mercredi 14 décembre 2016 - par Arnould Accya

Une bonne blague

J’ai envie de partager avec vous une bonne plaisanterie, bien cocasse comme on aime.

Une histoire vraie, du genre de celle dont on rit après coup ; pendant son déroulement même, si on arrive à prendre un peu de recul et considérer, l’oeil goguenard, son côté burlesque, grotesque.

 

Je ne sais pas si, parmi vous, certains se sont essayés à la littérature ou, plutôt, à l’écriture.

C’est comme une envie qui vous prend, un besoin de se mettre à table dont on ne sort repu que lorsque la page de l’ouvrage sur lequel on s’est penché pendant une ou plusieurs années (en mois, peut-être, pour les survoltés précoces de la plume ; tout dépend du texte, aussi) se révèle être la dernière et indique le mot “Fin”, soit l’accomplissement d’un travail qui vous a occupé, secoué, retourné, bouleversé pendant un laps de temps suffisant pour être imprimé de manière indélébile dans votre esprit ; le genre d’expérience qui accélère votre évolution de manière irréversible.

 

Le texte achevé, il ne reste plus qu’à chercher et s’informer des éditeurs de la place, afin de transmettre un bébé tout rose, potelé, magnifique à vos yeux émerveillés en proie à un mirage, à des tiers dont certains, au moins, ne manqueront pas d’être éblouis par autant de sensibilité, de talent.

C’est cela, oui, mais bien sûr …

 

Pour 90 à 99% des écrivains en herbe, l’aventure s’arrête à ce niveau. Pas de réponse, retour négatif non personnalisé et, parfois, avec un peu chance, petit mot explicatif qui, s’il ne console pas, a le mérite d’évoquer un tant soit peu votre ouvrage. On se dit qu’au moins, le texte a été lu et donné lieu à une appréciation, qui est ce qu’elle est, là n’est plus le souci majeur. Le bébé n’a pas été rejeté sans avoir été examiné avec attention. C’est peu, mais c’est déjà cela. On n’est pas difficile quand, après plusieurs mois d’attente stérile et frustrante, on reçoit un courrier qui dit autre chose que : “Malgré les qualités indéniables de votre manuscrit, il ne rentre pas dans notre ligne éditoriale (mais bien sûr), nous somme donc désolés et gnagnagna gnagnagna …”

 

La conséquence est inéluctable : déprime, remise en question, dépôt du bébé dans un tiroir qui devient le tombeau de leur fibre littéraire pour certains ; acharnement pour d’autres, qui enverront leur texte à tous les petits éditeurs qui n’ont pas encore fait faillite puis, devant les refus essuyés, soit se tourneront vers l’auto-édition (en croissance, et cela peut se comprendre aisément), ou vers l’édition à compte d’auteur dont le principe est limpide : nous publions ton texte, qu’il soit bon ou infâme, car notre bénéfice on le réalise directement sur ton dos, puisqu’on te fait payer grassement la prestation – bien menue - rendue. Que ton livre se vende ou pas, on s’en fiche royalement, on a déjà fait notre beurre sur ton désir irrépressible d’être publié, et puis comme on ne fait aucune promotion, aucune communication – on ne va pas non plus dépenser un centime pour ta pomme -, ce serait quand même bien étonnant que ton livre soit acheté par quiconque, hormis tes proches.

Un peu dur, ce que j’écris, mais si authentique que je ne crois pas qu’un seul auteur puisse me jeter la pierre.

 

Et puis, il y a les “Heureux Elus”, ceux qui ont eu la chance, le talent, ou le piston (d’après ce qui se dit, mais “chuuuut”, c’est un secret), ou ces mêmes caractéristiques combinées par ensemble de deux ou trois, et là, vous me direz, c’est le bonheur, l’extase, la reconnaissance de la profession avec, désormais, les portes qui s’ouvrent, la possibilité de participer aux concours, d’être lus par les journalistes littéraires, et de voir son bébé s’épanouir s’il est apprécié et mis en valeur.

C’est bien ce que l’on pourrait croire, non ? Cela paraît couler de source, n’est-ce pas ?

 

Et bien, en fait, non, pas du tout ! Wallou, que dalle !!!

Si, si, je vous assure.

 

C’est d’ailleurs à ce moment de l’histoire que, moi aussi, j’ai écarquillé les yeux et suis resté abasourdi.

Votre livre peut bien se vendre à ses débuts, grâce à vos proches qui suivent, au réseau de votre éditeur et à son travail de communication initial. Pas le choix pour lui d’ailleurs, il y a tout intérêt, car c’est de sa poche que sont sortis les fonds pour réaliser la couverture, la maquette, les tirages, etc …

C’est pour cela qu’il est ardu d’être retenu par un éditeur à compte d’éditeur : il met la main au porte-monnaie (et la mise initiale est conséquente, plusieurs milliers d’euros au bas mot), il croit en votre talent, il est prêt à se battre pour faire connaître et valoriser un texte qu’il juge être à même d’attirer, de plaire à un nombre de lecteurs croissant qui lui permettra de rentabiliser un investissement bien risqué de nos jours.

 

Une première vague de vente du livre s’enclenche, et vient alors un moment crucial pour l’auteur : les premiers retours.

C’est le stress à l’état pur, l’angoisse, avec une appréhension toute particulière pour le premier ; la référence, l’étalon porteur d’espoir ou annonciateur de la chute dans l’abysse de l’échec littéraire.

Que de tension, d’inquiétude ! Vous n’en pouvez plus de vous ronger les ongles, vous tordre les mains, vous arracher les cheveux d’anxiété.

 

Puis, un beau matin, le soulagement, la joie, la délivrance quand un lecteur vous appelle, vous écrit pour vous féliciter, vous parler de votre livre et des émotions qu’il a suscitées en lui. Vous l’écoutez bouche bée, touché, ravi, et les énergies négatives qui ont pu s’accumuler en vous durant l’attente sont expulsées soudainement, et laissent place à un sentiment de plénitude intense.

Vous êtes rassuré, enfin ; non, plus que rassuré : aux anges, sur un petit nuage qui vous entraîne, là-haut, émerveillé des commentaires, des messages qui apparaissent petit à petit, et que vous avez un plaisir immense à découvrir sur votre messagerie, sur le site de votre éditeur, sur votre téléphone.

 

Et, dès lors, ça y est, vous êtes confiant, vous y croyez : votre bébé est source d’émotions sincères, puissantes et parvient à génèrer des compliments de la part de personnes que vous ne connaissiez guère, ou pas du tout.

Inespéré, incroyable !

Vous vous gonflez de félicité ; et d’orgueil, un peu aussi. Soyons francs, la vanité pointe le bout de son nez écarlate ridicule de clown triste.

 

Mais ne vous méprenez pas, il ne va pas durer bien longtemps, l’état de grâce ; il va vite se calmer l’écrivain en herbe dont les chevilles commencent à enfler.

Parce que les baffes vont commencer à pleuvoir, et des beignes monumentales ne vont pas tarder à s’écraser sur la figure amochée de l’auteur en perdition.

 

Pour commencer, comme vous devenez exigeant, les membres de votre entourage qui ne se bousculent pas pour louer votre livre, hé bien, humm …, comment dire, soyons honnêtes, cela vous titille, vous agace, vous énerve quelque peu. Vous avez été habitué à bien mieux, vous méritez un traitement ô combien différent, n’est-ce pas ?

Pire, leur silence, lorsque votre livre fait son apparition dans la conversation (vous évitez, vous, d’en parler le premier, bien sûr) vous offusque au dernier degré. Vous gardez votre rancoeur pour vous, mais ne pouvez vous empêcher de faire grise mine. Comment ? Pas de compliment, pas de félicitation ?! Comment se peut-il ?

Et alors, je ne vous dis pas le scandale, le sacrilège, lorsqu’au détour d’une discussion, on vous glisse :

- Ah, ton roman, au fait, ouais, il est pas mal, bon, ca va. Mais, attention, c’est pas du Dostoïevski ou du Hugo, non plus, hein, on est d’accord.

Quoi ???

Alors qu’on a des dizaines de messages enthousiastes qui vous font chaud au coeur, l’âme, qui vous chatouille l’amour-propre, on doit encore supporter de se faire attraper sans ménagement, et remettre les pieds sur terre brutalement.

Hé oui, on s’aveugle vite quand on entrevoit le succès sur la ligne d’horizon.

 

Votre ego en prend un coup, vous vous sentez blessé, presque trahi. C’est dire à quel point vous décrochiez de la réalité. Cette première claque est salutaire : elle introduit le doute et prévient une inversion trop brutale de la courbe de confiance.

Parce que ce n’est que le début ; le commencement d’un chemin de croix bien long, bien usant, qui ne manquera pas de vous remettre la tête bien droite sur les épaules.

 

Vous décidez d’appeler votre éditeur pour avoir des nouvelles, prendre la température, connaître l’avis des journalistes de presse qu’il a contactés, et à qui il a envoyé des exemplaires de votre livre, dans le cadre de son travail de promotion.

Vous êtes impatient de connaître l’opinion des professionnels, des spécialistes, de la caste omnipotente des journalistes littéraires.

L’attente va être longue, interminable.

Vous pouvez toujours vous brosser, ronger votre frein, et faire des pieds et des mains pour qu’ils s’aperçoivent de votre présence, ces journalistes, vous n’êtes pas prêt d’avoir de leurs nouvelles.

Héééééé oui !

 

Vous vous apercevez avec étonnement, déception, puis amertume, qu’aucun journaliste de presse ne prend la peine de répondre aux courriers envoyés par votre éditeur ; un éditeur pourtant sérieux, à compte d’éditeur évidemment et, de plus, référencé dans l’annuaire des éditeurs de sa région, signe de reconnaissance.

 

Mais où est le problème, alors ? Pourquoi ce silence de leur part ? Pourquoi sont –ils si difficiles, voire impossibles à joindre ? Pourquoi ne répondent-ils jamais, ou presque, aux emails et messages laissés sur leur répondeur ?

Mais pourquoooiiiii ? C’est vraiment trop injuste !

 

Hé non, petit naïf, jeune Caliméro qui pleurniche sans comprendre le monde dans lequel il vit, l’explication est d’une simplicité extrême, d’une trivialité confondante : ton bouquin ne vaut pas la peine d’être lu.

Un journaliste littéraire a bien d’autres ouvrages à lire et critiquer. Il est inondé de livres quotidiennement, et n’a pas d’autre choix que sélectionner ceux sur lesquels il pourra se pencher, s’attarder et doit, par conséquent, éliminer les autres.

Naturellement, dans ses critères de sélection conscients ou non, le nom de la maison d’édition, la renommée de l’auteur vont jouer sensiblement en défaveur des nouveaux auteurs publiés par une petite maison d’édition/

C’est comme ça. Rageant, mais si humain.

Alors, si ton éditeur et toi n’avez d’entrée VIP nulle part, inutile de rêver. Le livre terminera son existence aux oubliettes de la presse littéraire.

Non pas par mauvaise volonté, mépris ou que sais-je, juste parce que de nos jours, comme par le passé et peut-être plus encore, c’est le réseau qui fait la différence ou qui, du moins, ouvre les premières portes, ces premières portes indispensables à la reconnaissance de ce petit monde, hermétique il faut bien avouer, de la littérature.

 

C’est difficile à concevoir, mais il faudra se résigner. Votre création, votre bébé, quelle que soit sa bouille, ses petits yeux lumineux, ses jolis gazouillis attendrissants, finira dans l’eau du bain si son géniteur n’est pas déjà reconnu, ou sa “maternité” côtée.

Ainsi donc, votre ouvrage, réceptacle de votre sensibilité, de vos tripes, d’une énergie et d’un amour continuel et intense durant toute son élaboration, ne sera pas même lu.

D’une tristesse indicible, mais c’est comme ça.

 

On peut cependant noter des variations amusantes, dans la symphonie bien feutrée de l’attention des journalistes littéraires portée à votre ouvrage.

En introduction, il convient de mentionner que vous êtes amené à épauler votre éditeur, et à contacter vous-même les journaux hexagonaux encore dotés d’une rubrique littéraire.

Hé bien oui, pour lui éviter, à votre éditeur, le coût de l’envoi aveugle de dizaines d’exemplaires de votre livre, dont le sort funeste, bien qu’ils soient encore intacts, vierges, les pages collées dirait-on, est d’encombrer les poubelles surchargées des services dédiés, vous décidez de vous retrousser les manches.

Vous décrochez le télephone, et essayez de joindre l’interlocuteur littéraire du journal, unique le plus souvent, afin de vous présenter brièvement, d’évoquer votre livre, et tenter de susciter son intérêt.

Vous êtes alors confronté à diverses situations, dont le point commun est simple : vous en sortez écoeuré.

 

Le cas le plus fréquent pour commencer : vous aurez beau appeler, écrire d’agréables billets de présentation et de relance, ou laisser des messages bien polis sur des répondeurs fixe et portable, vous n’aurez jamais aucune nouvelle ; le silence total, absolu, souverain.

Un jour, vous en aurez marre, choisirez un de ces absents permanents (par exemple, le journaliste du quotidien régional de votre région natale), et écrirez un message outré, mais aucunement insultant, qui souligne votre désarroi et colère face à l’indifférence suprême de votre correspondant.

Là, ô magie de l’ego, de l’orgueil, vous recevrez dans les cinq minutes !! (véridique, purement factuel) un retour au contenu qui feint l’indignation maîtrisée, mentionne la méconnaissance de vos communications antérieures (c’est cela, oui, mais bien sûr), et se fait un malin plaisir de souligner que, heureusement, tous les auteurs ne sont pas de votre acabit (grossier), et ceux-là, seuls, méritent leur attention et estime.

Enorme blague révélatrice …

 

Parmi les journalistes que vous arrivez à joindre, certains sont d’une franchise aussi translucide que surprenante :

- Oui, oui, nous avons bien compris, vous avez écrit un roman, édité à compte d’éditeur, il a reçu des critiques positives (il faut bien essayer de valoriser son travail, n’est-ce pas ?), et vous voudriez nous en envoyer un exemplaire. Oui, mais bon, honnêtement, on est débordés, vous savez, alors je ne sais pas si c’est une bonne idée, non, vraiment …”

 

Quoi ?? Qu’est-ce que ça veut dire ?, vous vous demandez, interloqué.

Le discours, surprenant pour un néophyte, continue :

 

- Oui, vous comprenez, je le répète, on est vraiment débordés, on reçoit des quantités de livres tous les jours, alors, vraiment, je vous le dis entre nous, ce n’est peut-être pas la peine …

Vous ne pouvez vous empêcher de poser quelques questions.

 

- Comment on fait pour choisir les livres que nous lisons ? Oh c’est simple, on fait un premier tri, on les regarde, on les feuillette rapidement, pas tous, bien sûr, ce n’est pas possible, vous comprenez, et ceux qui nous ont plu, on leur consacre une rubrique.

Vous soulevez un élément curieux.

 

- Comment on fait le premier tri ? Oh, vous savez, ça se fait comme ça, naturellement, que dire de plus ? Pour votre livre, vraiment, non, pas maintenant, rappelez-nous dans quelques mois, on verra, peut-être, à ce moment là.

 

Vous décidez de persévérer, et proposez de leur envoyer un message qui présente votre livre, avec un lien qui permet de lire les dix premières pages, qu’ils puissent se faire, rapidement, une première idée.

- Ah oui, bon, pourquoi pas ?, on vous répond d’un ton neutre.

 

Vous raccrochez, satisfait de votre idée lumineuse selon vous, et transmettez les informations convenues.

Vous patientez quinze jours, pas de réponse ; un mois, toujours rien.

Au bout d’un mois et demi, vous passez aux nouvelles.

 

- Ah oui, votre livre … Ah ! votre message, le lien, si on a lu les premières pages ? Oh non, vraiment, non, on est débordés, vous savez …

Vous insistez.

 

- Vous dites ? Nous envoyer votre livre quand même ? Ooooh, pffouhhhh, encore une fois, ce n’est peut-être pas le moment, autant être franc. Mais bon, si vous y tenez absolument ….

 

Vous raccrochez, dégoûté. Rien à faire, la voie est bloquée, impossible de passer.

Vous ruminez, énervé, tournez le problème dans tous les sens.

Puis, un soupçon vous effleure, le diable vous tente et, passées deux-trois semaines, vous rappelez.

 

- Si nous avons reçu votre livre ? Attendez, c’est quoi le titre ? Très bien, je vérifie, ne vous inquiétez pas, nous avons un fichier où nous indiquons tous les livres que nous recevons, oui, un tableau de suivi. Alors, je regarde … Ah oui, on a bien reçu votre livre et on vous en remercie. Ah, malheureusement, désolé, mais on ne fera pas de rubrique dessus, oui, c’est l’avis de la personne qui s’en est chargée, je suis désolé, encore une fois. Oui, oui, c’est bien de votre livre que je parle, j’ai vérifié le titre et le nom de l’auteur. Allez, merci de votre appel.

 

Alors que votre livre n’a JAMAIS été envoyé ; par vous, votre éditeur ou quiconque.

Aaahhh oui, c’est un peu fort, vous vous dites, hein ? ; de la bonne baffe, du comique de haute volée qui vous laisse un peu assommé, pantois.

Mais, rien à faire, et à quoi servirait-il de révéler à l’interlocuteur votre petit piège, et polémiquer avec lui ? Juste vous pourrir la vie, et mettre dans une position plus qu’embarrassante une personne qui vous avait pourtant prévenu gentiment qu’il valait mieux oublier l’espoir d’une rubrique sur votre livre.

 

Dans un autre registre, vous avez aussi pu être victime d’une facétie très ingénieuse.

Après plusieurs mois d’attente, et une ou deux relances infructueuses auprès d’un journal récalcitrant comme tant d’autres, une réponse vous parvient, enfin, dans laquelle le journaliste indique que, malheureusement, sa rubrique littéraire ne traite que des livres parus depuis moins de deux mois.

Que répond-il quand vous vous lui faites gentiment remarquer que le journal avait été contacté dès la parution du livre ? Je vous laisse deviner ?

Rien. Les délais sont dépassés, vous pouvez aller vous rhabiller.

 

La dernière possibilité que je mentionnerai est aussi la plus plaisante, si l’on peut dire. Le résultat est le même ; mais la manière est d’une douceur exquise.

Vous contactez et joignez aisément le journaliste littéraire, ou la personne responsable de l’équipe dédiée à la rubrique littéraire du journal. Elle vous écoute d’une oreille attentive, vous dialoguez agréablement, et elle vous assure chaleureusement que votre livre sera lu et qu’un retour vous sera fait dans les semaines qui suivent.

A la fin de la conversation, vous êtes confiant, ravi, et vous félicitez de l’appel passé : votre livre va (enfin) être jugé par des journalistes professionnels, dont le représentant est très sympathique, de surcroît.

 

Au bout de six semaines, surpris de leur silence, vous les contactez, un peu intimidé :

- Ah oui, votre livre, euh…, non, on ne s’en est pas encore occupés, mais on pense à vous, ne vous inquiétez pas, donnez-nous encore quelques semaines et je vous promets que vous serez fixé. Excusez-nous, nous avons été très pris, ces temps-ci.

Vous raccrochez, presque satisfait. Une inquiétude demeure, mais très légère.

 

Un mois plus tard, toujours rien. Vous rappelez, un peu dépité :

- Ah non, non, votre livre, nous n’avons pas eu le temps, malheureusement, nous sommes vraiment désolés. Et puis, avec les vacances qui arrivent maintenant, mieux vaut être encore un peu patient. Rassurez-vous, vous recevrez un message de notre part peu après les vacances, je vous le promets.

 

Vous attendez, les vacances passent, quelques semaines s’égrènent. Au moment de décrocher le téléphone, une angoisse vous saisit. Lorsque vous commencez à parler, un sentiment très fort vous envahit : vous gênez, vous faites preuve d’extrême lourdeur à insister autant. Vous vous sentez ridicule, pitoyable, tel un mendiant qui fait l’aumône. On vous explique, alors, qu’il vous faut prendre votre mal en patience et que, désormais, mieux vaudrait ne pas rappeler, car on se souvient de vous et de votre livre, et qu’on ne vous oubliera pas.

 

Comment ça finit ?

Hé bien, on n’en sait rien : pas de retour, et on vous a poliment conseillé de ne plus déranger.

Voilà … Sympa, non ? Toute en douceur, la baffe.

 

Quand, après ces déconvenues multiples, vous vous tournez, désemparé, un brin déprimé, vers votre éditeur, celui-ci, désabusé, vous conte alors ses propres misères.

 

Comme tout éditeur un peu sérieux et motivé, il essaye de promouvoir son catalogue d’ouvrages auprès des librairies de sa région, de sa ville en premier lieu.

Il m’explique la situation en quelques mots :

 

- Les librairies, aujourd’hui, en sont à un point tel qu’elles n’acceptent même plus les dépôts-ventes.

- Pourquoi ?, je demande, intrigué. Ça ne leur coûte rien, pourtant, non ? Le livre n’est payé que s’il est vendu, c’est bien ça ?

- Parce qu’ils te disent que ça ne sert à rien, trop peu de clients, le livre ne se vendra pas, et ça occupe de l’espace. Leurs arrière-boutiques débordent, ils en ont marre, seuls les livres des grosses écuries trouvent preneur. Alors, à part une ou deux librairies où c’est encore possible, mes livres, c’est terminé, même en dépôt-vente, je peux me les garder.

 

Vous gardez le silence. Vous vous creusez les méninges. Comment faire connaître votre livre, en plus de demander aux personnes de votre réseau qui l’ont aimé de faire sa promotion de bouche à oreille, et sur les sites sociaux. Il faut bien avouer que l’effet boule de neige que vous escomptiez, du fait des avis positifs reçus, est très limité.

Pourquoi ? Vous allez voir, l’explication coule de source.

Lorsque vous recommandez un livre à un ami, quelle est sa réaction ( et elle est bien normale), dans l’immense majorité des cas ?

- Passe-le moi, je te dirai ce que j’en pense.

Hé voilà, c’est ainsi qu’on réduit à néant, ou presque, l’effet boule de neige de l’entourage propre à vos proches.

 

La reconnaissance publique est indispensable à un accroissement des ventes.

C’est alors que, traversé d’une inspiration subite, vous dites à votre éditeur :

- Je sais comment procéder : on va présenter le livre à tous les concours possibles, on va écumer les prix, et si mon livre est vraiment de qualité, il en remportera bien un, ou, pour le moins, sera cité dans une liste finale, ce qui lui permettra, enfin, une certaine notoriété.

 

Ah, écoutez-le, ce jeune auteur candide. Est-ce qu’il n’est pas magnifique d’ingénuité ce discours, émouvant de crédulité virginale ?

Non mais, vous croyez vraiment une seconde que votre ouvrage aura sa chance de concourir à un prix ?

Mais vous rêvez, doux niais que vous êtes !! (que j’étais)

 

Qui établit les sélections initiales des livres qui participent à un prix littéraire, quel qu’il soit ? Vous savez, vous devinez ?

Allez, réfléchissez un peu, ce serait dommage de dévoiler la réponse si vite.

Ça y est ? Vous avez trouvé ? Vous avez compris de qui on parle ?

 

Et oui, ce sont bien eux : les journalistes littéraires. La boucle est bouclée.

Donc, pour résumer : les mêmes qui ne répondent pas à vos messages, vos appels, qui vous font attendre des plombes pour rien, mais qui vous demandent, malgré tout, de faire preuve de patience parce qu’ils sont débordés,

ce sont eux, ces mêmes individus, qui jouissent du pouvoir exclusif de proposer leurs petits préférés, de pistonner leurs poulains à volonté, de définir la liste des heureux élus.

Impensable, absurde.

Comment les ont-ils choisis, ces livres ? Pourquoi, en premier lieu, les ont-ils lus, ceux là parmi tant d’autres, cette multitude d’ouvrages qui s’amoncellent dans leurs locaux ?

Attention ! Nous entrons dans le secret des dieux ; chuuut, plus un mot.

 

Voilà pourquoi elle est absolument toute-puissante, cette confrérie journalistique. Quant à vous, petit auteur inconnu parmi tant d’autres, taisez-vous, vous n’avez aucune prérogative, vous dépendez complètement d’eux, de leur bon-vouloir ; du fait du prince, enfin deS princeS.

 

Attention, soyons nets et précis, nous ne sommes pas en train de dire que les journalistes choisissent des ouvrages infâmes, et que le vôtre a toutes les qualités requises. Non, pas une seconde.

Nous souhaitons simplement signaler que votre travail n’a jamais eu la chance d’être examiné, jugé, apprécié et mis en valeur s’il le mérite par le petit monde des journalistes littéraires, avec les conséquences susmentionnées : pas de rubrique, pas de communication, pas de participation possible aux prix littéraires, pas de notoriété.

Est-ce juste ?

 

Vous pourriez me dire :

- Attendez, vous exagérez, vous oubliez les salons et autres événements littéraires. Les grands salons du livre, non, ça doit être difficile de décrocher le billet d’entrée, mais les petits, oui, c’est faisable, certainement.

Et là, je vous répondrais :

- Oui, c’est faisable, mais les petites manifestations littéraires n’attirent plus grand monde aujourd’hui, malheureusement. C’est comme ça. Editeurs et auteurs passent la plupart du temps à se regarder en chiens de faïence, et attendre les trop rares visiteurs qui leur feront l’amitié de parler un instant avec eux.

Et mon éditeur ajouterait :

- Et les quelques grands salons régionaux, qui attirent encore les foules et devraient permettre à tous les éditeurs de participer, exposer leur travail, s’efforcer de faire éclore les talents qu’ils défendent, ferment la porte à plus de 90% des petits éditeurs, par manque d’espace.

 

Vous pourriez suggérer alors :

- Organisez un salon off qui permette aux autres de s’exprimer.

Mon éditeur vous répondrait :

- La police vous l’interdira, et vous serez mis à l’amende si vous oser contrevenir aux circulaires, aux arrêtés municipaux.

 

Voilà l’histoire que je voulais vous raconter.

 

En conclusion, une petite réflexion :

L’écriture, plus qu’une école de patience. Un sport de combat extrême où on apprend à encaisser rouste sur rouste.

 

Merci d’avoir pris le temps de lire mon récit, trop long peut-être.

 



26 réactions


  • rogal 14 décembre 2016 14:32

    Hé bé ! Un excellent roman qui a produit tout un fromage !


    • Arnould Accya Arnould Accya 14 décembre 2016 15:15

      @rogal
      lol
      Je ne sais pas si le roman est excellent, mais c’est sûr que c’est un sacré morceau (de fromage :) à gérer après la parution.


  • sleeping-zombie 14 décembre 2016 15:23

    Hello,

    Un peu long à lire, mais comme le style est fluide, ça passe...

    Si je me permet un ou deux commentaires :
    - mais quel narcissisme !
    - c’est étrange d’assumer une totale sujétion vis-à-vis des métiers de la promotion, pour ensuite se plaindre de ce que cette sujétion implique.
    - structurellement, quand il y a 10 000 candidat et un seul projecteur, il y a une star et 9 999 malheureux. Faut savoir l’encaisser.

    Finalement, cette situation ressemble trait pour trait au type qui fait des années d’études, puis envoie des paquets de CV et se prend des tas de refus.

    Pourtant, tout est dit : les manifestations littéraires n’attirent plus grand monde, et la « confrérie journalistique » croule sous les demandes. Autrement dit, ton marché est saturé.

    Si mon fils veut faire rock-star, footballeur professionnel ou auteur de romans, je lui dirai « c’est bien d’avoir une passion, mais vu ce que je sais du monde, prévois un plan B pour remplir ton frigo... »


    • Arnould Accya Arnould Accya 14 décembre 2016 15:40

      @sleeping-zombie

      Comme le texte est long, effectivement, j’ai essayé de glisser pas mal d’ironie, et quand je me moque allègrement de l’auteur gonflé à bloc et bien naïf , j’en rajoute pas mal, histoire d’accentuer le côté humoristique de la situation.
      Donc, je ne vois pas bien pour le « narcissique ».
      Pour la sujétion, c’est comme ça, on n’y peut rien, donc rien à assumer en particulier, juste un constat.
      En fait, un des objectifs du récit est de faire comprendre qu’être auteur d’un livre édité par un « bon » éditeur est, à peine, dans la montée hypothétique au succès, une marche au-dessus de l’auteur qui ne trouve pas d’éditeur.
      Et vous avez parfaitement raison, ce n’est pas par l’écriture qu’on arrive à gagner sa croûte.
      C’est bien pour cela qu’à la question « Tu fais quoi dans la vie », je ne réponds jamais « Je suis écrivain ».
      Parce que l’écrivain gagne réellement sa vie grâce à ses livres, et ils sont assez rares, les vrais écrivains, de fait.


    • sleeping-zombie 14 décembre 2016 17:17

      @Arnould Accya
      narcissime n’est peut-être pas le mot le mieux choisi, mais j’ai eu l’impression que le personnage croit que les critiques littéraires ont une sorte de « devoir » vis-à-vis des auteurs *, alors qu’il n’y a juste qu’un rapport de forces.

      * c’est pas parce que tu as eu une grossesse difficile et un accouchement dans la douleur que je dois m’extasier devant ton bébé :D

      Du reste, j’ai l’impression que cette forme de précarité touche toutes les professions « artistiques » où les revenus sont très, très, horriblement mal répartis...


    • manu manu 14 décembre 2016 20:19

      @Arnould Accya

      Pourquoi vous n’écrivez pas des scénarios de films ou séries.


    • Arnould Accya Arnould Accya 14 décembre 2016 20:58

      @manu
      C’est un exercice très différent, mais oui, ça peut aussi être très intéressant.


  • alinea alinea 14 décembre 2016 19:38

    J’ai pourtant lu des Goncourt absolument nullissimes !!
    Et au bout de tout ce temps, relisant votre œuvre, vous n’avez pas trouvé qu’elle était trop ceci, pas assez cela ?
    J’envoyais mes bouquins à deux ou trois maisons d’éditions ; n’étant jamais convaincue qu’ils valaient la peine, à la première réponse négative, je l’oubliais. J’ai fait ça avec conviction trois ou quatre fois, les deux derniers, je me forçais en me disant ; fais pas ta pimbêche, si tu écris, c’est pour être lue !!
    très peu de gens ont lu ce que j’ai écrit, et c’’est très bien comme ça. Le prochain, je ne m’enverrai même pas car depuis, j’ai vu ce qui se publiait et, indépendamment de la qualité littéraire, quand je vois ce qui plaît, je sais que je n’ai aucune chance !
    Donc peaufiner son style, c’est tout ce qu’il reste à faire, le rêve de jeunesse de « faire partie de », s’est transformé en « surtout de pas faire partie de » !! fouiller jusqu’aux tréfonds notre essence, poursuivre l’exigence jusqu’à l’intransigeance et craindre l’épreuve de solitude qu’écrire inflige !


    • Arnould Accya Arnould Accya 14 décembre 2016 20:03

      @alinea
      En ce qui me concerne, écrire n’est pas une épreuve (solitude, page blanche, ou corrections incessantes et pages déchirées). Long, prenant, fatigant mais passionnant de voir son travail prendre forme progresivement.
      Ce que j’ai cherché à exprimer, dans cet article, c’est le désarroi des « jeunes » auteurs et petits éditeurs qui doivent se résigner : les critiques littéraires ne liront pas leurs ouvrages. C’est aussi simple que cela. Pas le temps. Trop de livres.
      Et, par conséquent, impossible de concourir à un quelconque prix littéraire. Frustrant.
      Dur de se faire une raison.


    • alinea alinea 14 décembre 2016 20:16

      @Arnould Accya
      L’épreuve de la solitude n’est pas celle-là !! juste l’investissement total dans une activité solitaire, qui imprègne tout et qui n’est pas partagée ni partageable !
      Quoique certains mâles auteurs ont eu femme pour le partage !
      Si l’on quête un prix ou une distinction, c’est sûrement que ce que l’on avait à dire n’était pas très intéressant !!


    • Arnould Accya Arnould Accya 14 décembre 2016 20:57

      @alinea
      « Si l’on quête un prix ou une distinction, c’est sûrement que ce que l’on avait à dire n’était pas très intéressant »

      Quel rapport ?
      On écrit pour exprimer des idées, des sentiments, des impressions que l’on souhaite partager, non ?
      C’est du moins ce qui me motive, personnellement. 
      Et participer à des prix permet de faire connaître son livre. Aussi simple que cela.


  • Vipère Vipère 14 décembre 2016 21:31


    A l’auteur,

    J’ai dû rater les passages humoristiques, c’est à quelle page du livre ?


    • Arnould Accya Arnould Accya 14 décembre 2016 22:08

      @Vipère
      C’est sûr que si on prend tout au premier degré, on ne voit pas.
      Ou alors on n’a pas le même humour. C’est pas un souci.


    • Vipère Vipère 15 décembre 2016 13:32

      @Arnould Accya


      C’est pour les lecteurs que vous prétendez écrire ou pas ?

      L’humeur apparaît immédiatement et il ne saute pas à l’esprit dans votre texte, c’est donc que vous n’en avez pas, car je suis sensible à toutes les formes d’humour, et naturellement regrette son absence dans vos écrits, quoi que vous disiez. 

      Cela devrait vous interroger un peu smiley ?

    • Arnould Accya Arnould Accya 15 décembre 2016 13:38

      @Vipère
      Non, désolé. Il n’y a pas que vous dans ce bas monde, vous savez.
      Et votre « je suis sensible à toutes les formes d’humour », sans vouloir polémiquer (quel intérêt ?) est assez saugrenu, voire un peu risible (mais c’est peut-être là qu’il est, votre humour).


    • Vipère Vipère 15 décembre 2016 14:03

      @Vipère


      « J’ai envie de partager avec vous une bonne plaisanterie, bien cocasse comme on aime. »

      Quand j’ai lu cette phrase d’attaque, je me suis réjouie ;
       - tiens un rigolo !

      Les marrants sont rares sur Agora Vox, nombreux sont les bonnets de nuit, quand ils ne sont pas aussi lugubres que des employés de pompes funèbres, ou sérieux comme des papes, encore que là, on peut comprendre, certains articles nécessitent du sérieux et de la rigueur, il ne faudrait surtout pas qu’on les traite par dessus la jambe.

      Mais quand même, n’est pas humoriste qui veut, demander aux artistes du créneau, c’est plus facile de faire pisser la vigne que faire pisser de rire un public. 
      Que voulez-vous, la vie qu’on mène à de quoi nous constiper ! On ne demanderait pas mieux de temps à autre de lâcher un peu la pression et de se marrer un bon coup, sans être obligé d’acheter un billet d’entée.

      Rigoler tel jour, à telle heure, c’est pas forcément marrant...


  • Osis Osis 15 décembre 2016 09:20

     

    N’a pas le talent de ̶B̶H̶V̶ pardon BHL qui veut...


  • beo111 beo111 15 décembre 2016 09:59

    C’est sûr que les bouquins, si ya des gens pour les écrire, il en fait bien d’autres pour les lire. Mais le problème c’est que nous le peuple, on est déjà surchargés de mots.


  • tf1Groupie 15 décembre 2016 10:28

    Article sympa à lire, même si un peu long.
    Juste le titre que je ne trouve pas à la hauteur.

    Le sujet m’intéresse car, comme beaucoup (trop ?) d’entre nous je m’essaye à l’écriture ; un tel retour d’expérience est donc bienvenu, ça évite de se bercer d’illusions.

    Pour moi l’écriture ne vaut que si on est lu, contrairement à d’autres disciplines (peinture, musique) où l’on peut avoir du plaisir rien qu’à contempler sa propre œuvre.


    • Arnould Accya Arnould Accya 15 décembre 2016 11:04

      @tf1Groupie
      L’écriture peut aussi être un exutoire.
      Mais, oui, tout à fait d’accord, on ressent le besoin d’être lu.
      Désolé pour le titre, alors  smiley


  • Gieller Gieller 15 décembre 2016 11:40

    Comme je dis aux artistes en herbe que je croise dans toutes les manifestations, tous les grands artistes qui vivent de leur art on commencé par vivre pour leur art, et parfois même à mourir pour lui.

    J’entends par là qu’il faut le feu sacré, il faut que l’art vous consume, que vous ne puissiez faire autrement que coucher sur papier, ou sur toile, ou sur glaise... Il le faut, c’est comme ça, c’est plus fort que soi et peu importe que ce ne soit que pour soi, il faut que ça sorte, impérativement...

    Si dès le premier jet vous recherchez déjà la notoriété et la reconnaissance d’autrui c’est que vous n’avez pas le feu sacré, vous recherchez déjà à vivre de votre art avant de vivre pour lui et ça, ça ne marche pas...


    • Arnould Accya Arnould Accya 15 décembre 2016 11:52

      @Gieller
      Hummm, oui dans le sens où écrire est un exutoire.
      Mais ce n’est pas pour cela qu’on ne souhaite pas disposer de la chance d’être lu par le plus grand nombre.


  • djea96 18 septembre 2018 22:43

    @Arnould Accya


    Au hasard des pages

    « Mon ami Thierry, c’est différent. Son père travaille dans les assurances. »

    Toute ressemblance avec des personnes existantes... etc, etc 😆😆😆

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