Une improbable cinquième vague de Covid-delta en automne 2021 ; normalisation endémique en vue pour 2022 ?
Les prévisionnistes ne semblent pas connaître le pari de Pascal que l’on peut détourner ainsi. Si je prévois une fin de l’épidémie, je peux me tromper mais au moins, j’aurai vécu un moment de sérénité et j’aurai gagné sur ce point. Si je prévois une cinquième vague, je vis dans l’inquiétude et je perds sur ce point, quoi qu’il advienne. Autrement dit, il y a tout à perdre en s’inquiétant, d’autant plus que cette inquiétude n’aura aucune incidence sur la gestion d’une hypothétique cinquième vague.
1) L’imprévisible course de l’épidémie de Covid
Les climatologues et les épidémiologistes savent au moins une chose, c’est que les prédictions les plus fiables sont celles effectuées sur le passé. Depuis le début de la pandémie de Covid, il n’a pas été possible de réaliser des anticipations fiables sur plus d’un mois, soit le double de la fiabilité toute relative des annonces de Météo France. Ce qui n’empêche pas les experts médiatiques d’annoncer une cinquième vague tout en restant prudent. D’après Martin Blachier et d’autres experts, un rebond épidémique se produira avant le retour de l’hiver mais ne sera pas féroce. Traduction ; au plus tard avant la mi-décembre, le nombre de cas devrait grimper. Cela laisse trois mois et si rien ne se passe, l’opinion publique n’aura plus le souvenir des incises lancées par les Cassandre du Covid.
L’épidémie comme problème de santé publique doit être suivie en premier lieu par la recension des patients admis en hospitalisation ou en soins critiques. Ces chiffres suivent la courbe du taux d’incidence et de la positivité des tests avec un décalage de trois à quatre semaines. Un état des lieux indique une sacrée différence entre la cinétique épidémique de l’été 2020 et celle observée à la fin de l’été 2021. L’année dernière, l’épidémie avait atteint son plus bas depuis la première vague, moins de 400 réanimations en août et moins de 800 sur une période allant de la mi-juin à la mi-septembre. Puis l’épidémie est repartie à la fin août pour s’intensifier et produire la seconde vague de novembre 2020. Cet été, les réanimations sont descendues à 850 vers le 20 juillet, puis un rebond lié au variant delta s’est dessiné avec une dynamique modérée. Le taux d’incidence national a frôlé les 250 vers le 10 août. Cinq semaines plus tard, il a été divisé par trois. Même chose pour la positivité, passant de 4.3 à 1.5. La cinétique épidémique de l’été 2021 montre un ralentissement de la positivité et de l’incidence entre les 20 et 25 juillet. Puis un phénomène de plateau a été observé début août, soit quelques dix jours avant qu’un effet du passe sanitaire ne soit visible. L’épidémie était en recul avant l’entrée en vigueur du passe et ce phénomène de décrue estivale de l’épidémie delta a été observé dans de nombreux pays européens, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Pays-Bas etc.
La comparaison avec la même période il y a un an est instructive. Au début du mois d’août en 2020, le taux d’incidence se situait autour de 20, en phase ascendante, avec une reprise modérée mais appuyée et constante de l’épidémie, le 100 ayant été dépassé le 15 septembre. Pendant cette même période, la positivité a pratiquement triplé, passant de 2 à près de 6. On pouvait escompter un affaiblissement de l’épidémie mais c’est l’inverse qui s’est produit. Une légère augmentation de la pente de positivité et incidence, sans doute causée par la rentrée scolaire et la reprise des activités professionnelles. Puis une seconde augmentation s’est dessinée à partir de début octobre, sans que l’on ne puisse expliquer le phénomène si ce n’est en invoquant une modification des conditions climatiques pouvant modifier la circulation des vecteurs viraux, voire des populations, amenées à passer moins de temps en plein air. C’est cette forte émergence épidémique d’octobre 2020 qui a causé la seconde vague, la plus puissante en termes de réanimations réalisées et de décès. Les populations n’étaient pas vaccinées à cette époque
Les chiffres de juin laissaient augurer un optimisme légitime avec moins de 2500 cas/j, une incidence descendue sous les 20 et une positivité inférieure à 1. Rien n’explique le retour de flamme si ce n’est la divergence épidémique causée par le variant delta dont la propagation a été intense, rapide. Le SARS-CoV-delta représente actuellement la quasi-totalité de populations virales. Et pourtant, une décrue accentuée se dessine actuellement. Aucun variant ne s’est signalé pour prendre la place du delta. Le variant mu, apparu au printemps 2021, n’a pas réussi à prendre sa part de marché. Sur tous les continents, il a franchi le seuil des 1 à 2% pour ensuite se faire discret face au variant delta. Et donc, sous réserve qu’aucun variant hyperpuissant se soit passé sous les radars, un rebond épidémique formant une cinquième vague ne peut se produire qu’avec une augmentation de la circulation du variant delta. Et ce n’est pas la tendance que l’on observe, malgré la reprise des activités professionnelles fin août et la rentrée des classes.
2) L’aventure des variants du SARS-CoV-2 et le devenir de la pandémie
La détection des variants ou des lignées de SARS-CoV-2 a commencé dès le mois de janvier 2020. Les virologues chinois ont recensé une première substitution, L84S sur la protéine accessoire ORF8. Ce fut le premier variant répertorié 19B qui n’a eu que peu de descendance. Les virus circulants sont issus du 19A avec deux substitutions devenues historiques, D614G (sur S) et P323L (sur nsp12, RdRp). Ce variant a été désigné 20A et figure maintenant comme le « virus historique » dont descendent tous les variants et en premier lieu le 20B qui est apparu pendant l’hiver 2020, avec deux substitutions sur la protéine N qui se lie à l’ARN viral, R203K et G204R. Ces substitutions affectent une zone centrale de la protéine N (domaine LINK) capable de moduler la conformation de la protéine et sa liaison à l’ARN. Il est difficile de relier ce variant à une poussée épidémique accentuée. On sait juste qu’en septembre 2020, lors de l’émergence de la seconde vague, le 20B représentait quelque 45% des séquences analysées, contre 30% pour le 20A qui a pris un léger avantage pendant l’automne (données Gisaid). Remarquons que le variant alpha possède les substitutions 203 et 204 sur N, comme le gamma, le lambda et le zêta. En revanche, le delta et le kappa n’ont qu’une substitution et elle est différente, R203M (Oude Munnink, 2021). D’autres variants ont circulé avant la seconde vague. L’équipe de Didier Raoult a d’ailleurs observé un variant spécifique à la France, désigné variant de Marseille. Par ailleurs, le 20E a fait une belle percée à 30% fin octobre, ce qui laisserait penser qu’il a modérément pesé sur la seconde vague. Puis le variant alpha fut détecté comme inquiétant par les épidémiologistes britanniques à la fin de l’automne et a fini par se répandre en Europe pour devenir dominant fin mars avec quelque 70% de virus séquencés. Ce variant était visiblement plus contagieux ; on lui doit la seconde vague du printemps 2021 en France et ailleurs en Europe. Encore plus contagieux, le variant delta est apparu en Inde, s’est propagé à l’échelle planétaire pour devenir dominant. Ce variant est responsable du rebond épidémique de l’été 2021 en France. Malgré sa transmissibilité élevée, il n’a pas causé une vague de grande ampleur, ni saturé les systèmes de santé à l’exception d’un ou deux départements métropolitains ainsi qu’en de l’Outre-Mer où il a fait des dommages considérables, dans les Antilles notamment. La vaccination a limité l’engorgement du système de santé mais pas autant qu’on ne pouvait l’escompter, sans doute parce que les sujets à risque n’ont pas été tous vaccinés. Dans quelles proportions a-t-elle freiné la transmission du virus ? Difficile de l’évaluer. La comparaison du pic de contamination en juillet et de la vague des décès indique une létalité estimée à 0.4 %. Ce serait entre 2 et 3 fois moins que pour les premières vagues. Ce chiffre est à prendre avec prudence. D’après des études américaines, pour un cas détecté, 4 à 5 passent sous les radars. Le nombre de contamination est sous-évalué. La létalité pourrait alors descendre à 0.2%, voire moins.
Ce détail sur les contaminations a son importance car si une population jeune est rapidement contaminée, une immunité naturelle se développe, devenant protectrice et freinant la transmission du virus, complétant alors les effets de la vaccination. Cette contamination massive et silencieuse pourrait expliquer en partie la chute appuyée des contaminations depuis trois semaines, passant de 23 000 cas/j à 8 000. Avec trois questions. Jusqu’à quel niveau va-t-on descendre, moins de 2000 ? Un plateau va être observé, combien de temps durera-t-il ? Une reprise est à prévoir, quelle sera son ampleur ? Le cours épidémique dans quelques pays, l’Inde notamment, laisse présager une circulation continue du virus mais à bas bruit. Un phénomène similaire est plausible pour la France, mais il faut aussi regarder la situation plus contrastée en Angleterre avec une stabilisation à un niveau moyen et une lente décrue, sans doute parce que les restrictions sanitaires ont été levées depuis un moment.
3) Convergence endémique ou nouvelles divergences avec des variants ?
Le devenir de la pandémie pour l’année 2022 ne peut pas être prédit en vertu de la clause delta énonçant que les variants alpha et delta n’ont pas été anticipés. Aucune hypothèse ne peut donc être exclue, même si la tendance à la « normalisation » se dessine. C’est ce que l’on peut désigner comme convergence endémique, autrement dit un état devenu stationnaire avec une circulation virale à bas bruit et une possible atténuation de la gravité des affections. Plusieurs facteurs expliquent ce scénario. D’abord l’immunité de masse, vaccinale et naturelle, en comptant les millions de contaminés passés sous les radars et les réfractaires au virus. Puis les mutations qui s’accumulent et modifient la population virale circulante. Au rythme de deux mutations par mois, nous avons une moyenne de 40 substitutions nucléotidique pour chaque séquence, avec un maximum observé de 50. Une diminution de « l’agressivité virale » est plausible (mais pas garantie), comme l’a explicité Didier Raoult il y a peu, expliquant qu’en accumulant les substitutions, le virus perd en efficacité, ce qui est conforme à l’idée des mutations interprétées comme des erreurs. Le suivi de l’épidémie en Inde semble indiquer une convergence endémique, avec un plateau bas de 40 000 cas/j durant juillet et août, faisant suite au pic des presque 400 000 début mai, alors qu’une décrue s’amorce en septembre et bientôt 20 000 cas.
Pour l’automne 2021, il faudra atteindre la mi-octobre pour voir se dessiner un éventuel rebond épidémique liée au changement de météo. Une lente remontée des contaminations causée par les virus circulants ne s’oppose pas à la convergence endémique. En revanche, tout autre est le phénomène inverse de divergence épidémique qui également une hypothèse de travail mais sans doute la moins probable. Cette divergence ne peut se produire sous deux conditions se complétant. D’abord l’émergence de populations virales plus contagieuse. Ensuite la présence de variations du virus lui permettant d’échapper aux épitopes B et T. De plus, une atténuation de la protection vaccinale peut accentuer une éventuelle divergence épidémique qui n’est pas à exclure si des nouveaux variants émergent. Et c’est bien le problème car les mutations ont montré, avec les variants de 2021, que des « coups gagnants » ont été réalisés par l’interférence organisme et virus, traduits en gain de puissance.
Les courbes de contamination transmises par chaque pays donnent des indications précieuses sur l’évolution du Covid delta. Dans pratiquement tous les pays, les contaminations sont en phase descendante plus ou moins appuyée. Les différences observées sont liées à des facteurs locaux, géographie, démographie, mode de vie et mesures de freinage. Si au lieu d’une épidémie de Covid delta il y avait eu une épidémie de grippe, les différences locales auraient influé de la même manière sur les courbes épidémiques. Cette incise sur la grippe n’est pas anodine. Il semblerait que pour la première fois, l’épidémie de SARS-CoV-2 suive un cours comparable à celui d’une grippe, avec une divergence initiale, une montée en puissance puis un déclin plus ou moins accentué. Bref, certaines courbes se rapprochent de celles observées pour un virus grippal avec une durée classique, entre deux et trois mois. Avec néanmoins une différence car l’épidémie de Covid indique une cinétique en forme de cloche ce qui s’explique par les mesures sanitaires, absente lors des épidémies de grippe depuis des décennies. De plus, si la grippe s’éteint dès l’arrivée des beaux jours, nous ne savons pas comment va évoluer la course du delta d’ici deux à trois mois. Ni si un variant ne va pas créer une nouvelle épidémie pendant l’hiver 2022.
La seule certitude avec ce virus, c’est que nous ne sommes certains que de l’incertitude. Nous pouvons espérer une convergence endémique, avec atténuation de d’agressivité virale ou sans atténuation. Mais nous ne pouvons exclure une divergence avec des variants plus puissants. Nous n’avons pas de modèle capable de prédire l’évolution épidémique du Covid et de ses virus. Le SARS-CoV-2 n’est pas un virus grippal. Le H1N1 de 1918-1920 a fini par devenir endémique et même se faire très discret, comme le H2N2 de 1956-1958 qui aurait causé au plus 4 millions de mort. Un réassortiment a produit une divergence avec le H2N3 tout aussi virulent de 1968 à 1970. Moins connue est la grippe russe H1N1 qui a divergé en 1977 et a duré environ deux ans. Cette année, les Américains déployèrent la première campagne de vaccination massive qui fut stoppée à cause d’effets secondaires, Guillain-Barré notamment. Ce recul laisse penser qu’une pandémie émergente dure quelque deux ans avant de se « normaliser ». Le SARS-CoV-2 se transmet lui aussi par voie aérienne et infecte les voies respiratoires. Est-ce que la règle des deux ans sera observée ? On ne peut le dire, parce que le coronavirus est très différent du virus grippal et que de surcroît les mesures de distanciation combinées à la vaccination de masse placent le monde dans une configuration pandémique inédite.
A suivre
Oude Munnink, B.B., Worp, N., Nieuwenhuijse, D.F. et al. The next phase of SARS-CoV-2 surveillance : real-time molecular epidemiology. Nat Med 27, 1518–1524 (2021). https://doi.org/10.1038/s41591-021-01472-w