mardi 7 juillet 2020 - par Bruno Hubacher

Volkskapitalismus

Ce fut le défunt Ministre de l’Economie (1963 à 1966) et Chancelier (1949 à 1963) de la République fédérale d’Allemagne, Ludwig Erhard, maître à penser du non moins idéaliste Président du « World Economic Forum », Klaus Schwab, qui la prônait, l’économie sociale de marché aux couleurs teutoniques, ce modèle sociétal, censé aboutir, par la magie de la « main invisible du marché », au pouvoir actionnarial populaire par la démocratie.

JPEG

Seulement, la démocratie, en politique, ce n’est déjà pas simple, à fortiori, encore moins en économie. Ainsi, ce ne fut pas plus qu’une poignée d’investisseurs, représentant 38% de l’actionnariat, qui décida du sort de la chancelante compagnie aérienne « Lufthansa » lors d’une assemblée extraordinaire virtuelle le 25 juin dernier. Ils préférèrent finalement l’option « plan de sauvetage publique » d’une valeur de 9 milliards d’euros à la « procédure de faillite ». Ouf !

Les réserves présumées de 4 milliards d’euros pourront ainsi être utilisés au remboursement de billets d’avions d’une valeur de 1,8 milliard d’euros.

Il aurait pu se contenter de sa vie de « gentleman farmer » sur son exploitation de bétail de 13'000 hectares en Uruguay ou sur sa plantation d’avocats et mangues en Afrique du Sud. En tout cas, sa fortune personnelle de 13,5 milliards d’euros (Bloomberg) l’aurait permis. Mais, Heinz Hermann Thiele (79), à la tête de la huitième fortune du pays, semblait chercher encore un dernier « challenge » dans sa vie. (1)

Au paroxysme de la crise du « coronavirus », entre le 3 et le 16 mars dernier, le remuant rentier, acquérait, tour à tour, 10% du capital de la compagnie aérienne, dont l’effondrement faisait fuir les petits actionnaires « populaires », non-initiés.

S’ensuivait une mise en scène médiatique dans laquelle le milliardaire dictait au gouvernement allemand, par presse interposée, les conditions de son plan de sauvetage. Dès lors que les « choses » s’arrangèrent, il augmenta sa participation à 15,5 %, devenant ainsi l’actionnaire principal, partageant le gâteau avec une dizaine d’investisseurs institutionnels, dont la banque d’affaires américaine Morgan Stanley, détentrice, soudainement, de 7 % du capital et, selon ses dires, entre autres, également le gestionnaire américain « BlackRock », dont on ne connaît pas le pourcentage de sa participation.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que la firme américaine détient déjà des participations dans les compagnies de l’indice boursier DAX d’une valeur de 59 milliards d’euros, la propulsant dans la position d’actionnaire principal dans au moins sept d’entre elles, dont les multinationales de la chimie Bayer 7% et BASF 5,99%, les assureurs Allianz 6,06 % et Munich Re 6,01%, le géant de la pharma Merck 8,49 %, la société de l’énergie E.ON 6,03%, ainsi que la chaîne de télévision ProSieben 8,79 % (Die Welt).

Dans une interview, accordée au quotidien « Frankfurter Allgemeine Zeitung » FAZ le 17 juin dernier, Herr Thiele annonça la couleur. « Les aides publiques sous forme de crédits sont bien accueillis par les investisseurs ». En revanche, l’Etat « ne devrait pas se mêler de la conduite des affaires d’une compagnie privée » et devrait donc « renoncer à une participation dans son capital », fusse-t-elle sans droit de vote. « Une telle participation résulterait en une dilution de la participation actionnariale, et, par conséquent, une diminution du profit des actionnaires ». En outre, il juge « ridicule » le prix d’acquisition de 2,56 euros, l’équivalent de la valeur nominale, proposé par les pouvoirs publics, un investissement de 400 millions d’euros. 

Une minorité de blocage par l’Etat de 25 %, discutée au parlement et mollement soutenue par la gauche au mois de mai encore, s’était finalement transformée en une participation passive de 20%, couplée d’une obligation, convertible en actions en cas d’une offre public d’achat hostile seulement, participations dont les pouvoirs publics comptent se défaire à partir de 2023 déjà, sans doute grâce à la force de persuasion de l’actionnaire principal. Du coup les élus renoncent également à une représentation étatique au conseil de surveillance.  

Mais, l’homme d’affaires pressé continuait à laisser planer le suspense. Donnera-t-il son accord à ce plan de sauvetage si âprement négocié ? Les dernières touches furent apportées lors d’une rencontre, trois jours avant la date fatidique, entre le milliardaire, le PDG de la compagnie, Carsten Spohr, ainsi que le Ministre des finances, Olaf Scholz (SPD) et le Ministre de l’Economie, Peter Altmaier (CDU).

Afin de réduire un peu la facture la direction du groupe et le gouvernement Merkel firent appel à la solidarité des pays dans lesquels sont domiciliés les diverses filiales du géant allemand. Ainsi, le gouvernement autrichien propose des crédits de 767 millions d’euros pour la compagnie « Austrian Airlines » et en Belgique on parle de 390 milliards d’euros en faveur de « Brussels Airlines ».

La générosité du gouvernement suisse dépasse, une fois de plus, les attentes les plus folles. Notre Ministre des finances, Ueli Maurer, connu pour sa servilité en la matière, promit, avant même la naissance du plan de sauvetage allemand, des facilités de crédit de 1,275 milliards en faveur de la filiale « Swiss », compagnie ressuscitée des cendres de la défunte « Swissair », poussée à la faillite par la folle stratégie d’acquisition « Hunter » de son PDG de l’époque, Philipp Bruggisser, incapable, dans la dernière phase de son existence, d’acheter du kérosène pour ses avions, gonflée à bloc avec de l’argent public pour être reprise en fin de compte pour une bouchée de pain par « Lufthansa ».

On ne peut donc s’empêcher de constater qu’il s’agit là, d’un énième subventionnement public d’intérêts privés, d’autant plus que les 12 milliards d’euros d’aides publiques du gouvernement allemand, limitées à trois mois, en faveur de deux millions d’indépendants, font pâle figure face aux 9 milliards d’euros, accordés à la seule compagnie « Lufthansa ».

Les 128 milliards d’euros libérés pour faire face à la crise seront à la charge la dette publique, remboursable rubis sur ongle par l’austérité, du moins si le gouvernement allemand suit les préceptes du dogme néolibéral, ce qui est une quasi-certitude. 

Fidèle à la même doctrine néolibérale de l’offre, la proposition gouvernementale esquive un effondrement probable de la demande en matière de trafic aérien, or aux plans de 20'000 suppressions d’emplois sur 138'000, dans les tiroirs de la direction depuis bien avant la crise du « coronavirus », s’ajouteront d’autres. Elles permettront, conjuguées à des ventes d’actifs, une optimisation du rendement sur le capital investi, une fois de plus.

On se contente, pour conclure, de citer le Directeur général de l’IATA « International Air Transport Association », Alexandre de Juniac : « Le prochain défi sera d’empêcher les compagnies de se noyer sous le poids de la dette, qui, avec les 123 milliards de dollars accordés dans le cadre de la crise du coronavirus s’élèvera à 550 milliards de dollars, en augmentation de 28%. S’il n’y a pas d’amélioration de la situation lors du redémarrage des vols au courant du mois de juin, nous craignons d’assister à un certain nombre de faillites. »

 

  1. Heinz Hermann Thiele, qui débuta sa carrière en tant que responsale du service juridique de la société « Knorr Bremsen AG », aujourd’hui un des leaders mondiaux des systèmes de frein à air comprimé pour véhicules ferroviaires et routiers, dont il devint actionnaire unique après le retrait des héritiers de l’entreprise. Thiele est également actionnaire majoritaire du groupe « Vossloh AG », un des leaders mondiaux dans le domaine des systèmes de fixation de rails et d’aiguillage pour les infrastructures ferroviaires.


7 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 7 juillet 2020 10:42

    La seule innovation, c’est que la redistribution des cartes entre capitalistes est en train de se faire sous un prétexte sanitaire.

    Avant, il faisaient des guerres pour éponger leurs dettes et en créer des nouvelles.

    Ils ont trouvé un autre moyen pour détruire les secteurs de l’économie productifs et justifier un refinancement type ’Plan Marshall ’ qui était tout sauf de la philanthropie. 


  • Loatse Loatse 7 juillet 2020 11:34

    Je n’ai jamais compris qu’on puisse inciter ses citoyens à aller dépenser leur argent dans d’autres pays

    quand l’économie, particulièrement en ce moment, en aurait bien besoin.

    qu’on puisse promulguer l’écologie et même être un leader en la matière et travailler à faire en sorte que le ciel redevienne quadrillé d’innombrables vols (qui produisent entre autres de la vapeur d’eau contrails -) dont on sait qu’elle favorise l’effet de serre...

    Investir 9 milliards dans un secteur qui risque d’être déficitaire (au vu du pic de crise qui s’annonce avec des milliers de faillites et de millions de sans emploi supplémentaires un peu partout dans le monde)

    En crise sanitaire non terminée (exit le voyage en martinique, aux usa, au mexique, en inde, etc...), le virus continuant sa danse macabre en d’autres latitudes...

    De l’argent qui serait bien utile aux pme pmi en difficulté...


    • HELIOS HELIOS 7 juillet 2020 17:23

      bonjour Loatse...

      ... = = = Je n’ai jamais compris qu’on puisse inciter ses citoyens à aller dépenser leur argent dans d’autres pays= = =

      ... désolé de vous le dire tel quel, mais votre commentaire me semble, particulièrement limité en terme de reflexion et d’ouverture d’esprit.

      Je suis sûr que lorsque vous l’avez écrit vous avez agit rapidement sans recul.

      Si je vous suis, la majorité des transports aériens, ou de moins ceux qui leur rapportent de quoi vivre, ce sont les vacances. Là est votre erreur. les transports aeriens vivent pour plus de 32% (1/3) des passagers et sont liés a des déplacements de type professionnels ce qui rapporte plus de 50% du revenu passagers

      Ces déplacements sont effectués pour des relations économiques, des representations de secteurs professionnels, des maintenance d’installations industrielles, scientifiques, des recherches etc.... et sont également liées au brassage mondial des populations qui vivent a cheval sur des continents et qui necessitent l’avion simplement pour des questions de temps. plus de 5000 km a travers un ocean ne peut etre « amorti » sur 11 mois de travail (je parle du temps de trajet).

      Je vis moi même 50% de ma vie sur un autre continent, vous comprendrez que sans avion cela me demanderait 21 jours aller au mieux et 21 jours retour soir 1,5 mois perdu. Vous pouvez, vous faire cadeaux d’un mois et demi de revenus juste parce qu’un ecolo décide que l’avion pollue plus que son chauffage central ?

      Ensuite, l’avion permet de transporter des quantités de marchandises, les unes perissables, certes, mais d’autres absolument impossible a faire fabriquer partout sur la planete pour etre dispo au moment où l’on en a besoin. je n’ai pas trouvé les stats pour l’instant. et ce ne serait pas écologique objectivement, vu les installations et les quantités.

      ... et enfin, les vacances.

      Votre raisonnement suppose que beaucoup de vacances se passent a l’etranger.

      je m’insris en faux sur cette perception...

      les touristes, annuellement, restent pour 20 millions (20M) en Europe et pour 2 millions sur chaque continent (soit 6M en tout) On peut dissuader l’avion mais cela portera sur les 20M, et parmi ceux ci, combien prennent l’avion. si vous allez de Paris a Bruxelles, prenez vous l’avion ? si vous le faites, c’est fort probablement que vos vacances sont encadrées de 2 week end et que vous n’allez pas consacrer 2 jours sur les 7 a attendre dans un bus ou un transport lent. essayer de visiter l’Europe comme cela.

      Commençons a exiger que votre entreprise vous offre un jour avant et un jour apres vos vacances juste pour vous encourager a ne pas prendre l’avion !

      Pour finir... etes vous sûr qu’en supprimant les vacances « lointaines » en temps vous allez favoriser les entreprises en France ?


  • zygzornifle zygzornifle 7 juillet 2020 12:54

    Vol au dessus d’un nid de chômeurs ….


    • Dantès 7 juillet 2020 16:18

      @zygzornifle

      Je vous « plusse ». On peut dire qu’on ne plane pas bien haut ; les aigles se transforment en dindons de la farce


  • titi titi 8 juillet 2020 00:17

    @L’auteur,

    Le problème il est plutôt dans le fait que Air France, Lufthansa, Swiss, Alitalia, soient des entreprises « porte drapeau » : elles ont un historique. 

    En Europe on est dans l’affect... au dépend du business. 

    Aux états unis, quand une entreprise aérienne va mal.. elle ferme. Même la mythique Pan Am.

    Pour ce qui est « des dettes », il y a déjà eu des précédents en France : les prêts au banque en 2008, à Peugeot en 2013.

    Toutes ont été remboursées, avant leur échéance.

    Prédire que Lufthansa ne remboursera pas c’est totalement gratuit.

    Prédire une baisse de la demande aérienne c’est être dans l’incantatoire.

    Qui plus est même en cas de baisse, les vraies compagnies qui ne sont adossées à aucun état vont disparaitre, ce qui fera de la place, pour les dinosaures à la solvabilité assurée par l’Etat.

    Et s’agissant de l’Allemagne, vu les excédents budgétaires, ces aides ne vont pas peser grand chose. Au contraire : si ça lui permet d’être un peu moins excédentaire ça calmera ses partenaires qui cherchent à lui faire endosser leurs propres dettes.

     


  • jjwaDal jjwaDal 9 juillet 2020 11:48

    Ce n’est pas du capitalisme c’est du vol (sans jeu de mots) et ils le savent et s’en moquent. La particularité de ce secteur est qu’il est soutenu par le contribuable depuis plus d’un demi siècle, car le citoyen ordinaire devrait payer son carburant aérien au prix du carburant automobile, plus de 90% des billets achetés chaque année ne le seraient plus. On pourrait comprendre qu’un service public soit non rentable, mais qu’on doive tricher pour qu’un service privé le soit n’est pas une découverte récente. La règle du jeu pour les « investisseurs » n’est plus de découvrir en prenant des risques quelles entreprises vont trouver leur marché et prospérer, avec la part de risque inhérente. C’est devenu bien plus simple et moins risqué. Investissez dans des secteurs qui de toute façon seront renfloués par le contribuable jusqu’à ce qu’il en crève. On a eu les banques en 2008, puis une large fraction des grandes entreprises qui ne peuvent tenir que par la montée continuelle des cours de bourse, pilotée par les banques centrales. Cet énième plan pour sauver un secteur arrosé depuis le départ ne devrait donc pas surprendre.
    On gagnerait à parler de « chasseurs de primes » le plus souvent en lieu et place du terme « investisseurs ». Les mots ont un sens.


Réagir