Une abstention stratégique ?
Faut-il, comme en 2002, élire l’un des candidats avec une majorité bananière ou à l’inverse avec une très courte majorité ? C’est « la » question.
Les élections législatives vont être déterminantes pour la gouvernance de la France car aucun chef de l’Etat ne peut transformer un vote « contre » en un plébiscite de son programme.
Que Marine LE PEN ou Emmanuel MACRON soient élus, des contre pouvoirs seront nécessaires pour tous ceux, et ils sont majoritaires, qui n’adhèrent ni au « programme » de l’une ni « aux visions » à géométrie variable de l’autre.
Certains estiment qu’un raz de marée pour Monsieur MACRON est de nature à donner à celui-ci une crédibilité internationale et notamment européenne vis-à-vis de l’Allemagne.
Il faut alors se demander pourquoi Monsieur MACRON met tant de hâte à déréguler le code du travail par ordonnances et via le 49.3 dans les trois premiers mois de son mandat si ce n’est précisément parce qu’il veut donner des gages de légitimité à l’Allemagne, à la commission européenne et au monde de la finance compte tenu des circonstances de son élection.
D’autres, comme Monsieur PIKETTY dans un article paru dans Libération du 30 Avril, estiment que personne ne sera dupe d’un score ébouriffant en faveur de Monsieur MACRON et que c’est par conséquent un bon moyen de marquer un désaccord avec sa politique sans prendre le risque d’un score portant Marine LE PEN à la présidence.
Examinons cependant les autres conséquences d’un tel vote :
Un score de république bananière en faveur d’Emmanuel MACRON ne risque-t-il pas d’être totalement contre productif vis-à-vis des forces sociales qui essayent de se faire entendre en Europe ? |
A l’inverse, nous pouvons penser qu’un fort niveau d’abstention serait susceptible de faire comprendre à nos partenaires, et notamment à Madame MERKEL, que Monsieur MACRON ne peut pas être « l’homme fort » providentiel qu’elle appelle de ses vœux appliquant sans broncher les directives européennes et que le front national sera encore plus fort et mieux organisé dans cinq ans si de profondes évolutions dans la gouvernance européenne ne sont pas effectives d’ici là.
De ce point de vue nous ne trouvons, dans le programme de Monsieur MACRON, rien de la proposition d’évolution démocratique de la gouvernance de l’Europe que Monsieur HAMON avait proposée. L’Europe de Monsieur MACRON c’est « business as usual », il ne porte aucune proposition concrète hormis le fait de donner des gages « de sérieux » à Bruxelles pour pouvoir « négocier ». Négocier quoi et en quoi cette négociation a plus de chances d’aboutir que celle de Monsieur Hollande ? il ne s’en est pas expliqué.
Un score de République bananière ne serait-il pas également improductif pour les électeurs séduits par la synthèse de mesures de droite « ET EN MEME TEMPS » de gauche du programme de Monsieur MACRON ? |
Personnellement lorsque le candidat a rencontré les ouvriers de Whirlpool je me suis mise à espérer des clarifications sur l’application, à ce cas d’école, de la protection qu’il entendait mettre en place pour les actifs les plus exposés aux aléas de l’économie mondialisée.
De fait, l’affaire Whirlpool aurait pu être un moment didactique de critique des règles d’octroi du CICE : Whirlpool a en effet bénéficié de cet avantage qui lui sert aujourd’hui à financer les licenciements des salariés de son établissement d’Amiens.
Monsieur MACRON aurait pu ouvrir une séquence explicative sur le bien fondé d’une extension des circonstances dans lesquelles le licenciement économique est justifié.où sur le bien fondé du plafonnement des dommages et intérêts octroyés par les conseils de prud’hommes aux salariés, deux mesures prévues dans son programme.
Aujourd’hui « la firme » va, c’est certain, attendre le mois de Septembre et la sortie de ces mesures via un 49.3 ou des ordonnances pour licencier à moindre coût ses salariés et sécuriser son opération financière.
Nous aurions en outre pu ouvrir avec Monsieur MACRON un débat sur l’inversion du calendrier des réformes :
il fait en effet de la dérégulation du marché du travail sa priorité (dans les trois premiers mois de son mandat) et de la protection des actifs un objectif tellement secondaire qu’à ce jour nous n’avons aucune information sur ses modalités de mise en œuvre.
Monsieur MACRON aurait pu également s’expliquer sur les contreparties en terme de protection des salariés prévues par son programme et notamment l’ouverture d’un droit universel à l’indemnisation du chomage contre l’acceptation après formation de l’une des deux offres d’emploi « convenables » proposées par POLE EMPLOI. Qu’est-ce qu’un emploi « convenable » ?
Monsieur MACRON n’a malheureusement donné aucune des précisions que l’on pouvait raisonnablement attendre.Il s’est contenté de reprocher à Madame LE PEN d’avoir fait un « coup médiatique » , « d’instrumentaliser une misère » que sous le gouvernement Hollande il s’est lui-même bien gardé de prévenir.
Lui faire grâce d’un score de république bananière dans un tel contexte c’est lui donner blanc seing pour des mesures qu’il n’a pas su justifier lors de sa campagne.
On se demande dès lors pourquoi les « ralliés de la dernière heure » ne profitent pas des circonstances exceptionnelles de ces élections pour négocier des contreparties à leurs ralliements. |
La droite a d’office obtenu les gages qu’elle désirait de Monsieur MACRON puisque l’inversion du calendrier des réformes détruit les protections du code du travail avant d’en ériger d’autres.
A gauche, selon le Canard enchainé du mercredi 26 Avril , Madame NAJAT VALLAUD BELKACEM aurait proposé aux caciques du PS de négocier le ralliement à Monsieur MACRON contre l’inclusion d’un certain nombre de mesures sociales dans le programme de ce dernier. Elle aurait été vertement rabrouée par Monsieur CAMBADELIS, motif pris qu’en 2002 le PS n’avait pas barguigné son soutien à Jacques CHIRAC.
Qu’en est-il résulté ? Jacques CHIRAC s’est cru autorisé à ne pas rechercher un consensus post électoral avec la gauche, motif pris que les français s’étaient « clairement exprimés dans les urnes » pour son programme …
Monsieur CAMBADELIS ne semble pas se souvenir de cet épisode qui a pourtant profondément choqué cette partie de l’électorat qui avait civiquement répondu à l’appel de Jacques CHIRAC et du PS.
15 ans plus tard la situation s’est considérablement dégradée par la faute de 10 ans de gouvernement de droite et de 5 ans de gouvernement de « gauche » puisque le FN a considérablement étendu son assise. Monsieur MACRON, quant à lui, se contente de donner des leçons de « morale » à ceux qui, éclairés par 2002, ne veulent plus redonner leur voix sans un accord préalable de gouvernement.
Cela constituerait pourtant un excellent exercice en vue de la « gouvernance par projets » dont Monsieur MACRON se fait le chantre.
Après Monsieur CHIRAC, c’est à Monsieur MACRON qu’il revient de « réduire la fracture sociale » de la France, source première du vote FN.
Ce n’est certes pas en donnant des leçons de morale qu’il y parviendra mais bien en répondant aux légitimes questions posées par les électeurs et en amendant consensuellement son programme comme cela se pratique chez nos voisins d’outre Rhin et comme le lui a officiellement proposé Monsieur MELENCHON le 30/4/2017 en ce qui concerne la modification du code du travail (fin d’interview).
Des électeurs de « gauche » peuvent légitimement attendre du PS la même démarche en ce qui concerne la gouvernance européenne.
Personnellement, je ne renouvellerai pas l’erreur que j’ai faite en 2002. J’estime qu’un éventuel refus par Monsieur MACRON de tout dialogue avec les « gauches » hamoniste et mélanchonistes sont contraires à ses propres déclarations de début de campagne :
- « Pragmatisme »
- « Souplesse programmatique »
- « Gouvernance par projets »
Cette attitude, si elle se poursuit, n’augure rien de bon pour notre Pays car, en 2022, le FN aura eu tout le temps nécessaire pour se structurer et capitaliser sur les erreurs d’un gouvernant persuadé que « sa » vérité est « la » vérité et que there is no alternative.
Je préfère me confronter dès maintenant à un FN
- dont les positions internes ne sont pas encore clarifiées par son prochain congrès ,
- qui n’a pas encore trop d’élus dans les territoires et
- qui n’a pas forcément de recrues formées au gouvernement du Pays
que d’avoir dans cinq ans une machine de guerre bien rodée et très implantée territorialement.
Monsieur MACRON doit prendre la responsabilité historique dont il se prévaut en prenant les mesures nécessaires à la réduction de la fracture sociale de la France et pour cela il faut déjà qu’il parle avec TOUT LE MONDE y compris avec messieurs HAMON et MELENCHON.