Terrorisme : de Golems en Scilla
Aux origines de la terreur et du chaos.
Un golem est une créature de la mythologie juive d’Europe centrale. Fait de terre, il était censé s’animer pour défendre la communauté victime des exactions de ses ennemis. Quant à Scilla, vous le savez sans doute, c’est un rocher, qui, avec son comparse Charybde, se rapprochait pour écraser les navires de passage. Aujourd’hui d’autres golems sont nés mais ils ont échappé des mains de leurs créateurs pour mener leur vie fantasque et cruelle…
I. LES CAUSES DU TERRORISME
A. Le rôle des Etats-Unis, de la France et des pays du Golfe.
La création d’Al Quaida est étroitement liée à l’action des services de la CIA (1) dont son principal animateur, Ben Laden (2) faisait partie. Voilà un premier golem qui s’échappa pour vivre sa nouvelle vie terrifiante. Rappelons que le Moyen-Orient, qui est le théâtre principal de toutes ces manœuvres est une région où les conflits n’ont pas cessé depuis près de 70 ans
Daesh, l’état islamiste, s’est constitué avec l’appui des Américains (3). Et si l’on remonte un peu plus loin dans le passé on se rendrait compte que le Hamas, en Palestine, fut, au départ, un instrument d’Israêl pour diviser les Palestiniens (4). Aujourd’hui même, au Yémen, Al Quaïda bénéficie d’un clair appui de l’Arabie Saoudite, et, plus discret, celui de certaines puissances occidentales (5). Chaque fois, dans l’intérêt des états, des golems, s’échappent, paraissent s’affranchir de leurs auteurs pour semer sans limite la terreur.
Le printemps arabe de 2011 avait été considéré d’emblée avec une grande suspicion par les puissances occidentales (6). Si ouvertement on évoquait, pour la galerie, une « menace islamiste », dans les milieux d’affaires, on se méfiait surtout de réelles révolutions populaires, laïques et libertaires qui, elles, mettraient radicalement en question l’organisation économique et sociale. Entendez celle qui profite au business. Rapidement donc un appui venant d’états à caractère théocratique et totalitaire, comme l’Arabie Saoudite, se dessina, en faveur de groupes badigeonnés de vernis religieux mais à caractère surtout totalitaire et fascisant.
Ne valait-il pas mieux un pouvoir religieux plutôt qu’une démocratie laïque qui finirait par mettre en cause en toute logique, rationnellement, les fondements même du capitalisme ? Ne pourrait-on pas ensuite éliminer par exemple les Frères au pouvoir en Egypte pour les remplacer, le moment voulu par la dictature militaire habituelle ? L’ordre serait rétabli….
C’est le choix stratégique qui a pu être fait non seulement en Tunisie mais finalement aussi en Syrie. Les Kurdes et l’armée syrienne libre furent peu aidés et même peu à peu marginalisée au profit de groupes islamiques qui, eux, bénéficiaient d’une aide consistante issue desdits pays du Golfe.
N’oublions pas cependant le « classique » terrorisme d’Etat qui existe toujours. Que ce soit lors du bombardement sans pitié de la population de Gaza par l’armée israelienne, ou en Egypte, tombée sous l’arbitraire de la dictature militaire. Et plus près de nous, dans les années 1920-1940 le dérapage de l’Etat dans le fascisme aura été une des pages les plus sombres de l’histoire européenne.
Rappelons encore que le résultat de l’intervention militaire en Libye fut certes la mort opportune d’un tyran, mais sans autre perspective que l’ectoplasme du vieil ordre libéral où le business aurait pu continuer tranquillement. Comme on le sait et comme c’était prévisible, l’état se désintégra et une multitude de groupes islamistes militarisés put ainsi se former à quelques encablures du sud de L’Europe. La vérole ne faisait que s’étendre.
B. Un terreau favorable.
Pour que des groupes djihadistes se développent il fallait un terreau favorable. Certes au Moyen-Orient les maladresses nord-américaines avaient finalement fait basculer une grande partie de l’armée irakienne dans la dissidence contre un nouvel ordre où les Chiites et l’Iran dominaient à présent. Un nouvel état naissait dans cette zone dominée jadis par les Ottomans et charcutée ensuite par les puissances occidentales attirées principalement par les ressources pétrolières.
En Afrique subsaharienne des intérêts miniers étaient devenus l’objet de convoitises. Mais aussi, comme ailleurs, une injustice politique et sociale ressentie par des populations, amenait nombre d’individus à rejoindre lesdits groupes djihadistes. Thomas Sankara disait que « ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe ». Le contentieux postcolonial avec la France, qui avait soutenu systématiquement tous les tyrans en place depuis la fin de l’ère coloniale proprement dite, favorisait aussi un ralliement à cette force qui prônait un ordre nouveau même si, dès le départ, son caractère inhumain et totalitaire était affirmé.
Car la crise qui frappe le système capitaliste de façon aigue, depuis 2008, a accéléré partout la marginalisation, en premier lieu de ceux qui étaient les moins adaptés aux changements économico-sociaux. En France une marginalisation des populations les plus démunis, souvent d’origine musulmane, s’est ainsi accentuée même si le processus d’intégration subsiste. Une partie non négligeable d’entre elles, quoiqu’on en dise, malgré les difficultés, réussit à s’intégrer à la société française ou européenne. Néanmoins qui osera dire que s’appeler Mohamed ne représente pas toujours un handicap quand on cherche du travail ?
II. CHARYBDE ET SCYLLA A L’HORIZON
A. Marginaux et petites frappes.
La crise et les tensions provoquées par les attentats représentent une aubaine pour des partis populistes cultivant le rejet et la haine. Dans une société perdant tout repère, abandonnant, séquelle de la crise, culture et mémoire, des jeunes sans perspective, deviennent dissidents, regardant les djihadistes avec les yeux du romantisme révolutionnaire, comme on pouvait, de la même façon, considérer les fascistes des années 1930. Des jeunes marginaux, pas forcément issus de milieux ou de familles musulmanes, se retrouvent donc attirés par ces mouvements à caractère religieux, qui prétendent lutter contre « la société occidentale corrompue » sans s’apercevoir réellement qu’ils tombent avant tout dans un piège à caractère fasciste. Par la provocation ils croient pouvoir s’affirmer, vivre une nouvelle morale, alors qu’ils sont les jouets d’une idéologie mortifère, faisant le jeu de puissants, où la religion n’est qu’un prétexte pour attirer des adhérents. Dans le Califat, ils auront peut-être l’honneur de vider les latrines, de jouer les joyeux fossoyeurs, de servir d’objets sexuels, et de finir, s’ils ont cette « chance », en hachis gràce à la ceinture explosive. La hiérarchie étant respectée, leurs maîtres, eux continueront à profiter de leur misérable vie. Voilà un creuset où peuvent se mêler naturellement petites frappes, dealers et tocards de tous ordres. Là encore on retrouve un parallèle avec les fascistes de la grande époque, recrutant dans les bas fonds pour constituer, par exemple, pendant l’Occupation nazie, la sinistre et grotesque gestapo française.
B. Extrème-droite et djihadistes, même combat.
On remarquera que les populistes, représentés en Europe par divers groupes d’extrême-droite, partagent en grande partie les valeurs affichés par les djihadistes. Rappelons-nous ainsi ces intégristes musulmans défilant côte à côte avec les identitaires buveurs de bière lors des manifestations contre le mariage gay. C’est la stratégie du chaos qui les réunit. Le désordre et la peur fait souvent le lit de l’extrême-droite. Et ses animateurs ont tout intérêt à ce qu’il se développe. Remarquons aussi au passage que le Front National français a toujours soutenu les pires dictatures, depuis Saddam Hussein en passant par Bachar El Assad. Et il reçoit, emprunte, de l’argent à la Russie du brave Poutine, ce grand démocrate en train de démembrer l’Ukraine…
Les fascistes djihadistes tablent sur une fracture de la société en deux camps s’affrontant. L’un serait celui des Blancs, des « Occidentaux », l’autre celui des peuples opprimés, maghrébins ou noirs. C’est la vision qui ressort des vomissures d’un Dieudonné, inspiré de Soral (7) ayant fait de Le Pen, vu comme le chef des Blancs, le parrain de son fils. Cet apartheid est revendiqué à la fois par les groupes d’extrême-droite comme les identitaires, et les djihadistes. Ces affrontements seraient aussi, au bout du compte, vus d’un œil favorable par les tenants du système capitaliste à l’agonie, quand, tout entier il sera encore plus clairement atteint. Renverser la table, jouer le chaos et la guerre telle sera la dernière carte des capitalistes en désarroi.
C. La religion
On voit que l’Islam n’est ici qu’un prétexte pour justifier un combat. Toute religion est religion de paix. C’est du moins comme cela qu’elle sait se présenter. Néanmoins toute référence religieuse dans la contre verse politique aboutit à l’irrationnel, au pouvoir d’une hierarchie qui manipule les croyances. La Religion, en effet, est liée à l’abandon de la Raison. En fait, il faut toujours s’en remettre à des maîtres infaillibles. Et bien sûr on nous dira aussi que ce ne sont pas des chefs mais des « guides bienveillants » qui se sacrifient pour la communauté… Même si les prises de position des religieux peuvent à un moment ou un autre paraître raisonnable, il ne s’exprime en réalité que la voix desdits maîtres et non celle d’un dieu inexistant, création de l’homme, de certains individus. Il suffit de jeter un regard sur L’Histoire pour voir les catastrophes engendrées par cet abandon de la Raison au profit de la Foi. Les divisions des peuples par les différentes religions sont causes de conflits souvent inextinguibles.
Vouloir se différencier, par provocation ou non, avec des valeurs rétrogrades en s’habillant autrement provoque des clivages inutiles. Sans même parler de terrorisme on ne peut accepter des signes qui évoquent une conception du rôle de la femme faisant d’elle un être inférieur à l’homme. C’est là une des valeurs fondamentales qui a émergé dans nos sociétés dès le XVIIIe siècle, fruit des luttes et des conquêtes du Peuple. A noter que les femmes musulmanes voici quelques années encore, ne se voilaient pas. Et dans des pays musulmans comme l’Algérie, les femmes paient au prix fort leur refus de s’accoutrer comme le veulent les intégristes. En Indonésie, le plus grand des pays musulmans, le voile est interdit dans nombre de lieux publics.
Se passer de Dieu ? Facile à dire, commentera-t-on. Mais quand tout est perdu et que la mort va nous frapper sans rémission à qui s’en remettre ? Cependant, même quand tout espoir semble disparaitre, l’expérience montre que ce sont les individus qui se révoltent contre l’inéluctable, la fatalité, qui finalement survivent. Ecce Homo.
III. L’ECHEC DE L’OPTION MILITAIRE ET L’ESPOIR.
Jamais les bombardements (8) ne viendront à bout du terrorisme car son existence tient à des circonstances politiques et sociales. Rappelons que ce phénomène terroriste existait bien avant la création de Daesh et même d’Al Quaida. La réponse la plus efficace ne peut être que politique. Mais, comme nous le savons, dans le contexte actuel de crise économique, la guerre et le mépris des peuples sont la seule réponse mortifère des états.
Les attentats terroristes, qui depuis assez longtemps frappaient l’Afrique et l’Asie, peuvent faire naître une mobilisation basée sur certaines valeurs. Cette mobilisation est clairement celle du peuple et non pas des politiciens et élus surtout préoccupés par les prochaines élections et affairés à leurs misérables petits règlements de compte. L’affligeante attitude des parlementaires de droite français aboyant, conspuant de façon absurde des membres du gouvernement en place quelques heures seulement après l’assassinat de plus d’une centaine de personnes, est révélatrice de leur bassesse et de leur irresponsabilité. Certains, soupçonnés de fraudes et de corruption, et déjà sur la sellette depuis des mois, vont jusqu’à demander uns justice moins clémente pour les délinquants !
Comme ailleurs et sans surprise les anciens partis sociaux-démocrates ont basculé dans le libéralisme dominant. Et les médias ont favorisé l’extrême-droite en lui accordant un temps d’antenne record comparativement à ce que le Front de Gauche, par exemple, pouvait bénéficier. La gauche de la gauche, l’extrême-gauche, n’ont pas convaincu. Sclérosé par des stratégies électoralistes, par une vision poststalinienne éculée, un rabâchage de principes sans application concrète (9), cette extrème-gauche ne proposant rien d’autre qu’une vague politique néo-keynésienne, ne convainc personne.
Aujourd’hui l’armée est déployée et, faute d’autres alternatives de défense, dans un réflexe conservateur, on s’en satisfait. Mais à côté de cela, face à la mort aveugle qui peut frapper, dans la rue on fraternise. On veut vivre solidaires et unis. On affiche des valeurs de paix. On veut se défendre non seulement avec par des armes mais avec des postures en opposition avec celles des agresseurs. Dans ce vieux pays où l’athéisme a une histoire, l’hédonisme à lui seul serait insuffisant pour insuffler un nouvel élan social. Ce serait si bien de pouvoir régler tous les problèmes un verre à la main ! Mais c’est aller dans le bon sens. C’est en établissant des liens de solidarité, contre les discriminations, pour un meilleur civisme passant par le respect d’autrui, que l’on vaincra, que l’on finira par évoluer et changer cette société qui, rappelons le aussi, prône, selon la doctrine libéral, un individualisme de repli et la réussite en exploitant les autres. Le Peuple donnera-t-il la réplique nécessaire pour balayer toutes les peurs, pour vivre et construire finalement le monde nouveau que nous attendons tous ?
(2) http://www.businessinsider.com/1993-independent-article-about-osama-bin-laden-2013-12
(3) https://francais.rt.com/.../6718-selon-services-secrets-etats-unis-soutien-d...
"Il faut dire que le wahhabisme prôné par l'Arabie saoudite se rapproche largement de l'idéologie ultra-rigoriste d'Al-Qaïda",www.lepoint.fr/.../comment-l-arabie-saoudite-renforce-al-qaida-au-Yémen..
(4)https://www.bakchich.info/.../pourquoi-israel-a-aide-le-hamas-a-se-devel...
(5) La France favoriserait-elle Al-Qaïda au Sud Yémen ? https://francais.rt.com/opinions/5234-france-yemen-guerre-civilisations
(6 ) On se rappelle d’un certain ministre français, dont la famille était propriétaire en Tunisie, proposant d’envoyer du matériel au Président Ben Ali pour mieux réprimer le soulèvement populaire.
(7) « C’est dans mon intérêt de catholique blanc que la communauté musulmane soit puissante en France. Il faut un rééquilibrage communautaire pour faire poids contre la communauté (juive) » Soral cité par Erwan Manac’h in Politis n°1285, janvier 2014.
Soral, anti juif notoire, résume assez bien par ailleurs la pensée d’une certaine droite radicale, appuyant Poutine…et les groupes islamiques radicaux. Au nom de l’anti impérialisme nord-américain, bien sûr.
(8) Le bombardement de la Yougoslavie et de Belgrade dans les années 1990, s’ils finirent par mettre à bas le régime « socialiste » de Milosévic, contribuèrent très peu à la fin des massacres qui avaient lieu alors. Il résulta du chaos une zone de non droit, devenue, jusqu’à aujourd’hui le paradis des trafiquants d’armes.
(9)On pourrait mettre en exergue Syriza en Grèce et peut-être Podemos en Espagne. L’exercice du pouvoir, les pressions de l’extérieur ont semble t-il limité les ambitions de cette nouvelle gauche…
En France l’extrème-gauche s’est diluée dans l’électoralisme et les anarchistes, divisés en micro chapelles se consacrent le plus souvent à commémorer leurs vieux souvenirs espagnols…