« Vingtards », une génération à inventer ?
Serons-nous les « vingtards », les « vingtenaires » ? Ceux qui ont vécu 1968 n’imaginaient pas qu’on les appellerait plus tard les « soixante-huitards », qu’ils seraient associés aux pantalons pattes d’eph, que les hommes auraient cette image de barbus-chevelus à sandales, que les femmes seraient associées à ces jolies robes courtes et à ces cheveux longs. Que leur « révolution » aurait un parfum de liberté suivie par un retour assumé dans le rang et une entrée fracassante dans le domaine du fric et du business.
Oui, il est bien possible que l’on nous appelle plus tard les « vingtards ».
Parce que ce que nous vivons, parce que ce que nous allons vivre est unique dans l’histoire de l’humanité : un confinement à l’échelle mondiale, qui nous transforme, petit à petit, qui fait de nous une nouvelle sorte de survivants.
Certes, le covid-19 n’est pas Ebola, nous n’allons pas tous y passer.
Mais nous sommes en train de cumuler des choses jamais vues ensemble :
- Une épidémie de grande ampleur, un peu à l’image de la grippe espagnole de 1919,
- Le confinement lui-même, qui rappelle certains épisodes de peste noire (la grande peste de Marseille de 1720 s’est toutefois arrêtée aux portes de la Provence par une décision Royale et des mesures de confinement couronnées de succès),
- Une crise boursière qui rappelle celle de 1929,
- Une crise économique gigantesque qui ne manquera pas d’arriver une fois achevée cette bizarre période de confinement,
- Et une suite qui n’est pas encore écrite.
Nous vivons une période étonnante. Certains « guerriers du confinement » s’abrutissent du matin au soir avec Netflix et autres Amazon Prime. D’autres passent leur vie sur les réseaux sociaux, ou restent connectés du matin au soir aux chaînes d’information continue.
D’autres jouent aux cartes avec leurs enfants. D’autres continuent à « télétravailler », à enchaîner des vidéoconférences, presque comme si le monde continuait à tourner normalement. D’autres se chargent de continuer à produire des denrées agricoles essentielles, de les distribuer, de les livrer. D’autres transportent les malades, ou bien les soignent.
D’autres font des stocks, se préparent à la fin du monde.
Tous comprennent que le monde que nous avons vécu est terminé. Les propriétaires voient leurs loyers qui ne rentrent plus. Les indépendants voient leurs rémunérations disparaître. Les salariés voient le chômage qui s’avance. Les agriculteurs voient leurs récoltes qui ne peuvent plus être récoltées, leurs productions qui ne peuvent plus être vendues.
Nous sommes au cœur du cyclone. Certains ont peur. D’autres sont inconscients. D’autres se préparent à la suite.
Au cœur du cyclone, tout est calme. Pas de vent. Pas de bruit. Un ciel magnifique. Mais nous sentons tous, nous savons tous que le vent va venir, que la tempête va se déchaîner, que les pluies vont être violentes.
Après la tempête, qu’allons-nous faire ? Recommencer comme avant ?
Le monde d’avant imagine que l’injection massive de capitaux va permettre de recommencer. La fameuse courbe en V.
Malgré nos convictions, malgré nos rêves, malgré Greta, nous les aimions bien nos voyages en avion au bout du monde en low-cost, notre SUV dernier modèle, notre écran plasma, notre chauffage à fond l’hiver, notre climatisation réglée au max en été.
C’est déjà le passé. 2020 sera une ligne de rupture. Et cela s’appliquera à toutes les générations d’aujourd’hui, des adolescents aux adultes mûrs.
Hier, même pour ceux qui se pensaient pauvres, mal considérés, un temps béni.
Demain, un temps de privations. La décroissance dont finalement personne ne voulait, la voilà.
« Sobriété heureuse » ?
Sobriété, c’est certain.
Heureuse ? Immédiatement après le choc, certainement pas.
Ensuite, on verra. Cela sera à nous de limiter la casse et de reconstruire.
Nous ne serons pas les soixante-huitards. Nous serons les vingtards, et j’espère que nous lèguerons au monde autre chose que des rêves de Rolex.