haute idée de leur fonction d’éducation sans retirer d’autre gratification que l’hommage de leurs élèves soit sur le moment ou plusieurs années après. Mais ça ne leur ajoute pas un centime à leur maigre bulletin de paye !
On ne s’étonnera pas à ce compte que la violence ait pris tant d’ampleur dans les établissements scolaires. Ce mépris sidéral pour une profession, encouragé, il faut le dire, par une administration qui n’applique pas la loi et préfère la violer quand ça l’arrange, n’a fait qu’accroître les tensions. Il faut voir ces parents parfois incultes venir demander des comptes à un « prof » pour avoir eu l’audace de recadrer leur phénix d’enfant qui ne connaît aucune règle de simple vie commune ! L’administration est la première à leur prêter main-forte.
Il reste qu’il y a tout de même un point sur lequel l’hebdomadaire Télé-Magazine a raison en s’en prenant aux « profs » de façon aussi violente et répugnante, c’est l’intuition juste qu’il a qu’un professeur peut devenir le pire ennemi de l’idéologie asservissante qu’il déverse chaque semaine. Le jour où, dans une « éducation aux médias » sérieuse, le professeur apprendra à ses élèves à analyser les leurres et les réflexes que ce type de presse met en œuvre, il se peut bien qu’il réussisse à les en détourner. Alors cette feuille de chou méprisable, ne trouvant plus preneur sur son présentoir, retournera au néant d’où son crétinisme n’aurait jamais dû le sortir.
Mais il faut aussi reconnaître qu’un autre calcul de Télé-Magazine n’est peut-être pas faux : vu le dernier rapport des doctes inspecteurs généraux de l’Éducation nationale sur « l’éducation aux médias », de cette mort annoncée ce n’est pas demain la veille.